- "Morr... envoie une vierge..."
Malgré sa faiblesse de corps et son air de plus en plus absent, ses phalanges rougirent, gonflèrent sous la pression, comme s'il tentait un effort pour s'accrocher non pas à un miracle ou à quelqu'un, mais à sa destinée. Oui, c'était évident à présent. Klosel le prostré, Klosel le gêné, Klosel l'effacé, s'était une fois de plus jeté à la seule chose que l'on ne pouvait lui prendre : sa destinée. Peut-être n'avait-il pas voulu la prononcer de vive voix - car un tel acte était un affront colossal aux yeux du Vieux Père - ou peut-être était-ce là son dernier geste, son dernier aveu après avoir tant lutté contre Sigmar-sait-quel problème qui le gênait tant depuis le départ de la capitale. Ainsi, ce valet, ce serviteur si oubliable, rendait grâce une dernière fois, il donnait du souffle une dernière fois. Alors Klosel relâcha ses mains, passa ses paumes sur son visage, et ne dit plus un mot durant son dernier salut.
Ces gestes mis bout à bout ne durèrent qu'un instant, une seconde tout au plus, et même si Tétradie avait déjà réagi au quart de tour, elle n'aurait rien pu faire de plus. En effet, le relâchement du valet révéla plusieurs tâches sinueuses sur/sous ses vêtements, semblables à des sillons de vin sur les fourrures et le crin.
- "Ilsa, va chercher l'monsieur d'la chambre deux ! Ilsa, regarde pas !
- Le monsieur est déjà là, aubergiste. Qu'est-ce que c'est que tout ce boucan ?"
La deuxième voix était plus forte que la première, mais aussi plus lointaine. D'un mouvement de tête, tout le monde devina qu'elle venait de l'étage, là où étaient les chambres privées et les quartiers du tenancier.
- "Eh bien ... Euh...
- Quelqu'un est mort.
- Mort ? Ecartez-vous, tous ! Et que personne ne touche au corps !"
Il y eut un grognement à la fin de cette phrase, qui sonna comme une promesse - ou plutôt une menace. L'homme, visiblement mal luné ou mal réveillé, arborait une tignasse noire et une moustache incurvée du même acabit, un gilet de cuir bleu nuit ainsi qu'une paire de bottes de cavalerie. L'épée à sa ceinture balança dans tous les sens alors qu'il claqua la porte d'une des chambres - la sienne, sans doute-, puis il se dirigea au pas vers le rez-de-chaussée.
Durant sa descente, tout le monde s'écarta du défunt valet, laissant ainsi la place libre à Tétradie - qu'elle souhaite se relever ou faire autre chose. Ensuite, le moustachu dévisagea tous les visages de l'auberge - gardant au moins un oeil vissé en direction du corps - avant d'enfin s'approcher du cadavre. Contrairement aux autres convives, il s'arrêta à deux pas du défunt, et ne prit même pas le luxe de s'accroupir pour l'observer de près.
- "Depuis quand est-il là ? Qui a fait cela ?"
Les regards se perdirent dans l'assemblée, et le tenancier ne put répondre, trop occupé à calmer ses filles et sa femme.
- "T'es qui d'abord, monsieur ?" fit l'ainé des cochers, tordant son visage dans une grimace dubitative.
- "Ulf Lodderson, patroll-feldwebel aux ordres du baron de Middenland. Et toi, cocher, qui es-tu ?"
- Euh Egidius, monsieur. Juste Egidius, des Quat'Saisons."
La moue du vieil homme tourna à la surprise, avant de se raidir à nouveau.
- "Eh bien, Egidius, où as-tu trouvé ce corps ?
- Ici-même, monsieur. Enfin, on l'a trouvé. Il est revenu d'lui-même, avant de... de calancher ici-même.
- Hm, je vois."
Il posa une main sur le pommeau de sa lame, avant de reprendre :
- "Et vous, jeune fille - jeune femme -, qu'avez vous fait ? Vous le connaissiez ?"
Si elle ne l'avait pas déjà fait, il l'aida à se relever avec son autre main avant de la laisser s'expliquer. Ensuite, alors qu'il ne faisait pas vraiment chaud dans l'auberge, le sergent essuya son front trempé de sueur. Du coin de l'oeil, Tétradie vit l'aubergiste raccompagner ses filles à l'étage, tandis que l'autre moustachu fronçait les sourcils en silence. Après une bonne minute, il ouvrit enfin la bouche.
- " Attendez tous, qu'était-il parti faire dehors par...
- HIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !"
Un cri de panique retentit dans l'auberge. Comme la dernière fois, Ursula leva une main, mais cette fois elle pointa la porte ouverte à l'étage.
La porte où l'aubergiste avait ramené ses filles.