Si le temps n'était pas à la joie, cela n'était rien face à l'expression qu'affichait le paysan et ses fils en contemplant le désastre qu'était devenu leur champs. Toute la famille avait œuvré à s'en briser le dos avec l'araire pour assurer un labour parfait et voilà qu'en une nuit tout avait été dévasté par une cavalcade de tous les diables.
C'était sûrement la partie de chasse à courre des Maîtres qui avait dû s'achever sur la terre retournée ou bien une patrouille de soldats stirlandais qui pour on ne sait quel raison avait décidé de franchir les frontières qui séparaient la province des vivants de celle des morts. Quoi qu'il en soit il ne fallait pas se laisser abattre, ça aurait été mâcher le travail des goules, non on allait recommencer cette tache éreintante car sinon ce serait la famine, la mort, le retour.
Maroufle fit donc signe à ses deux aînés de ramener l'araire et la houe pour turbiner jusqu'à ce que sonne l'heure du loup. Il manda le benjamin d'aller chercher sa sœur, sa mère et le grand-père pour qu'ils délaissent leurs taches ménagères. Il fallait tous les bras disponibles pour s'assurer qu'on puisse ensemencer le sol au plus tôt. Et ce petit diablotin arrivait à prendre son temps pour pouloper jusqu'à la chaumière !
Il revient accompagné de sa sœur avant de piailler :
« P'père Brocart souff'toujours et m'man est au ch'vet ! »
Il y avait de ces journées où il aurait mieux fallu rester au lit ; pensa le fermier avec amertume avant de commencer à travailler, la complainte c'était pour ceux qui n'avaient rien à faire.
Il était pas loin d'une heure de l'après-midi quand la Bourgeoise annonça le repas. Les quatre rejetons se ruèrent vers la promesse de pitance tandis que Maroufle les suivait avec son boitillement habituel. Loué en soit les Maîtres l'humidité de ces derniers jours ne l'avait pas lanciné comme en Erntezeit mais c'était pour son père qu'il s’inquiétait.
Il leva la tête vers la chaumière, cette bâtisse qui avait accueilli d'innombrables générations de paysans au gré des siècles et qui en abritait sur le moment trois.
En passant la tête par l'embrasure il pouvait contempler l'ensemble des richesses amassées par tous ses aïeuls : Des meubles vermoulus , trois pièces et une cheminée.
Les six autres membres de sa famille étaient disposés autour de la table , entourant une marmite fumante de bouillie d'orge.
C'était dans ces moments qu'il était fier de lui, quand il voyait ses quatre enfants , sa sublime femme et son père, tous ayant à manger et un toit sur la tête là où tant d'autres de part le vaste monde qu'il n'avait jamais connu vivaient dans la misère.
Sa femme lui demanda avec le sourire :
« Tu t'assoies ou bien tu attends que la chaise vienne à toi mon Maroufle ?
-De suite, de suite. »
Tania...Depuis qu'il l'avait rencontré il avait été charmé par ses longs cheveux d'ébène et son caractère malicieux. Elle était une strygane, une femme libre et aucune chaîne ni aucun mariage ne pouvait lui enlever cet esprit.
De leur union étaient nés des enfants solides et bien portants. Les trois fils étaient aussi sombre de cheveux que leur mère , Marouflet était déjà un homme avec sa quinzaine et Roger lui emboîtait le pas.
Le dernier de la portée avec cinq hivers au compteur , Stygo, un nom que voulait sa mère, était un gredin né mais une bonne éducation le ferait filer droit il s'en assurait.
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Son père Brocart toussa tout en mangeant son orge. Il avait traversé tant d'années, avait élevé tant d'enfants pour finir amoindri par l'age chez son dernier fils comme un fardeau. C'est ce qu'il répétait à Maroufle dès qu'il était plus faible qu'à l'ordinaire mais ce dernier mettait ça sur le dos de la culpabilité des vieillards à avoir survécu là où tant d'autres sont morts.
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« Demain je partirai vers la Ville, je dois acheter les soins du Père et vous offrir la juste récompense de vos durs labeurs. Ce sera risqué mais il faut le faire , Roger et Marouflet , écoutez votre mère elle saura mener cette famille à flots pendant mon absence.
-Fils...Tu ne dois pas prendre ce risque pour moi. Ce n'est pas alors que je mets le pied dans la tombe qu'il faut que tu m'y rejoignes en bondissant.
-P'pa ! Et si jamais un macchabée t'attaque ? Ou un Maître ? Ou...
-Roger , le Père. Ma décision est prise et je m'y reprendrai pas. »
Sa Femme le regarda de ses grands yeux expressifs puis déclara :
« Il faudra que tu fasses attention mon Maroufle...Les Routes ne sont plus sûr pas même pour les caravaniers. Je veillerais sur cette famille en attendant. »
Le Lendemain , dès l'aube , à l'heure où grisonnait la campagne , Maroufle se tenait devant sa chaumière , drapé par une cape de voyage et serrant contre lui une fourche et ses quelques possessions. Il tourna la tête vers les membres de sa Famille qui le regardaient comme si il entamait sa procession vers le dernier jardin.
Le paysan prit une grande inspiration puis se mit à marcher le long du sentier forestier nappé de brumes.