Tout le monde s’était tu pour écouter le grand maître de l’Ordre parler. De même, les mots de Geralt en réponse eurent eux aussi droit à une écoute attentive et presque religieuse. Et pour une fois, il n’y eut pas de messes basses entre les conseillers suite à ses déclarations. Entre la confession et la supplique, le discours du Loup Blanc sut capter tout l’intérêt de ses auditeurs. Ils en arrivaient enfin au cœur du problème, mais pour cela, il avait fallu crever l’abcès, et cela ne s’était pas fait sans douleur. Arrivait désormais un moment crucial. Avec ce qui s’était dit et la tombée de la nuit, nul doute que la séance ne pouvait plus s’éterniser, du moins pas sans une interruption imminente. D’un autre côté, on ne pouvait pas non plus ignorer ce qui s’était passé ici et faire comme si de rien n’était en remettant la décision à plus tard. Non, il fallait trancher, ne serait-ce que par la prise d’une mesure provisoire en attendant d’avoir plus d’éléments si le conseil le jugeait nécessaire.Test de CHA avec modificateurs secrets : 14. Raté.
Quoi qu’il en soit, chacun resta muré dans son silence, à cheminer dans ses pensées et à mûrir un choix concernant l’avenir de Geralt. Même Joseph Dietrich s’accorda un instant avec lui-même pour réfléchir sur ce que son presque fils venait de lui avouer. Lui qui s’était levé pour parler, était maintenant rassis et semblait fatigué et vieux. Un air que Geralt ne lui connaissait pas, mais qui peut-être serait de plus en plus fréquent avec l’inéluctable passage du temps. Il fallait dire que cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas revus. La réflexion dura quelques dizaines de secondes en tout, peut-être même une minute. Sur le visage de certains membres, une opinion semblait déjà se former, hostile ou favorable. Mais la plupart hésitaient encore. Et pour cause ! Ils avaient besoin de plus de temps pour digérer ce qui s’était passé ce jour-là. Finalement, Dietrich releva ses yeux qui s’étaient perdus dans le vague tandis qu’il pensait, et prit de nouveau la parole, d’un ton las :
-Hum… Nous apprécions ta franchise, bien qu’elle arrive un peu tard au goût de certains. Je pense que tu l’auras compris : cette affaire n’est plus de mon ressort exclusif. Cela me dépasse de loin, et je suis peut-être le plus mal placé dans cette affaire pour juger en toute objectivité de la bonne décision à prendre te concernant. Il ne s’agit pas d’un cas mineur. Il y a déjà eu des morts, des innocents tués de ta main, et bien plus grave encore, nous ignorons jusqu’où l’emprise d’Agabius sur toi a pu aller. Le conseil décidera de ton sort.
Ceci-dit, je pense pouvoir affirmer avec certitude que nous ne parviendrons pas à un consensus ce soir, à chaud. Certains d’entre nous se sont déjà forgé un avis qui n’est pas forcément le même et il serait long de débattre. De plus, la plupart d’entre nous n’avons probablement pas encore tranché. Mieux vaut prendre le temps de la réflexion plutôt que de hâter trop ce genre de choses. Confondre vitesse et précipitation nous mènerait assurément à notre perte.
Parmi les conseillers, nul ne contesta cette affirmation, qui montrait sans nul doute la voie de la sagesse. Cependant, restait le problème de la nuit. Même si certains n’auraient pas été contre, ils ne pouvaient pas décemment enfermer Geralt dans la salle jusqu’au lendemain. Qu’allaient-ils décider à ce sujet ? La question fut abordée devant l’intéressé. Les avis étaient divergents entre les différents membres du conseil. Certains tenaient à préserver le secret de ce qui s’était dit dans cette pièce, et insistaient pour qu’un isolement strict soit maintenu. Cela ne présageait d’ailleurs pas forcément d’un avis défavorable, mais simplement d’une volonté de garantir le respect d’intimité, d’un secret jugé nécessaire autour de l’affaire traitée. Globalement, ce but était partagé par tous : ce qui s’était dit et produit dans cette salle ne devait en aucun cas en sortir. Néanmoins, ce constat posé, tous les conseillers n’étaient pas aussi radicaux sur la manière d’y parvenir, et d’autres opinions furent ainsi émises. Quelques uns, très minoritaires étaient partisans de laisser le Loup Blanc complètement libre d’agir à sa guise, avec une simple convocation pour le lendemain vers 10 heures. Agir de la sorte aurait eu l’avantage de ne pas attirer outre-mesure l’attention sur Geralt, comme s’il s’était agi d’un simple débriefing d’une mission « normale » mais importante. Cela présentait en contrepartie l’inconvénient de devoir accorder une confiance totale à Geralt. Or, justement, tout le nœud du problème était que c’était bien sa loyauté et sa pureté qui étaient discutées au conseil.
C’est pourquoi le choix s’orienta vite vers une troisième voie, intermédiaire, qui avait l’avantage de ménager la chèvre et le chou, et le défaut de n’être ni totalement discrète, ni totalement sûre. Il s’agissait à peu près de conserver un statu quo semblable aux mesures prises par frère Köhler dès son arrivée : une liberté de mouvement restreinte à l’intérieur du monastère-forteresse, sous la surveillance étroite d’un homme sûr, mais non avisé de ce qui s’était dit, en l’occurrence le compagnon Tholaster. Bien entendu, même si tous étaient persuadés de la futilité de ce genre de rappels, il fut reprécisé à notre héros que toute fuite sur le sujet devait être évitée. Rien de ce qui s’était dit ne devait sortir de ces quatre murs.
Frère Tholaster, qui était d’un rang inférieur dans la hiérarchie, à peu près semblable voire légèrement inférieur à celui de Geralt, n’avait pas participé à la réunion du conseil. Il exécutait simplement ses ordres qui étaient de veiller sur son poulain et d’éviter que celui-ci ne quitte les lieux. Ce membre zélé, mais peu ambitieux et peu talentueux de l’Ordre avait passé la journée dans les couloirs de l’Abbaye, aussi informa-t-il son protégé que Mélianor et Gertrud avaient tenté de le joindre durant la journée, et qu’il avait la possibilité, s’il le souhaitait, de dîner avec l’une ou les deux femmes.