Quelques temps plus tôt, à la fameuse bataille de Middenheim, la Tempête du Chaos, menée par l'infâme Archaon, avait été stoppée par la bravoure et la détermination de trois races unies: Humains, Elfes et Nains. Cette défaite, déjà bien amère pour les hordes des Dieux Sombres, ne tarda à se transformer en débâcle; car dans leur fuite éperdue, des milliers d'hommes-bêtes comme de sombres guerriers trouvèrent la mort, pourchassés sans répit et massacrés sans pitié par les Forces de l'Ordre.
Des innombrables bannières qui avaient suivies le soi-disant Élu des Dieux, il ne reste désormais que des lambeaux; des bandes éparses de fuyards, plus ou moins désorganisées, réduites à se cacher dans les forêts de l'Empire, dans les Monts du Milieu, voire même jusqu'au Pays des Trolls, pour échapper à la vindicte des nations du Vieux Monde.
Toutefois, même en constatant ces faits, il serait trompeur et hâtif de dire que le Chaos a été vaincu.
Certes, les impériaux et leurs alliés ont gagné une bataille; mais ils sont très loin d'avoir gagné la guerre.
Certes, l'Ennemi Extérieur est vaincu; mais l'Ennemi Intérieur est encore là; affaibli mais toujours présent, dans les bois sinistres qui recouvrent l'Empire, à guetter et traquer l'Humanité, et ce bien avant la Tempête du Chaos.
Il nous serait impossible de nous concentrer sur l'entièreté des Hommes-Bêtes, tout comme il serait impossible de retracer toute leur histoire, leurs hardes, leurs faits et gestes.
Ainsi, afin de ne pas nous perdre dans la multitude de ces masses difformes, bestiales, et de toute façon insaisissables, nous ne nous attarderons que sur le récit d'un seul d'entre eux; un seul sabot fourchu, dont nous essayerons de conter la vie et l'ascension, ou la déchéance et la mort.
Son nom est Virakon Brise-Lance, et ceci est son histoire....
Sous les sombres frondaisons de la Drakwald, dans une auberge dévastée, sur un tas de cadavres sanguinolents: voilà justement où Virakon se réveilla, assez tard dans la journée, et sous l'emprise d'une gueule de bois. Alors qu'un silence de plomb trônait dans la pièce décrépite où il se trouvait, son esprit animal était encore embrumé par l'alcool, et la grande orgie de la veille; il lui fallut ainsi plusieurs secondes pour ouvrir ses yeux, sentir sa gueule pâteuse, et reprendre pleinement conscience.
Il fallait dire que l'assaut de cette taverne fortifiée leur avait apporté beaucoup de bière, et une grande beuverie. Il fallait dire aussi que Virakon n'était pas le seul dans cet état-là. Dés qu'il put se relever sur ses sabots fendus, le Brise-Lance put constater que beaucoup de ses congénères étaient encore étendus sur le plancher, ivres morts, complètement défoncés, leurs gueules animales à moitié souillées par le vomi.
Il n'y avait aucune torche pour éclairer ce lieu, que lui et ses comparses avaient de toute façon saccagés la veille. La pénombre recouvrait ainsi cet endroit; pourtant, les yeux globuleux de Virakon ne tardèrent pas à s'y habituer, et il put alors voir la pagaille monstrueuse qui régnait dans la pièce.
Ici, il apercevait des trainées de sang, qui tapissaient quasiment tout le sol, et une bonne partie des murs; là, il pouvait voir des membres humains déchirés, des débris de tonneaux fracassés, de planches arrachées, et d'armes fendues en deux, qui jonchaient maintenant le plancher. Les fenêtres, les rideaux, leur encadrement, leur vitres: tout avait été arraché, puis brisé en mille morceaux qui gisaient désormais au sol; il n'en restait plus que des trous béants, creusés à travers les murs défoncés de l'auberge.
Le pire, c'était qu'au milieu de tout ce capharnaüm, le gor avait réussi à perdre sa hache; en effet, le sabot fourchu constata, au moment de son réveil, qu'elle n'était plus sur lui, ni à côté des morts, sur lesquels il s'était effondré la veille.
Cependant, cette situation ne dura pas longtemps, notamment lorsque le Brise-Lance se rendit compte qu'il avait laissé son arme sur la dépouille livide d'un soldat impérial, que sa hache avait très grossièrement égorgé, et dont la bouche, désormais grande ouverte, avait été bourrée d'excréments....
Se saisissant de son arme, au tranchant dégoulinant de sang, Virakon put dés lors entendre un lointain crépitement, et sentir une effluve parvenir à ses nasaux. Oui, c'est cela, une odeur....une odeur de roussi, comme si on était en train de brûler quelque chose....juste en-dessous de lui....
Maintenant qu'il le remarque, le Brise-Lance sent également que le plancher sous ses sabots est en train de se réchauffer; de la fumée grise commence même à émaner entre les planches de bois.
C'est alors qu'il aperçoit un escalier, à l'angle de cette pièce obscurcie, qui semble descendre vers quelque part, et par lequel s'échappe de la lumière, mais aussi de la fumée. Il ne faut pas longtemps à Virakon pour comprendre qu'il se trouve à l'étage, et non au rez-de-chaussée de cette auberge malmenée.
Le gor finit par descendre, empruntant cet escalier branlant, aux marches craquantes sous ses sabots. Il arrive dés lors dans la salle principale de la taverne, et l'atmosphère devient d'un coup très enfumée, voir presque irrespirable.
Que dire? Par où commencer? C'était une dévastation presque indescriptible; une dévastation que seuls les hommes-bêtes étaient capables de perpétrer. Devant lui se trouvait désormais une parodie, bestiale et chaotique, de l'auberge que sa harde avait attaquée hier soir.
Au beau milieu de toute cette fumée, la première chose qui attira l'attention de Virakon fut un grand feu de joie, qui brûlait, comme ça, au centre de la pièce, sans quoi que ce soit pour le retenir.
Il était visiblement alimenté par toutes sortes de choses: des rondaches et des hampes en bois; des tissus souillés et miteux; des chaises, des tables, des meubles fracassés en plusieurs morceaux....D'un coup, le gor aperçoit aussi plusieurs cadavres d'humains, que l'on avait jetés négligemment à l'intérieur de ce brasier, quelques bras ou pieds blafards arrivant même à dépasser hors des flammes de ce bûcher; l'horreur pouvait encore se lire sur les visages brûlés de ces défunts, tandis que leurs chairs étaient en train de fondre, calcinées comme du charbon, et que leurs vêtements partaient doucement en fumée.
Ici encore plus qu'en haut, le sol était jonché par des détritus répugnants; des décombres du mobilier, ou de la charpente; des peaux de bêtes puantes et servant de litières; d'autres hommes-bêtes ivres morts, ou en train de se relever péniblement; des dépouilles d'impériaux, que l'on avait projeté contre les murs, puis décapité et mutilé....
Se déplacer ici sans heurter une de ces choses relevait de l'exploit, tant elles encombraient le passage, recouvrant même toute une partie du rez-de-chaussée.
Les murs, là encore, n'étaient pas en reste. Tout ce que les humains ont pu accrocher - étagères, boucliers, trophées de chasse, les sabots fourchus l'ont violemment arraché, puis l'ont broyé au sol avec leurs sabots.
Le brasier au centre de la salle avait un au moins un mérite: celui de mettre en lumière les étoiles du Chaos et autres symboles profanatoires, qui parsemaient maintenant les murs, gribouillés très grossièrement à l'aide de sang, de boue et d'excréments.
Le sabot fourchu remarqua d'ailleurs que le feu était très bien partit, tellement en fait qu'il menaçait d'embraser toute la salle; ses flammes léchaient déjà le plafond, commençant même à le noircir et à le craqueler; ce n'était qu'une question de temps avant que l'étage ne s'effondre.
Il semblerait que ceux qui ont eu la grande intelligence d'allumer ce feu ici n'avaient pas vraiment le choix; la cheminée en pierre de l'auberge ayant été démolie hier soir, à grands coups de beuglements, de cornes et de marteaux de guerre.
Tiens, voilà justement qu'entre deux panaches de fumée, Virakon aperçoit des sans-cornes. Déjà bien réveillée, toute une petite bande d'ungors se trouvait assise devant ce grand bûcher. Avec leurs torses bulbeux, leurs peaux rougeâtres et velues, leurs yeux jaunes emplis de malice, et leurs excroissances osseuses qui couronnaient leurs fronts, ces créatures ne semblaient pas se soucier du brasier qui brûlait là, littéralement sous leurs yeux; après tout, peut-être que c'étaient elles qui l'avaient allumé.
Le Brise-Lance remarque alors que ces ungors sont regroupés autour de deux cadavres d'humains, entièrement dénudés; le sabot fourchu ne tarde pas à voir que ses congénères sont en train de les dépecer, petit à petit, à l'aide de hachettes primitives. Alors qu'il est en train de regarder ces sans-cornes à l'œuvre, le gor les voit arracher, lentement et d'un air maniaque, de longs lambeaux de chair, qu'ils finissent par jeter sur le côté, avant de couper des morceaux de muscles ou de gras, qu'ils calent ensuite tout prés du feu.
D'un coup, plusieurs bêlements retentissent dans le dos de Virakon.
Se retournant pour voir ce qu'il se passe, le Brise-Lance peut voir à travers l'entrée de l'auberge - ou plutôt la faille béante qui sert désormais d'entrée, que le chef et le shaman de la harde sont à l'extérieur de cette taverne, dans l'ancienne cour, visiblement en train d'avoir une "discussion".
Ils n'étaient pas tous seuls d'ailleurs, plusieurs gors et bestigors difformes les entouraient, silencieux, certains agenouillés au sol, d'autres non; dans tous les cas, tout ce petit monde semblait avoir ses yeux rivés par terre, comme s'il fixait quelque chose.
"EH! TOI QUOI FOUTRE?!"
La voix d'un des ungors se manifesta soudainement dans la salle; cependant, fort heureusement pour ce dernier, il ne s'adressait pas à Virakon, mais à un autre de ses semblables se trouvant à côté de lui, tout prés du grand brasier crépitant. Le Brise-Lance put alors voir que ce sans-cornes regardait de travers l'un de ses congénères, qui tenait d'ailleurs, entre ses doigts crochus, un morceau de nerfs cuits à point:
"CHAIR À MOI! reprit l'ungor, menaçant, retroussant ses nasaux, montrant ses crocs à celui qui venait de prendre le bout de nerfs, CHAIR À MOI!!
-NON! CHAIR À MOI! PAS TOI!! cracha l'autre sans-cornes, sa main se refermant d'un coup sur sa hachette.
Qu'allait donc faire le Brise-Lance? Aller vers ces ungors turbulents? Se diriger vers l'extérieur pour voir ce qu'il se passe avec le chef et le shaman? Ou alors peut-être qu'il veut faire une dernière chose dans cette auberge défoncée, avant qu'elle ne s'écroule dans les flammes....