La chasse, avec les talents de pisteur de Geralt et ses compétences en survie, ainsi que l’œil redoutable et les capacités d’archère hors du commun développées par la bretonnienne leur permirent de s’en tirer en mangeant à leur faim, sans être non plus dans l’excédent alimentaire. Leurs talents complémentaires mis en commun, le binôme était redoutable dans l’art de trouver de quoi manger au quotidien.
C’est ainsi qu’une sorte de rituel devint de coutume pour les voyageurs, le soir. Tandis que Gertrud et Sannri montaient le camp puis se reposaient, le Loup Blanc et Nathalie se mettaient en quête de nourriture.
Ce fut au cours d’une de ces chasses en duo, alors que la nuit tombait déjà, que Geralt, qui était alors penché sur une empreinte fraîche, fut interpellé par sa compagnonne qui surveillait les environs pendant qu’il restait concentré. Celle-ci lui tapota l’épaule et sans un mot lui désigna du doigt une ombre fugace au loin, dans la direction d’où ils venaient. Mais à peine le Loup Blanc eut-il le temps d’entrapercevoir cette silhouette lointaine au vague aspect humanoïde qu’elle disparut.
S’agissait-il d’un mirage ou y avait-il eu réellement quelqu’un là-bas, à quelques centaines de mètres d’eux, dans la pénombre des sous-bois à la tombée de la nuit ? Le chasseur de vampire n’aurait pu en jurer tant l’apparition avait été rapide. Une inspection plus poussée sur les lieux de l’apparition ne donna rien. Aucune trace exploitable, mais au vu de l’importante couche de feuilles mortes, cela ne voulait rien dire. Toujours était-il qu’il était inutile de chercher d’avantage ce qui n’était peut-être qu’un jeu d’ombre et de lumières dans la forêt, d’autant plus que de toute façon la nuit était tombée et qu’il faisait trop sombre pour espérer en découvrir davantage ou se lancer dans une traque à l’aveuglette.
Le duo rentra donc, se contentant pour cette-fois de deux oiseaux tués par Nathalie et de racines et champignons comestibles dénichées par Geralt, un bien maigre repas en perspective, ce qui n’allait certainement pas réjouir Sannri, qui malgré son serment de tueur restait un amateur de bonne chaire ! Mais le nain était comme ceux de sa race un dur à cuire. Même s’il se plaignait tout le temps, il n’en faisait pas moins avec les moyens à sa disposition, et l’on savait que l’on pourrait toujours compter sur lui pour assurer un tour de garde, la vue des nains dans l’obscurité étant substantiellement meilleure que celle des humains, tout comme leur endurance légendaire qui leur permettait facilement de lutter contre la fatigue et le sommeil.
Le lendemain, le groupe arriva dans la partie la plus septentrionale des Collines Hurlantes. Là, la forêt de bouleaux, déjà de plus en plus parsemée, laissa place subitement à une immense chaîne de collines calcaires relativement peu élevées d’abord, puis qui gagnaient un peu en hauteur à mesure que l’on regardait plus à l’Est, de quelques centaines de mètres à un peu plus d’un millier. Ca et là, des bosquets de bouleaux poussaient encore sur les parties inférieures de ces collines, mais leurs sommets et leurs hauteurs étaient principalement constituées de rocailles crayeuses et d’herbes sèches sans cesse fouettées par le vent qui ne s’arrêtait presque jamais et causait un bruit semblable à des effrayants hurlements qui avait donné son nom à cet endroit.
Désignant du doigt les plus hautes collines et une direction approximative Est-Sud-Est, Sannri présenta leur destination. Ils devraient franchir ces chaînes de collines, entièrement, avant de s’enfoncer dans la Grande-Forêt ou de retomber sur la route de la Vieille Forêt en fonction de ce qu’ils décideraient.
Ils marchèrent encore quelques heures, et lorsqu’ils eurent atteint le sommet de la première colline, ils apperçurent une petite plaine qui s’étendait sur quelques lieues entre forêt au Nord et reliefs au Sud. Au centre de cette sorte d’immense vallée ou de petite plaine coulait un torrent qui descendait des collines. C’est alors que d’une voix grave, le nain expliqua :
Soudain, la jeune mercenaire leva le bras et désigna de son index l’entrée des champs de Mandred, la vallée d’où venait le torrent. Là, à un kilomètre ou deux d’eux tout au plus, tous purent observer qu’un certain nombre de têtes de bétail, sans doute des ovins ou des caprins qui entraient sur l’antique champ de bataille, transformé en pâturage herbeux pour l’occasion. Plusieurs chiens de berger et quelques silhouettes humaines cachées sous des capes ou des haillons grisâtres ou brunâtres, accompagnaient et dirigeaient le troupeau sur lequel ils veillaient. Il s’agissait certainement des derniers descendants des Mérogens, des anciens citoyens de feu la province de Drakwald, qui erraient telles des âmes en peine dans un décor aussi terne qu’eux.
Tout ce qu’ils avaient sous les yeux reflétait le passé, et on aurait dit que même les bergers et leurs bêtes étaient des vestiges d’un autre temps, des ombres sorties d’un endroit où le temps s’était arrêté un millénaire et demi avant le présent…
S’ils avaient pu voir les bergers, alors logiquement, ceux-ci aussi les avaient repérés, mais ils semblaient totalement les ignorer, neutres. Quoi qu’il en soit, il faudrait passer par-là, par le territoire de ces gens, et par les hameaux de bergers, car c’était le chemin, et que de toute manière, dans les collines, le gibier et les racines étaient bien plus rares. Geralt et ses compagnons allaient-ils descendre de la colline leur parler, ou se contenterait-il de traverser leur territoire sans leur adresser le moindre mot ?
En tout cas, ces gens ne semblaient armés que de bâtons et de haches, avec peut-être aussi des couteaux, des lances et des arcs. Ils paraissaient pacifiques et ne représenteraient pas un grand danger : ce n'était à l'évidence pas des combattants, et il serait sûrement possible de les rançonner par la force si Geralt le voulait.