Seule contre sept –puisque son mari ne combattait pas-, Sophie Hohenbach se battait comme une diablesse. Sa lame virevoltait et fauchait ses ennemis aussi facilement que s’ils avaient été en carton mâché. Aucune armure, aucun os ne freinait ses coups, tandis que telle une danseuse serpent, elle se contorsionnait avec grâce et souplesse pour esquiver les multiples attaques qu’elle subissait sans arrêt. Un peu à son image, sa danse fatale avait une beauté froide, mais certaine. Tout comme Geralt, elle était adepte d’un style de combat avec une seule épée à une main et une main libre, et privilégiant l’esquive en défense, y compris acrobatique, domaine où elle était très douée. Elle maniait sa fidèle Glace-les-Cœurs avec un naturel déconcertant, comme s’il s’était agi d’un prolongement de son bras. Sans nul doute l’arme avait-elle forgée spécialement pour elle, voire même par elle.
Toutefois, le chasseur de vampire avait misé juste. S’il semblait que les humains lambda qu’elle affrontait n’avaient aucune chance contre elle à la longue, la Comtesse Grise était retardée par eux, sans quoi elle aurait pu fondre sur les fuyards et les frapper dans le dos. Au lieu de cela, elle se retrouvait bloquée, forcée à combattre les mercenaires et les hochlanders. Elle ne pouvait même pas les ignorer en forçant le passage, sous peine de voir son époux déjà sérieusement blessé massacré.
Alors que le Loup Blanc avait déjà franchi le seuil de la porte donnant sur le grand hall converti en centre-ville et se retournait pour voir où en étaient ses compagnons, faisait fi des exclamations de surprise de ceux qui avaient vu leur capitaine et des ex-prisonniers et probables alliés –car il ne fallait pas oublier qu’ils croyaient que Geralt et les siens étaient des mercenaires et étaient persuadés qu’ils se rangeraient avec le Comte-, surgir précipitamment de la salle du trône, amoché pour l’un d’entre eux, avec en arrière plan d’autres blessés qui fuyaient et étaient presque arrivés à la porte eux aussi, et non loin de là un combat opposant leur maîtresse la Comtesse du Drakwald protégeant son mari contre pas moins de sept assaillants. Enfin, ils n’étaient déjà plus que trois à cet instant, les autres gisant au sol, probablement morts ou agonisants.
Le chasseur de vampire laissa l’ancien chef de l’armée du Comte s’occuper d’expliquer aux siens la situation, tandis qu’il restait concentré sur Sophie Hohenbach. Celle-ci était sur le point de triompher de ses derniers adversaires, mais n’aurait jamais le temps, maintenant, de rejoindre Nathalie, Gertrud et Sannri avant qu’ils ne franchissent la porte. A moins d’un malheur, ils étaient sauvés !
Quoi que… Dans un hurlement de rage alors qu’elle constatait que ses proies s’enfuyaient, la vampire fit tournoyer son épée tout autour d’elle dans une série de moulinets complexes et n’ayant d’autre utilité que de se dégager des lames de ses adversaires. Dans le même mouvement, elle leva sa main gauche et prononça un simple mot. Un linceul noir descendit de sa paume pour recouvrir trois des corps étendus à ses pieds, qui se relevèrent pour affronter leurs camarades horrifiés aux côtés desquels ils venaient juste de combattre !
Laissant ses pantins s’occuper des belliqueux humains restants, elle passa aisément leur barrage, s’aidant de sa main libre pour saisir l’un d’eux et le projeter dans les airs au passage. Le malheureux fit un vol plané de trois mètres avant de s’écraser par terre dans un craquement sinistre, hors-de-combat. S’étant libérée la voix en l’espace de quelques secondes grâce à sa magie, la vampire avait maintenant en ligne de mire Geralt et ses amis. Mais même avec la vitesse surnaturelle propre à sa race, il était clair qu’elle ne parviendrait pas à les atteindre avant qu’ils ne franchissent le palier de la porte qu’ils avaient presque atteint.
Par dépitée le moins du monde pour autant, la Comtesse Grise, sachant exactement quoi faire, se concentra et une nouvelle fois les énergies impies se canalysèrent à travers elle et fondirent depuis ses yeux à la vitesse de l’éclair sur le nain qui s’était avancé et les deux jeunes femmes déjà blessées. Alors qu’ils allaient franchir la porte en même temps, les trois amis de Geralt furent frappés de plein fouet par le sort, au niveau des jambes.
Le nain, bien qu’il n’ait aucune armure étant un tueur, résista relativement bien à la magie de la créature noire. Solide comme un roc, il sut ignorer la douleur et rejoindre Geralt et les autres de l’autre côté de la porte. Tel ne fut pas le cas pour les deux jeunes femmes, qui elles furent fauchées en pleine course par le maléfice, et restèrent à se tortiller de douleur sur le sol, à quelques mètres de Geralt à peine, tandis que déjà, la Comtesse fondait dans leur direction.Effets du sort :
Dégâts subis par eux trois :
Sannri : 20. Test d’END (-1 pour son 1 point de maîtrise de l’aethyr [MA] qu’elle a utilisé pour, +1 pour ta compétence résistance accrue) : 10. Réussite. Il continue à se battre normalement.
Nathalie : 17. Test d’END (-1 à cause du point de MA de la Comtesse Grise utilisé pour) : 18. Raté !
Gertrud : 18. Test d’END (-1 à cause du point de MA de la Comtesse Grise utilisé pour) : 18. Raté !
A cet instant, au pire moment, une vision assaillit le Loup Blanc, semblable à celles qu’il venait juste d’avoir. Son double maléfique se tenait exactement sur le pas de la double-porte, entre lui et ses amies. Il lui fit un signe négatif de la tête en lui disant :
*Oh non, Loup Blanc ! Pas question d’y aller et de mourir aussi stupidement... Il va te falloir assumer les conséquences de tes actes, maintenant. Vois, vois ce que tu causes à ceux que tu dis tes amis !*
Sannri, pour sa part, était encore essoufflé et n’avait pas compris ce qui venait de se produire. Lorsqu’il se retourna enfin et vit que les deux femmes qui étaient à ses côtés n’avaient pu le suivre, il voulut agir, mais il était déjà trop tard. Quant au capitaine, il était en train de réunir des hommes un peu plus loin et s’apprêtait à délivrer une salve meurtrière de balles vers l’entrée pour empêcher la vampire d’avancer. Face à cette menace, même une créature de la nuit aussi puissante que Sophie Hohenbach ne pourrait avancer aux delà des lourds battants.
Mais telle n’était pas l’intention de la Comtesse. Pas plus, d’ailleurs, et Geralt en fut le premier surpris. Tout se passa très vite, durant l’intervention du côté maléfique du Loup Blanc, que lui seul pouvait voir et entendre, évidemment.
Pendant ce laps de temps, ces quelques secondes, ce fut comme si le temps avait été ralenti pour Geralt, qui ne pouvait pas bouger.
Il voyait Gertrud tomber à plat ventre par terre, et porter les mains à sa jambe gauche, sérieusement blessée. Elle poussa un cri qu’il n’entendait pas, couvert par les paroles moqueuses de son double. Puis la brune serra les dents et se retourna sur le dos pour faire face à Sophie, qui arrivait vaguement, très floue en arrière plan. Avec un air de souffrance mais aussi de défi guerrier sur le visage, elle tira son épée courte de la main gauche, celle qui était encore intacte, et cracha une insulte vers la Comtesse. Mais ses mots étaient muets aux oreilles de Geralt qui n’entendait plus que les paroles, pourtant prononcées d’une voix forte mais sans crier de son double.
De son côté, Nathalie aussi avait été fauchée en pleine course par l’éclair noir et s’était écrasée au sol sur le côté droit, celui où elle avait tous ses membres blessés, son bras depuis son tir, et maintenant sa jambe. La chute sur son côté meurtri la tordit de douleur et les yeux impuissants de Geralt la virent se recroqueviller sur elle-même en hurlant tandis que des larmes de souffrance coulaient sur ses joues. Immédiatement, et instinctivement, elle roula sur son côté intact, afin que ses membres meurtris ne soient plus au contact du sol et ne soutiennent plus son poids. Une fraction de secondes plus tard, elle tentait de ramper vers la porte, sans cesser de pleurer ni de crier sans qu’aucun son ne parvienne aux oreilles du Loup Blanc. Son arc qu’elle avait lâché dans sa chute était tombé non loin devant elle, de même qu’une partie des flèches de son carquois qui avaient roulé par terre tout autour d’elle. Mais ce n’était pas son arme qu’elle voulait récupérer. Geralt la vit lever ses jolis yeux verts et les plonger dans les siens, dans un regard embué de larmes où se mêlaient douleur et détermination. Contrairement à Gertrud qui avait eu une attitude de défi très martiale, elle rampait aussi vite que possible vers lui pour franchir la porte, pour fuir : elle voulait vivre.
En un instant, tout cela disparut et le retour à la vitesse normale fut aussi brusque que déroutant pour notre héros. Il ne parvenait plus à voir aussi nettement aussi clairement les détails qu’il avait perçus jusqu’aux plus infimes durant la période de ralenti durant lequel son côté sombre l’avait invité à voir ce qu’il avait selon lui causé. Maintenant, tout son champ de vision sur la porte devant lui était occupé par la Comtesse Grise de la Drakwald, qui avait dépassé dans sa course les deux jeunes femmes sans même leur accorder un regard, esquivant facilement et sans même ralentir sa course le coup rageur d’épée que Gertrud avait voulu lui donner à son passage.
Sophie Hohenbach, un air mauvais et très énervé sur le visage, avait compris que le Loup Blanc lui était hors d’atteinte pour le moment, se situant dans la zone couverte par les tirs. Avec sa force surhumaine, elle avait pris chacun des battants dans une seule main et refermait la porte avec une vitesse et une facilité déconcertante.
Lui-dit elle en s’interrompant avant la fin de sa phrase alors que le bruit de deux chocs mats avait retenti, précédés du sifflement caractéristique de flèches. La vampire venait d’encaisser deux flèches tirées à bout portant dans son dos, probablement par Gertrud et Nathalie, mais elle ne semblait même pas souffrir, à peine une pointe d’agacement transparut-elle sur son visage, tandis qu’une mèche de ses cheveux, à l’avant de son visage, prenait une teinte blanche. Le temps des artifices semblait révolu pour Sophie Hohenbach, et elle se montrait sous un jour encore humanoïde voire humain, mais déjà plus conforme au monstre qu’elle était intérieurement.
Encore belle à s’en damner, ses cheveux n’étaient donc pas uniformément noirs naturellement, puisqu’une de leurs mèches, à l’avant, était d’un blanc caractéristique. Quand à ses yeux, ils n’étaient en aucun cas gris clair, mais luisaient d’un éclat rouge sang. Sa peau, quant à elle, était d’un gris terne.
Il ne restait alors déjà plus qu’une dizaine de centimètres de battement entre les deux volets de la porte, espace minuscule qui se referma presque aussitôt sur le visage de la vampire, qui sembla poser sa main gauche sur les deux battant juste avant qu’ils ne soient totalement fermés et prononcer à voix basse un mot de pouvoir qui fit passer une onde verte de sa paume aux portes, tandis qu’un cri vibrant coupé par la fermeture de la porte retentissait derrière elle :
Lorsque les portes se refermèrent avec un bruit sourd, l’onde verte qui partait de leur centre se propagea rapidement jusqu’aux charnières et à l’encadrement de la porte, un encadrement en pierres runiques datant de l’époque des nains. Même si certaines d’entre elles avaient été perverties ou brisées, les autres, celles qui restaient, se mirent à luire de cette même lumière verte. C’était comme si la lourde porte de chêne était hermétiquement fermée. Aucun son, aucun indice ne pouvait laisser supposer ce qui se passait derrière.
Mais derrière eux le capitaine poussa un hourra triomphant et cria d’un ton jovial à Geralt et Sannri Barbe-Enflammée, qui pour sa part semblait sonné, abasourdi par ce qui venait de se produire, incapable de parler dans l’immédiat, une main serrée sur sa hache à deux mains, l’autre sur la « Dent d’Alaric », l’ex-épée du Comte :
-Ouf, cette damnée sorcière était plus puissante que je ne l’aurais cru ! Qui aurait pensé qu’une aussi jolie femme qui ne payait pas de mine était une chaotique ! Et sa saleté de Glace-les-Cœurs. J’ignorais que son épée était magique, elle ne l’avait jamais tirée jusqu’ici. Mais même elle ne peut rien contre nous, maintenant. On est bien trop nombreux. Je crois qu’après ce qui vient de se passer, on est tous avec vous, Inquisiteur Geralt. Vous disposez de deux-cent hommes de bonne volonté et bien équipés ici, sans compter les prisonniers qu’on va bien sûr immédiatement faire libérer et qui nous rejoindrons sans l’ombre d’un doute. Ahahaha, ça va être foutrement drôle de la faire rôtir. Et entre nous, si vous voulez l’interroger avant, j’en prendrais bien un morceau. Pour la faire parler, bien sûr !
Et là-dessus, le capitaine éclata de rire, imité par une grande partie de ses hommes. Ce mercenaire semblait n’avoir que peu d’estime pour la vie humaine, car on n’aurait pas dit, en le regardant, qu’il venait juste de perdre cinq de ses compagnons d’armes, des hommes qui lui faisaient confiance, qu’il dirigeait encore une minute plus tôt et qu’il avait envoyé à l’abattoir sans paraître éprouver maintenant l’ombre d’un remords, même rétrospectivement.