Le voyage fut monotone, mais il fallait toutefois ne pas s’endormir et rester alerte, sur ses gardes, à l’affut du moindre danger, car les monstres, hommes-bêtes et criminels rôdaient toujours dans les parages, sans parler des chaotiques. De temps à autre, ils croisaient, dépassaient ou étaient dépassés par d’autres voyageurs de tous types. Commerçants itinérants comme Klaus Augnethaler, gens pressés, courriers civils ou militaires, pèlerins, chevaliers bretonniens isolés –qui s’attirèrent les regards noirs de Nathalie Jeansigner-, bourgeois en voyage avec leurs escorte et leur carrosse, et encore nombre d’autres voyageurs dont on ne pouvait parfois rien deviner… Aucun d’entre eux n’attira particulièrement l’attention de Geralt ou des autres, ni en bien, ni en mal, car nul ne s’attardait avec eux. Ceux qu’ils dépassaient étaient rapidement distancés, ceux qui les dépassaient ne semblaient pas les attendre. En tant qu’axe majeur de l’Empire reliant de nombreuses provinces entre elles, la Route de la Vieille Forêt était somme toute plutôt fréquentée, même dans ces portions dangereuses et sauvages. Ils croisaient environ un autre voyageur ou groupe de voyageurs toutes les heures. Il fallait préciser qu’aussi près de Middenheim et de la frontière avec le Hochland, la portion de route était plus fréquentée qu’ailleurs et que donc cela jouait forcément.
En dépit de tout cela, pour la petite troupe, les problèmes ne commencèrent qu’à la fin de l’après-midi, alors qu’ils été arrivés devant la palissade de bois qui protégeait la ville frontalière d’Holzbeck, disputée entre le Middeland et le Hochland. Sa situation géographique était une source récurrente de conflit politique entre les deux provinces impériales, mais c’était également un avantage décisif sur le plan commercial. Malgré tout, coincée dans la forêt et relativement proche des Monts du Milieu à une trentaine de lieues à l’Est, la ville n’était pas très importante. C’était une petite bourgade prospère et toujours sous le risque d’une attaque, qu’elle soit l’œuvre des chaotiques du Fort d’Airain, des hommes-bêtes de la forêt, ou plus probablement des troupes impériales elles-mêmes, si d’aventure l’attention des Comtes-Electeurs respectifs se portait de nouveau sur la ville et qu’ils estimaient qu’un coup de force était possible.
La population avait donc une réputation d’excellents commerçants, de bons combattants et de neutralité politique intéressante pour ne froisser aucune des factions en présence et s’adapter sans douleur à n’importe quel envahisseur humain. En tous les cas, alors que le portail d’entée étaient encore grand ouvert, le chef des gardes en faction s’approcha d’eux et leva la main pour leur faire signe de s’arrêter.
Le sergent de ville n’avait pas moins de neuf hommes derrière lui. Ils portaient l’uniforme de la milice locale, mais étrangement, étant côté Ouest de la ville, vers le Middenland, arboraient des symboles de cette province. Il était donc difficile de savoir s’il s’agissait de soldats réguliers Middenlanders ou de la milice de la ville. Une chose semblait sûre, au moins, ils n’étaient pas Hochlanders.
Autre bizarrerie, le chef des gardes de la porte Ouest était très jeune. Il devait avoir une quinzaine d’années, tout au plus. Il parla d’une voix assurée et sournoise, n’hésitant pas à porter la main à son pistolet et l’autre sur la fusée de sa rapière, dans une posture ouvertement agressive. Ses hommes, équipés chacun différemment et plutôt moyennement (arcs et arbalètes comme armes à distance, boucliers, hallebardes, épées à une et deux mains au corps à corps). Leurs protections étaient en tissu ou en cuir durci et teint :
-Attendez, vous deux, là !
Il avait désigné du doigt expressément Nathalie Jeansigner et Geralt. Levant un sourcil inquisiteur, il leur demanda :
-On a reçu un courrier d’Immelscheld dans l’après-midi, nous prévenant de l’arrivée de fauteurs de troubles. Ils correspondent étrangement à votre description… N’auriez-vous pas fait du grabuge là-bas ? Ne me mentez pas !
Quant à vous autres, pas de conneries ou on vous collera au trou avec une belle amende en prime.
Le jeune homme était menaçant. Pourtant, l’archère blonde restait penaude. Elle semblait ne pas comprendre ce qu’on lui reprochait. Quelque chose clochait, c’était sûr, mais quoi ?