Seuls quelques jours s’étaient écoulés depuis cet évènement qui avait radicalement boulversé la vie de la jeune fille, mais pour une adepte de Tzeentch, la stagnation, l’immobilisme, l’habitude devait être particulièrement difficile à supporter. Heureusement pour elle, un évènement inattendu allait bientôt survenir, un de ceux qui au premier abord paraissent anodins, mais qui se révèlent avec le temps à l’origine de changements radicaux dans le destin des gens impliqués. Pour le meilleur ou pour le pire ? Aria n’en avait aucune idée, elle ignorait alors sans doute même tout de la portée que prendrait la rencontre qu’elle était sur le point de faire. Etait-ce un signe de son nouveau dieu, la résultante du choix qu’elle avait fait en s’offrant à lui, ou un simple caprice du destin, un hasard ? Peut-être était-ce là l’aventure de sa vie, qui savait ?
En ce matin d’été, donc, la jeune aristocrate marchait sur une route au Sud-Est du Hochland, non loin de la capitale Hergig, et longeant la rivière Talabec. La ville la plus proche était Dunstigfurt, située à une petite dizaine de miles au Nord de son emplacement à cet instant, en remontant un affluent du Talabec. La route suivait les berges du fleuve qui la bordait côté Sud de la chaussée, tandis que l’autre côté donnait lui sur une épaisse, profonde et dangereuse forêt, composée essentiellement de chênes et de platanes. Selon les cartographes, cette portion de la forêt était soit la partie la plus australe de la Drakwald, soit au cœur de la Grande Forêt, cette dernière classification faisant plutôt consensus chez la majorité.
D’ordinaire, il n’était pas très prudent, même pour une personne possédant les dons d’Aria von Gaste, de se déplacer seule sur les routes peu sûres de sa province encore ravagée suite à la Tempête du Chaos. Les bandits, soldats et flagellants étaient légion sur ces artères, même les plus grandes, quand il ne s’agissait pas de monstres, d’hommes bêtes, ou de cultistes du chaos comme Aria elle-même.
La veille au matin, cependant, la noble avait croisé sur sa route un singulier cortège qui se dirigeait en trombe en direction du bac du Talabec, plus à l’Ouest sur la rivière, qui menait à la cité de Talabheim, capitale de la province voisine du Talabecland. Il était composé d’un carrosse escorté par plusieurs chevaliers elfiques, sur la banquette duquel était assise, à côté du conducteur, une humaine aux cheveux sombres plus âgée qu’Aria. Armée d’un arc, elle était vigilante et pointa d’ailleurs notre héroïne pour l’inciter à ne surtout pas bouger ou interférer avec le passage du véhicule.
A part ces deux rencontres et celle du cadavre sur lequel elle avait pris l’amulette, pour l’instant, la jeune femme n’avait pas croisé grand monde. Et d’une certaine manière c’était heureux pour elle quand on savait la dangerosité de l’endroit. Mais pour Aria, actuellement, le problème le plus immédiat était autre : elle avait épuisé ses provisions, celles qu’elle avait apportées avec elle de feu son village. Elle devrait donc rapidement trouver du ravitaillement ou chasser son propre gibier pour pouvoir manger. C’était ce triste constat qui dominait ce jour là, du moins jusqu’à ce qu’un évènement imprévu ne vienne rebattre les cartes.
Aria von Gaste aperçut du mouvement venant de l’Est et se dirigeant vers l’Ouest, vers Hergig, sur le bord de la route. Une silhouette se dirigeait donc dans la direction inverse de la sienne, car la tzeentchie allait alors d’Ouest en Est. La démarche de l’inconnu était titubante, mal assurée, mais néanmoins rapide. Aria ne tarda donc pas à voir de quoi il s’agissait, lorsqu’elle croisa l’homme en question, puisqu’il s’agissait bien d’un humain, seul.
L’homme avait le teint très pâle, tirant sur le grisâtre. Fatigué, des cernes entouraient ses yeux désorientés, et il semblait qu’il n’avait pris de repos depuis un certain temps. Il était vêtu d’un long manteau de cuir poussiéreux et déchiré et portait un chapeau de même. L’homme ne paraissait pas armé, mais seule sa main gauche était visible, son bras droit passant sous le pan de son manteau, comme s’il se tenait le ventre. Son seul bagage était un sac à dos, auquel il semblait accorder une importance primordiale au vu de la manière avec laquelle il empoignait fermement l’une des lanières du sac de sa senestre, comme s’il avait peur qu’il tombe s’il le lâchait. L’inconnu, dès qu’il fut suffisamment proche, à quelques mètres s’adressa à la jeune fille, qu’il avait intensément fixée et dévisagée, son regard s’attardant longuement sur son amulette, avant de retourner à ses yeux. Lorsqu’il parla, sa voix était éraillée, usée, éreintée, faible, de sorte que son discours sonnait plus comme une supplique qu’une demande :
-S’il vous plaît, aidez moi !
Se contenta-t-il de dire, attendant la réponse de la jeune femme. Ils étaient seuls, et clairement, Aria von Gaste semblait en position de force. Qu’allait-elle faire ?