[Lucrétia & Dokhara] Eaux de jouvence

Le Talabecland se trouve au coeur de l'Empire, et ses armées prennent souvent la forme de petites forces d'élites. Helmut Feuerbach est porté disparu, mais sa cour est toujours dans la Cité de Talabheim.

Modérateur : Equipe MJ

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Et les stryganis reprirent la route, malgré le malheur, comme ils l'avaient toujours fait.

Les jours s'écoulaient dans la Drakwald à mesure que la caravane avançait. Les khilis semblaient désormais craindre Lucrétia autant qu'ils la révéraient. On s'inclinait sur son passage, mais personne ne lui accordait plus la parole. Pas même Tsinep l'Ancienne, qui semblait étrangement discrète et maintenant aussi muette que son mari. Du reste, la vie continuait au sein de ce village ambulant, avec un rythme auquel les baronnes étaient dès lors habituées. On ne s'arrêta plus de deux jours qu'à proximité de Wendorf et de ce qui restait de la grande Wolfenburg, afin d'échanger quelques chevaux contre des vivres et des outils. Idris en rapporta des rumeurs de taverne, tenues par un colporteur de Vienau, et selon lequel les autorités talabeclanders recherchaient deux cultistes dévoyées aux cheveux de feu. Personne ne commenta cette nouvelle et les gitans plièrent bagage dès leur commerce terminé.

Bientôt, ils furent aux portes de la Forêt des Ombres. Là où la Drakwald était une jungle violente et battant de vie, la Forêt des Ombres n'était qu'une sinistre mer de pins noirs et d'arbres tordus, saturées de brumes fétides et où d'étranges lumières luisaient dans la nuit. Cette terre était corrompue et les stigmates du passage de la Tempête du Chaos étaient visibles partout, en la forme des ruines mangées par les ronces et d'ossements dispersés. Deux bornes en pierre gravée de symboles divins marquaient la route qui entrait dans ces bois maudits. Là, les khilis arrêtèrent leurs roulottes et prirent une journée entière pour en condamner les fenêtres et en renforcer les flancs à l'aide de planches épaisses et de revêtement en métal. Les chevaux de trait furent caparaçonnés, le poitrail ceint de cuir, et les cochers furent armés. Le voyage prenait une tout autre tournure et les khilis, épris de liberté, étaient désormais consignés dans leurs foyers.

Les semaines n'en devinrent que plus longues et ennuyeuses. Une roulotte entière fut mise à disposition de Lucrétia seule tandis que ses anciens occupants allaient se serrer dans une autre. Du reste, personne ne quittait ces abris mouvant pendant la journée, et ne sortaient que brièvement le soir pour se dégourdir les jambes devant l'entrée et vider le sceau qui servait à se soulager. Il n'y avait ni feu de joie, ni chapiteau, ni musique. Les repas étaient préparés dans une ou deux roulottes et distribués aux autres sans s'attarder à l'extérieur. La moitié des gitans montait la garde durant la nuit, et l'autre moitié la nuit suivante, et ainsi de suite. L'atmosphère auparavant si chaude auprès des stryganis était désormais glaciale, et les baronnes sentaient que c'était là un moment redouté de leur grand voyage annuel.

Mais c'était aussi le moment des histoires et des légendes. Quand les khilis se serraient les uns contre les autres autour d'une marmite de bouillon brûlant, on se racontait les mythes du passé pour faire passer le temps. Emmitouflés dans des couvertures et des fourrures, ils écoutaient celui ou celle qui contait les aventures d'Imrat le Magnifique ou des Jumeaux Maudits. C'est pendant la traversée de la Forêt des Ombres que les héros et les rois d'antan renaissaient afin de donner du courage à leur peuple aujourd'hui vagabond. Personne ne racontait ces histoires aussi bien qu'Yrié, la vieille femme, et les enfants aux yeux ronds grouillaient toujours à ses pieds lorsqu'elle commençait l'aventure de la princesse Dounia en fumant sa longue pipe. Là où Idris était le chanteur des mélopées tristes et amères de son peuple, Yirié était interprète de la geste épique de gens dont la misère n'avait pas toujours été le pain quotidien. Dokhara ne pouvait qu'apprécier les effets de telles histoires dans les yeux de l'audience, quand bien même son apprentissage de la langue des khilis lui permettait peu à peu d'en comprendre le contenu. Mais si c'était Lucrétia qui passait la porte en faisant entrer la brume et le froid dans ce cocon douillet, alors tous se taisaient et observaient un silence emprunt de respect.

Il en fut ainsi pendant un mois, et pas une fois ils ne furent inquiétés. Les brames et les cris étranges étaient pourtant nombreux dans les profondeurs sombres de la Forêt des Ombres, mais les gitans représentaient un fort parti et la présence maléfique de Lucrétia n'y était peut-être pas pour rien. La caravane suivait une route dégagée dans les bois qui formait un axe nord-sud et passait par quelques bourgades miraculeusement épargnées ou fraîchement reconstruites et dont les habitants étaient taciturnes et peu accueillants. Ils regardaient les gens du voyage d'un mauvais œil et n'acceptaient ni leur commerce, ni leurs tours, ni leurs prédictions. Un groupe de bûcherons essaya même de les chasser et les gitans plièrent bagage sans chercher querelle.

Ce n'est qu'après ce long et morne voyage que la caravane déboucha enfin sur la route d'Erengrad qui longeait la côte, au Nord de l'Ostland. Le paysage se clairsemait, composé de collines stériles et de bosquets de pins. L'air était chargé d'embruns salés en provenance de la Mer des Griffes et les souffles se changeaient en buée jusque tard dans la journée. On allégea les roulottes, et retira l'armure des chevaux et la vie des stryganis reprit l'aspect que les baronnes avaient connu dans la Drakwald, à cela prêt que cette route était bien plus fréquentée que les sentiers secrets de la forêt : commerçants, voyageurs, aventuriers et péages étaient désormais le lot quotidien. Les khilis tâchaient de s'en tenir éloignés dans la mesure du possible, et les impériaux qui partageaient la route avec eux le leur rendait bien. Pour autant, il était difficile d'éviter les villages et les châteaux qui bordaient cette voie, et le reste du pays était impraticable pour les lourdes roulottes. De plus, la traversée de la Forêt des Ombres avait peu à peu rongé la patience des gitans et ces derniers préféraient généralement emprunter le chemin le plus direct jusqu'à leur destination finale, quitte à devoir s’accommoder de quelques désagréments.

Et parmi ces derniers, il y en avait un de bien identifié : Otto von Falmer, le fils du margrave de Rossin, l'un des bourgs fortifiés non loin duquel la route d'Erengrad passait. Otto était un homme d'une trentaine d'année, connu pour son esprit belliqueux, son amour de la chasse mais aussi pour son caractère extrêmement superstitieux. L'arrivée des gitans dans les environs était colportée par les marchands et les voyageurs de passage plusieurs jours en amont de la caravane, et Otto von Falmer se portait toujours à leur rencontre pour y quérir quelque prédiction le concernant. C'était devenu une sorte de rituel, année après année. Une tradition qui n'était pas pour réjouir les khilis, qui n'aimaient rien de plus que la tranquillité. Mais ils s'y pliaient cependant, car il était dangereux de vexer un noble lorsque l'on était un strygani. Qui plus est, Otto leur garantissait un passage sans taxe sur les péages de son père contre une séance d'astrologie douteuse.

C'est un matin très tôt qu'Otto von Falmer et sa suite vinrent les trouver. Les gitans étaient en train de lever le camp et de replier le grand chapiteau tandis que quelques femmes lavaient le linge au ruisseau qui passait à deux pas de là. Dokhara était certainement de celles là, à moins qu'elle n'eut été en plein entraînement avec Lucrétia. Le noble était accompagné d'une dizaine de chevalier plus ou moins équipés, probablement des gens de sa maisonnée ou des compagnons de beuverie venus s'encanailler avec les parias qu'étaient les stryganis. Ils avaient tous l'allure rustre des gens du Nord, et Otto lui même portait une longue barbe et des cheveux nattés. Ils arrêtèrent leurs chevaux en plein milieu du campement, causant la panique parmi les poules qui picoraient ça et là.


- "Bienvenue, amis voyageurs !" les héla le noble en mettant pied à terre, rapidement imité par ses gens d'arme. "J'espère que vous avez fait bon voyage dans notre belle Forêt des Ombres."

Shanah vint à sa rencontre, essayant de dissimuler son air las, et ils commencèrent à discuter. Otto était visiblement ravi de voir les stryganis et faisant de grands gestes en parlant, riant fort. Certains de ses compagnons faisaient de même, d'autres observaient les alentours tandis que le reste jetaient des œillades lubriques aux gitanes qui battaient le linge, penchées vers le cours d'eau. Quelques regards ne manquèrent pas de se poser sur les croupes de Dokhara et Lucrétia. Idris observait ces rustres, bras croisés, impassible.

- "La peste soit sur eux, chiens puants." persifla Chévardzané entre ses dents en khilis, battant son linge plus fort encore. Elle ne les portait visiblement pas dans son cœur.

- "Alors ! Où est donc la vieille ! Je veux savoir ce que je souperai demain !" s'exclama Otto.

Tsinep apparu sur le perron de sa roulotte et lui fit signe de rentrer.

- "Rejoins moi, chevalier. Je t'apprendrai ce que dit la paume de tes mains."

Le noble à la cape de fourrure se frotta la main et entra dans la roulotte à la suite de l'ancienne, qui ferma la porte derrière elle. Seuls restaient les reîtres, au milieu du camp. Certains commençaient déjà à reluquer la jeune Tyra en ricanant.

- "Si ils lui touchent un cheveux, je leur coupe les სათესლე*."


*satesle
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Dokhara de Soya
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 217
Lien fiche wiki : http://warforum-jdr.com/wiki-v2/doku.ph ... ra_de_soya
Autres comptes : [MJ] Katarin : Susi Tristepanse Bonchardon

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Dokhara de Soya »

Jour 16.

L'ambiance a radicalement changé depuis les évènements de la veille. Contrairement à ce que j'aurais pu m'attendre, la mort de Hedred n'est pas responsable de cette altération d'atmosphère. Les khilis vivent certes à la manière d'une grande famille, mais leur mode de vie côtoie trop quotidiennement les dangers de la forêt - si quelque chose dans leur nature les protège de l'ire de la Drakwald, ils savent que nombreuses créatures n'obéissent pas à ces règles, et ont accepté le danger et la mort comme partie intégrante de leur vie. Ils vivent avec ces risques tous les jours, et si la mort de l'un des leurs les attriste, ce n'est pas quelque chose qui les ralentira. Ils pleurent Hedred bien sur, mais pas à la manière des impériaux, pas dans un déversement ostentatoire d'émotions. Ils restent réservés, parlent peu de lui, même si je devine qu'ils lui adressent des pensées et prières muettes.

C'est bel bien Lucrétia qui est la source du bouleversement. Comme si Sigmar était revenu et se baladait dans les rues d'Altdorf, mon amante est désormais une déesse descendue des cieux pour marcher aux côtés de ses fidèles. On n'ose plus lui parler, on n'ose plus la regarder, on se courbe dès qu'elle apparaît.

Par extension, on s'adresse également moi avec davantage de respect, mais aussi un peu de distance. Si l'on me permettait auparavant de prendre part aux échanges de rumeurs, il semblerait qu'étant devenue la nouvelle cible de ces dernières, notamment au sujet de ma relation avec Ilsa, je ne sois plus conviée aux cancaneries. Lorsque je suis venue aider à la cuisine aujourd'hui, le silence gêné ponctuant mon arrivée m'a conforté dans l'idée que c'était bien Lucrétia et moi le sujet du jour, mais que la crainte les empêchait de satisfaire leur curiosité en me posant directement les questions qui brulaient leurs lèvres.

Je ne suis pas sure de trop aimer ce changement.
Sans doutes est-ce de la jalousie, moi qui était la jadokari favorite de notre petite troupe tandis que Lucrétia était rejetée, peu à peu ignorée : c'était agréable en sa compagnie d'être pour une fois le seul centre d'attention.
Mais aussi, cela me rappelle la distance qui existe entre nous. Malgré ses pouvoirs, mon esprit l'associe toujours malgré moi à une humaine, à la considérer comme quelque chose que je peux appréhender. L'idolâtrie des khilis me rappelle cette différence, à quel point le fossé qui nous sépare est grand.

Lucrétia en profite. Hier soir, quand j'ai rejoint sa couche dans sa nouvelle roulotte privative, elle n'a rien eu besoin de dire mais alors que je me dévêtais sous ses yeux, son regard sournois sur mon bras étant bien assez évocateur pour se passer de mots.
L'encre dans ma peau m'ancre à des souvenirs d'humaine, à un passé qui n'aura plus de sens une fois que je serais devenue déesse. Je l'ai déçue car j'ai choisi de créer une attache à son bétail, plutôt que de rester libre de toute chaine pour pouvoir vivre à jamais sans entrave aux côtés des dieux.

Elle m'en veut, je lui en veux. Deux visions qui n'arrivent pas à se comprendre. Je n'aime pas ça.

J'avais envie que ce voyage se prolonge, que je puisse rester en vie plus longtemps pour profiter de toutes mes sensations le plus longtemps possible aux côtés des khilis. Mais je me rends compte que c'est un jeu dangereux. C'est la perte de tout ce que je possédais qui m'a permis de m'ouvrir aux possibilités que Lucrétia m'offrait. Si je retrouve trop de choses auxquelles m'attacher avant la fin du chemin... aurais-je encore la volonté de le faire ?

Ou comme pour Hedred, vais-je fuir à nouveau ?


***

Jour 18.

J'ai tenté de limiter mes contacts avec les khilis. C'était une mauvaise idée.

Sans activité, isolée de toute stimulation, mon esprit s'échauffe. Lucrétia protège mes nuits de sa magie, mais n'a nul moyen de m'aider la journée. Et le cas échéant, je ne lui demanderais rien de toutes manières - ma dignité a bien assez souffert d'éternellement se reposer sur elle en toutes circonstances.

Aussi ai-je commencé à jouer à un jeu dangereux avec Chavo. Le khili me désire chaque jour un peu plus, et la révélation sur la nature de Lucrétia a eu moins d'effet sur lui que mon héroïque "sauvetage" lorsqu'il était persuadé de finir dévoré par un minotaure. Il marche à mes côtés, reste silencieux si je ne souhaite pas parler, mais répond à chacune de mes demandes avec une dévotion surprenante. Si j'ai faim, il m'offre sa ration. Si j'ai une question, il y répond avec une sincérité déconcertante.

Il se montre plus insistant pour danser avec moi le soir venu. Nous entrerons bientôt dans la Forêt des Ombres, où, m'a t-il prévenu, l'ambiance ne pourrait plus être aussi festive que celle que j'ai connue jusqu'alors. Il m'assure que je me dois de profiter de ces derniers instants de joie et de vie, avant que l'atmosphère ne s'assombrisse drastiquement.

Le savoir éperdu de moi tout en sachant que ma promesse à Lucrétia m'empêche de le laisser accéder à ses désirs rend le jeu trop irrésistible pour ne pas y jouer. Ces deux derniers jours, je n'ai eu de cesse que de devenir plus tactile à son égard, d'attarder mon regard sur lui, de me dévoiler davantage pendant nos conversations, et de répondre à ses invitations le soir venu pour danser sensuellement contre lui.

Sans surprise, ses lèvres ont glissé vers les miennes ce soir. D'un index, je l'ai empêché d'atteindre son objectif, avant de l'attirer à l'écart des yeux indiscrets pour lui jouer une mélodie que j'avais préparé bien à l'avance. "Chavo, je suis sincèrement désolée, mais je me suis toute entière offerte à ma maitresse Ilsa et à elle seule. Tu es un homme merveilleux, et dans une autre vie je me serais abandonnée à toi depuis bien longtemps. Mais si je ne peux que brûler de désir à ton égard, je ne peux pas prendre le risque de m'opposer à elle."
Je l'ai laissé digérer mes mots quelques secondes. Je l'ai laissé chercher une réponse, ne pas en trouver, puis se préparer à abandonner ses prétentions avec tristesse et dépit. Et à cet instant précis, à la seconde de rupture face à une adversaire trop puissante pour lui, je me suis jetée en avant pour l'embrasser langoureusement. Surpris, c'est à peine s'il répondit à mon baiser. Puis, avant qu'il ne puisse réagir, je me suis détournée et j'ai rejoint la roulotte de Lucrétia en courant, sans me retourner.

Il est désormais piégé par ma musique. En transgressant mes propres paroles, en risquant l'ire d'une déesse, je lui ai prouvé que malgré le pragmatisme de mes décisions, mon cœur a bel et bien une faille dans lequel il a réussi à s'engouffrer. J'ai implanté une graine d'espoir en lui, la promesse d'une infime probabilité qu'il existe un avenir dans lequel nous pourrions laisser libre cours à nos émotions.

Tout est faux bien entendu.

Je ne ressens pour lui rien d'autre qu'un vague désir sexuel bien insignifiant en comparaison à ce que m'inspire Lucrétia chaque seconde. Mais l'excitation de pouvoir désormais le manipuler à ma guise, de jouer avec ses désirs et sa frustration accumulée, elle est unique et magnifique. Suffisante pour me canaliser la journée - il sera le sacrifice nécessaire au maintien de ma santé mentale.

Je deviendrais sans mal sa déesse, comme je l'ai déjà fait trop souvent avec les nouveaux initiés du Corrupteur Combien de petits nobliaux ai-je séduit avec ces jeux de l'esprit, construisant une cage autour d'eux à leur insu, qui ne peut que se resserrer peu à peu pour les entraver selon ma volonté ?

Torturer son esprit devrait m'occuper l'esprit pour les jours à venir.


***

Jour 19.

Idris a ramené vivres et outils de son expédition à Wendorf. Il y a entendu quelques rumeurs qu'il a souhaité nous partager. Notamment l'une d'entre elles, parlant de deux cultistes recherchées par les autorités du Talabecland.
Évidemment, il s'en est tenu à la répétition de ce qu'il avait perçu, et ne s'est pas risqué à associer les deux femmes de la rumeur à Ilsa et Frieda. Néanmoins, si le fort peu bavard cocher au boléro bleu s'était permis de laisser glisser cette information, c'est qu'il avait bel et bien fait le lien entre les évènements.

Je n'étais pas certaine que Lucrétia ait subi le même jugement que moi, mais le fait d'être entrée dans Talabheim avec moi, d'avoir passé la journée à mes côtés, puis d'avoir disparu de la cité avec tous ses hommes alors même que je m'évanouissais de prison n'a pas du jouer en sa faveur.

D'autres choses me resteront inconnues. J'aurais aimé savoir ce qu'il est advenu de mes terres, de mes serviteurs, de mon manoir.

Mais comme le reste de ma vie, je suppose qu'il vaut mieux les laisser derrière moi.
Abandonner ma vie d'humaine, comme le veut Lucrétia.


***

Jour 23.

Chavo ne m'avait pas menti.
Notre entrée dans la forêt des ombres a totalement changé notre façon de vivre au quotidien. On reste désormais confinés au sein des roulottes, dans une atmosphère lourde et pesante. On regarde défiler les arbres morts baignés dans la brume par les interstices mal barricadés des fenêtres, on économise nos mots dans un minimum de phrases aussi synthétiques que pragmatiques, et on s'occupe l'esprit comme on peut sans jamais réussir à occulter l'étrange malaise qui nous accompagne. On porte des habits qui restent sales car on ose plus sortir chercher un point d'eau pour les laver. La cuisine se fait à base de nourriture séchée et de soupes et bouillons mélangeant les provisions durables achetées à Wendorf. Moins d'obligations, moins d'échanges humains, plus d'ennui.

Je m'adapte comme je peux à ce nouveau rythme de vie.

Si je veux pouvoir graver la petite merveille que j'ai conceptualisé mentalement dans la peau de Chavo, je dois d'abord convaincre Yrié de me laisser faire. Aussi je passe l'essentiel de mes journées dans sa roulotte, à continuer d'apprendre son art, à perfectionner mes compétences de tatoueuse. Je comprends de mieux en mieux leur langue, et le contact avec elle se facilite peu à peu maintenant que cette barrière se montre moins infranchissable. Lentement mais surement, je commence à intégrer à son art mes propres touches, à expérimenter mes idées et méthodes pour dépasser les limites instaurées par ses traditions. La manœuvre n'est pas aisée, en tant que protectrice de l'histoire de leur peuple, la vieille n'aime guère que je me permette la moindre liberté sur son art, mais j'arrive peu à peu à la convaincre qu'en tant que jadokari, impériale, khili d'adoption et prochainement immigrée au kislev, il est important que j'apporte une touche plus personnelle à son art, reflet de mon multiculturalisme. Elle est butée, mais malgré ses convictions, elle a également une sensibilité artistique qui comprend l'importance d'apporter sa touche personnelle à toute œuvre afin d'en augmenter la force évocatrice. Le solfège est le même pour tous, mais lire la partition ne suffit pas, un morceau ne peut vivre sans interprétation de l'auteur.

Lorsque je ne suis pas avec l'ancêtre, la roulotte privée de mon amante nous laisse assez d'intimité et de place pour s'exercer. Ce n'est pas bien grand, mais c'est suffisant pour s'entrainer à se battre en espace confiné - je n'aurais après tout pas toujours le loisir de combattre au grand air, libre de mes mouvements. Depuis mon misérable échec face au minotaure, je ressens plus que jamais le besoin de devenir plus indépendante face au danger, de pouvoir cesser enfin de devoir courir sous les jupons d'une vampire afin de quérir sa protection. Le beuglement du minotaure me hante encore, j'en ferais des cauchemars si Lucrétia ne protégeait pas mes nuits de sa magie.

C'est bien la première fois que nous avons l'occasion d'être seules sans que personne n'ait l'idée de venir nous déranger - non, tout le monde ici a bien trop peur de "la grande déesse lahmiane" pour oser venir toquer à sa porte. Dans ces conditions, nos passes d'armes dévient toujours plus ou moins rapidement vers un autre type de lutte plus dénudée. Finies les discrètes caresses au coin du feu sous les couvertures avec la crainte d'être perçues par un strygani, nous pouvons désormais laisser libre cours à nos désirs sans aucune retenue.
Plusieurs non-dits ont couvé entre nous ces derniers temps. Notre relation semble basée sur une fascination mutuelle dévorante qui ne supporte nul défaut de la part de l'autre. C'est particulièrement malsain. Abandonnant les mots, c'est dans la violence de nos ébats que nous avons réglé partiellement nos conflits. Bien sur, mes faible force d'humaine n'est pas capable de lui prodiguer la moindre souffrance tandis qu'une infime pression volontaire de l'un de ses ongles contre ma peau suffit à transpercer ma chair et faire couler mon sang, dont elle peut ensuite se délecter. Sans surprises, la plupart de ses griffures ont visé mon bras tatoué - le message implicite est assez clair.
Cependant, si elle n'est pas sensible à la douleur, Lucrétia l'est bien davantage au sexe, elle l'a prouvé à Talabheim dans notre carrosse lorsque, incapable de gérer la montée de son désir, elle s'était contorsionnée dans tous les sens, puis avait défait son corset qui gênait une respiration dont elle n'avait pourtant pas l'utilité. Qu'elle le veuille ou non, elle m'avait à ce moment révélé une faiblesse que j'ai su exploiter : lorsqu'il s'agit de plaisir sexuel, la baronne pouvait s'abandonner et concéder de perdre momentanément son sacro-saint besoin de contrôle sur la situation. Et en tant qu'ancienne disciple du Prince des Plaisirs, j'étais toute désignée à utiliser cette faiblesse pour faire chanter d'extase la terrible lahmiane au rythme que je lui imposerais. J'ai donc pu jouer de ses désirs pour tricher avec ses envies, dansant sur la fine frontière de son plaisir en l'empêchant volontairement d'atteindre l'extase désirée, accumulant ses sensations et sa frustration pour qu'elle ne puisse plus rester maitresse d'elle-même. Elle m'en a voulu et j'ai bien entendu payé mon insolence de quelques blessures supplémentaires, mais quand enfin je lui ai permis de se libérer de tout le désir qu'elle avait accumulé, son cri de jouissance mal contenu et la force délirante avec laquelle elle faillit broyer mon bras furent preuves plus que suffisantes que la fin justifiait les moyens.
J'ai réussi à obtenir d'elle l'application d'une idée qu'elle avait suggéré par provocation il y a bien longtemps, presque un an, quand je venais tout juste d'apprendre sa nature et qu'elle m'en expliquait les bases. Si quiconque lit ce carnet et souhaite découvrir ce qu'est le plaisir ultime, croyez-en l'hérétique salope que je suis : de tout ce que j'ai pu expérimenter et Slaanesh seul sait jusqu'où ma curiosité est allée, je n'ai jamais rien ressenti de plus extatique que de permettre à une vampire de se nourrir directement dans le creux de mes cuisses. Il va m'être difficile de rester digne à l'avenir et de ne pas supplier mon amante de réitérer l'expérience aussi fréquemment que ma santé le permet.

Les désirs de la chair assouvis, nous avons également profité de ce temps pour discuter, de sujet importants tout comme de frivolités.
Elle a une grande culture artistique, même si elle-même ne pratique pas, aussi a t-on longtemps échangé sur les sujets de la peinture et de la musique.
Je lui ai parlé de ce gigantesque squelette de dragon découvert dans la forêt, que l'incident avec le minotaure m'avait presque fait occulter, et l'ai laissée me conter les choses les plus incroyables qu'elle avait pu observer au gré de ses voyages.
Nous avons parlé de Chavo, aussi. Le voir peu à peu enfermé dans ma toile semble bien plaire à mon amante, surtout en sachant que je respectais mon engagement à son sujet.
Nous avons essayé d'envisager l'avenir. Nous avions parcouru la moitié du trajet nous séparant de notre destination, et il était doucement temps de préparer l'étape suivante. Si nous ne sommes pas certaines qu'Erengrad serait notre point de chute final - car trop proche de la frontière impériale - nous avions néanmoins un plan de route assez simple : user de nos ressources financières pour disposer d'un abri dans lequel la transformation pourrait s'effectuer en toute discrétion, et qui me permettrait d'apprendre à chasser sereinement. Pour cela il fallait éviter les trop petits villages dans lesquels des étrangers seraient immédiatement identifiés comme coupables, ou de trop grandes villes qui disposeraient facilement de chasseurs de vampires compétents.

Lucrétia m'a à nouveau mise en garde. Les premiers jours seront difficiles. Tenaillée par la fin, je risque de trop facilement perdre le contrôle, et elle aura l'obligation de m'éduquer en prenant des décisions difficiles pour que je ne perde pas définitivement le combat que je devrais mener contre les instincts primitifs qui m'animeront. Telle une mère avec sa fille, elle ne me permettrait pas de profiter de ma liberté tant qu'elle ne me jugera pas prête à affronter le monde.

J'ai acquiescé à ses paroles. J'ai déjà conscience de tout cela, et l'ai accepté.

Je n'ai pas fait part à Lucrétia de mes doutes. Je ne lui ai pas dit que comme toute mère, elle aurait effectivement la responsabilité de mon apprentissage, mais qu'elle ne pourrait néanmoins pas me façonner telle qu'elle le voudrait. Que je crains que même devenue lahmiane, elle n'accepte pas forcément certaines choses ancrées dans mon caractère, et qu'elle ne pourra jamais changer.

Du moins je l'espère.


***


Jour 28.

Chavo me mange dans la main. C'est trop facile.
Je m'assieds à côté de lui le soir lorsqu'on se réunit. Je laisse ma main l'érafler maladroitement, je feins la gêne quand nos regards se croisent, je lui rappelle comme j'apprécie sa présence. Le feu dans ses yeux est teinté d'une douce folie, à chaque fois que je laisse mes doigts frôler sa peau, je vois ce court moment d'hésitation dans son regard, cette envie contenue d'oublier tout contexte pour m'embrasser sans plus de crainte des conséquences. Mais je ne lui laisse pas la liberté de franchir cette frontière.
La vieille a finalement accepté de me laisser sa roulotte deux heures demain soir, afin que je pratique mon art sans sa surveillance. J'ai susurré mon idée à Chavo, lui parlant d'immortaliser Hedred sur sa peau, un souvenir de l'homme qui nous avait sauvé, une trace du courage héroïque d'un khili qui ne pourrait que veiller depuis l'autre monde sur Chavo. J'ai fait céder ses dernières réticences en lui expliquant que nous serions alors seuls pendant deux longues heures, moi tatouant sa peau nue dans l'intimité.
Bien sur, c'est une demi-vérité. Si c'est bel et bien Hedred que je compte immortaliser sur sa poitrine, utilisant les techniques apprises par Yrié pour sauvegarder l'histoire des khilis, je compte y instiller mon art pour non pas associer cette histoire au courage du sacrifié, mais à la culpabilité des survivants qui enserrera son cœur.
Demain sera une journée merveilleuse.


***

Jour 29.

Réussite.
Magnifique.
Fière.
Transcendée.
Fatiguée.
Vidée.

Heureuse.


***

Jour 34.


Les journées sont devenues terriblement mornes, ennuyeuses et répétitives. Heureusement, les soirées à partager histoires et légendes dans une roulotte commune où l'on se serre les uns contre les autres ont une chaleur suffisante pour subir les journées avec patience.
Lorsque Lucrétia n'est pas là, ces moments sont vraiment intenses. On vibre de passion en écoutant la vieille tatoueuse conter les légendes de leur peuple. Elle ne se contentait pas de transmettre des mythes ou des histoires comme un professeur d'université, elle y mettait quelque chose, une force toute intérieure qui donnait vie à ses mots, transmettait des émotions et faisait trembler le cœur. Plus je côtoie Yrié, plus je m'émerveille des talents qu'elle possède.

Je crois que je la fascine également. Elle est impressionnée par la façon dont j'utilise son art pour façonner des créations plus évocatrices encore. Mais depuis qu'elle a vu mon chef d'œuvre sur Chavo, là où tous les gitans n'ont pu que féliciter mon incroyable talent, elle s'est montrée bien plus réservée. Je pense qu'elle ressent la graine malsaine que j'y ai planté derrière ses beaux motifs, qu'elle peut lire le dessin caché dans les entrelacs de points. Elle s'est montrée plus distante lors des derniers cours. Ce n'est pas grave, j'ai déjà appris ce que je voulais savoir, je pourrais me former par moi-même pour la suite, pour peu que je trouve le matériel adéquat. Je connais les outils à utiliser, la recette de sa drogue anesthésiante, les techniques de bases de gravure, son alphabet, ses règles.

Idriss avait également un certain talent au chant et à la guitare, que je ne me lasse pas de découvrir. Son répertoire n'est pas si varié que cela, et il n'est pas rare désormais que même sans comprendre toutes les paroles, je reconnaisse des mélodies déjà entendues au début de notre voyage et puisse l'accompagner mentalement sur quelques couplets. Pourtant, j'ai la sensation qu'à sa manière, le cocher ne se contentait pas non plus d'une simple répétition d'airs appris par cœur - il les réinterprétait à chaque fois, y insufflant ses émotions du moment. Dans l'ambiance pesante de la forêt des ombres, ses mélodies sont devenues bien plus lourdes, son rythme légèrement ralenti et ses sonorités plus graves.

Je n'avais jusque là presque jamais osé prendre la parole pour chanter. J'avais la crainte de trop me dévoiler ainsi, ne pouvant mentir sur qui j'étais lorsque je m'investissais dans une activité artistique. Mais maintenant que la vraie nature de Lucrétia avait été dévoilée, que nos fausses identités n'avait plus de sens, je trouvais moins de raisons de m'entraver. Seul le respect envers leurs coutumes et le désir de ne pas perturber leurs habitudes m'avait limitée, mais détourner leur art pictural sur le corps de Chavo m'avait donné envie de m'essayer à d'autres expériences d'assimilation.

Lucrétia nous avait rejoint en cours de soirée, je ne sais pour quelle raison. Se sentait t-elle seule ? Peu probable. Toujours est-il que comme la fois précédente, cela a jeté un froid sur notre assemblée. Idris a interrompu sa mélopée, Chavo qui s'était accolé à moi a bondi de quelques centimètres sur le côté, retirant prestement une main un peu trop proche jusque là. Quand aux autres, ils préféraient désormais regarder respectueusement le sol plutôt que d'oser croiser ses prunelles smaragdines.

Elle m'a jeté un regard, voyant bien que rester était inutile devant une assemblée bien destinée à rester muette en sa présence. Elle m'invitait silencieusement à la rejoindre à l'extérieur, mais j'avais une autre idée à cet instant. Depuis le tatouage de Chavo, je n'ai cessé de couver une autre création, cette fois-ci la concernant. J'avais prévu de lui présenter en privé, mais un instant de folie m'a poussé à la dévoiler devant l'assemblée des khilis. J'ai tendu le bras à Lucrétia, puis me suis levée pour l'inviter à s'asseoir à ma place, me délectant au passage de l'expression paniquée que tentait de cacher Chavo. D'abord un peu incrédule, elle a accepté mon caprice, sans doutes curieuse de voir où je voulais en venir. Les khilis quant à eux, voyant Lucrétia s'asseoir parmi eux, ne purent que toiser avec davantage d'intensité la plante de leurs pieds.
Demandant à la vielle Yrié de me faire un peu de place, je me suis alors assise juste en face de Lucrétia. C'est alors qu'elle haussait un sourcil incrédule que je me suis mise à chanter ces paroles, mon regard planté dans le sien et prenant soudainement un air bien plus grave :


I’ve always been a hunter
Nothing on my tail
But there was something in you
I knew
Could make that change

To capture a predator
You can’t remain the prey
You have to become
An equal
In every way

So look in the mirror
And tell me, who do you see?
Is it still you?
Or is it me?

Become the beast
We don’t have to hide
Do I terrify you
Or do you feel alive?

Do you feel the hunger
Does it howl inside?
Does it terrify you?
Or do you feel alive?

Splinters of my soul
Cut through your skin
And burrow within
Burrow within

So embrace the darkness
And I will help you see
That you can be limitless
And fearless
If you follow with me

We are the lions
In a world of lambs
We are the predators,
The hunters,
The hunters,
The hunters

Become the beast
We don’t have to hide
Do I terrify you
Or do you feel alive?

Do you feel the hunger
Does it howl inside?
Does it terrify you?
Or do you feel alive?

Splinters of my soul
Cut through your skin
And burrow within
Burrow within



La fin de ma chanson laissa planer un silence plus pesant encore que celui qui accompagnait l'entrée de Lucrétia dans le champ de vision des khilis. J'ai mis dans mes mots tout ce que m'inspire mon amante, toute la fascination morbide qu'elle insuffle en moi, tout l'amour viscéral que je lui porte, la peur, le ressentiment, le désir et le danger. J'ai volontairement choisi de tricher sur les points de vue en me mettant dans sa peau pour cette chanson, utilisant la première personne pour mieux faire transparaitre mes propres émotions à travers son personnage.

Mes mots étaient également l'aveu de ma véritable relation avec la lahmiane, jusque là restée tue, limitée aux rares hypothèses que les khilis n'osaient pas évoquer à haute voix.

Je me suis relevée, puis ai invité Lucrétia à quitter la roulotte à mes côtés pour rejoindre la sienne.

Je crois qu'elle a aimé ce cadeau-ci.


***

Jour 37.

Avec Lucrétia, nous avons décidé de monter la garde cette nuit, en compagnie de la moitié des hommes khilis. Personne n'osant s'opposer aux décisions de mon amante, aucun gitan ne vint me dire que ce n'était pas un rôle pour une femme, même si j'ai subi quelques regards étranges pendant notre ronde.
Nous étions si enfermés dans nos roulottes que nous en oubliions ce qu'était l'environnement qui nous entourait. J'avais ressenti le besoin de ne plus me terrer derrière mon tas de planches pour la nuit, et juste pour cette fois, faire face à la forêt qui nous menaçait jour après jour. Je savais que Lucrétia s'était déjà aventurée quelques fois dans les bois, notamment pour examiner au calme l'étrange artefact qu'elle avait trouvé il y a quelques semaines. Mais c'était la première fois que je les affrontais à mon tour, mon regard tentant en vain de dépasser la brume épaisse qui ne me permettait pas de voir plus de quelques rangées d'arbres morts sur une quinzaine de mètres environ.
Je crois que c'est ainsi que j'ai vraiment compris la nature de la différence d'atmosphère que j'ai pu percevoir entre le début de notre voyage et maintenant.
Lorsque Lucrétia, Marcus, Hans et moi voyagions seuls, la forêt était assez rarement silencieuse. Parfois c'était la nature qui s'agitait, et l'on entendait un lièvre détaler, un oiseau chanter, un sanglier remuant le sol à la recherche de nourriture, voire même des gobelins en train de piailler en nous pourchassant. Lorsqu'il ne s'agissait ni d'animal ni d'ennemi, l'on percevait malgré tout le bruit des feuilles dans le vent, l'écoulement de l'eau dans une petite rivière proche, ou encore l'odeur de la végétation. Aussi dangereuse soit-elle, la Drakwald vivait, accueillant mille dangers certes, mais elle vivait et sollicitait nos cinq sens.
Ici, cet endroit, il ne respirait rien d'autre que la mort. Il n'y avait pas de bruit, pas d'odeur, pas de vent, juste des arbres morts immobiles, une brume entravant la vue, et quelque chose d'imperceptible mais de profondément désagréable, comme s'il existait un danger que notre cerveau ne pouvait interpréter, mais que notre instinct animal ressentait malgré tout, et nous ordonnait de fuir au plus vite.
Voilà vingt jours que nous traversons ces lieux, et pas une seule fois nous n'avons été inquiétés d'un quelconque danger. Et quelque part, cela est d'une logique glaciale - si les khilis sont liés par une sorte de pacte ésotérique à la Drakwald, ainsi protégés de tout ce qui vit dans la forêt, Lucrétia est pour sa part une reine de la non-vie. Dans pareil lieu, nul danger ne lui est supérieur.
Elle ne ressent pas ce même instinct ici, cette peur viscérale qui noue les entrailles alors que nous nous enfonçons toujours plus profondément dans ces lieux maudits. Elle ne semble même plus sur le qui-vive, alors qu'au début de notre voyage elle devait garder tous ses sens en éveil en permanence. Ici, Lucrétia est sereine. Elle est dans son élément.

C'est étrange de me dire qu'alors aujourd'hui la Forêt des Ombres me glace le sang, demain je pourrais peut-être la contempler avec quiétude.



***

Jour 40.


Écrire dans ce carnet, réfléchir au tatouage, composer une chanson, profiter de ces longues journées pour me livrer à la débauche avec mon amante, torturer mentalement ce pauvre Chavo qui peu à peu n'est plus que l'ombre de lui-même pour devenir mon esclave dévoué, tout cela m'a permis de retrouver un équilibre particulièrement agréable à savourer. J'ai demandé à ma consœur de ne pas utiliser de sortilège cette nuit, et ai effectivement pu constater que je n'avais plus besoin de son aide pour bénéficier d'un sommeil réparateur. Mes désirs de sensations sont plus qu'assouvis dans mon actuel cadre de vie, malgré l'effarante monotonie de notre enfermement dans nos roulottes.

Lorsque j'ai commencé à prendre la plume, je croyais alors qu'il ne me resterait qu'une trentaine de jours à vivre. Force est de constater que j'avais surestimé la vitesse de progression des khilis. Les fréquentes pauses des premiers jours, couplés à la lenteur de leurs véhicules maintenant qu'ils étaient chargés de toute la population gitane la journée, nous ont fait progresser à un rythme bien plus lent que mes premières expectations.

Je ne peux pas m'empêcher de passer le plus de temps possible aux côtés des stryganis, changeant de roulotte chaque jour pour passer ma journée aux côtés d'un autre groupe. La séparation n'en sera que plus dure, mais il m'est impossible de ne pas profiter du sursis qui m'a été donné. Je préfère vivre pleinement ces derniers jours, en vivant en tant qu'humaine au milieu des humains pour me forger des derniers souvenirs, que de m'isoler en attendant l'inéluctable. Lucrétia ne partage pas ma vision, considérant triviales mes envies de profiter d'une vie qui ne m'inspirera plus que du mépris dans quelques années, mais elle tolère néanmoins mes caprices à défaut de les comprendre.

Plusieurs seaux d'eau ont été récupérés hier soir lors de notre halte. Voila presque vingt jours que les stryganis n'avaient pas faits de lessive, et toutes les femmes devaient passer la journée dans la roulotte de Ché reconvertie en laverie pour s'occuper de la corvée. Je n'avais pas néanmoins été conviée. Dès le matin lorsque leur troupe s'était remise en route, je me suis pourtant introduite dans leur véhicule, sans que personne n'ose protester. A dire vrai, certaines semblaient même plutôt heureuses de me voir venir de mon propre chef, prouvant que le changement de statut de Lucrétia n'affectait en rien ma volonté de me joindre à elles pour les tâches ménagères.

Passer la journée avec Ché, Mingrélie, Isélée, Shana, Tyra, Koka, Mariam et les autres fut agréable. Si pendant la première heure de la journée il avait régné un silence de plomb tandis que nous exécutions le lavage méthodique de chaque couverture nauséabonde remise par toute la population khili, la situation évolua subitement lorsque la reine des ragots ne put contenir davantage son besoin de bavarder. Une heure de silence, c'était déjà bien trop pour la prolixe Chévardzané !

L'on commença par quelques banalités sur le trajet, sur l'atmosphère brumeuse et lourde de la forêt des ombres, pestant contre cette difficile partie de leur voyage qui semblait ne jamais se terminer. Puis l'on commençait à échanger les premières rumeurs : à vivre confinées toute la journée, la pression montait vite dans chaque roulotte et les conflits éclataient facilement dans les couples comme chez les proches, sans parler des enfants qui malgré leur connaissance des règles, restaient désireux d'activités physiques en plein air plutôt que de confinement forcé et de patience face à l'ennui. Se retrouver entre femmes, c'était pouvoir crever l'abcès, déverser son fiel sur la gent masculine dans les règles de la solidarité féminine.

Participant avec le sourire au commérage, j'ai retrouvé finalement avec beaucoup de naturel ma place dans leur groupe. Néanmoins, je sentais bien que certains sujets furent évités aussi longtemps que possible... avant que Ché ne se décide finalement à enfoncer la porte verrouillée de sa curiosité à coups répétés de gros sabots.

Tout d'abord nous avons parlé de Chavo. Les femmes étaient inquiètes de le voir de plus en plus dépressif, tandis qu'il montrait un amour difficile à ne pas deviner à mon égard, qui semblait pourtant ne pas pouvoir trouver d'écho favorable. J'avais prévu cette conversation, et ai joué ma partition sans fausses notes : je comprenais qu'en cette période difficile dans laquelle nous nous trouvions tous confinés dans nos roulottes, il soit difficile pour lui d'évacuer sa culpabilité vis-à-vis de la mort d'Hedred. Que les propos de Lucrétia avaient touché sa fierté, et que naturellement il se tournait vers celle qui avait sauvé sa vie en espérant qu'elle puisse le rassurer. Que malheureusement ses sentiments n'étaient pas partagés, mais qu'elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour l'apaiser, jusqu'à honorer pour toujours l'esprit de son camarade en tatouant le torse du jeune homme d'une gravure khili qui permettrait à son courage de toujours survivre dans le cœur de Chavo. Mais que malgré ces efforts, elle voyait bien que le jeune homme semblait sombrer de plus en plus, et qu'elle ne savait pas quoi faire pour l'aider, trop effrayée à l'idée de le rejeter trop sèchement alors que plus que jamais il semblait avoir besoin de son soutien pour avancer.

Elles ont mangé dans ma main comme prévu. Mieux que cela, elles trouvaient ma prévenance envers le jeune chasseur magnifique, et me remercièrent de faire à ce point tout mon possible pour lui, m'assurant qu'il était fort et qu'il s'en remettrait.

Ça m'étonnerait. Il est devenu un brave chiot obéissant. Lorsque je lui donne un ordre il est désormais si heureux de pouvoir me satisfaire, de m'arracher un maigre sourire, qu'il s'exécute avec un zèle admirable. Il suffit que je lui offre une étoffe possédant mon parfum pour qu'il éprouve un bonheur sans limites la journée entière... et je peux affirmer avec certitude que c'est en respirant mon odeur qu'il se soulage de son désir la nuit.

Quoiqu'il en soit, le sujet de Chavo et de l'amour lancé par Ché a ouvert les vannes d'un torrent de curiosité. La première à venir se succéder à leur matriarche en chef était Mingrélie, qui osa me demander timidement la nature de ma relation avec Lucrétia. A peine son interrogation posée, elle était devenue rouge pivoine, mais la dizaine de regards qui s'est posée sur moi ne laissa aucun doute sur l'intérêt général porté à ma réponse.

"Je suis son amante, et aussi celle à qui elle offrira son obscur baiser"

Contrairement à la question précédente, pour laquelle j'avais choisi de multiplier les détails et explications afin de rendre mon histoire crédible de bout en bout sans plus laisser de faille, j'ai préféré ici faire preuve d'une concision redoutable. La vérité qui en ressortait était ainsi plus simple et épurée, et était déjà bien assez choquante pour ne pas nécessiter de fioritures.

Mingrélie et Isélée ouvrirent la bouche de stupeur en laissant échapper un bruit de surprise. Tyra en lâcha le linge qu'elle tenait alors qu'elle se figeait totalement, l'air ahurie. Shana eut un étrange sourire grimaçant en coin, comme si je ne faisais que confirmer des doutes qu'elle avait depuis bien longtemps. Quand à Ché, après un court instant de surprise, elle éclata d'un rire sincère.
S'en est suivi un débat passionné sur l'amour entre femmes. Mingrélie et Isélée étaient choquées et outrées, et parlèrent fort sur un ton de reproche avant de craindre que leur déesse ne soit capable de les entendre, pour se mettre à chuchoter en fronçant les sourcils. Ché au contraire me portait son soutien en se moquant certes de mes gouts bizarres de jadokari des villes, mais aussi en soulignant à quel point la décision de choisir une femme pour compagne pouvait paraître logique dès lors que l'on constatait que tous les hommes étaient des "trous du cul impuissants". Son reikspiel n'est jamais aussi bon que lorsqu'il s'agit de dénigrer les hommes de sa tribu.

Moi qui avait cru qu'une réponse si directe leur clouerait le bec et que leur respect pour Lucrétia les empêcherait d'aller plus avant, je m'étais plus que fourvoyée. Sous le jour de cette nouvelle vérité, on voulait que je réponde désormais à toutes les questions que j'avais délibérément écartées les premiers jours.

Shana prit les devants en me demandant ce que je cachais dans mon coffre. J'ai joué mon rôle de sorcière en prenant une mine sombre, et en lui disant que pour le savoir il fallait l'ouvrir... mais que personne n'en ayant vu le contenu n'avait survécu à l'expérience. Je ne crois pas que ça lui aie plu, mais ça a bien fait rire les autres femmes qui n'ont laissé aucun temps mort avant d'enchainer.

Avec une candeur surprenante, Tyra me demanda alors pourquoi je n'aimais pas les hommes. Je crois que ce fut le seul moment où je me suis sentie en difficulté. Le souvenir d'Ingrid, plus insidieux qu'un poison, refuse de quitter ma mémoire. Peu importe le nombre de fois que j'essaie de me convaincre que cette vie n'était pas pour moi, le remord ne me quitte pas. Je suis restée vague, sans vraiment réussir à cacher l'émotion dans ma voix, expliquant que toute ma vie je n'avais jamais été perçue par les hommes que par un trophée, une marchandise, un objet de convoitise. Et que seule une femme avait réussi à me démontrer un amour sans concession, une émotion qui me permit de m'accepter telle que j'étais, par-delà tous mes complexes, toutes mes peurs. Finalement c'est sur cette réflexion que je me suis arrêtée, prenant un air sans doutes trop sérieux tandis que je leur demandais : "si vous éprouvez un amour sincère et réciproque envers quelqu'un, que cette personne vous rend heureuse, son sexe doit-il vraiment être une barrière entravant vos émotions ?". Au vu du silence effaré que ma question produisit, je me suis alors sentie obligée de détendre l'atmosphère, en prenant une mine plus taquine avant d'ajouter que l'acte sexuel était bien plus jouissif en compagnie de quelqu'un comprenant plus intimement le fonctionnement du plaisir féminin. Entrant naturellement dans le jeu de Ché, j'en ajoutais davantage pour déprécier le sexe "fort" et les trop nombreuses frustrations que chacune avait déjà du expérimenter en leur compagnie, pour mieux mettre en avant les avantages tous féminins de pouvoir s'amuser des heures durant sans qu'aucune limite physique ne limite notre afflux sanguin vers le bas, ou ne nous fasse soudainement nous endormir en ronflant comme des putois. Bien sur, les deux compères de Ché gardèrent une mine choquée tout du long, mais usant de mon charisme et des talents de persuasion développés lorsque j'officiais comme recruteuse pour le culte, je savais que j'avais réussi à faire germer l'idée dans l'esprit de chacune. Elle ne bourgeonnera pas forcément chez toutes, mais je peux mettre ma main à couper que derrière les moqueries qui m'ont été adressées, de sorcière de ville aux pratiques tendancieuses, j'ai instillé assez de curiosité dans leur esprit pour que, suite à une frustration de couple ou un abus d'alcool, une rupture difficile ou un climat favorable, certaines femmes khilis se laissent aller à expérimenter ce que leur avait présenté avec tant d'enthousiasme la jadokari.

Je ne devrais pas me sentir fière de continuer à corrompre autrui maintenant que je ne suis plus affiliée au Corrupteur... et pourtant, j'en tire une incroyable satisfaction. J'ai volé leur art du tatouage pour le transformer en quelque chose d'impie, j'ai instillé des émotions destructrices à Chavo pour le réduire à l'état de chien, j'ai ouvert l'esprit des femmes khilis pour changer leur mode de vie ancestral et les faire tendre vers une liberté sexuelle plus épanouie. Je ne cherche même pas à pervertir, juste à tester ce que peut faire mon influence, quelles modifications je peux instiller chez autrui avec les bonnes paroles au bon moment.

C'est plus fort que moi. J'adore ça.

J'ai du répondre à tant de questions encore. Sur notre passé, notre présent, notre futur. Les rumeurs colportées par Idris n'étaient pas tombées dans l'oreille de sourdes, et plusieurs d'entre elles se doutaient que nous étions bien les femmes rousses recherchées par l'Empire.
Je leur ai expliqué que j'étais une personne influente, importante, mais que mes ennemis avaient comploté pour me faire tomber. Que j'avais perdu toutes mes possessions, que j'étais condamnée à mort, et que Ilsa m'avait sauvé la vie. Que depuis, sans plus aucune attache avec mon passé, avec une dette de vie impayée envers une vampire, j'avais fait le choix d'accepter de devenir sienne. Et que pour cela, le Kislev saurait être la terre d'accueil que l'Empire ne pouvait plus être. Ou peut-être pas, peut-être que nos pas nous mèneront plus loin encore, allez savoir.
La vérité en somme, sans être trop précise néanmoins. Il n'était pas exclus qu'un jour les autorités questionnent les stryganis à notre sujet, et mieux valait éviter qu'ils aient une quelconque information pouvant les aider à savoir dans quelle partie du Tsarat nous étions parties.

En quittant la roulotte des femmes le soir venu, j'étais à deux doigts d'aller demander à Lucrétia de me transformer sur le champ, prête à en finir une fois pour toutes avec ma vie. Parler de mon passé m'a fait du bien. Me rappeler de tout ce que j'ai perdu, et de pourquoi je suis toujours vivante, m'a permis de consolider mes convictions. Je veux qu'elle plante ses crocs en moi, me vide de mon sang de misérable humaine tandis que je me gorgerais de toute la magie impie qui baigne dans le sien, pour enfin devenir le monstre que je mérite d'être.

Il est grand temps d'en finir.


***

Jour 46.

La Forêt des Ombres est enfin derrière nous. Nous évoluons désormais sur la route d'Erengrad.

Les khilis ont démonté les protections des roulottes, retiré l'armure des chevaux, et cessé de se barricader dans leurs véhicules pour de nouveau marcher à pied à leurs côtés pendant la journée.
Pourtant, alors que nous avions enfin l'occasion de pouvoir quitter cet insupportable confinement, Marcus conseilla à Lucrétia et moi de rester à l'intérieur. De fait, puisque nous côtoyions désormais une route bien plus fréquentée, nous prenions le risque à chaque impérial croisé que l'un d'entre eux ne nous reconnaisse et dénonce aux autorités

Même s'il avait sans doutes raison d'un point de vue pragmatique, j'ai néanmoins réussi pendant plus de dix ans à posséder une double identité sans que jamais quiconque n'aie réussi à faire le lien entre Karla et moi. J'ai hésité à reprendre le rôle de Frieda la pèlerine de Sigmar, mais il me sembla bien plus naturel et aisé de devenir une khili à part entière pour le reste du trajet qu'il nous restait à parcourir. Empruntant quelques vêtements à Shana, je laissais mon bras tatoué à découvert afin d'afficher ostentatoirement mon appartenance, tandis que je cachais ma crinière dans un simple foulard noir vissé sur ma tête. Frieda sonnant bien trop impérial, je fis passer le mot à tous les stryganis que désormais il faudrait m'appeler Camelia auprès des étrangers, un prénom plus en phase avec cette nouvelle identité.

De toutes manières, les stryganis sont si mal aimés que rares sont les impériaux à venir nous approcher. Après tout, ne sommes-nous pas uniquement "des voleurs et des coupe-gorges" ? C'est une couverture idéale pour se cacher à découvert, et évoluer sur les routes impériales en toute sérénité.

Dernière ligne droite avant la fin du voyage.



Compétence en poursuite d'apprentissage pendant ce mois de voyage
- Parade
- Ambidextre
- Tatouage
- Langue : strygani
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 05 déc. 2018, 20:22, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 54 xps
Dokhara de Soya, Voie de la Belle Mort, Beauté mortelle

Profil : For 11 | End 11 | Hab 14 | Cha 17 | Int 12 | Ini 13 | Att 12 | Par 11(13) | Tir 10 | Mag 11 | NA 2 | PV 110/110

Compétences :
- Sociales : Diplomatie, Éloquence, Empathie, Étiquette, Séduction
- Artistiques : Chant, Danse, Musique (violon), Tatouage
- Intellectuelles : Alphabétisation, Langue étrangère (kislévarin, strygani)
- Martiales : Ambidextrie, Bagarre, Fuite, Monte, Parade, Résistance accrue (spécialisation alcool), Sang-froid
- Divers : Sens Accrus
- Dons Du Sang : Regard Hypnotique, Régénération Impie
Compétences en cours d'apprentissage :
Escamotage : 1/2
Adresse au tir (arbalètes) : 2/3
Équipement :
Armement :
- Griffe d'Ursun : 18+1d8 dégâts ; 12(24) parade. Rapide. Chaque attaque réussie qui résulte en une perte de points de vie pour l’adversaire inflige -1 Att/Hab/Par le tour suivant. Si trois touches sont infligées au même tour, les malus durent alors 2 tours et infligent un malus supplémentaire de -1 Na. Les malus cumulés ne peuvent pas excéder -4 Att, Hab et Par et -1 Na.
- Main gauche : 8+1d6 dégâts ; 8(16) parade ; Rapide. +2 PAR si utilisée en conjonction avec une autre arme. Lors d'une parade, c'est le score de parade de l'arme en main droite qui compte pour le premier jet, celle de la main gauche pour le second jet si relance.
- Poignard : 12+1d6 dégâts ; 6(12) parade ; Rapide. Peut être utilisé comme arme de jet
- Arbalète : 34+1d8 dégâts : Malus de -2 TIR tous les 30 mètres ; Perforante (4) : Un tir par NA maximum.

Armure :
- Veste et jambières en cuir : 5 de protection partout sauf tête
- Tunique noire druchiie : 2 de protection sur tout le corps
- Cape de dissimulation, permet de devenir invisible si immobile (v. wiki)

Équipement de voyage (fontes de selle, pas systématiquement porté) :
- Sellerie splendide
- Nécessaire de tatoueuse
- Violon
- Arc courbe + flèches des anciennes
- Lame en or marin
- Huile d'amande
- Surplus de drogues, poisons, ingrédients (Dodo a 2 de chaque sur elle, pas plus)


Awards \o/
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Dream Team 2018 et 2019 avec Lucretia Von Shwitzerhaüm
Miss Vieux Monde 2019 et 2020

Avatar du membre
Lucretia Von Shwitzerhaüm
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 543
Profil : FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 14 / Tir 12 / NA 4 / PV 134/140
Lien fiche wiki : http://www.warforum-jdr.com/wiki-v2/dok ... itzerhauem

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Lucretia Von Shwitzerhaüm »


Après que le jugement eut été rendu, les gitans reprirent la route, ainsi qu’ils avaient coutume de le faire. L’on retira les cals des roulottes, l’on harnacha les montures aux caravanes, et l’on se mit en branle. Suite aux accomplissements de Lucretia, les stryganis semblèrent mettre de plus en plus de distance avec elle, évitant de l’approcher comme de lui parler. Le respect qu’ils lui vouaient paraissait se teinter de crainte ; les regards étaient aussi bas que les inclinaisons du buste qu’on lui témoignait à son passage, et même Tsinep, autrefois au sommet de la hiérarchie khilis, s’effaçait devant elle. La vieille femme s’était subitement retirée dans un mutisme atavique, tant et si bien que l’on eût cru que son mari était devenu plus loquace qu’elle-même.

Les jours succédèrent aux nuits, et les nuits au jour. Le trajet diurne se terminait inlassablement par une halte dans une clairière, puis par une soirée autour du feu si le temps se révélait assez clément pour ce faire. Après l’attaque du minotaure, toutefois, l’on ne s’attarda pas plus de deux jours au même endroit, préférant caracoler de point en point plutôt que de s’exposer trop longtemps. A l’instar de l’auberge du Grand Duc, les gitans s’arrêtèrent en bordure de Wendorf pour y faire du troc, vendre leur trop-plein et acheter ce dont ils manquaient. En sus de provisions, Idris rapporta quelques rumeurs de la civilisation ; l’on recherchait activement deux femmes rousses que l’on supposait être des cultistes du Chaos. Si les gitans firent potentiellement le rapprochement entre ces deux hors-la-loi et les deux jeunes femmes qui vivaient en leur compagnie, ils tâchèrent de ne pas le montrer.

Lucretia se demanda toutefois bien si des noms ou surnoms avaient été prononcés ; le sien y figurait-il ? Car, à dire vrai, la Lahmiane n’avait récemment pas fait preuve d’imprudence en comparaison de Dokhara. Lorsque le répurgateur avait arrêté la baronne de Soya dans la calèche, ce sot n’avait pas même pris la précaution de regarder l’habitacle, et la vampire avait pu s’y tenir cachée. Elle n’y avait pas été vue, et n’avait pas non plus été aperçue, ou à tout le moins, reconnue, lors de l’évasion de son amante. Mais elle avait passé suffisamment de temps à ses côtés pour qu’on le notifiât. L’auberge dans laquelle elle avait conduit Dokhara après l’avoir retrouvée lors de leur première nuit, l’assassinat de sang-froid de sa tenancière, le voyage jusqu’à Talabheim, les nombreuses rues qu’elles avaient arpentées, les échoppes et les boutiques dans lesquelles elles s’étaient arrêtées… Tout autant de moments qu’elles avaient partagés, de manière plus ou moins intime, et que quelque espion que ce fût n’aurait pas manqué de retenir. Si la baronne de Soya avait ainsi forniqué avec les démons et pactisé avec les puissances du Chaos, pourquoi sa plus fidèle affidée, celle qui s’affirmait comme sa compagne de tout instant, n’avait-elle pas commis les mêmes exactions, les mêmes méfaits ? Dans l’Empire, la culpabilité s’avérait redoutablement contagieuse, et Lucretia n’avait pas d’autre choix que de composer avec. Mais s’en souciait-elle vraiment ?

Bientôt, le paysage changea. L'épaisse végétation ancestrale s’aéra à mesure qu’ils progressaient. La densité des arbres aux gigantesques troncs au lourd feuillage s’éclaircit pour laisser place à des rangées de conifères aux silhouettes aussi étranges qu’étiques. Bien qu’ils fussent moins nombreux et plus fins, la luminosité ambiante sembla s’atténuer de plus en plus à mesure que la caravane continuait de progresser. Le brouillard étouffait la forêt de sa brume strangulatoire, et les rares sources de lumière qui flottaient au loin disparaissaient sitôt que l’on tentait de s’en approcher. Pour Lucretia, cela ressemblait à quelque piège destiné à attirer les voyageurs imprudents dans de lugubres endroits d’où ils ne ressortiraient jamais. Les khilis abondaient en son sens, et, même si la curiosité en titilla plus d’un, jamais ne s’approchèrent-ils de ces distants feux-follets.

Les stryganis avaient toutefois déjà pris leur disposition au moment de franchir cette frontière invisible. Effectuant une dernière halte, ils prirent soin de barricader leurs roulottes de planches de bois, d’affûter leurs armes, et de caparaçonner les chevaux. La légèreté que les gitans avaient toujours exhibée disparut subitement au profil d’une tension palpable et constante. Les nuits suivantes, tous restèrent cloîtrés dans leur véhicule, n’osant plus sortir, et les soirées autour du feu ne furent plus qu’un lointain souvenir. Toutefois, la Lahmiane disposa à ce moment-là d’une roulotte pour elle seule, qu’elle occupa entièrement. Ses anciens habitants se répartirent dans différents véhicules sans rechigner. Lucretia eût très bien pu refuser, mais, bien satisfaite de ce nouveau confort que l’on venait de lui accorder, par crainte ou par respect, elle se contenta de simplement les remercier avant d’afficher un grand sourire sitôt qu’ils tournèrent le dos. Pour les stryganis, les seules escapades en extérieur ne furent pas autres que celles destinées à vider le seau de commodité, se dégourdir les jambes, ou patrouiller dans les environs. Par ailleurs, quand bien même Lucretia avait-elle pour elle seule une roulotte entière et qu’on la traitait avec la plus grande déférence qu’elle tenait toujours à jouer les sentinelles. Il s’agissait, pour elle, ni plus ni moins qu’une formalité ; quoi qu’abritât la forêt, cela ne représentait pas autant un danger pour la Lahmiane que c’en était pour les stryganis. En outre, cela lui permettait de changer d’air et d’éviter d’être confinée entre quatre murs.

Elle profita également de ces moments pour s’envoler au loin et s’isoler quelque peu. Lucretia avait en curiosité cet anneau magique qu’elle avait récemment récupéré dans un ancien tombeau. Etant donné la série d’expérimentations qu’elle voulait lui faire subir, elle préférait se trouver à l’écart. Il eut été peu indiqué d’attirer sur les khilis ce danger pour lequel elle avait tant réprimé Chavo devant les siens. Là, environnée d’obscurité, au beau milieu d’une antique clairière, elle manipulait à l’aide de gants le bijou d’argent. Elle le savait magique, mais ignorait encore dans quelle proportion. Aussi lança-t-elle différents sortilèges non loin de lui, voire même sur la bague en question. Elle commença par de petites incantations, comme ceux usités par la magie primaire et commune. Lucretia fit naître une flammèche dans la paume de sa main, et observa comment l’alliance réagit à son contact. Il subit tour à tour les sorts de détection et d’alarme magique. Puis la Lahmiane passa au degré supérieur en se lançant dans la nécromancie. Afin de limiter les dégâts en cas de désordre, elle se contenta de l’incantation quête de vie. Là encore, la vampire observa les potentielles réactions de l’anneau d’argent, et nota tout ce qui lui paraissait probant. Et, en fonction des résultats qu’elle récolterait, il était fort possible qu’elle se mît à conduire d’autres expérimentations. Ou non.

Ces veilles, ces patrouilles et ces expériences permettaient à la jeune femme de se divertir et de se changer les idées au beau milieu d’une partie de voyage ennuyeux. A dire vrai, l’oisiveté et la lassitude avaient toujours fait partie de son monde depuis bien des années, et la Lahmiane était tout à fait apte à les laisser glisser sur son esprit sans en souffrir. Parfois, c’était comme si son âme s’était presque éteinte ou s’était plongée dans une douce mais pesante torpeur ; le temps fusait alors en avant tandis qu’elle demeurait à jamais la même, là, immobile et éternelle, sans même véritablement s’en rendre compte. Les secondes s’écoulaient ainsi avec une rare vélocité, dévorant l’instant pour la projeter dans un avenir proche d’une dizaine d’heures. Qu’elle clignât des yeux, et elle s’y retrouvait subitement. La nuit avait cédé sa place à l’aube, sa vêture s’était humidifiée de la première rosée, sa monture, après avoir trotté des lieues durant, était passée de fraîche à fatiguée, et pourtant, alors qu’elle ne paraissait pas les avoir vécus, Lucretia gardait remembrance de chaque instant, de chaque détail que son esprit avait pu enregistrer. L’ennui faisait partie de son pain quotidien, d’une routine à laquelle elle devait se contraindre sans trop forcer, ne pouvant l’éviter. Mais il ne lui était pas ennemi. Toutefois, Lucretia doutait fort que ce fût le cas de Dokhara.

La jeune femme avait toujours su s’épanouir au beau milieu des siens, dans n’importe quelle société. L’organisation ou le chaos, peu lui en chalait tant qu’il y avait de quoi vivoter au jour le jour. Les Khilis en étaient le parfait exemple. Dokhara avait parfaitement su s’intégrer à la vie au camp, prendre part à leurs discussions, à leurs mœurs et leurs coutumes. Et les stryganis le lui avaient bien rendu en la prenant sous leur aile, en la faisant participer aux tâches quotidiennes, à cet aroutinement intemporel qui ponctuait chaque étape de leur voyage. Mais depuis qu’elles avaient toutes deux mis fin aux jours du minotaure et que la nature de Lucretia avait été révélée aux yeux de tous, l’atmosphère n’avait plus été la même au sien des gitans. De manière évidente, tout tournait autour de la Lahmiane ; qu’elle fût seule ou en compagnie de Dokhara, et son unique apparition suffisait à faire mourir le moindre des murmures. Trompant l’ennui, elle se métamorphosa en corneille plus d’une fois, à l’insu de tous, et, se perchant sur le faîte des caravanes, usa de son ouïe acérée pour épier les conciliabules.

Effectivement, ce mutisme soudain touchait non seulement Lucretia, mais également Dokhara. A l’intérieur des roulottes, lorsque la baronne de Soya était présente, l’ambiance semblait plus pesante, plus tendue. La conversation se révélait bien moins fluide et légère qu’auparavant, les sujets de discussion se trouvaient plus difficilement, et les tentatives de plaisanterie, à défaut de maigres sourires que Lucretia ne pouvait voir, se soldaient souvent par de petits rires forcés. Lucretia ne se privait pas d’en profiter. Parfois, lorsque Dokhara venait la rejoindre après avoir assisté à ces petites scènes qu’un malaise latent avait alourdies, la Lahmiane l’observait d’un long regard fixe et cynique, de ces œillades suffisantes et silencieuses qui semblaient vouloir dire « je t’avais prévenue ». Dans ces moments-là, la Lahmiane se trouvait pourtant partagée en deux, aussi sensible à la solitude de son amante que satisfaite d’avoir éternellement raison au sujet des humains. Elle tâchait de réconforter sa compagne de sa présence, nourrissant ses désirs charnels et ses impulsions langoureuses. Mais, dans le même temps, sa prise se faisait plus forte et hargneuse sitôt qu’elle s’approchait de son tatouage, et ce dernier fut, à plus d’une reprise, lacéré jusqu’au sang. Combien de fois parvint-elle à dompter la fougue de Dokhara en s’asseyant au-dessus d’elle et en coinçant son buste et ses bras entre ses genoux ? Combien de fois, immobilisée ainsi, fut-elle la victime d’un indicible plaisir qui montait perpétuellement, venue de la dextre de la Lahmiane, tandis qu’un ongle acéré de sa senestre lui labourait la peau de son bras ? Cette dualité, cette opposition des sens et du ressenti ne manqua pas de faire convulser une baronne de Soya dont l’esprit s’égarait aux quatre vents. L’extase et la douleur, l’envie et le refus, l’impuissance et le laisser-aller ; tout autant de tableau sur lesquels Lucretia savait jouer, tout autant de leviers qu’elle ne se lassait pas d’activer, parfois en même temps.

Mais l’esquisse, chargée d’encre noire qui scintillait sur le bras de Dokhara ne fut pas uniquement attaquée par les crocs ou les ongles d’une vampire, non pas. La roulotte servait également de lieu d’entraînement. S’il était vrai que le trajet avait été bien plus tranquille et calme que ce qu’elles avaient prévu, l’épisode du minotaure avait laissé de sacrés souvenirs dans l’esprit des gitans. Dokhara ne faisait certainement pas exception à la règle. D’une façon comme d’une autre, Lucretia réitéra bien son avertissement ; il n’était pas question que sa protégée s’en allât combattre une telle bête au corps-à-corps, et cela quand bien même se jugeait-elle bonne escrimeuse. Le danger était bien trop présent ; une simple erreur d’inattention, un nid de poule qui la ferait trébucher, et la mort l’attendrait au bout du chemin. Non, pour ce faire, Dokhara se devrait de patienter d’être enfin transformée. Et encore.

Mais, oui, effectivement, il lui fallait encore et toujours parfaire son adresse au combat et à l’épée, et ce fut avec plaisir que Lucretia continua de lui prodiguer ses conseils. La table et les chaises qui occupaient le centre de la roulotte furent déposées dehors, et le plancher se transforma presque en sable d’arène. Mais, perfidement, la Lahmiane nourrissait des arrière-pensées sournoises et peu reluisantes. Il arrivait souvent que leurs affrontements les menassent au sang ; une épée de bois maniée avec force détenait la puissance nécessaire pour faire éclater la peau et les veines qui s’étalaient en dessous. Là, jamais Dokhara n’arbora-t-elle autant de bleus et d’ecchymoses, et jamais son épaule comme son bras ne furent autant marqués par la morsure d’une lame brandie avec force. Après tout, Lucretia connaissait un sortilège permettant la régénération instantanée, ou presque, des tissus, et la vampire couvait l’espoir que la magie pût être en mesure d'effacer le tatouage. Ne s’agissait-il pas d’un ensemble de blessures dans lequel l’on avait fait couler de l’encre, et qui avait par la suite cicatrisé ? Mais Dokhara s’opposa fermement à l’usage de l’Aethyr à cet endroit précis de son corps.

Ce fut dans un mauvais sourire que Lucretia haussa finalement les épaules, comme si cela ne lui importait en vérité pas plus que cela. Mais ce masque d’indifférence ne tarda pas à être trahi par une agressivité soudaine de la Lahmiane, laquelle reprit aussitôt les armes pour se jeter à l’assaut du même bras. Il ne s’agissait toutefois pas d’une perte insensée de contrôle visant à réduire en poussière Dokhara, non pas, mais simplement d’un simulacre de punition que la baronne de Bratian se croyait en droit d’infliger. Face à cette ardeur, Dokhara ne put qu’adopter une posture défensive somme toute assez maladroite, et essuya de nombreux coups sur son épaule. Le tournant décisif de cette lutte sans queue ni tête arriva lorsque, par un excès de confiance ou de colère, Lucretia leva trop haut son bras. L’épée heurta alors brutalement le plafond, et, après des années d’utilisation l’ayant que trop fragilisée, la lame se brisa subitement, manquant de lui tomber sur le crâne. La téméraire Lahmiane se retrouva dès lors avec un morceau de bois inutile dans les mains tandis que son opposante, elle, disposait toujours de son arme. Lucretia tiqua, observant, déconfite, sa compagne ; échauffée, percluse de courbatures, cette dernière lui retourna un mauvais regard. Après avoir essuyé tant de coups, Dokhara ne semblait aucunement encline à baisser les bras alors même que le vent venait de tourner en sa faveur. Et connaissant l’endurance de Lucretia, sa force et sa constitution supérieure, elle n’hésita pas à lui rendre la monnaie de sa pièce.

Les assauts répétés se mirent à pleuvoir sur Lucretia, laquelle ne put que tenter de se protéger le visage après avoir lâché son arme brisée. Assurément, la Lahmiane aurait pu déjouer chacune des attaques qui lui étaient portées et renverser la vapeur, mais elle venait d’être rattrapée par la vision des blessures qu’elle avait volontairement occasionnées à Dokhara. Alors qu’elle sortait tout juste d’une colère fiévreuse qui avait enrayé ses capacités à penser convenablement, cela lui fit l’effet d’une douche froide, l’obligeant à prendre conscience de ce qu’elle avait commis. Décidée à ne pas aggraver sa situation, la vampire adopta une posture passive. Reculant sans savoir où la conduisaient ses pieds, elle grimaçait et geignait à chaque fois que le tranchant de bois heurtait ses cubitus. Dokhara, de son côté, paraissait ravie de cette revanche et de ce nouveau pouvoir qu’elle venait tout juste d’acquérir sur sa consœur ; elle lui rendit ses blessures au centuple jusqu’à la faire chuter sur le plancher de sa roulotte. La voir ainsi à ses pieds, tandis qu’elle-même demeurait debout, victorieuse, l’inspira très certainement à mener une nouvelle lutte, quoique bien plus intime, cette fois. Elle ne tarda pas à rejoindre Lucretia au sol, mais toujours en position dominante, et si celle-ci protesta quelque peu, au début, cherchant à se défendre et à se relever, la menace d’un nouveau coup parvint à la rendre étonnamment docile. Le regard qu’elle lui adressa alors lui promit mille tourments, mais l’expression de fureur qui altérait les traits de son visage se modifia dès que Dokhara se mit à l’ouvrage. D’abord récalcitrante, elle s’abandonna bientôt aux mains de sa compagne tandis qu’elle s’arc-boutait contre le sol, tandis que ses mains cherchaient quelque chose à quoi se raccrocher, et tandis qu’elle se retrouvait en quête, une fois de plus, d'un souffle qu’elle avait déjà perdu il y avait de cela des années.

Après les ombres mouvantes reflétées par les fenêtres de la roulotte, après les cahots que le véhicule, pourtant à l’arrêt, avait produits, et après les cris extatiques qui jaillir au travers des minces parois, était-il vraiment encore nécessaire de cacher la nature de leur relation ?

Cet instant de désir partagé dans sa forme la plus brute avait permis d’atténuer toutes les potentielles rancunes et les non-dits qui couvaient encore entre elles. Au même titre que la nature flamboyante de Dokhara avait réussi à faire retomber la pesanteur de l’atmosphère lorsqu’elle franchissait seule la porte de la roulotte commune, ce corps-à-corps intime, l’abandon de la meneuse et la prise d’assurance de la seconde, était parvenu à ramener une certaine légèreté au sein de leur relation. La baronne de Soya conta à Lucretia ses projets concernant Chavo. La Lahmiane avait bien remarqué, lors de ses dernières transformations en corneille, le rapprochement notoire qui s’était opéré entre sa compagne et le jeune homme, et nombre de questions l’avaient quelque peu tracassée. Certes, la vampire n’avait pas caché à sa consœur le ressenti qu’elle nourrissait sur Chavo, et lui avait bien fait part de ses interdictions le concernant. Elle se doutait bien que Dokhara suivrait cette proscription, mais, dans le même temps, il demeurait toujours un sentiment d’inconnu, d’incertitude. Il s’agissait bien de Dokhara de Soya, laquelle n’avait pas son pareil pour braver les interdits comme pour manipuler autrui. Aussi, avait-elle prévu de désobéir à Lucretia ou de faire en sorte que le strygani lui mangeât dans la main ?

En définitive, ce qu’elle projetait pour lui la rassura, et l’intéressa même beaucoup. Son amante avait en tête cette deuxième conjecture, celle qui n’avait pas pour autre visée que de transformer Chavo en chien docile et ferait de Dokhara sa maîtresse. Un jeu très amusant auquel s’était souvent essayée Lucretia au cours de sa longue vie. Un passe-temps assuré contre l’ennui, dans la mesure où celui-ci nécessitait beaucoup de temps et d’attention. Et qui se révélait toujours utile, en fin de compte. Au cours de diverses soirées, la Lahmiane en conta un peu plus sur elle-même et sur ces hommes qu’elle avait envoûtés pour en faire de parfaits sigisbées prêts à sacrifier leur vie pour elle. Comment elle avait commencé très tôt, alors même qu’elle était encore humaine, afin d’obtenir l’appui des meilleurs professeurs à l’université d’Altdorf, ainsi que le soutien de ses élèves les plus influents, afin de se forger un futur qui l’avait propulsée, fut un temps, dans les plus hautes sphères de la noblesse. Tandis qu’elle dessinait des entrelacs sur la peau dénudée de Dokhara –évitant, cette fois-ci, le tatouage-, la Lahmiane racontait également comment elle avait subjugué un simple garde, Otto, pour qu’il abandonnât son poste et décidât de la suivre. Il avait donné sa vie pour elle, lui aussi. Alors que l’inquisition avait encerclé la résidence dans laquelle séjournait Lucretia et y avait mis le feu, il avait insisté pour refermer derrière elle le passage secret dans lequel elle s’était engouffrée pour s’échapper. Et cela quand bien même le feu avait, de toute façon, tout dévoré, tout dévasté, ne laissant plus aucune trace de la fuite de la Lahmiane. L’homme avait assurément connu une fin des plus douloureuses, ainsi brûlé vif.

Elle avait aussi fréquenté un certain Arzvhaël de Bastogne, un chevalier bretonnien qu’une seule nuitée avait suffi à conquérir. Elle avait joué les femmes fortes et indépendantes devant lui, à grands coups de regards butés et de pupilles, dont les cils ne battent jamais, qui vous fixent directement droit dans les yeux. Et, lorsque le jour avait décliné, elle s’était réfugiée entre ses bras, lui contant à quel point ce rôle lui était difficile à porter, à quel point elle avait besoin d’un homme qui, en vérité, était toujours là pour la protéger dès que son masque se fissurerait.

Et un autre Otto, aussi, que de faux-semblants bien comparables à ceux usités par Dokhara avait suffi à faire ployer. Elle n’avait jamais eu besoin de quelque acte charnel, avec lui ; rien d’autre des gestes tactiles et des regards équivoques, tout en laissant apparaître entre eux deux la nette barrière de leurs différends statuts sociaux. Elle le savait ; cet homme avait toujours rêvé de faire éclater cette frontière entre eux deux, et son esprit romantique ne fantasmait que trop cette relation interdite qu’il aurait pu voir naître, de simple chevalier servant à noble dame. Lui l’avait servie deux fois ; dans la vie, et dans la mort, après qu’il fut tombé dans les Principautés Frontalières et que Lucretia l’eut relevé sous forme de spectre.

A l’abri dans la roulotte, elle conta enfin certains de ses échecs, également. Notamment l’histoire d’un certain Philippe d’Artois, bretonien lui aussi. Ce chevalier s’était impatronisé chez elle alors même qu’il servait l’ennemi, venu lui aussi quémander l’hospitalité de la maisonnée de Lucretia. Puis, suite aux exactions que ceux qu’il servait avaient commises sous un toit où ils avaient été invités, il avait remis son allégeance en question, avant de se tourner vers la baronne Shwitzerhaüm. Cela dit, il avait là encore exprimé quelques doutes quant à l’indéfectible soutien qu’il lui apporterait.

« Mais voilà qui n’était pas très étonnant de la part de ce rodomont, en fin de compte, gloussa Lucretia. C’était un pédéraste, voyez-vous ?! Alors, je l’ai égorgé. »

Ces soirées et nuitées qu’elles passaient l’une contre l’autre leur permettaient de se révéler que plus encore l’une à l’autre, mais, de temps en temps, Dokhara exprimait le besoin de revenir auprès de ses humains. Contrairement à la première partie de ce voyage jusqu’au Kislev, les feux de camp avaient été interdits ; la Forêt des Ombres recelait trop de danger pour qu’ils pussent se permettre de prendre le moindre risque. Les stryganis devaient avancer vite, en silence, et de manière discrète, sans faire de vague. Ainsi, les quelques soirées organisées çà et là se déroulaient dans une roulotte plus grande que les autres, assez pour accueillir la majeure partie de la population khilis. Plus imposante, plus épaisse aussi, elle avait pour elle le mérite d’étouffer les sons et la lumière, permettant aux gitans de jouer cette musique étrange aux paroles gutturales dont ils avaient le secret. Dokhara y participa à plus d’une reprise, restituant par la suite à Lucretia ce qu’elle avait compris du folklore de ces gens en marge de la société impériale. La Lahmiane y attachait une certaine importance ; elle savait bien, eu égard à tout ce qu’elle avait traversé et déjà pu vivre, qu’au sein de chaque conte et légende se cachait toujours une once de vérité, aussi minime fût-elle.

Suite à l’enthousiasme de Dokhara et ses airs de petite fille enchantée qui s’inscrivaient sur son visage à l’annonce de ces soirées gitanes, Lucretia ressentit la curiosité la gagner. Assurément, elle avait bien conscience que son nouveau statut de déesse briderait l’allégresse et la légèreté de l’instant, que les conversations et les chants s’interrompraient sitôt qu’elle franchirait la porte. Mais, ès qualités de créature ancienne et révérée, ne pouvait-elle pas simplement ordonner que la soirée continuât ? Cela ne manqua pas ; à peine avait-elle ouvert le battant de la roulotte qu’un silence pesant s’abattit dans l’habitacle.

D’un unique regard, la Lahmiane embrassa le tableau que composaient ces gitans, insouciants la seconde auparavant, si sérieux et révérencieux celle d’après. Idris était au milieu de tous, et s’était arrêté en plein milieu d’un couplet. Les dernières notes de sa cithare perduraient encore dans l’intérieur, entre la joie de leur mélodie et l’oubli sur le point de les happer à jamais. Chavo, aux côtés de Dokhara, venait de faire un bond en reconnaissant la nouvelle venue. Bien trop proche de celle qu’il convoitait ardemment, il se savait en faute ; le procès qu’avait rendu Lucretia à son encontre était encore gravé dans sa mémoire. Yrié s’était interrompue entre deux claquements de main, et Ché menaçait de heurter le plancher de son talon dans un joyeux mouvement. Toutes ces intentions ne connurent jamais leur heureuse résolution, et les regards s’abaissèrent de manière unanime en direction du sol, si ce n’était celui de Dokhara. Tout cela, Lucretia s’y attendait.

Mais, comme toujours, ce fut encore sa compagne qui l’étonna. D’un geste de la main, elle invita la Lahmiane à se joindre à l’assemblée, puis se leva pour lui laisser sa place. Chavo, comprenant que si Lucretia acceptait, il se retrouverait juste à côté d’elle, rougit et s’agita inconfortablement, et manqua tout juste de lever un regard implorant en direction de sa dulcinée. Pour le simple plaisir de le mettre que plus encore mal à l’aise, la vampire n’eût jamais hésité. Mais si elle franchit le pas, ce fut avant tout par la curiosité qu’avait fait naître chez elle ce premier mouvement de sa consœur. Traversant avec tranquillité et majesté –en et en jouant très franchement- le peu d’espace qui la séparait de la place anciennement occupée par Dokhara, Lucretia s’y assit, non sans décocher un petit sourire mi-figue mi-raisin à l’attention de Chavo. La baronne de Soya s’installa en face d’elle, et, alors que la Lahmiane haussait un sourcil interrogateur face à toute cette mascarade, elle ouvrit les lèvres.

En ressortit une étrange mélopée, une mélodie lente, mesurée, et grave, dont les premières paroles intriguèrent instantanément Lucretia. Ce chant faisait mention de l’ambiguïté entre deux personnes, l’une étant la proie et l’autre le prédateur. Mais ladite proie semblait vouloir inverser les rôles, ou, à tout le moins, devenir l’égale de ce qui la chassait auparavant. Si le quiproquo était palpable dans cette chanson, la scène dans laquelle elle prenait place était, quant à elle, sans équivoque ; elle racontait à merveille, bien mieux que ne l’eût fait quelque autre parole, le jeu du chat et de la souris auquel se prêtaient les deux jeunes femmes. Dans ce que détaillait Dokhara grâce à sa musique, des trésors de non-dits se dissimulaient, des vérités qu’aucune des deux n’aurait avouées l’une à l’autre, des exactitudes qui ne pouvaient qu’être dites qu’à grand renfort de précautions, cachées derrière des notes, comme si la mélodie permettait d’exorciser le poids de la vérité, de l’atténuer pour n’en laisser que des bribes bien moins incisives.

Dans les pièces, les stryganis n’étaient pas dupes, et, s’ils avaient jusque-là préféré ignorer le jeu des regards que se lançaient parfois les deux femmes, les gestes et les attentions qu’elles s’adressaient l’une à l’autre, ou les bruits étranges qu’elles émettaient parfois au beau milieu de la nuit, dans la roulotte, ils ne purent faire autrement, là, que d’être confrontés face à cette réalité. D’en être témoin, sans pouvoir fermer les yeux, d’y participer quelque peu, même, à leur manière. Cette vérité ainsi exposée, Lucretia perçut d’étranges sensations au fond d’elle-même ; elle ne sut comment accepter cette chanson. Elle, toujours au-dessus des autres, à des lieues de se soucier de ce que pouvait penser autrui de sa personne et de son comportement, se sentit pourtant mise à nue, vulnérable face à ces émotions contraires. La Lahmiane se demanda si elle ressentait ainsi les choses de cette façon parce que c’était Dokhara, et pas quelqu’un d’autre, qui s’était ainsi ouverte à elle. Elle ne tenait à personne, et c’était probablement de là que découlait son indifférence générale. Aussi, si ces paroles et ces vérités lui causaient grand tracas, était-ce parce qu’elle tenait à cette humaine qu’elle transformerait tôt ou tard ? Là encore, elle ne préférait pas y réfléchir, elle ne préférait pas pourpenser à cette éventualité, laquelle trahissait assurément une de ses faiblesses. Elle n’avait pas le droit, pas ainsi, pas devant tout le monde ; le tacite valait parfois bien plus que ce qui était dit. Il lui fallait chasser cet émoi grandissant, ce remous tumultueux de son âme fragilisée suite à ces vérités exposées mais jamais acceptées. Et cela avant que ce doute ne se vit sur son visage.
Elle préféra se focaliser sur cette autre sensation véhiculée par cette mélodie.

Dokhara, pourtant humaine, s’estimait comme son égale. Elle se savait proie, mais se considérait tout aussi bien comme prédatrice. Lucretia n’était pas si différente qu’elle ; cette première aurait tout à fait pu deviner le reflet de sa consœur dans un miroir. Elle, mortelle, s'imaginait comme une bête sans limite aucune ; comme une vampire. En cela, sa chanson, dans laquelle elle s’impliquait corps et âme, était un affront fait à son invincible majesté. Voilà qui était mieux, voilà une émotion à laquelle elle pouvait se raccrocher sans crainte. Voilà une pensée, un comportement, digne de sa grandeur et de ce qu’elle incarnait aux yeux de tous.

Toutefois, bien qu’il pût s’agir là d’un blasphème, la Lahmiane préféra le prendre comme elle en avait coutume. Elle considéra la mélodie de son aimée comme un jeu de la provocation plutôt que par véritable atteinte de la blesser ou de la mésestimer. Et, afin de remettre les pendules à l’heure et de creuser de nouveau ce fossé que Dokhara avait tenté de combler en public, Lucretia surprit à son tour les stryganis en se redressant. Après la mélodie de la baronne de Soya, intime pour ceux qui savaient prêter l’oreille aux détails, un silence pesant s’était fait. Celui-ci continua après que Lucretia eut fait face à son public.

Elle avait bien son idée sur la prestation qu’elle allait accorder aux stryganis, et, par extension, à Dokhara. D’un temps jadis remonta une comptine que l’on chantait aux enfants de Sonnental afin de leur inculquer, dès leur plus jeune âge, les règles de l’obéissance aveugle que les paysans devaient à leurs éternelles maîtresses Lahmianes.



Spoiler :
Cette chanson étant connue, veuillez noter si vous l’écoutez sans lire les paroles que ces dernières, ci-dessous, ont été modifiées, remplaçant le sorceleur, ou The Witcher, par une Lahmiane de Sonnental (ou dans notre cas plus précis, Lucretia).
Oui, vu comment ça a été compliqué de conserver les rimes et le rythme des vers dans une langue qui n’est pas la mienne, je tiens à ce que le lecteur le note bien. :mrgreen: )



Durant cette mélodie, aussi lente et mesurée que ne l’avait été celle de Dokhara, mais autrement plus ancienne, Lucretia engloba de son regard la totalité du conviviat strygani. Mais si elle avait eu en tête, dans un premier temps, de la dédier à sa consœur afin de restituer ces limites qu’elle avait tenté d’affranchir, la Lahmiane se surprit à se trouver une nouvelle cible. A la toute fin, lors du dernier couplet, plus acéré, violent, et plein de promesses de malheur, sa voix était devenue rauque, profonde, et glaciale. Sa mâchoire s’était resserrée, comme si elle ne parvenait pas à digérer une rancune ancestrale, et elle n’avait eu de cesse que de fixer Chavo. L’on eût juré, par ailleurs, que l’animosité de son regard envers le jeune homme n’avait fait que croître à mesure que la comptine s’en prenait à la personne imaginaire à laquelle elle s’adressait. Ces menaces, voilées ou non, le mirent certainement assez mal à l’aise pour rechercher une fois de plus le regard de Dokhara. Mais ce fut Lucretia qui capta ses pupilles zinzolines, et le petit sourire qu’elle lui dédia se révéla indéchiffrable, entre amusement, cynisme, vengeance, taquinerie, et amour.
Elles s’expliquèrent à leur manière dans la roulotte de Lucretia, après avoir fermé la porte, non sans un certain empressement.

Toutefois, quand bien même ces soirées se résumaient à celles passées dans l’habitacle de la Lahmiane ou en compagnie des gitans pour Dokhara, il y en eut quelques-unes qui tranchèrent avec le morne quotidien. Arriva un moment où cette dernière n’en put plus ; elle demanda à sa consœur de braver les dangers qui rôdaient à l’extérieur, dans les alentours du campement, et de sortir dans la forêt, l’espace d’une nuit. Face à cette réclamation, Lucretia haussa les épaules ; les stryganis n’avaient eu de cesse que d’énumérer les bissêtres qui les attendraient à chaque détour dans la Forêt des Ombres, mais force était de constater que, une fois de plus, rien n'était survenu. En mettant de côté l’épisode du minotaure, les journées comme les nuits se révélaient aussi paisibles les unes que les autres. Elles sortirent en catimini, prenant tout de même la peine de s’équiper de leur arme.

Au-dehors, l’éternel brouillard régnait sur la forêt, humidifiant l’air froidureux qui ondulait de temps à autre quelques écharpes de brume. Çà et là, quelques-uns de ces lueurs éphémères scintillaient au loin, dansant dans les ombres, se découpant, voilées, derrière ce masque opaque qui floutait le monde. Mais c’était là tout. Rien d’autre que la quiétude environnante des sous-bois, si ce n’était, peut-être, un silence plus assourdissant encore. La forêt était morte ; nul animal ne semblait encore y vivre, nul insecte vespéral ne venait émettre ses stridulations nocturnes, et seul le doux bruit feutré des pas des deux jeunes femmes sur les aiguilles de pin tombées des arbres osait se faire entendre.

Morts, les bois ne l’étaient pas entièrement. Certes, les troncs semblaient pourris de l’intérieur, les bâtiments d’autrefois, avalés par la forêt, n’étaient plus que ruines, mais une certaine végétation proliférait sur ces anciens amas de pierres. Les ronces et les fougères avaient planté leurs racines dans l’humus vicié de ces terres oubliées, des champignons luisants éclairaient de leurs couleurs étranges et fantomatiques les recoins gorgés d’ombre, et plus d’un de ces organismes demeurait inconnu à Lucretia. Ce qui capta son attention.

Voilà qui méritait qu’elle y accordât un peu de son temps, qu’elle avait à profusion. La Lahmiane se rappelait de certains de ses anciens cours, les sciences spagyriques, l’alchimie, et toutes les merveilles que l’on pouvait retirer des végétaux en tout genre. Si leurs propriétés n’avaient, pour la plupart, aucun effet sur elle-même, étant donné sa nature, il en allait autrement en ce qui concernait les humains. Dokhara et Marcus n’avaient-ils pas bénéficié du savoir médical de Tisnep afin d’être soignés ? Cette forêt, comme tout autant d’autres, recelait assurément de plantes capables de guérir mille maux ; Lucretia n’avait qu’à se pencher pour les cueillir et les détenir en sa possession. Cela dit, entre pouvoir les récupérer, et savoir les utiliser, un gouffre s’étendait, un gouffre qu’elle ne pouvait franchir sans aide. Par ailleurs, un autre détail retenait sa curiosité ; elle avait bien appris et compris, lors de ces leçons de jadis, que, si chaque plante avait sa propriété curative, elle avait également son pendant létal. Et quoi de mieux que le poison pour se débarrasser d’ennemis en toute discrétion, sans trace aucune ?

Entre deux histoires racontées à Dokhara, Lucretia s’abaissa à plus d’une reprise sur un tronc, observant ces herbes inconnues, ces champignons qu’elle n’avait jamais rencontrés auparavant, avant de les cueillir et de les déposer dans sa besace. Cette idée était désormais bien ancrée dans sa tête ; aller voir la vieille styganie, et lui poser toute sorte de questions à propos de ces plantes. Et plus encore, lui extorquer tout son savoir médical, ses remèdes et ses poisons. Qu’importait qu’elle possédât ou non, pour le moment, les herbes dont elle tirait ses baumes et ses élixirs afin de lui montrer à quoi elles ressemblaient ; Lucretia disposait d’une excellente mémoire, et possédait, à dire vrai, un ensemble de connaissances bien établi. Ce que lui apprendrait Tsinep ne viendrait que combler ces petites cases manquantes en matière de phytothérapie afin de glorifier et de consolider sa sapience générale. Peut-être même que, suite à cet apprentissage, elle parviendrait à faire la liaison sur les causes à effet d’éléments chimiques qu’elle ignorait jusque-là mais que les leçons de la vieille lui permettront de comprendre, façonnant un savoir qui finirait par dépasser celui de son mentor du moment.

Ainsi, la nuit suivante, elle s’impatronisa dans la roulotte de Tsinep, lui demandant de lui expliciter les propriétés du baume qu’elle lui avait vendu il y avait de cela presque un mois, à l’auberge du Grand Duc. En quoi cet onguent avait-il la capacité de guérir du poison gobelin ? De quoi, l’onguent comme ledit poison, étaient-ils constitués pour ainsi pouvoir interagir l’un avec l’autre ? Et quelles étaient les autres caractéristiques de ces plantes qu’elle avait usitées afin de concevoir cette potion de guérison ?

Tsinep, face à ce soudain intérêt de Lucretia, ne posa pas davantage de questions. Avec son stoïcisme habituel, elle s’atêta à répondre aux interrogations de celle qu’elle considérait comme un Ange de la Nuit. Etait-elle révérencieuse, craintive, subjuguée, ou simplement heureuse de pouvoir apporter son aide à une déesse ? La Lahmiane ne parvint point à lire le ressenti qui se cachait derrière la peau parcheminée de la vieille femme, mais cela l’intéressait bien moins que tout ce qu’elle pouvait lui apprendre. Elle prenait des notes, tâchait de retenir ce qu’elle voulait bien lui dire, creusait les sujets qui lui semblaient bancals ou pas assez approfondis. Lors de la leçon suivante, elle sortit de sa besace les plantes et champignons qu’elle avait récupérés à l’extérieur du campement, et renouvela ses questions. Petit à petit, la Lahmiane commença à rassembler une ébauche de connaissances en la matière, pas assez, certes, pour savoir les utiliser à bon escient, mais qui marqua le début d’une base solide afin de progresser. Ainsi, sans pour autant connaître les doses, elle apprit que l’aconit, reconnu pour ses propriétés toxiques, pouvait cependant soulager la douleur des anciens. La digitale, elle aussi symbole de mort, ne manquait pas d’interpeller, là où le jasmin à fleur de primevère, lui, paraissait bien plus inoffensif. Et pourtant, ce dernier détenait les mêmes effets que la digitale, ayant le pouvoir d’interrompre les battements du cœur. La molène aidait à mieux respirer lorsque le gui vous paralysait. La mélisse aidait à trouver le sommeil ; le fusain accélérait les chutes capillaires.

Voilà qui ne manqua pas de fasciner Lucretia. Le corps des humains se révélait tellement fragile à mesure qu’elle en apprenait davantage sur ces propriétés insoupçonnées. Elle avait toujours eu conscience de cette faiblesse, ayant été humaine autrefois, mais réaliser que chaque partie d’une plante, que ce fût sa tige, le pollen, sa racine, son bulbe, ses bourgeons, ses pétales, détenait la capacité d’agir à chaque fois sur un processus différent du corps humain, l’émerveillait tout en lui insufflant un étrange sentiment de pitié à l’égard de cette race inférieure. Dans le même temps, l’univers de la botanique commençait à lui faire miroiter un incroyable et nouveau terrain de jeu. Elle continuerait sur cette voie-là, à n’en pas douter.

Ainsi, les nuits se ressemblaient, au même titre que les journées qui défilaient les unes à la suite des autres, et le campement évoluait au beau milieu d’une atmosphère sombre, environnée de mal. Il y eut pourtant un véritablement moment de bonheur, pour Lucretia. Un jour qui l’enchanta, qui la fit revivre, et qu’elle retiendrait tout au long du reste de ce voyage. Des gitans avaient été assez courageux pour sortir du campement et des sentiers battus, et étaient parvenus à trouver de l’eau pour les lessives. Enfin, enfin, le linge allait pouvoir être lavé. Enfin, les stryganis allaient pouvoir faire un effort, et se mettre aux ablutions. Enfin, l’odeur d’homme, de sueur, de crasse, et d’humidité, allait pouvoir être balayée pour n’être plus qu’un mauvais souvenir…. L’espace d’un jour ou deux, et de revenir à la charge, plus puissante et capiteuse qu’auparavant. Mais c’était malgré tout une petite révolution dans le quotidien des khilis que chacun salua, et les gitanes se mirent à la tâche sans trop rechigner, avec une certaine allégresse qui fit du bien à observer.

La lessive propre fleura bientôt dans les roulottes, que l’on avait pris soin, là aussi, de récurer. Un parfum de renouveau flotta dans l’air, car, contrairement à ce qu’avait pensé Lucretia, non, les stryganis allaient être capables de se remettre à un semblant de propreté ; la caravane n’allait pas tarder à revenir à la civilisation. La Forêt des Ombres serait bientôt un mauvais souvenir pour tous. Finies, là aussi, les soirées confinées dans les habitacles. Finies, les barricades sitôt que le campement était établi. Les stryganis retirèrent les planches aux fenêtres, permettant à la lueur tamisée des sous-bois de pénétrer de nouveau dans les véhicules. Les chevaux furent libérés de leur caparaçon de cuir et de métal, et la liberté leur tendit les bras, à tous. Si ce n’était à Lucretia et Dokhara.

Effectivement, avec le retour dans le Vieux Monde, non loin de la société, la caravane marchanderait de nouveau avec des impériaux ou des kislévites. Idris leur avait déjà conté les rumeurs de ces deux jeunes femmes rousses dont la tête était mise à prix, et l’on ne tarderait pas à les remarquer si les intéressées manquaient de précautions. Marcus leur conseilla, à toutes les deux, de faire profil bas, et, bien que Dokhara s’exclama après avoir passé tant de temps confinée, force était de constater qu’il avait raison. Cependant, la demoiselle de Soya ne se laissa pas abattre pour autant, et, bluffant comme jamais, décida au contraire de s’exhiber plus qu’elle ne l’avait fait durant toute la traversée de la Drakwald. Elle embrassa, le temps de ses derniers jours d’humaine, les coutumes stryganies ; elle s’habilla à leur mode, délaissant le masque de sœur de Sigmar, et afficha fièrement son tatouage qui lui recouvrait le bras. Pour le reste, elle se contenta simplement de dissimuler sa chevelure carmine derrière un foulard noir, en sus d’adopter un nouveau prénom ; Camelia.

Lucretia, de son côté, n’en fit pas autant ; elle se satisfit de sa simple pèlerine, sans pour autant s’assurer de toujours rabattre le capuchon sur son visage. Les deux jeunes femmes étaient bien loin du point de départ de leurs problèmes, avaient déjà lancé de fausses pistes aux quatre vents, traversé une forêt honnie que peu de personnes oseraient franchir afin de suivre leurs traces, et, maintenant que Dokhara avait masqué ses mèches rebelles, la Lahmiane était la seule rousse du campement. S’il lui fallait toutefois un nouveau nom, alors qu’il en fût ainsi. Retournant à ses racines, elle demanda à ce qu’on la nommât Ombeline, à défaut de trouver un prénom qui fît davantage kislevite. Elles auraient tout leur temps pour se décider, une fois installées dans le pays de la Reine Eternelle.

Apprentissage de :
- Identification des plantes
- Préparation des poisons (et aussi de leurs remèdes).

Expérimentation sur l’anneau avec les sortilèges quête de vie, détection et alarme magique.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 15 déc. 2018, 18:38, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 48 xps
FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 13 / TIR 11 / MAG 17 / NA 4 / PV 134/140
Ma Fiche
Objets particuliers:
- * Anneau Nowelleux (+1 INI)
- Amulette (relance d'un EC: 2/3 utilisations disponibles)

Compétences acquises et Dons du Sang

COMBAT :
Attaque : Coup précis (3), Arme de prédilection ( épée à une main)
Défense : Esquive, Acrobatie de combat, Sang vif (2) (DDS), Coriace,
Autres : Régénération Impie (DDS), Innocence Perdue (DDS), Valse Macabre


MAGIE :
- Sens de la Magie
- Conscience de la Magie
- Maîtrise de l'Aethyr - niveau 3

CHARISME :
- Diplomatie
- Éloquence
- Séduction
- Intimidation
- Comédie
- Etiquette
- Intrigue de cour

INTELLIGENCE :
- Domination (DDS)
- Érudition
- Littérature
- Linguistique
- Histoire
- Administration
- Enseignement
- Connaissance végétale
- Langue étrangère : Kislévarin
- Connaissance des démons

INITIATIVE / HABILETE :
- Sang vif (DDS)
- Réflexes éclairs
- Escalade
- Monte - chevaux
- Sens Accrus
- Vision nocturne

AUTRES :
- Défi de l'Aube (DDS)
- Ame Profane (DDS)
- Forme de Familier : Corneille (DDS)
- Sang argenté (DDS)
- Alphabétisation
- Force accrue
- Chance
- Préparation des poisons

Inventaire :
- Griffe d'Ursun
- Veste de cuir & pèlerine en "voyage" / robe habillée en "réception"
- Anneau de promptitude
- Bague du tumulus
- Sacoche de chanvre
- Lettre de la comtesse
- Gemmes et pépites d'or
- Fleur de salicaire
- Glandes à venin
- Poison (?)

Avatar du membre
Dokhara de Soya
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 217
Lien fiche wiki : http://warforum-jdr.com/wiki-v2/doku.ph ... ra_de_soya
Autres comptes : [MJ] Katarin : Susi Tristepanse Bonchardon

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Dokhara de Soya »

Chavo était totalement pris au piège. Plus son obsession s'aggravait, plus il s'isolait de son peuple. Et plus il s'isolait, plus il lui paraissait impossible de revenir en arrière, trop certain que ses anciens camarades, son ancienne famille, ne pouvaient pas le comprendre. Pris en otage par sa dette de vie envers Dokhara, son honneur l'empêchait de fuir malgré les résidus de sa raison l'appelant à cesser cette folie. Ne lui restait que l'espoir de voir sa situation évoluer d'elle-même, un jour, lorsque Lucrétia consentirait enfin à laisser Dokhara vivre leur idylle. Une longue et interminable attente, à observer une lueur lointaine qui s'éloigne lorsqu'on tente de s'en approcher.

Face à la frustration engendrée par le marché de dupes qu'était la manipulation slaaneshie, tous les individus ciblés finissaient par réagir des deux mêmes manières.

Les premiers étaient les esprits tenaces, ceux avec des convictions si fortes qu'un paradoxe de désir ne pouvait les faire céder. Bien sur, ils vacillaient, ils titubaient, mais ils piochaient alors dans leur propre résilience pour trouver des compromis, pour sauvegarder leur esprit. De la même manière que Dokhara avait su préserver une partie d'elle de la corruption en utilisant son empathie pour ressentir par substitution les émotions extrêmes dont elle avait besoin, comme la culpabilité dévastatrice de Chavo, ces personnes réussissaient à garder des pensées lucides, à rester maîtresses d'elle-même, à ne pas céder à la folie qui les gangrènait.
Ceux-là n'en tombaient pas moins dans les filets de Slaanesh, mais leur esprit restait sain. Ils transformaient leur désir pour leur geôlier en dévotion, et réussissaient à maintenir leur frustration sous verrou aussi longtemps que nécessaire, apprenant même à se complaire dans l'inassouvi... jusqu'à ce que finalement ils soient libérés de leurs chaines, laissant tout à coup se déverser le plus magnifique ouragan de désir à l'état brut sur leurs victimes. Amour et haine envers leur objet de désir, plaisir du contact et douleur de la frustration, espoir et désespoir, après une si longue période de retenue, toutes ces notions auparavant antagonistes étaient devenues si intrinsèquement liées les unes aux autres qu'il n'était plus possible de les distinguer. Ainsi étaient crées les plus magnifiques cultistes de Slaanesh, des êtres à l'esprit sain et à la pensée claire, ayant réussi à briser leurs tabous et compris quelles strates d'extase un corps humain pouvait atteindre une fois libéré du carcan étouffant qu'imposait la société. Dès lors, comment ne pas sombrer, alors que l'on découvrait que les limites que l'on croyait acquises n'étaient qu'illusoires, que nos sens étaient désormais émerveillés par des milliers de nouvelles possibilités, que notre corps réclamait comme une drogue sa nouvelle dose de sensations quotidienne ?

Les seconds... ils subissaient le même traitement de fond, cet habile mélange entre amour et haine de leur geôlier, ce désir brûlant et grandissant sans cesse entretenu par une sensualité de tous les instants, qui se transformait en douleur déchirante de plus en plus viscérale au fur et à mesure de l'accumulation de la frustration engendrée par une situation inextricable. Plus la victime tentait de se raisonner en abandonnant son amour pour son geôlier, plus ce dernier se montrait épris, fougueux et prêt à s'abandonner aux pires perversions - et plus la victime essayait d'obtenir la moindre trace d'affection, de chercher le contact, plus le geôlier se faisait froid et distant, impossible à contenter.
Ceux-là n'avaient pas l'esprit assez résistant pour que leur intégrité mentale résiste au piège qui se refermait chaque jour un peu plus sur eux. Leur fragilité laissait leurs failles éclater, et la folie s'insinuait peu à peu, les rongeant de l'intérieur.
Bien sur, la conclusion était toujours la même : ils finissaient eux aussi soumis à Slaanesh. Mais leur état mental ne leur permettait plus de rester des humains à part entière - sans plus de contrôle sur leur propre volonté, ils n'étaient plus que des bêtes obéissant à leurs désirs immédiats, des laquais servant de jouets et d'esclaves, destinés à voir leur intelligence se dégrader peu à peu au profit de leurs instincts. Le geôlier pouvait faire de ceux-là de dociles esclaves ou des animaux sauvages enragés, selon ses besoins.


Chavo... il avait crié comme une fillette lorsqu'il s'était retrouvé seul face au minotaure, puis avait accepté le sacrifice de Hedred pour sauver sa propre peau. Néanmoins, une fois revenu au camp, il avait été prêt à offrir sa vie à Lucrétia en échange de ses erreurs, sans essayer de fuir sa destinée. Face à cette étrange dualité, Dokhara n'avait su prédire dans quel groupe il finirait, et était très curieuse du résultat de son expérience.

Son état s'était néanmoins sérieusement aggravé après cette soirée, lorsque Lucrétia avait chanté une menace angoissante à peine voilée à son encontre, lorsqu'elle avait terminé son sanglant couplet en le fixant droit dans les yeux. Depuis lors, la vampire ayant perturbé sa balance émotionnelle, Chavo supportait plus difficilement sa situation : il croyait moins à la possibilité d'une issue favorable à son désir, ne voyait plus comment passer outre la puissance d'une déesse aussi dangereuse. Le lendemain, il avait été à deux doigts d'avouer à Dokhara u'il renonçait à leur idylle, soudainement pris d'un vague moment de conscience. Mais pressentant le danger, elle l'avait fait taire en posant sa main sur sa bouche avant qu'en sorte un seul mot. Le poussant à l'arrière d'une roulotte à l'abri des regards, elle avait fait ce qu'il fallait pour raviver la flamme que Lucrétia avait mouché : un baiser passionné, son souffle chaud contre sa peau, quelques promesses mensongères sur ses progrès dans ses négociations avec sa maîtresse lahmiane pour qu'elle permette au strygani leur proximité, et pour faire bonne mesure, quelques caresses plus intimes à travers le cuir tendu de son pantalon afin de lui rappeler le désir ardent qu'elle ressentait elle aussi et qui la faisait tout autant souffrir.

La conclusion coula de source :

- Pitié Chavo, ne m'abandonne jamais. Tu es la plus belle chose qui me sois jamais arrivée. Jure que tu te battras pour moi, toute ta vie s'il le faut, mais que jamais tu n'abandonneras. Lucrétia est comme toutes ses semblables : à cause de son immortalité elle se lasse de toutes les choses qu'elle possède. Ce pourrait être demain comme dans dix ans, je ne peux le prédire, mais il est évident qu'un jour ou l'autre, ma maîtresse ne souhaitera plus garder la pathétique humaine que je suis et me rendra ma liberté. Et ce jour-là, Chavo, je te voudrais à mes côtés, pour que nous puissions enfin faire tout ce dont tu as jamais rêvé et bien plus encore. Si tu m'aimes vraiment, d'un amour sincère, Chavo, mon beau Chavo, trouve en toi la force d'attendre à mes côtés. J'ai besoin de toi.


Depuis cet incident, elle avait cru que tout était rentré dans l'ordre. Mais ce soir du quarante-septième jour, l'esprit de Chavo fut trop tiraillé entre son amour, sa frustration, son désir, et sa culpabilité, sa peur, voire sa terreur envers Lucrétia. Le strygani avait fini par atteindre le point de rupture, soit trente-deux jours après la mort de Hedred et le début des manœuvres de Dokhara sur son esprit.

Il s'était comporté étrangement dès le début de la soirée, alors que les gitans profitaient de nouveau d'un environnement mois hostile pour faire la fête. Pour la première fois, il ne s'était pas rué sur elle pour l'inviter à danser, et s'était contenté de rester à l'écart, à la fixer avec un regard un peu fou, se mordant la peau des lèvres lorsqu'il ne s'arrachait pas celle des doigts, laissant des traces sanglantes autour de ses ongles blessés.

Elle l'avait ignoré ce soir là, considérant son mental trop affaibli pour nécessiter une nouvelle influence de sa part. Elle s'était contentée de s'amuser, dansant dorénavant librement avec son amante sans plus avoir à se cacher, lorsqu'elle n'accompagnait pas Idris au chant, ou n'échangeait pas ragots et éclats de rire avec les femmes du camp.

C'est tard dans la nuit, alors que Dokhara se levait pour rejoindre la roulotte de Lucrétia qui l'avait devancée depuis une bonne heure déjà, qu'il avait bondi sur ses deux pieds pour s'approcher d'elle, tout tremblant, la suppliant de bien vouloir l'écouter. Il faisait presque peur, le regard embué de larmes, de profondes cernes creusées sous ses yeux, les cheveux gras comme s'il ne s'était pas lavé depuis des jours, et les bras agités de minuscules soubresauts, le poussant à serrer et desserrer compulsivement les poings pour évacuer le mal qui le rongeait.

La jeune femme regarda autour d'elle. Il était déjà tard, la soirée touchait à sa fin, et ne restaient que peu de khilis encore levés, eux aussi en train de se préparer à rejoindre leurs lits. L'on s'occupait du feu, de ranger les affaires oubliées par d'autres, ou l'on observait danser les flammes quelques dernières minutes en profitant du silence avant d'aller trouver le repos.

Chavo n'était plus en état de se soucier de la pudeur, ou de la dignité. Il s'écroula à genoux devant elle, laissa se déverser un torrent de larmes, et la supplia de l'aimer à voix haute. Elle essaya de le faire taire, mais rien n'y fit cette fois-ci - aussi déstabilisé mentalement qu'il pouvait être, le strygani était déterminé à mener à bout son discours. Il la supplia de renoncer à Lucrétia, de l'aimer, lui, qui serait tout pour elle, il la supplia de préférer la vie à la non-vie, il la supplia de fuir avec lui, loin d'elle, loin de son peuple, là où il n'y aurait plus qu'eux deux et un bonheur incommensurable, il la supplia d'accéder à sa requête car sa vie n'avait aucun sens dans un monde où ils ne pouvaient vivre ensemble. Puis enfin ses mots se tarirent, et ses yeux se plantèrent dans ceux de Dokhara, non pas avec conviction et autorité, seulement comme un enfant attendant le verdict sur le devoir qu'il venait de rendre à son professeur.

Dokhara leva une main, et laissa ses doigts glisser sur l'une des joues humides du khili, lui offrant un sourire maternel, aimant et rayonnant de bonté. Puis elle pencha sa bouche vers son oreille pour, d'une voix douce à peine audible, lui répondre :

- Tu me déçois tellement Chavo.

Ses yeux s'ouvrirent comme des billes.

- J'ai sauvé ta vie, et en échange tu m'as assuré ton éternelle dévotion. "Demande et je ferais", m'as-tu dit. Et pourtant, alors que je t'ai demandé de la patience, du respect, de la fidélité et de l'amour, tu ne m'offres rien d'autre qu'une trahison. Tu veux nous mettre en danger de mort tous les deux pour tes désirs égoïstes, car crois-moi nous ne ferions pas vingt mètres qu'Ilsa nous aurait déjà rattrapé et tué tous les deux. mais pire que cela, avec cette proposition tu ne respectes plus ni ton peuple que tu veux abandonner, ni Ilsa que tu veux déposséder de l'un de ses biens, ni moi-même qui lui ai promis ma fidélité après qu'elle aie sauvé ma vie tout comme tu l'as fait pour moi.

Dokhara recula d'un pas et croisa les bras, prenant un air plus sévère, comme une mère lui faisant la leçon. En arrière plan, Dokhara remarque que quelques khilis s'intéressaient à la scène : nombre d'entre eux semblaient satisfaits de voir que Chavo avait enfin fait sa demande, sans doutes croyant qu'il pourrait ainsi "passer à autre chose". C'est donc toujours en parlant doucement qu'elle poursuivit, laissant ses mots se perdre dans le bruit du crépitement des flammes pour ceux n'étant pas assez proches.

- Je ne peux rester amoureuse d'un homme qui se bafoue ainsi, Chavo. L'amour est fait de sacrifices, pas d'égoïsme, d'impatience et de lâcheté. Lorsque tu l'auras compris, lorsque tu seras prêt à honorer ta parole et te dévouer tout entier pour moi, tout sacrifier pour mon amour, jusqu'à la toute dernière infime partie de ta vie et de ton âme, alors reviens me voir et je t'accepterais à mes côtés, où tu auras toujours une place.

Il était figé sur place. Les larmes coulaient à n'en plus finir sur son visage, mais son expression refusait de changer, comme si son cerveau refusait d'accepter cette réponse.

Dokhara se détourna, et fit un premier pas en direction de la roulotte de Lucrétia, avant de lâcher froidement :

- D'ici là, je ne veux plus te voir.

Un deuxième pas.

Un troisième pas. Toujours pas de réaction, mais la main de l'ancienne baronne reste proche du pommeau de sa dague, tandis qu'elle écoutait attentivement ce qui se passait derrière elle. Il n'était pas exclus que l'esprit de Chavo cède, et que la folie le pousse à vouloir tuer la source de ses conflits. C'était déjà arrivé par le passé, et le gitan était clairement en train de perdre l'équilibre sur le fil de sa raison.

Un quatrième pas.

Un cinquième pas.

Un sixième pas. Toujours rien. Etait-il encore figé, incapable d'accepter ? N'arriverait-il donc pas à s'éveiller avant qu'elle ne quitte son champ de vision ?

Un septième pas. Chavo explosa enfin, mais sa violence se fit finalement verbale et non pas physique. Il hurla tout à coup comme un damné, tentant d’extérioriser toute la rage et la frustration qui l'habitaient. Puis vinrent la torrent des émotions sans frontières. Il hurla son amour entre deux sanglots, puis promit de la tuer et de la violer dans son sommeil. Il la traita de sale pute, de jadokari maudite, avant de la supplier d'oublier ses mots et de bien vouloir le pardonner, le caresser, l'aimer. Sa voix était teintée de folie, il cédait davantage chaque seconde à l'hystérie, victime de trop nombreuses émotions contraires qu'il n'arrivait plus à trier ni à comprendre.

Dokhara continuait de marcher, mais elle ralentissait volontairement la cadence, dans l'unique objectif de pouvoir profiter davantage du désespoir maladif contenu dans la voix d'un homme qui avait perdu tous ses repères. Il était si désorienté, si contradictoire dans ses émotions, il souffrait tellement... c'était incroyable. Il n'était pas son premier jouet, mais c'était sans doutes l'un des plus réussis. Entre sa culpabilité pour la mort de son ami, sa peur de l'implacable Ilsa, son amour et son désir pour Frieda... il y avait dès le départ les meilleurs ingrédients possibles pour faire un cocktail unique. Il n'y avait plus désormais à attendre qu'il arrive à surmonter ce cap difficile pour revenir vers elle... afin qu'elle puisse parachever son oeuvre, réutiliser chacune des émotions que son hystérie avait su magnifier les graver une par une dans sa peau, l'enfermant dans une spirale tortueuse constituée de ses propres traumatismes...

Lorsqu'enfin elle arriva dans la roulotte de Lucrétia, c'est à peine si Dokhara arrivait à tenir sur ses deux jambes tant le désir qui l'animait la subjuguait. Il était tout particulièrement heureux que les vampires n'aient pas besoin de se reposer, car la jeune femme n'en laissa nullement l'opportunité à son amante, comme possédée par le Corrupteur en personne.


***


Comptant profiter du véhicule de Lucrétia pour faire une grasse matinée après une nuit bien trop peu dédiée au sommeil, Dokhara n'avait pas prévu de se faire réveiller dès l'aurore par son amante. Elle s'extirpa de sa couverture en maugréant, l'esprit brumeux et le corps endolori, pestant entre ses dents serrées contre la lahmiane qui osait interrompre son repos dans une suite de grognements inintelligibles. Il lui fallut quelques secondes pour revenir à la réalité et enfin comprendre ce qu'elle lui expliquait : un noble du nom d'Otto von Falmer et ses chevaliers étaient venus à leur rencontre, et se mêlaient actuellement aux stryganis. Dokhara tendit l'oreille et perçut alors des voix à la sonorité impériale qu'elle ne reconnaissait pas, corroborant les dires de Lucrétia.

La mémoire lui revint. Shana l'avait prévenue il y a de cela quelques jours, lorsqu'ils avaient quitté la forêt des Ombres : le plus dur était derrière eux, et ne restait désormais qu'une épreuve avant leur destination : subir les caprices astrologiques du fils du margrave de Rossin.

Dokhara se frotta longuement les yeux en ponctuant la manœuvre de bâillements au raffinement limité, avant d'enfin se décider à enfiler son déguisement de stryganie. Tandis qu'elle s'habillait, elle échangea avec Lucrétia par-dessus son épaule :

- Je ne pense pas quitter votre roulotte tant que ces visiteurs sont parmi nous. Contrairement aux roturiers que l'on ne fait que croiser de loin, ceux-là sont des chevaliers et un noble éduqués qui ont le temps de me reluquer, alors que j'ai bien pu déjà les rencontrer à l'occasion d'une soirée ou d'un voyage, ou qui auront vu mon portrait sur un avis de recherche.

Elle accrocha une créole dorée empruntée à Shana à son oreille gauche, puis serra sa ceinture, avant de vérifier que ses armes coulissaient bien dans leur fourreau. Dans le même temps, elle s'approcha de la fenêtre de la roulotte, afin d'épier les reîtres tout en restant cachée derrière les rideaux. Elle aperçut Ché qui semblait occupée à extérioriser sa colère sur son linge, apparemment tendue en présence des impériaux armés. Ces derniers semblaient pour le moment occupés à échanger des rires gras pour ponctuer leurs blagues salaces alors qu'ils observaient les femmes du camp, notamment Tyra.

Sans plus croiser son regard, Dokhara demanda à sa compagne :

- Et vous, comptez-vous jouer les corneilles curieuses à nouveau ?
Dodo en habits de gitane !
Image
Modifié en dernier par Dokhara de Soya le 28 févr. 2019, 10:42, modifié 2 fois.
Dokhara de Soya, Voie de la Belle Mort, Beauté mortelle

Profil : For 11 | End 11 | Hab 14 | Cha 17 | Int 12 | Ini 13 | Att 12 | Par 11(13) | Tir 10 | Mag 11 | NA 2 | PV 110/110

Compétences :
- Sociales : Diplomatie, Éloquence, Empathie, Étiquette, Séduction
- Artistiques : Chant, Danse, Musique (violon), Tatouage
- Intellectuelles : Alphabétisation, Langue étrangère (kislévarin, strygani)
- Martiales : Ambidextrie, Bagarre, Fuite, Monte, Parade, Résistance accrue (spécialisation alcool), Sang-froid
- Divers : Sens Accrus
- Dons Du Sang : Regard Hypnotique, Régénération Impie
Compétences en cours d'apprentissage :
Escamotage : 1/2
Adresse au tir (arbalètes) : 2/3
Équipement :
Armement :
- Griffe d'Ursun : 18+1d8 dégâts ; 12(24) parade. Rapide. Chaque attaque réussie qui résulte en une perte de points de vie pour l’adversaire inflige -1 Att/Hab/Par le tour suivant. Si trois touches sont infligées au même tour, les malus durent alors 2 tours et infligent un malus supplémentaire de -1 Na. Les malus cumulés ne peuvent pas excéder -4 Att, Hab et Par et -1 Na.
- Main gauche : 8+1d6 dégâts ; 8(16) parade ; Rapide. +2 PAR si utilisée en conjonction avec une autre arme. Lors d'une parade, c'est le score de parade de l'arme en main droite qui compte pour le premier jet, celle de la main gauche pour le second jet si relance.
- Poignard : 12+1d6 dégâts ; 6(12) parade ; Rapide. Peut être utilisé comme arme de jet
- Arbalète : 34+1d8 dégâts : Malus de -2 TIR tous les 30 mètres ; Perforante (4) : Un tir par NA maximum.

Armure :
- Veste et jambières en cuir : 5 de protection partout sauf tête
- Tunique noire druchiie : 2 de protection sur tout le corps
- Cape de dissimulation, permet de devenir invisible si immobile (v. wiki)

Équipement de voyage (fontes de selle, pas systématiquement porté) :
- Sellerie splendide
- Nécessaire de tatoueuse
- Violon
- Arc courbe + flèches des anciennes
- Lame en or marin
- Huile d'amande
- Surplus de drogues, poisons, ingrédients (Dodo a 2 de chaque sur elle, pas plus)


Awards \o/
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Dream Team 2018 et 2019 avec Lucretia Von Shwitzerhaüm
Miss Vieux Monde 2019 et 2020

Avatar du membre
Lucretia Von Shwitzerhaüm
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 543
Profil : FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 14 / Tir 12 / NA 4 / PV 134/140
Lien fiche wiki : http://www.warforum-jdr.com/wiki-v2/dok ... itzerhauem

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Lucretia Von Shwitzerhaüm »


Depuis que la caravane avait de nouveau gagné la civilisation, ou ce qui s’en approchait aux abords de la Drakwald, Dokhara comme Lucretia avaient passé leur temps à se dissimuler, à faire profil bas afin d’éviter d’être reconnues. Rester confinées à l’intérieur des roulottes, demeurer dans le campement, dans ce cercle de véhicules qu’il ne fallait pas dépasser… L’ennui se partageait au manque de liberté. Il s’agissait là d’un véritable paradoxe pour Lucretia, laquelle ne s’était jamais sentie aussi affranchie que lors de leur trajet dans la Forêt des Ombres. Là-bas, la Lahmiane avait eu toute la latitude souhaitée pour évoluer dans les ténèbres des frondaisons oubliées, patrouillant librement autour du campement, découvrant de nouveaux lieux avalés par la végétation, ou se livrant à diverses expériences aethyriques. Ainsi, le résultat des sortilèges qu’elle avait jetés sur l’anneau demeurait que peu concluant ; la brume légère qui flottait dans la bulle enchâssée réagissait, mais bien trop peu. Elle ne faisait que témoigner de la présence d’un vent de magie en son sein, mais guère davantage. Qu’importait l’incantation, qu’importait sa puissance ; le brouillard tourbillonnait, avec peut-être plus de vigueur qu’auparavant, mais c’était là tout.

Il lui avait fallu davantage de temps, de nouvelles idées à expérimenter, mais les stryganis venaient tout juste de quitter la Forêt des Ombres, et ce confinement, de jour comme de nuit, avait commencé. A plusieurs reprises, la Lahmiane avait tenté de s’esbigner de cette prison qui n’en était pas tout à fait une pour s’envoler vers les cieux, s’évertuant à trouver un endroit où elle serait certaine de ne point être dérangée. Mais dans cette clairière, une compagnie de bûcheron avait décidé de camper, dans cette grotte, des mineurs s’étaient installés, là-bas, un bourg se développait lentement mais sûrement, et des chasseurs, des marchands, et d’autres paysans arpentaient les bois et les routes. Quelques patrouilleurs ostlandais assuraient la sécurité des voiries, en toute heure, et, à plus d’une reprise, jouant d’une défortune assez prononcée et sournoise, Lucretia manqua d’être découverte. Car, ne connaissant pas la puissance de cet anneau ou le potentiel sortilège qu’il abritait, la vampire ne désirait prendre aucun risque qui aurait pu attirer l’attention sur elle comme sur le campement. Après tout, les gitans étaient réputés pour cacher en leur sein leur lot de sorcières et de thaumaturges, et mieux valait ne pas éveiller les soupçons.

Ce ne fut que lors d’une énième sortie que Lucretia parvint à trouver une profonde anfractuosité dans une petite colline, cavité recouverte d’une épaisse végétation qui retombait comme un rideau sur son entrée. Satisfaite, assez isolée pour se livrer à sa sorcellerie, elle réitéra ses opérations. Armées de gants, manipulant l’argent à grand renfort de précautions, la Lahmiane focalisait toute son attention sur la petite perle brumeuse, tâchant d’occulter de son esprit tous les tiraillements et la désagréable impression que lui occasionnait le métal. Même à travers le tissu, l’anneau paraissait incandescent, igné d’une flamme capable de lui consumer la peau. Ce n’était qu’un ressenti, certes, mais il ne cessait de s’imposer à elle, parfois de manière brutale, à violent coup de marteau, parfois de façon perfide, comme de minuscules fils invisibles qui se glissaient sous les gants, lui griffant la peau, lui remontant le long des veines du poignet. Mais, en dépit de ses efforts, aucun résultat concret ne venait égayer ses expériences. Lucretia eut alors une idée, une idée qui lui parut absurde, bête, simple, mais à laquelle le métal honni lui avait toujours empêché de songer. Refouler cette désagréable voire douloureuse sensation au fond d’elle-même, et enfiler l’anneau.

Cette pensée ne la réjouit point, mais à peine y eût-elle réfléchi que Lucretia sut que c’était la bonne solution, à condition de parvenir à garder au doigt l’anneau suffisamment longtemps pour en tirer un enseignement sur ses capacités. Déterminée, serrant les dents, elle retira ses gants, et posa le bijou sur sa paume. Elle était plus forte que ce simple amas de roches que l’on avait transformé en cercle. Elle était plus puissante que le sorcier qui avait enchanté cet objet. Elle ignorerait sans mal aucun l’indisposition engendrée par cette chose.
Elle passa la bague au doigt.

***

Mais cet isolement ne la handicapa pas uniquement lors de ses recherches aethyriques. Tandis que Lucretia s’était subitement trouvé un intérêt pour les plantes, les baumes et les onguents, cueillant çà et là différentes herbes dans la forêt pour les rapporter à Tisnep et en connaître davantage à leur sujet, voilà qu’elle se retrouva enchristée dans une routine et une réclusion qui l’empêchaient de s'instruire par elle-même. Désormais, elle ne dépendait plus que du bon vouloir de la vieille femme, laquelle l’autorisait certes à continuer son apprentissage dans sa roulotte, mais la briguait quelque peu dans son inventivité et sa curiosité. La Lahmiane avait effectivement développé un certain don pour deviner les substances les plus dangereuses sans pour autant comprendre ses propriétés, et, dès lors qu’elle s’adressait à Tsinep, celle-ci ne pouvait pas faire autrement, un sourcil interrogateur levé, que d’énumérer une longue liste d’effets négatifs. Cette herbe faisait tomber les ongles, ce champignon rendait aveugle, cette fougère endormait celui qui l’ingurgitait, lorsque cette racine, elle, produisait des tressautements dans les membres de sa victime.

Là, recluse dans la roulotte de son mentor, Lucretia n’avait pas d’autre choix que d’apprendre avec les éléments du bord ; comment faire passer la fièvre, comment confectionner un baume pour cicatriser les plaies, comment soigner les brûlures. Tout autant de recettes et d’effets qui, pour la Lahmiane, semblaient bien moins amusants. Mais elle continuait d’accumuler ces connaissances, gardant bien en tête une règle d’or ; soigner, c’était également, à plus forte ou plus faible dose, blesser.

Autrement, depuis que les deux jeunes femmes avaient chanté leur mélodie respective lors de la dernière soirée, l’on s’interrompait moins en leur présence -surtout en celle de Dokhara. Concernant Lucretia, la même ambiance, pesante et lourde, qui accompagnait chacune de ses apparitions survenait toujours lorsqu’elle montrait le bout de son nez, mais, désormais, elle disparaissait toujours tôt ou tard. En partie. Les regards l’évitaient toujours, les inclinaisons du buste ne cessaient jamais, mais au moins tolérait-on sa présence, et, parfois même, quelques-unes de ses danses. Il le fallait, afin de paraître plus humaine. Elle eût très bien pu se réfugier dans ses phases insomniaques et immobiles, demeurant stoïque, impassible et inerte, en attendant que passât le temps, mais cela déclenchait toujours une réaction apeurée chez qui la surprenait alors. Et ce comportement, elle devait se l’avouer, se révélait bien moins amusant qu’une soirée passée aux côtés de Dokhara, empêchant Chavo de l’atteindre. Le torturant, même, à sa manière. Qu’importaient, dès lors, l'attitude des khilis ?

Car Dokhara avait été plus entreprenante, ces derniers jours, et ne cherchait plus à dissimuler l’état de leur relation comme elles en avaient toutes deux décidé au début. Les gestes étaient plus francs, plus libres, leur proximité plus avérée, plus notable. Plus question de lui arracher un baiser en catimini dans la roulotte, non, cela pouvait se faire au coin du feu, après une histoire qui venait d’être contée, en guise de félicitations, ou lors d’une danse particulièrement lascive. Assurément en avait-elle, pendant ses après-midi passés à jaspiner en compagnie des stryganies, raconté beaucoup à leur sujet. Si fait, pourquoi diable s’en priver ?

La Lahmiane avait bien étudié le comportement de Chavo. Lorsqu’elle n’était pas présente physiquement, la vampire avait noté, sous forme de corneille, à quel point le jeune homme regorgeait d’inventivité pour se faire remarquer de l’ancienne baronne de Soya. Toujours là pour être à ses côtés, pour la faire sourire, pour l’inviter à danser. Mais sitôt que Lucretia apparaissait, et il s’évanouissait soudainement dans l’ombre d’un recoin, s’effaçant devant la présence assurée de l’impériale, manquant tout juste de lâcher un petit glapissement craintif. Il restait là, en retrait, sans plus savoir comment agir, dansant d’un pied sur l’autre, et les ombres projetées par les flammes se mouvaient sur ses tatouages nouvellement acquis. Ces motifs dessinés sur la peau de Chavo, par ailleurs, avaient provoqué une question muette dans le regard de Lucretia, interrogeant sa consœur. Mais celle-ci n’avait rien répondu, se contentant d’un petit sourire mi-figue mi-raisin, énigmatique, mais toutefois enjoué. Et à elle de clore cet interrogatoire silencieux par un fougueux baiser.

Aussi, Lucretia en profitait allègrement. Elle venait reprendre sa place aux côtés de son amante, et s’évaltonnait librement au rythme de la musique. Les danses se faisaient chaque fois plus osées, leurs étreintes, toujours plus intimes, tandis que les mains effleuraient les hanches, enlaçaient la taille, et que leur souffle se perdait dans le cou de l’autre. Et, toujours, la Lahmiane ne pouvait s’empêcher de jeter un petit coup d’œil amusé et railleur en direction de Chavo, le visage à moitié dissimulé derrière les mèches folles de Dokhara, tandis que ses lèvres effleuraient innocemment la carotide de cette dernière. Lucretia sentait, alors, l’abîme d’impuissance et de désespoir qui faisait naître, enfin, un début d’émotion sur le visage du jeune homme, autre que l’abattement et l’abandon. Elle y lisait la rage et le désir, l’amour et la folie ; ses poings se contractaient imperceptiblement comme ses jambes effectuaient une première avancée pour reconquérir sa belle. Et puis, sans que rien n’eût véritablement commencé, il arrêtait tout, et déglutissait lâchement, détournant les yeux. Alors, la Lahmiane étouffait un discret gloussement, et poursuivait la danse.

Lucretia avait connaissance du jeu auquel se livrait Dokhara avec le jeune homme ; elles en avaient quelque peu parlé, mais sans plus entrer dans les détails. Le fait que la jeune femme respectât sa part du marché convenait à la possessive Lahmiane. Ainsi, au rythme des soirées, celle-ci s’amusait elle aussi avec la proie de sa compagne, l’agaçant, la titillant à sa manière. Mais n’avait pas pris conscience à quel point le jeune homme était sur le point de sombrer dans la folie.

Tandis que, suite à l’une de ces scènes où elle avait dansé avec elle jusqu’à en susciter la jalousie, l’impuissance et le désir chez Chavo, Lucretia était rentrée dans sa roulotte, des éclats de voix la tirèrent de sa torpeur. Chavo, elle reconnaissait sa voix, son timbre, et, surtout, les menaces qu’il proférait. Le jeune homme lui avait tenu les mêmes lors de leur première rencontre. Quoique, non, pas tout à fait, devait reconnaître la Lahmiane ; la scène paraissait bien plus violente, les mots bien plus durs et insultants. Certaines paroles, certains propos, ravivèrent une hargne dans le cœur de la vampire. Il y avait des malédictions à ne pas prononcer. Dans les dires de Chavo se cachait la haine, ainsi que toute l’intensité nécessaire à la procréation du mal à l’état pur, un mal dirigé à l’encontre de Dokhara. Et Lucretia avait déjà été témoin de ce genre de violence que l’on avait destinée à sa consœur. Elle se remembrait l’ire qui l’avait alors agitée en découvrant l’état de la jeune femme après l’avoir sortie de son ergastule, parce qu’on avait osé désacraliser ce auquel elle tenait le plus au monde, bien que ne l’avouant pas. Et voici que, à défaut des actes en eux-mêmes, l’on promettait de les réitérer, de transformer ces sons de voix en exactions sadiques et abjectes. Voilà que Chavo jurait de détruire Dokhara.

Lucretia se tenait dès à présent tout contre la porte de sa roulotte, dague à la main, prête à surgir pour égorger le jeune homme. Et dans le même temps, elle hésitait, terriblement. Chavo n’était pas autre que la créature de Dokhara, point la sienne. Jaillir là, alors que le besoin ne s’en faisait peut-être pas sentir, risquait de compromettre les plans de la jeune femme, de lui gâcher sa satisfaction personnelle. Mais si Chavo n’appartenait pas à Lucretia, Dokhara, elle, appartenait à cette première, et il était hors de question de risquer sa future vie d’immortelle pour l’un de ses caprices, comme elle n’avait que trop coutume de s’y essayer. Oui, mieux valait ne courir aucun risque.

Mais, au moment où la Lahmiane allait s’élancer pour décoller la tête de cet imbécile, le ton de ce dernier changea du tout au tout. Passant de la haine à la supplication, il pria Dokhara de le pardonner, d’oublier ce qu’il venait de dire, de l’aimer, de le chérir à jamais. Il hurlait comme un loup un soir de pleine lune, dédiait sa détresse et sa honte au monde entier, à tel point que c’en était remarquable, agaçant, et malaisant à la fois. Mais le danger était écarté. Lorsque Dokhara ouvrit la porte, une expression béate sur son visage si juvénile, elle découvrit Lucretia, une dague à la main, qui paraissait écouter aux portes. Mais elle n’y fit guère attention ; consumée par le désir, elle se jeta sur une Lahmiane des plus rassurées et des plus satisfaites. Celle-ci, toutefois, en voulait légèrement à la jeune femme pour l’avoir fait douter, pour lui avoir réveillé ses peurs, et lui avoir exposé, de nouveau, cette faiblesse. Entre sensualité, désir, amour, et algolagnie, Lucretia le lui fit bien comprendre à l’aide de sa lame, qu’elle n’avait pas lâchée.

***

Le vent tenait plus de l’embrun que de la simple bise à mesure qu’ils progressaient vers le nord. Le sel, corrosif à sa manière, grignotait les terres, rongeant les mottes de terre, empêchant la végétation de s’y développer à loisir. La Drakwald disparaissait de plus en plus, cédant du terrain, l’abandonnant au Kislev et à son climat chargé de flocons et de brises glaciales. Les conifères et autres résineux se dressaient çà et là de chaque côté des routes de plus en plus importantes que les khilis ne cherchaient plus à éviter. La Forêt des Ombres et son confinement avaient entamé la patience de chacun, et tous n’avaient plus qu’une hâte ; parvenir, enfin, à destination. Mais c’était sans compter un nouveau fardeau, une nouvelle étape, prévue, cette fois-ci, dont durent s’occuper les stryganis.

Lucretia venait de s’éveiller aux côtés de Dokhara lorsque le bruit caractéristique de sabots de chevaux l’intrigua. Se levant, elle observa par la fenêtre les nouveaux arrivants. Ceux-là avaient tout de l’impérial, que ce fût par leurs traits, leur équipement, leurs montures, ou tout simplement par leur langue, que la Lahmiane perçut sans difficulté aucune. Des patrouilleurs ostlandais, songea la vampire.

Pourtant, quelque chose lui disait que tout n’allait pas rond, dans cette affaire. En sus du sentiment d’appréhension qui accompagnait la venue d’étrangers dans le campement, un certain climat de méfiance et de distance se sentait, du côté des gitans. Les cavaliers, quant à eux, semblaient assez enjoués, surtout ce qui sembla être leur chef ; l’air bon vivant, il rugissait, parlait avec éclat, et à la moindre de ses paroles suivait une gestuelle exagérée.

Du coin de sa fenêtre, Lucretia aperçut Shana qui se dirigeait à sa rencontre, les traits tirés, aucunement réjouie. Ils dialoguèrent tous deux un instant, et, après que l’homme eut souhaité la bienvenue, celui-ci demanda la présence de Tsinep. A ces mots, l'expression des khilis ne devint que plus sombre encore ; les regards oscillèrent, entre ennui et véritable mépris. Ils se connaissaient tous, à n’en pas douter.

La vieille femme sortit sur le parvis de sa roulotte, invitant l’homme à la rejoindre, ce qu’il fit sans hésiter. Ils disparurent à l’intérieur du véhicule. Pendant ce temps, les autres cavaliers demeurés là vaquèrent dans le campement, observant les lieux et l’équipement avec la fatuité propre de ceux évoluant en terrain conquis. Ils échangèrent plusieurs paroles les uns avec les autres, commentant les chariots, les montures, et les gitanes. A ce propos, les comportements s’altérèrent de manière presque imperceptible ; les cavaliers se firent plus entreprenants, s’approchant davantage de Tyra, glissant çà et là quelques mots égrillards. Voilà qui pouvait mal tourner à tout instant. Lucretia tourna la tête en direction de Dokhara ; celle-ci dormait toujours, à moitié enfouie dans ses couvertures.

Quittant son poste à la fenêtre, la Lahmiane entreprit de réveiller sa protégée. L’ancienne baronne de Soya remua à plusieurs reprises, bougonnant dans son sommeil, avant de véritablement ouvrir les yeux, l’air aussi fatigué qu’agacé. Cette expression contrariée passa aussitôt que la vampire lui explicita ce qui se déroulait au-dehors. Désormais un peu plus alerte, Dokhara s’habilla comme elle avait coutume de le faire depuis ces derniers jours ; elle enfila des vêtements stryganis et passe partout, puis s’approcha de la fenêtre, étudiant à son tour l’extérieur. Lucretia partageait son point de vue.

« Je suis en tout point d’accord avec vous ; mieux vaut ne pas sortir. De plus, ils semblent bien se connaître, et je me demande s’ils noteraient la présence de deux nouvelles femmes, qui plus est d’allure impériale. »

Ce qu’elle constatait dans le campement ne lui plaisait point, mais cela ne valait pas la peine d’être reconnues et de risquer leurs identités aussi bien que leurs vies si près de la frontière. Y compris en corneille.

Lucretia secoua la tête.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 18 janv. 2019, 16:57, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 54 xps
FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 13 / TIR 11 / MAG 17 / NA 4 / PV 134/140
Ma Fiche
Objets particuliers:
- * Anneau Nowelleux (+1 INI)
- Amulette (relance d'un EC: 2/3 utilisations disponibles)

Compétences acquises et Dons du Sang

COMBAT :
Attaque : Coup précis (3), Arme de prédilection ( épée à une main)
Défense : Esquive, Acrobatie de combat, Sang vif (2) (DDS), Coriace,
Autres : Régénération Impie (DDS), Innocence Perdue (DDS), Valse Macabre


MAGIE :
- Sens de la Magie
- Conscience de la Magie
- Maîtrise de l'Aethyr - niveau 3

CHARISME :
- Diplomatie
- Éloquence
- Séduction
- Intimidation
- Comédie
- Etiquette
- Intrigue de cour

INTELLIGENCE :
- Domination (DDS)
- Érudition
- Littérature
- Linguistique
- Histoire
- Administration
- Enseignement
- Connaissance végétale
- Langue étrangère : Kislévarin
- Connaissance des démons

INITIATIVE / HABILETE :
- Sang vif (DDS)
- Réflexes éclairs
- Escalade
- Monte - chevaux
- Sens Accrus
- Vision nocturne

AUTRES :
- Défi de l'Aube (DDS)
- Ame Profane (DDS)
- Forme de Familier : Corneille (DDS)
- Sang argenté (DDS)
- Alphabétisation
- Force accrue
- Chance
- Préparation des poisons

Inventaire :
- Griffe d'Ursun
- Veste de cuir & pèlerine en "voyage" / robe habillée en "réception"
- Anneau de promptitude
- Bague du tumulus
- Sacoche de chanvre
- Lettre de la comtesse
- Gemmes et pépites d'or
- Fleur de salicaire
- Glandes à venin
- Poison (?)

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Lucrétia, dans la caverne

L’argent mordit la peau de la lahmiane lorsque celle-ci le passa au doigt, brûlant sa peau et rongeant sa chair morte. Lucrétia, dont la condition de mort-vivant lui empêchait de ressentir toute douleur physique, fut subitement emportée par une vague de souffrance, comme si son âme même, noire et corrompue, était ébranlée. Mais l’Immortelle était également dotée d’une volonté surnaturelle qui lui permit de passer outre cette souffrance, et de la supporter.

Lorsque qu’elle enfila l’anneau, la matière laiteuse que contenait la pierre sertie se mit à tournoyer furieusement dans son habitacle. Lucrétia pouvait sentir le bijou vibrer, elle l’entendait presque bourdonner. Puis soudain le mouvement cessa et le brin de brume sembla s’évaporer et disparaître, laissant la pierre vide et translucide un instant. Il y eut un temps mort, suspendu, et soudain un éclair blanchâtre illumina la grotte alors qu’un hurlement strident secouait les parois de pierre. Un hurlement lointain, brouillé, venu d’outre-tombe. Un hurlement de femme.

Lucrétia se retrouva face à la silhouette fumeuse d’une banshee. Le fantôme était de cette matière presque translucide, d’un blanc aux reflets vert pâle et fluorescent, dont étaient faits les esprits des défunts auxquels Morr refusait le repos éternel. Le visage de l’apparition était changeant, comme fait de deux couches qui, tour à tour, se superposaient ou se substituaient. L’une était celle d’un cadavre desséché, les orbites vides et les joues creuses, la bouche sans lèvres ouverte en un trou béant. L’autre était celle d’une beauté brutale, au nez aquilin et aux pommettes saillantes, et dont les yeux étaient deux billes blanches courroucées. Le visage d’une princesse barbare d’un autre âge, un résidu corrompu du passé. Des dizaines de tresses flottaient autour de ce masque torturé dont le front était ceint d’une couronne de cuivre et de nacre que Lucrétia avait déjà vue quelque part. Du reste, la silhouette était vêtue de cette robe décorée de perles, à cela près que le tissu n’était plus que limbes de brouillard déchirées qui volaient autour de la banshee tandis que cette dernière flottait face à la lahmiane. Enfin, là où auraient dû se trouver les jambes de cet esprit emprisonné, un filet de matière éthéré tourbillonnait comme de la fumée et s’amincissait jusqu’à la pierre vide de l’anneau, à l’image d’une chaîne retenant l’esprit au bijou enchanté.


- « Qui qui ose ose déranger déranger Yldra Yldra tueuse tueuse du du dragon dragon et et fille fille de de roi roi » demanda la banshee en pliant le cou sous un angle improbable.

Si le cri qu’elle avait poussé en surgissant de l’anneau était suffisamment puissant pour liquéfier le cerveau d’un mortel, son murmure sonnait désormais comme un lointain écho tandis que sa mâchoire n’articulait pas en rythme et semblait s’agiter sans logique aucune.


- « Haine haine haine haine mort mort mort mort TUE LE TRAITRE. » cracha soudain le fantôme en tournoyant violemment sur elle-même pour s’immobiliser à nouveau, seulement bercée par son flottement vaporeux. « Pouvoir pouvoir … mon mon pouvoir pouvoir … Ils ils m’ont m’ont trahi trahi. Mon mon peuple peuple. Mon mon sang sang. Trahie trahie. Tuée tuée. HONTE SUR LA TRIBU. » Sa voix était creuse et dissonante, semblable à un orgue cassé. Comme les deux visages, deux voix semblaient se superposer. « Mensonges mensonges. Jalousie jalousie. Le le sang sang du DRAGON coule coule sur sur leurs leurs têtes têtes. Mensonges mensonges .. MENSONGES. VENGEANCE. Je je veux veux la la VENGEANCE. »

Ce qu’il restait de l’esprit fou de la princesse Yldra, enfermé pendant des siècles dans cette bague, tournoyait lentement sur lui-même tandis que sa tête tombait sur le côté puis se relevait pour fixer Lucrétia. Elle n’était plus que colère et amertume. Ses longs bras filandreux se dressaient lentement et ses mains crochues se tordaient comme pour étrangler l’air.

- « Donne donne moi moi la la vengeance vengeance. Donne donne moi moi les les traîtres traîtres. PEINE ET PLEURS. Le le sang sang du du dragon dragon coulera coulera à à nouveau nouveau sur sur leurs leurs TÊTES. Haine haine haine haine mort mort mort mort. JE MANGERAI LEUR ÂME. »


Au campement


Si les chevaliers ne manquèrent pas de se fendre de quelques plaisanteries graveleuses, ils en restèrent là et n’importunèrent pas plus les femmes de la caravane. Idriss leur amena une outre de mauvais vin qu’ils se passèrent en discutant tandis qu’Arçil pansait leurs montures et que Marcus se joignait à eux pour échanger, trop heureux de retrouver des impériaux après ces longues semaines en compagnie des khilis. Lorsqu’ils s’étonnèrent de sa présence parmi les gitans, le soldat sembla décontenancé un instant mais improvisa rapidement en se présentant comme un maquignon de passage venu acheter quelques bêtes. Cette réponse sembla convenir aux reîtres qui ne cherchèrent pas à en savoir plus. Ils riaient fort, visiblement à l’aise, et se moquèrent de Bubba le boiteux lorsque ce dernier passa non loin en claudiquant. C’étaient des rustres, les fils d’une petite noblesse peu illustre et qui vivaient probablement aux dépends de la maison de Rossin. Leur comportement était insultant et pourtant les khilis leur offraient l’hospitalité. Ce qui aurait pu ressembler à de la soumission n’était en réalité que l’une des expressions de l’esprit de survie des gitans, qui se devaient de ménager les puissants de ce monde pour éviter les persécutions.

Otto von Falmer émergea finalement de la roulotte, un large sourire sur son gros visage, tandis que Tsinep restait perchée sur le perron. Le noble nordlander était visiblement satisfait des prédictions de l’ancienne et s’avança vers ses gens en replaçant son épaisse pelisse de fourrure sur ses épaules.


- « Ce sera un fils, mes salauds ! Grand et fort comme son père ! » clama-t-il en écartant les bras.

Ses compagnons l’acclamèrent et ils se remirent en selle, talonnant leurs solides destriers et cavalant à grand fracas pour quitter le campement et disparaitre derrière au détour d’un bosquet. Le supplice était terminé et garantissait aux stryganis l’économie de couteux droits de péages ainsi qu’une tranquillité bienvenue. Ils se remirent en route sans tarder, prévoyant de dépasser le château de Rossin en fin de journée.

Le lendemain, Isélée et Mingrélie vinrent trouver Dokhara. Isélée n’était autre que la mère de Chavo et voir ainsi son fils torturé par un amour qu’on lui refusait lui devenait peu à peu insupportable. Elle était cependant loin de se douter de la gravité de la situation, et de la folie dans laquelle Dokhara avait fait sombrer le jeune homme. Qui plus est, ce dernier avait disparu depuis la veille. Si n’était pas rare que les hommes du clan s’absentent pour aller chasser, la disparition de Chavo, au vu de son état actuel, inquiétait sa mère. C’est ainsi qu’elle vint trouver la source de ces maux, accompagnée de sa fidèle amie.


- « T’a-t-il dit où il allait ? Il est passé dans la roulotte pour prendre ses bottes et son arc et est reparti sans un mot. » demanda-t-elle en resserrant son châle autour de ses épaules. « Il ne mange presque plus rien, il ne me parle plus, il ne dort plus ! » Elle semblait partagée entre angoisse et colère à l’égard de Dokhara.

- « Tu dois faire quelque chose, jadokari. » dit Mingrélie en passant le bras autour des épaules d’Isélée. « Les hommes méritent bien qu’on les fasse languir, mais c’est allé trop loin. Chavo se comporte parfois comme un imbécile, mais c’est un homme bon et dévoué envers les siens. Un jour la communauté aura besoin de lui, lorsqu’Idriss et les autres deviendront vieux. Si tu ne veux pas de son amour, tu dois le lui dire clairement. Choisis ce que tu veux, jadokari, tu es libre parmi nous. Mais libère Chavo. »

Alors qu’elle disait ça, l’intéressé fit irruption dans le camp, à cheval et son arc ainsi que deux lièvres attachés à sa selle. Il n’avait pas mis pied à terre que sa mère accourait déjà vers lui pour l’enguirlander.

- « Chavo ! Tu sais bien que nous n’avons pas le droit de chasser sur les terres des seigneurs d’ici ! Tu sais ce qui arrive aux braconniers, khilis de surcroit ? »
- « Apaise-toi, ma mère. » dit-il en décrochant les lièvres pour les tendre à Isélée. « J’ai croisé le chemin de Von Falmer. Il était tellement content des présages de Tsinep qu’il m’a laissé repartir sans se fâcher. Il a dit que le droit de chasser sur ses terres valait bien un fils. Je vais voir avec Karan et Idriss s’ils veulent m’accompagner pour lever quelques faisans. »

Le jeune homme s’éloigna en compagnie de sa mère visiblement rassurée, non sans jeter un regard lourd de haine en direction de Dokhara.

- « Peut-être que j’ai parlé trop vite. Ce regard me dit que vous avez déjà tiré la situation au clair. »glissa Mingrélie avec une pointe d’amusement en les suivant s’éloigner du regard. « Il est jeune et plein de fougue, et la mort d’Hedred l’a beaucoup impacté. Ca lui passera. »


Le lendemain

La routine se répétait désormais, tandis que l’arrivée prochaine à Erengrad égayait l’esprit des stryganis. Une ambiance bonne enfant régnait au sein du cercle des roulottes alors qu’on levait le camp, dressé pour la nuit dans une forêt de pin encaissée dans un vallon. La métropole kislévite n’était plus qu’à deux jours de voyage et certains avaient du mal à cacher leur excitation. La grande réunion des khilis était synonyme de fêtes et de rencontres, on y retrouvait la famille et les amis disséminés dans les autres communautés et on échangeait au sujet des dernières naissances et des mariages à venir. Chacun se préparait joyeusement au départ au moment où un évènement inattendu survint.

Une troupe de cavaliers déboula au trot sur l’arrête d’une colline proche et s’y arrêta pour, semble-t-il, examiner le campement dans la clairière en contrebas, derrière le rideau de pins et de chaos granitiques. Les stryganis les observèrent en retour, interloqués, certains subitement inquiets, comme par réflexe.

Puis les cavaliers descendirent au pas la piste qui slalomait entre les troncs décharnés. Ils étaient une vingtaine et, si l’on se fiait aux cliquètements métalliques que l’on pouvait entendre depuis le campement, en armure. Ils mirent de longues minutes à serpenter dans le sentier, pendant lesquelles les stryganis se regroupèrent dans le cercle des roulottes, se demandant de quoi il en retournait.


- « Ce n’est rien de grave. » tenta de les rassurer Shana. « Nous sommes encore sur les terres de Rossin, et sous la protection de son fils. »

C’est précisément ce dernier qui se présenta à la lisière de la clairière, arrêtant sa troupe montée à une vingtaine de mètres des roulottes. Il était engoncé dans un solide harnois de plate, sa longue cape en fourrure tombant depuis ses épaules jusqu’à la croupe de son destrier, ce dernier aussi amuré d’une plaque de chanfrein et au poitrail. Dans sa main gantée de fer, un lourd marteau de guerre, tête vers le bas. Ses nattes blondes étaient nouées dans sa nuque et son visage enfin, si goguenard deux jours auparavant, était désormais dur et fermé.

De la même manière, ses compagnons d’arme qui avaient rendu visite aux stryganis vêtus de simples pourpoints de cuir et de bas en laine, étaient venus en armure et en arme, regroupés autour de leur châtelain. Un autre individu les accompagnait, qui n’était pas présent l’avant-veille. Il était équipé d’une cotte de maille passée par-dessus une épaisse robe de prêtre grise et fendue sur l’avant pour qu’il puisse chevaucher sans problèmes. Une peau de loup lui servait de cape, et la tête de l’animal reposait sur son épaule droite. Son épaisse barbe poivre-sel lui arrivait jusqu’au sternum et son crâne était rasé de près, cerclé d’un tatouage bleu-nuit en symboles runiques. Une flamme était également tatouée sous son œil droit. Son regard bleu acier examinait attentivement le campement tandis que ses mains gantées de cuir se resserraient imperceptiblement sur les rennes de son destrier. A sa cuisse, une masse d’arme en forme de tête de loup.

Otto von Falmer pressa les flancs de sa monture qui s’avança de quelques pas lourd vers les roulottes.


- « Je sais que vous abritez deux fugitives depuis votre passage dans la Drakwald. Ce sont de dangereuses sorcières et elles sont recherchées par les autorités. Remettez les moi et vous irez en paix. » tonna-t-il tandis que les stryganis s’échangeaient des regards interloqués.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Lucretia Von Shwitzerhaüm
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 543
Profil : FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 14 / Tir 12 / NA 4 / PV 134/140
Lien fiche wiki : http://www.warforum-jdr.com/wiki-v2/dok ... itzerhauem

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Lucretia Von Shwitzerhaüm »


Retour dans la caverne.

Lorsque Lucretia passa l’anneau à l’un de ses doigts après avoir bandé sa volonté, se prémunissant contre la douleur, elle ne put malgré tout que ressentir la morsure acérée de l’argent sur sa peau. Sa phalange n’avait qu’une seule et unique envie ; être délivrée de ce carcan incandescent, être plongée dans l’eau froide. Et l’âme de la Lahmiane accusait à sa manière la même brûlure piquante qui lui grignotait petit à petit sa volonté. Mais elle tint bon, elle ne lâcha pas prise ; elle avait appris, au fur et à mesure des années, à résister à ces blessures-là, à compartimenter son esprit pour y cloisonner la douleur afin de pouvoir penser plus clair.

Au contact de ses chairs et de la Dhar qui les imprégnait, la pierre enchâssée dans le métal changea de couleur. La brume épaisse, qui flottait autrefois quiètement dans ce minuscule monde que comprenait la bulle, se mua subitement en tempête, rugissante, tumultueuse. Pour un peu, et elle eût juré que son doigt tremblait, emportant dans ses mouvements frénétiques une partie de sa main et de son bras. S’il n’y avait pas eu ce cri déchirant capable de trancher l’essence même de l’âme humaine, peut-être aurait-elle trouvé un usage sophistiqué à ce bijou, notamment en compagnie de Dokhara.

Après un premier éclair qui illumina la maigre cavité au fond de laquelle s’était réfugiée la Lahmiane pour ses sombres expérimentations, une forme apparut devant cette dernière. Une silhouette décharnée, blanchâtre, étique ; une oubliée de Morr qui errait là, entre deux mondes, et que Lucretia venait tout juste de réveiller. Une femme, à en juger par l’un des deux masques du spectre, une femme d’un temps jadis, révolu, dont les traits sévères mais augustes révélaient la marque d’une haute noblesse d’antan. Une princesse guerrière dont la couronne et la robe rappelaient bien des souvenirs à la Lahmiane ; elle avait dérobé cette coiffe dans le tombeau de ce fantôme, mais y avait laissé la vêture, trop imposante. Bien que difficilement perceptible, l’expression de son visage se déchirait de temps à autre sur un crâne desséché, aux orbites vides et aux lèvres tombées en poussière. Mais le tout renvoyait une haine nonpareille, de celle qui ancre les morts dans une tourmente infinie, les empêchant de trouver le sommeil éternel. La banshee, car s’en était une, demeurait là, attachée à jamais à cet anneau par l’ire qui couvait tout au fond d’elle et qui alimentait sa non-vie.

D’abord colérique, tentant en vain de s’extirper de sa situation, la femme se calma quelque peu, observant sa geôlière d’une étrange manière, avant de lui demander qui était-elle d’une voix susurrante. Si elle s’était elle-même présentée, en tant qu’Yldra la tueuse de Dragons, Lucretia, de son côté, se garda bien de décliner son identité à un spectre hantant le domaine mortel. Et, bien loin de s’attarder sur la réponse ou non de la Lahmiane, elle dégoisa que plus encore, ravalant difficilement sa haine que pour mieux la déverser par la suite.

La banshee avait l’élocution fastidieuse, répétant souvent les mêmes mots, butant sur des syllabes. Cherchait-elle ses phrases dans un dialecte récent qu’elle ne connaissait pas véritablement, ou bien suffoquait-elle sous l’effet de sa colère ? Quoi qu’il en fût, elle évoqua un traître de son peuple, de son sang, qui, de son temps, l’avait condamnée par jalousie. Elle réclamait vengeance, ce qui souleva naturellement une question de la part de Lucretia.

« J’entends bien ce que tu me dis, demanda-t-elle d’une voix froide, sans compassion aucune, mais pourquoi devrais-je satisfaire ta colère et ta soif de sang ? Qu’y gagnerais-je, et quels sont ces traîtres que tu cites ? Parle, et peut-être pourrais-je exaucer tes prières et t’accorder un repos éternel. »

La Lahmiane avait peut-être une ébauche d’idée sur la question, mais cela demeurait bien vague, bien flou. Dokhara lui avait raconté sa rencontre avec le crâne d’un énorme dragon alors qu’elle s’essayait à la chasse avec Chavo, et celui-ci lui avait appris que la bête avait été tuée par les anciens. Il y avait-il un lien, ou s’agissait-il d’une simple coïncidence ? Là encore, Lucretia se garda bien d’émettre le moindre commentaire, préférant que le spectre lui livre sa propre version des faits.



***



Au campement.

Ainsi, Dokhara et Lucretia ne bougèrent pas d’un pouce, préférant demeurer simples spectatrices de la scène qui se jouait devant elles. La Lahmiane se l’était presque promis ; tant que les choses ne dégénéreraient pas, elle n’interviendrait pas. Aussi, elle espéra fort, sans toutefois le montrer, que les cavaliers ne firent pas trop de zèle à l’encontre des gitanes. Il lui était difficile de trancher sur sa position ; ce n’étaient que des humains avec lesquels elle ne partageait aucune attache, si ce n’était la soumission et la crainte qu’ils lui vouaient tous. Mais, dans le même temps, la vampire se sentait à l’image de la bergère et de ses moutons. Elle veillait sur les siens, sur ses animaux, les menait en territoire sûr, dans une prairie verdoyante. Mais cela ne l’empêcherait pas, tôt ou tard, que de les emmener à l’abattoir. Mais ce jour n’était pas encore arrivé. Elle pouvait toujours avoir besoin d’eux, et c’était bien pour cette raison qu’elle avait mené ce combat contre le minotaure. Afin de pouvoir les conduire plus loin encore, afin qu’ils pussent lui être utiles plus longtemps. Et pour sauver Dokhara. Et pour confronter Chavo aux siens. Et, encore, pour juger de ses propres compétences martiales. Autant de prétextes, autant de victoires… Ou presque. A dire vrai, les justifications de Lucretia évoluaient au gré de ses envies. Il lui arrivait parfois de ne jamais vraiment savoir. Par conséquent, devait-elle trahir son identité, sa présence, si les choses en venaient à mal tourner pour ces jeunes femmes qu’elle peinait à véritablement considérer ?
Là, observant à la fenêtre les impériaux ricanant grassement, la vampire ruminait ses propres pensées.

Fort heureusement, les ostlandais décidèrent à sa place ; ils se détournèrent de Tyra pour s’intéresser à l’outre de vin qu’avait rapportée Idriss, à leur attention. Lucretia se décrispa quelque peu. Ils firent un sort à l’alcool, avant d’amener leurs montures à Arçil de manière à vérifier leurs fers et leurs tracas. Marcus, de son côté, n’était pas en reste, avait bien noté la présence de ces impériaux ; tout heureux de voir des visages amicaux, l’ancien capitaine de la garde de Bratian oublia toutes ses précautions pour fuser dans leur direction afin d’échanger quelques mots. Lucretia se tendit de nouveau ; les cavaliers semblèrent bien étonnés de trouver l’un des leurs dans un camp stryganis, et, eu égard à l’expression qu’afficha Marcus, celui-ci n’avait aucunement envisagé leurs interrogations.

Fort heureusement, là encore, la surprise s’effaça très rapidement sur les traits de Marcus, à tel point que l’on eût pu la rêver ; il se fendit d'un sourire, débita très certainement une explication banale, et ce même sourire fut par la suite repris sur les lèvres des ostlandais. Et tous se remirent à rire et à plaisanter. Lucretia relâcha la pression qui l’habitait, et poussa un petit soupir, avant de jeter un regard à Dokhara, mi-accusateur, mi-taquin.

« Si je dois bien rendre une chose aux humains, c’est la patience des mères quant à la garde de leurs enfants. Je vais devenir folle, à force de vous surveiller. »

La sortie triomphante d’un Otto tout satisfait de lui-même après que Tsinep lui eut prédit la venue prochaine d’un fils annonça la fin de la visite des étrangers en campement khilis. L’on soupira çà et là de soulagement, veillant toutefois à ne point le montrer, l’on remercia la générosité du hobereau, et, après qu’il eut disparu au détour d’un virage, l’on se hâta de reprendre la route afin de laisser le château derrière soi.

Le reste de la journée et le lendemain se déroulèrent sans incident majeur, la Lahmiane vaquant à ses occupations habituelles, retranchée dans sa roulotte. Les stryganis avaient vu en la visite d’Otto von Falmer l’ultime et dernière étape qui les séparait encore d’Erengrad. Maintenant que celle-ci était passée, ils affichaient une mine réjouie et détendue qui faisait plaisir à voir. Les sifflements égayaient le trajet et le campement, les discussions allaient bon train, les filles préparaient leurs plus beaux atours, et les hommes brossaient le poil des meilleurs chevaux. Partout, l’envie de faire bonne impression se partageait à la bonne humeur générale.

Mais, le jour d’après, cet enthousiasme déclina aussi vite qu’il était venu lorsque les gitans virent s’approcher une vingtaine de cavaliers en armure. Tous étaient en train de s’activer, à ce moment-là, mais, un à un, alors que l’on remarquait cette présence incongrue, les khilis s’arrêtèrent, levant la tête. Les sourcils se froncèrent, les mines se firent plus dures, plus inquiètes, et les premières questions résonnèrent dans le campement. Les hommes d’armes, ayant fait halte sur une colline avoisinante, profitèrent bien de ce panorama pour étudier le cercle de roulottes et ses habitants, et, bien que se sachant dûment observés, ne semblèrent pas en prendre ombrage. Puis, les cavaliers, claquant les rênes de leurs montures, se mirent au petit trop, descendant le sentier menant jusqu’aux stryganis.

Bien que Shana tentât de rassurer les siens, l’ambiance était subitement devenue tendue, lourde, et pesante. Une menace planait sur le campement, dans un sentiment renforcé par l’équipement militaire qu’arboraient ces nouveaux venus. Les cavaliers portaient des harnois de plates ou des gambisons d’acier, des fourreaux battaient aux côtés de leurs flancs, et leurs destriers eux-mêmes avaient été caparaçonnés. En comparaison, les stryganis faisaient piètre figure, vêtus de leur gilet de cuir et de leur pantalon de toile.

Otto von Falmer se présenta une nouvelle fois devant ces derniers, mais la mine satisfaite qu’il avait autrefois affichée avait disparu au profil d’une expression bien plus sévère et déterminée. Ce n’était pourtant pas cet individu qui avait capté l’attention de Lucretia, mais plutôt l’homme qui voyageait à ses côtés. Les traits peu amènes, une robe de prêtre revêtue d’une cotte de mailles, et, surtout, une peau de loup passée en travers de l’épaule. A n’en pas douter, il s’agissait là d’un prêtre d’Ulric, et la présence de ce triste sire n’augurait rien de bon. L’ayant aussitôt aperçu sur la colline, Lucretia s’en était allée trouver Dokhara.

« Un ulricain est présent avec eux, l’équivalent d’un répurgateur, mais davantage versé dans le culte du dieu loup que de Sigmar. Je mettrai ma main à couper qu’il nous recherche, bien que je ne sache pas comment il a pu nous découvrir en si peu de temps. Mais qu’importe, je préfère ne pas prendre de risque. »

Joignant le geste à la parole, la Lahmiane entraîna sa protégée derrière une roulotte, assez proche pour continuer d’épier la conversation, mais tout en restant à couvert. Bientôt, ses craintes furent confirmées ; Otto von Falmer recherchait deux sorcières, deux sorcières que les gitans abritaient. Il le savait. Lucretia croisa le regard de Dokhara.

« La situation se complique. Je ne sais pas quelle va être la réponse des khilis, mais je ne préfère pas attendre leur bon vouloir pour agir. Je vais me rapprocher quelque peu. Le templier sera à éliminer le plus tôt possible. Encore une fois, je ne sais pas ce qui va se passer, mais, au moindre bruit de combat, si les stryganis décident de nous livrer, allez vous dissimuler dans la forêt. Je ne vous abandonnerai pas une nouvelle fois entre leurs mains. »

La Lahmiane embrassa son amante, avec la force et la conviction des dernières fois possibles, puis se métamorphosa en corneille afin de se poster non loin de la troupe armée, dans les sous-bois.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 18 janv. 2019, 16:57, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 60 xps
FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 13 / TIR 11 / MAG 17 / NA 4 / PV 134/140
Ma Fiche
Objets particuliers:
- * Anneau Nowelleux (+1 INI)
- Amulette (relance d'un EC: 2/3 utilisations disponibles)

Compétences acquises et Dons du Sang

COMBAT :
Attaque : Coup précis (3), Arme de prédilection ( épée à une main)
Défense : Esquive, Acrobatie de combat, Sang vif (2) (DDS), Coriace,
Autres : Régénération Impie (DDS), Innocence Perdue (DDS), Valse Macabre


MAGIE :
- Sens de la Magie
- Conscience de la Magie
- Maîtrise de l'Aethyr - niveau 3

CHARISME :
- Diplomatie
- Éloquence
- Séduction
- Intimidation
- Comédie
- Etiquette
- Intrigue de cour

INTELLIGENCE :
- Domination (DDS)
- Érudition
- Littérature
- Linguistique
- Histoire
- Administration
- Enseignement
- Connaissance végétale
- Langue étrangère : Kislévarin
- Connaissance des démons

INITIATIVE / HABILETE :
- Sang vif (DDS)
- Réflexes éclairs
- Escalade
- Monte - chevaux
- Sens Accrus
- Vision nocturne

AUTRES :
- Défi de l'Aube (DDS)
- Ame Profane (DDS)
- Forme de Familier : Corneille (DDS)
- Sang argenté (DDS)
- Alphabétisation
- Force accrue
- Chance
- Préparation des poisons

Inventaire :
- Griffe d'Ursun
- Veste de cuir & pèlerine en "voyage" / robe habillée en "réception"
- Anneau de promptitude
- Bague du tumulus
- Sacoche de chanvre
- Lettre de la comtesse
- Gemmes et pépites d'or
- Fleur de salicaire
- Glandes à venin
- Poison (?)

Avatar du membre
Dokhara de Soya
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 217
Lien fiche wiki : http://warforum-jdr.com/wiki-v2/doku.ph ... ra_de_soya
Autres comptes : [MJ] Katarin : Susi Tristepanse Bonchardon

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Dokhara de Soya »

Alors que Lucrétia tirait Dokhara vers l'arrière du cercle de roulottes, cette dernière se garda bien de lui faire part de ses soupçons.
Des soupçons ? Non, plus que des doutes, à l'instant même où elle avait reconnu Otto Von Falmer à la tête du groupe de cavaliers, la baronne déchue avait acquis la certitude que Chavo les avait vendues. Sa mystérieuse absence de la veille, ses regards haineux, impossible d'accorder du crédit à l'hypothèse de la coïncidence.
Qu'avait-elle échoué avec lui ? Etait-ce le handicap imposé par Lucrétia, l'impossibilité d'utiliser l'acte charnel comme arme supplémentaire de manipulation, qui avait permis au strygani de créer une faille dans son jeu pervers ? Avait-elle dès le début mal cerné son sens de l'honneur, croyant à tort qu'il ne saurait rompre une dette de vie ?

Qu'importaient les raisons, elle n'avait malheureusement pas le loisir de s'en soucier pour l'instant. Désormais cachée à l'arrière d'une roulotte en compagnie de Lucrétia, en retrait de tous les gitans désormais rassemblés au centre du campement, elle entendit la troupe de cavaliers s'arrêter à quelques mètres du peuple khili pour déclarer leurs intentions. Sans surprise, elles concernaient leur capture.

Le cœur de la jeune femme s'emballait, la peur s'insinuant dans son esprit, ses mains rejoignant immédiatement le pommeau de ses deux armes à sa ceinture. Elle avait déjà vécu cette situation, le surnombre des autorités, l'absence de voie de sortie, l'obligation de se rendre. Elle se revit, un sac sur la tête, trébucher à répétition sur les pavés de Talabheim, molestée par ses geôliers, pleurer dans sa cellule souterraine, hurler son désespoir. Elle ne pouvait pas revivre ça, pas encore, pas maintenant.
Pas alors que le Kislev était si proche.

Comme ressentant sa détresse, Lucrétia posa sa main sur son bras, l'enjoignant à se calmer tandis qu'elle lui expliquait avec calme son plan. La vampire ne paniquait pas, elle restait parfaitement maitresse d'elle-même malgré le danger de la situation.

Eliminer le templier.

Le contact de son amante, écouter sa voix dénuée de doutes, l'entendre promettre qu'elle ne l'abandonnera pas. Sans utiliser aucune magie, Lucrétia parvint pourtant à rasséréner Dokhara. La lahmiane était là, elle la protègerait, elle la sauverait, comme toujours. Il n'y avait nulle crainte à avoir.
Libérée de ses tourments, remettant sa vie dans les mains de la femme qu'elle aimait, les verrous empêchant Dokhara de réfléchir sautèrent les uns après les autres et le fil de ses pensées bondit d'une idée à l'autre à toute vitesse pour trouver une solution à situation si désespérée.

Otto Von Falmer.
Femme enceinte, fier d'être bientôt père.
Exonère les gitans de taxes contre de la voyance.
Croyance en l'occulte, superstition.

Eliminer le templier.

Lucrétia avait raison. Il était la protection divine de leur troupe. L'envoyé des dieux. S'il meurt, c'est Ulric en personne qui ne les soutient plus. C'est une faille dans les croyances superstitieuses du châtelain. Une brèche dans laquelle on peut s'engouffrer.

- Tuez le templier. Je m'occupe du reste, comme avec Oswald.

Elles s'embrassèrent passionnément, sachant que ce pouvait être leur dernier baiser.
Dokhara hésita même à choisir cet instant pour lui avouer ses sentiments. Si elle devait mourir, alors elle voulait que Lucrétia sache, qu'elle l'entende.
Mais elle s'y refusa. Elle ne laisserait pas les évènements dicter ses émotions. Elle ne se comporterait pas comme si elle s'apprêtait à mourir, car elle choisissait de rejeter l'existence de cette possibilité.

Puis Lucrétia se transforma en corneille et s'envola.

Dokhara quant à elle ne prit même pas le temps d'accompagner du regard le vol de sa compagne. Elle se saisit immédiatement de sa dague, et sans le moindre doute ni peur, se taillada dans le sens de la longueur l'intérieur du bras tatoué, celui qu'elle laissait dénudé pour compléter son déguisement de strygani.

Elle souriait entre ses dents serrées. La douleur était agréable.

Le sang coulait abondamment le long de son bras, s'accumulant dans sa paume pour ensuite dégouliner sur le sol. Elle fit glisser sa main sur son visage, utilisant ses doigts recouverts d'hémoglobine pour laisser d'horribles trainées sur son front, ses yeux, son nez et sa bouche. Puis, couteau en main, elle entreprit de taillader davantage son bras, cette fois-ci bien plus superficiellement : si le premier coup était destiné à perdre assez de sang pour impressionner son futur auditoire, les suivants n'avaient pour objectifs que de graver dans sa peau des symboles ésotériques chaotiques, inspirés de sa culture slaaneshie. Non pas qu'elle cherchait à invoquer le Corrupteur, mais plutôt à le faire croire...

La suite... tout dépendrait des stryganis. S'ils acceptaient la requête des impériaux et ne s'interposaient pas, alors Lucrétia tuerait le prêtre, et Dokhara jouerait sa partition de sorcière. Et s'ils refusaient... si un combat devait se déclencher entre les deux groupes...

Dokhara préféra rejeter cette possibilité. Elle préférait ne pas penser aux nouveaux morts que cette éventualité provoquerait, et pour lesquels elle ne pourrait nier sa culpabilité. Non, les stryganis la trahiraient pour sauver leur peuple, c'était une certitude, et elle ne pourrait compter que sur Lucrétia et elle-même.

C'est avec cette certitude que coupure après coupure, elle grava d'obscurs symboles à même la chair de son bras tatoué, se concentrant dans son art pour créer une œuvre aussi terrifiante que possible.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 18 janv. 2019, 16:59, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 60 xps
Dokhara de Soya, Voie de la Belle Mort, Beauté mortelle

Profil : For 11 | End 11 | Hab 14 | Cha 17 | Int 12 | Ini 13 | Att 12 | Par 11(13) | Tir 10 | Mag 11 | NA 2 | PV 110/110

Compétences :
- Sociales : Diplomatie, Éloquence, Empathie, Étiquette, Séduction
- Artistiques : Chant, Danse, Musique (violon), Tatouage
- Intellectuelles : Alphabétisation, Langue étrangère (kislévarin, strygani)
- Martiales : Ambidextrie, Bagarre, Fuite, Monte, Parade, Résistance accrue (spécialisation alcool), Sang-froid
- Divers : Sens Accrus
- Dons Du Sang : Regard Hypnotique, Régénération Impie
Compétences en cours d'apprentissage :
Escamotage : 1/2
Adresse au tir (arbalètes) : 2/3
Équipement :
Armement :
- Griffe d'Ursun : 18+1d8 dégâts ; 12(24) parade. Rapide. Chaque attaque réussie qui résulte en une perte de points de vie pour l’adversaire inflige -1 Att/Hab/Par le tour suivant. Si trois touches sont infligées au même tour, les malus durent alors 2 tours et infligent un malus supplémentaire de -1 Na. Les malus cumulés ne peuvent pas excéder -4 Att, Hab et Par et -1 Na.
- Main gauche : 8+1d6 dégâts ; 8(16) parade ; Rapide. +2 PAR si utilisée en conjonction avec une autre arme. Lors d'une parade, c'est le score de parade de l'arme en main droite qui compte pour le premier jet, celle de la main gauche pour le second jet si relance.
- Poignard : 12+1d6 dégâts ; 6(12) parade ; Rapide. Peut être utilisé comme arme de jet
- Arbalète : 34+1d8 dégâts : Malus de -2 TIR tous les 30 mètres ; Perforante (4) : Un tir par NA maximum.

Armure :
- Veste et jambières en cuir : 5 de protection partout sauf tête
- Tunique noire druchiie : 2 de protection sur tout le corps
- Cape de dissimulation, permet de devenir invisible si immobile (v. wiki)

Équipement de voyage (fontes de selle, pas systématiquement porté) :
- Sellerie splendide
- Nécessaire de tatoueuse
- Violon
- Arc courbe + flèches des anciennes
- Lame en or marin
- Huile d'amande
- Surplus de drogues, poisons, ingrédients (Dodo a 2 de chaque sur elle, pas plus)


Awards \o/
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur PJ - Élaboration
Dream Team 2018 et 2019 avec Lucretia Von Shwitzerhaüm
Miss Vieux Monde 2019 et 2020

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Lucrétia, dans la caverne

Le buste vaporeux de la banshee tourna lentement sur lui-même sans que sa tête ne bouge et ses doigts crochus s’allongeaient et se rétrécissaient avec un mouvement cyclique, comme une respiration.

- « Trahie trahie … Trahie trahie … TRAHIE. Par par mes mes propres propres frères frères … Peur peur ils ils avaient avaient … J’allais j’allais devenir devenir la la reine reine. SORCIERE ils ils ont ont crié crié quand quand ils ils ont ont arraché arraché mon mon cœur cœur. »

Le visage aux deux faces superposées étira la mâchoire à s’en décrocher tandis qu’un trou d’air se formait dans la matière laiteuse du fantôme, au niveau de sa poitrine.

- « Liée liée au au porteur porteur de de l’anneau anneau je je suis suis. Porte porte moi moi devant devant mes frères frères, et et YLDRA TUEUSE DE DRAGON dévorera dévorera leurs leurs âmes âmes ! »







► Afficher le texte

Alors que Dokhara était occupée à se mutiler à dessein, dissimulée derrière l’une des roulottes, Lucrétia en forme de corneille alla se percher sur la branche d’un pin non loin des chevaliers. La lahmiane bénéficiait dès lors d’une vue imprenable sur les dos des vingt cavaliers en armure lourde, leurs destriers au sabot pesant, leurs lances droites, leurs masses d’arme et leurs épée et, face à eux, les khilis abasourdis au sein desquels les discussions commençaient à monter.
Mais un mouvement attira le regard de la corneille, plus loin sur l’orée de la clairière. Elle repéra sans mal, un, deux puis plusieurs hommes progresser lentement à travers les fourrés, et qui portaient le noir et blanc de l’uniforme ostlander. Ils étaient armés d’arbalètes, de lances et d’épées, et s’approchaient de la lisière en profitant du couvert des taillis pour masquer leur présence aux stryganis regroupés en contrebas. Certains semblaient déjà en position, plaqués seuls ou par paires derrière un amas de rocher moussu, un tronc épais ou une souche vermoulue. Lucrétia pouvait désormais en décompter une trentaine éparpillés ainsi sur la gauche et la droite du groupe de cavaliers, formant un cordon de part et d’autre de la clairière. Mais il y en avait peut-être plus encore, hors du champ de vision de la corneille, ce qui signifiait que le campement était possiblement encerclé. Et si cette hypothèse était vraie … alors Dokhara, cachée derrière une roulotte, était en ligne de mire directe d’un ou plusieurs soldats embusqués.

Contrairement à Lucrétia, les stryganis n’avaient pas un tel point de vue sur le piège qui se refermait peu à peu sur eux. La réclamation d’Otto von Falmer sonna comme un coup de tonnerre parmi eux. Idriss fut le premier à s’avancer.


- « Vous vous méprenez, noble seigneur. Il n’y a ici que nous et nos chevaux. Vous avez ma parole. » dit-il, le menton haut et les mains accrochées aux pans de son bolero bleu.

- « Je me demande bien ce que vaut la parole d’un gitan, dans ce cas. » rétorqua le noble impérial d’un ton sévère. « Car c’est bien l’un des tiens qui m’a juré l’inverse. »

A ces mots, et sous les regards les plus incrédules, ce fut Chavo qui s’avança. Ses traits frémissaient de colère et ses mains tremblaient alors qu’il se désolidarisait de l’attroupement des khilis.

- « Dis moi où elles se cachent et tu auras ta récompense. » lança Otto.
- « Je n’ai que faire de votre or. » lui rétorqua le jeune homme sans voiler son mépris, avant de pointer le doigt vers la roulotte que Lucrétia occupait depuis son avènement. « Celle-là »

Isélée poussa un sanglot et se précipita vers son fils, lui attrapant la tête entre les mains tout en tournant le visage vers Otto, larmoyante.

- « Ne l’écoutez pas, noble sire. Sa fièvre n’est toujours pas retombée, il est souffrant depuis une semaine maintenant. »

Chavo lui saisit les poignets et la repoussa.

- « Mama ! Tu sais que c’est la seule chose à faire. Elles ne nous apporterons que malheur ! Ce ne sont pas des khilis ! »

Cette fois c’est Shana et [Chézardvané] qui montèrent au créneau.

- « Chavo, tu délires ! Tu dois te reposer ! »

Le jeune homme s’indignait et se débattait face aux femmes qui feignaient de vouloir son bien, et même Idriss s’approcha pour essayer de le prendre fermement par les épaules et l’attirer sans contrainte visible vers les caravanes. Le reste de la communauté était sur le qui-vive, restant figé face à la scène qui se déroulait là.

Otto von Falmer et le prêtre d’Ulric échangèrent un regard, puis le noble ostlander fit tourner son index dans l’air et les chevaliers firent faire volte face à leurs destriers pour s’éloigner d’un trot lourd.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Lucretia Von Shwitzerhaüm
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Warfo Award 2018 du meilleur PJ - Élaboration
Messages : 543
Profil : FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 14 / Tir 12 / NA 4 / PV 134/140
Lien fiche wiki : http://www.warforum-jdr.com/wiki-v2/dok ... itzerhauem

Re: [Lucrétia et Dokhara] Une vie de gitan

Message par Lucretia Von Shwitzerhaüm »

Lucretia non plus ne regarda pas en arrière alors même qu’elle se transformait, mais Dokhara et elle se partageaient les mêmes pensées, les mêmes craintes. Elle n’avait que trop en tête cette vision qui l’avait emplie de haine lorsqu’elle avait découvert la condition de la jeune femme, au sortir de sa geôle. Elle se remembrait que trop l’immanité qui avait manqué de saper toute sa volonté, tout son contrôle, pour se déchaîner sans visée précise sur les soldats et les répurgateurs de Talabheim. Il s’agissait là de sentiments, d’émotions, que la Lahmiane ne voulait pas revivre. Pour elle, pour son intégrité, son image, sa perte de maîtrise. Et pour Dokhara, pour sa dignité, pour sa joyeuseté, pour son air faussement ingénu, pour toutes ces choses qui avaient manqué de lui être arrachées ce jour-là.

Aussi avait-elle juré de ne pas la laisser de nouveau tomber entre les mains des répurgateurs, de ne pas l’abandonner une nouvelle fois, de les laisser la séparer d’elle comme autrefois. Et pour les en empêcher, Lucretia était prête à les abattre un par un, à les affronter tous autant qu’ils étaient. Combien étaient-ils ; une vingtaine, autour d’Otto ? Voilà un combat qui s’annonçait prometteur. La Lahmiane n’était, en réalité, pas certaine de tous pouvoir les achever, mais elle se savait en mesure, à tout le moins, de faire assez pleuvoir la mort pour qu’ils finissent par s’enfuir sans qu’elle-même n’en paye trop le prix. Mais lorsqu’elle parvint à se percher en haut d’une cime afin d’observer le paysage tout en ne loupant pas une miette de la conversation qui se faisait en contrebas, elle commença à en douter.

Alors que toute l’attention était focalisée sur les cavaliers qui venaient de s’arrêter en bordure du campement, clamant leur raison d’être présents céans même, bien d’autres fourbes personnages se glissaient sous les sous-bois, sous la frondaison des arbres distants. Ils progressaient avec la furtivité coupable de ceux qui ne souhaitent pas être vus qui ne désirent pas être pris, à grand renfort de précautions et de silhouettes courbées. Une trentaine d’hommes supplémentaires, armés pour la guerre. Il s’agissait ni plus ni moins que d’un piège fomenté depuis bien longtemps déjà. Les règles avaient été écrites et dictées avant même qu’Otto n'eût convenu d’aller parler aux stryganis ; ces derniers seraient exécutés, peu importait leur prise de décision, peu importait qu’ils livrassent ou non les deux sorcières que recherchaient activement les impériaux. Voilà où ils en étaient ; le monde se plaindrait-il d’une vingtaine de gitans en moins ? Et pendant ce temps-là, la communauté des khilis demeurait là, ignorant la mort qui les attendait très certainement.

La discussion s’avéra toutefois des plus intéressantes, et pour cause, Idris jura qu’Otto et les siens se trompaient. Qu’il agît par dévotion, par peur, ou par conviction, rien n’y changeait ; il savait être droit dans ses bottes, et regardait avec franchise l’homme à qui il mentait. Lucretia n’aurait pas cru, à dire vrai, que les stryganis la défendissent de la sorte, risquant les leurs pour elle. Ou peut-être le faisaient-ils simplement pour Dokhara ? Quoi qu’il en fût, l’esbroufe eût très bien pu fonctionner s’il n’y avait pas eu Chavo. Car qui d’autre que lui aurait pu divulguer ces informations à des impériaux ?

La société khilis venait tout juste de se scinder en deux ; d’un côté se tenaient les cavaliers, bientôt rejoints par Chavo, et, de l’autre, le restant des gitans. Ceux-là, voyant la manœuvre de leur fils, s’exclamèrent d’incompréhension, et protestèrent. Le jeune homme ne pensait pas clair, la maladie et la fièvre ravageaient encore son esprit troublé. Mais ces simagrées n’étaient pas du goût d’Otto, qui ne les crut point. D’une voix suffisante, mais néanmoins claire, il ordonna à ce que le traître lui montrât l’endroit où se dissimulaient les sorcières. Et Chavo lui indiqua la roulotte de Lucretia.

Ce qu’exprimèrent par la suite les gitans n’avait plus aucune importance. Otto et le templier d’Ulric venaient d’obtenir tout ce qu’ils voulaient savoir ; cela se vit dans le regard qu’ils échangèrent l’un avec l’autre. Idris, Shana, Chézardvané ou encore Isélée pouvaient bien se récrier tout leur saoul, le mal venait d’être fait. Et avec cette acuité surnaturelle qui était l’apanage des vampires, Lucretia vit, avant qu’il ne le fît véritablement, Otto lever sa main. Il allait donner l’ordre de fondre sur la roulotte, il allait enjoindre ses troupes cachées çà et là autour du campement à massacrer les stryganis pour débusquer les deux personnes qui lui tenaient vraiment à cœur, bien que pour de sombres raisons.

Le plan s’avérerait probablement plus compliqué que prévu à réaliser, surtout dans la tourmente que pouvaient provoquer cinquante soldats sur le point de charger des hommes et des femmes sans défense. La stratégie organisée par Dokhara pouvait tomber à l’eau, ou même manquer d’être vue, si elle la commençait trop tard. Il fallait quelque chose d’impactant qui les arrêterait tous, l’espace d’un instant, les faisant hésiter. L’ulricain était la personne toute désignée pour heurter les esprits, et c’était justement celle qu’il fallait mettre hors d’état de nuire le plus vite possible.

La corneille plongea vers le sol, se transformant avant même d’avoir touché le sol, et, sitôt qu’elle fut descendue, l’esprit tentaculaire d’une Lucretia désormais « humaine » fusa au plus profond d’elle-même, rassemblant toute la Dhar dont elle était capable. Sous le couvert des arbres, à demi cachée derrière un tronc, la Lahmiane distinguait très clairement sa cible qui, de son côté, avait eu son attention si focalisée sur la roulotte et les stryganis qu’elle ne l’avait pas remarquée. Pas encore.

Il venait en réalité de faire demi-tour, et sa troupe de cavaliers avec lui. La vampire hésita l’espace d’un instant ; cela signifiait-il qu’ils abandonnaient ? Non, définitivement pas ; la présence des soldats entourant le campement, qui progressaient en catimini, justifiait assez de leur mauvaise foi, de leur plan. Alors, Lucretia relâcha toute la magie que sa volonté avait accumulée et transformée, et la dirigea tout droit sur le prêtre d’Ulric.

Esprit d'Os sur le prêtre d’Ulric.
Compétence chance si jamais un gros souci survient.
Et mes deux points de Maîtrise de l’Aethyr sont utilisés pour augmenter de + 10 les dégâts du sort, si réussi.
Oh, et si j'en ai le temps, alors j'en lance un deuxième sous réserve que l'ulricain ne soit pas complètement hors de combat.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 18 janv. 2019, 16:58, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 66 xps
FOR 16 / END 14 / HAB 17 / CHAR 18 / INT 17 / INI 19* / ATT 17 / PAR 13 / TIR 11 / MAG 17 / NA 4 / PV 134/140
Ma Fiche
Objets particuliers:
- * Anneau Nowelleux (+1 INI)
- Amulette (relance d'un EC: 2/3 utilisations disponibles)

Compétences acquises et Dons du Sang

COMBAT :
Attaque : Coup précis (3), Arme de prédilection ( épée à une main)
Défense : Esquive, Acrobatie de combat, Sang vif (2) (DDS), Coriace,
Autres : Régénération Impie (DDS), Innocence Perdue (DDS), Valse Macabre


MAGIE :
- Sens de la Magie
- Conscience de la Magie
- Maîtrise de l'Aethyr - niveau 3

CHARISME :
- Diplomatie
- Éloquence
- Séduction
- Intimidation
- Comédie
- Etiquette
- Intrigue de cour

INTELLIGENCE :
- Domination (DDS)
- Érudition
- Littérature
- Linguistique
- Histoire
- Administration
- Enseignement
- Connaissance végétale
- Langue étrangère : Kislévarin
- Connaissance des démons

INITIATIVE / HABILETE :
- Sang vif (DDS)
- Réflexes éclairs
- Escalade
- Monte - chevaux
- Sens Accrus
- Vision nocturne

AUTRES :
- Défi de l'Aube (DDS)
- Ame Profane (DDS)
- Forme de Familier : Corneille (DDS)
- Sang argenté (DDS)
- Alphabétisation
- Force accrue
- Chance
- Préparation des poisons

Inventaire :
- Griffe d'Ursun
- Veste de cuir & pèlerine en "voyage" / robe habillée en "réception"
- Anneau de promptitude
- Bague du tumulus
- Sacoche de chanvre
- Lettre de la comtesse
- Gemmes et pépites d'or
- Fleur de salicaire
- Glandes à venin
- Poison (?)

Répondre

Retourner vers « Talabecland »