Ce ne fut qu’une fois arrivé là-bas, devant l’imminence de leur séparation, que l’enfant tenta le tout pour le tout et laissa une dernière fois s’exprimer ses sentiments. Il n’avait apparemment toujours pas renoncé à faire changer Raël d’avis.
–Père, il est encore temps de renoncer. Ne voyez pas vous pas que ma place est à vos côtés ? Par pitié, ne me laissez pas seul, ne m’abandonnez pas. Je ferai selon votre volonté, mais je vous en prie, ne me donnez pas l’ordre de monter dans ce bateau. Je ne vous reverrai peut-être jamais. Une… Une famille devrait rester unie.
Le capitaine du navire et son équipage attendaient en retrait sur le pont du navire. Ils avaient reçu de Jeannot Fitzgodric des instructions très claires : ils ne devraient lever l’ancre que lorsque Khem le leur permettrai. C’était des marins braves et honnêtes, des hommes sûrs et de confiance, Jeannot s’en était porté garant, ils veilleraient sur Aziz durant le trajet maritime.
Le maître d’armes hocha la tête : le tableau de Raël était extrêmement compliqué. La malchance avait dû jouer contre lui. Au premier tour, il devrait affronter le monstre Karloman Bras-de-Chêne. Au second, probablement Bogdan Volkov. Au troisième tour, soit les 8èmes de finale, potentiellement Jean d’Estamille. Et cela serait de pire en pire à chaque tour, jusqu’au dernier, la finale, si toutefois il arrivait jusque là. Mais pour l’instant le premier obstacle sérieux serait la brute norse, Karloman.
Le maître d’armes expliqua à son champion ce que celui-ci avait sans doute déjà pu constater : il serait très risqué et très compliqué de vaincre le barbare au corps-à-corps à la régulière. Pas impossible, certes, mais les chances de Raël étaient maigres. Toutefois, l’entraîneur commença à expliquer qu’il ne fallait pas être défaitiste… Il avait identifié certaines faiblesses à exploiter chez son adversaire et allait les lui exposer. Lorsque soudain, juste devant la tente de Raël, une échauffourée sembla éclater. Un voix brutale s’éleva contre une voix féminine et plusieurs voix de gardes de l’organisation qui assuraient la sécurité de la tente de Raël Khem vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour éviter tout attentat ou toute intrusion.
Raël Khem reconnut sans mal la voix caractéristique de Ranya Labelle, et le ton grossier, fortement accentué, sûr de lui et tonitruant de Karloman :
-Lâche-moi sale porc, je préférerai coucher gratuitement avec le dernier péon unijambiste de Bretonnie plutôt qu’avec toi pour tout l’or du monde.
-Je te prendrai, de gré ou de force, sale pute. Je prends ce que je veux. J’ai déjà écrasé ton champion lors de la dernière épreuve. Et je le referai dès demain. Et quand il sera humilié et éliminé du tournoi, tu n’auras pas d’autre choix que de revenir docilement vers moi, car je connais les filles de ton espèce, elles tournent comme des mouches autour des vainqueurs, et oublient vite les perdants dans son genre.
Visiblement, Karloman avait jugé bon d’aller créer un incident devant la tente même de son adversaire, et avec rien de moins que celle qui avait partagé son lit cette nuit. Il était clair que ce norse avait agi volontairement pour provoquer, et sinon effrayer, au moins mettre la pression sur Raël Khem avant leur affrontement. Il voulait en faire une affaire d’honneur, une affaire personnelle, avec pour enjeu la jolie blondinette aux yeux violets. Le scythien allait-il accepter d’entrer dans son jeu ?