Rédigé par Reinhard Faul, Assistant MJ
Frère Norka observa le départ précipité de Robin avec un petit sourire narquois, son collègue Altenbach retourna tout de suite à sa conversation et Sœur Solz continua de manger sa soupe de la façon la plus répugnante possible. Engelmann, quant à lui, n’accorda pas un regard au jeune homme. Sa présence, son absence, ou même la conversation des gens assis près de lui, rien ne semblait l’impacter. Ses yeux étaient fixés sur le mur en face de lui.
Il y avait bien une personne qui s’intéressait aux états d’âme de Robin, c’était Herr Walten. Il adressa un jovial « on se voit tout à l’heure ! » aux prêtres désagréables et marcha aussi vite que son âge et son embonpoint le permettaient afin de rattraper Robin. Il rejoignit celui-ci en sortant de l’auberge. Par rapport à la chaleur et la luminosité de l’établissement, l’extérieur semblait glacé et hostile. Les gens s’étaient rassemblé un peu plus loin, ils se trouvaient tous les deux seuls. Se méprenant sur l’origine du malaise du jeune homme, il tenta de le rassurer :
« Oh mon pauvre garçon, ils ont été bien rudes avec toi ! Ils sont… tu es… enfin ce sont de bons prêtres, bien sûr, mais… attends, arrête de marcher deux secondes. Tu as de grandes jambes ! »
Le vieil homme semblait extrêmement embarrassé. Il réfléchissait à quelque chose qui lui déplaisait, de toute évidence. Il lissa sa barbe abondante d’un geste mécanique de la main, puis tenta d’expliquer :
« Les prêtres que je viens de te présenter, contrairement à Frère Moritz, ne sont pas nés dans la région. Aucun d’entre eux. Comme l’abbaye du Val-au-Cerf est… arf, t’es drôlement jeune pour qu’on ait cette conversation. Je vois que tu es brave, mais je vais te demander d’être… un peu cynique ? Si tu permets. »
Herr Walten passa les pouces dans sa ceinture et gonfla sa poitrine, ce qui aurait été impressionnant si le vieil homme ne faisait pas un mètre soixante.
« Le Val-au-Cerf rapporte de l’argent au culte. Certains dons au moment des noces de l’ancien Seigneur (ou celui d’avant, ‘sais plus), des morts qui ont tout donné dans leur testament… enfin je ne sais pas comment cette situation est arrivée, mais on en est là. Ces messieur-dames que tu as vu, ils ont été choisis parce qu’ils ont fait des bonnes études, qu’ils connaissent les bonnes personnes et qu’ils ont l’habitude de voir des gros chiffres. Toi, je suis au regret de te le dire, tu n’es pas dans ce cas. Tu crois que personne ici n’avait de gamin à envoyer à l’abbaye ? Certes, il y en a qui ont foutu le camp à Streissen, mais ceux qui restent ne louperaient pas une opportunité pareille. Y en a qui essaient de prendre la voie longue, de devenir frère convers… ça marche jamais. Ils ont installé ce système quand…? Laisse-moi réfléchir. »
Le bourgmestre sortit une poche de tabac à chiquer et s’en déchira un petit morceau qu’il se glissa sous la lèvre, l’air songeur. Ça expliquait la couleur de ses dents.
« C’était à l’époque de mon grand-père ou de mon arrière grand-père. Dans le temps, les prêtres, c’était pas des rigolos. Ils auraient pas approché un livre sauf si c’était pour se torcher avec les pages. Mais maintenant ils font des grands bâtiments modernes, et ils proposent aux jeunes de venir bosser dans leurs champs et leurs verges pour leur bien-être spirituel… pfff. »
Il faisait noir, Robin ne pouvait pas voir ce qu’il se passait mais il entendit Herr Walten cracher un glaire plein de tabac avec une vigueur surprenante. Puis il poursuivit :
« Moi je n’ai pas besoin de toutes ces technologies modernes pour savoir si un marché est juste. Il paraît qu’ils ont des machines à compter de nos jours. Un boulier, que ça s’appelle. Pfffff, quelle bêtise. Moi je peux savoir si deux tas d’or sont égaux juste en les regardant. Et là ça me semble pas très juste. Enfin… ce que je voulais te dire, afin que tu saches bien où tu mets les pieds… »
Il posa une main compatissante sur le biceps (l’épaule était trop haute) du jeune homme et poursuivit :
« Pour ces gars-là, tu es extrêmement remplaçable. C’est bien de développer son esprit critique et sa curiosité, mais je te conseillerai d’y passer un petit coup de brosse à reluire aussi. »

