Les réactions face à aux révélations du Loup Blanc à la table furent diverses, mais toutes partageaient cependant un point commun, qui était sans doute le plus important d’ailleurs. Pour autant que Geralt puisse en juger, il n’y avait rien d’étonnant à ce que chacun réagisse à sa manière bien spécifique dans le groupuscule, car, il avait pu le remarquer en dépit du peu de temps qu’il avait partagé avec eux à l’échelle d’une vie humaine, chacun avait son caractère bien trempé, et sa personnalité propre. Qui plus était, les motivations qui poussaient les uns et les autres à la suivre n’étaient absolument pas les mêmes.Test d’INT (perception) : 6. Réussite.
Pour Klaus et les marchands, il s’était agi d’une simple opportunité, de partager leurs ressources et mettre en commun leurs forces sur une communauté de route, qui avait pris fin à leur destination, Middenheim. Pour Edrik, c’était la contrainte et l’autorité des adultes qui l’avaient obligé à suivre les pas de son protecteur, malgré sa mauvaise volonté évidente. Pour Tsaqra, il y avait sans doute quelque chose de plus, mais elle avait choisi de faire confiance en Geralt, et de placer sa foi en lui au point de s’interdire de le suivre.
Quant à ses compagnons actuels, leurs motivations pouvaient lui paraître évidentes. Nathalie Jeansigner était là pour honorer un contrat de protection qui avait été placé sur sa tête, elle faisait son travail de mercenaire. Gertrud Teizer avait été sauvée par lui, et s’estimait redevable envers lui, elle désirait lui payer sa dette, en lui rendant la pareille si elle en avait l’occasion. Barbe Enflammée, pour lui, comme ceux de sa race qui avaient prêté le serment des tueurs, ne recherchait de toute façon plus qu’une mort digne, les armes à la main dans un combat épique.
Le nain fut d’ailleurs peut-être celui qui fut le moins impressionné par ses révélations. Un vieux briscard comme lui avait dû voir tellement de choses au cours de sa longue vie que très peu d’humains auraient pu en dire autant. Aussi ne broncha-t-il pas, acceptant sans même sourciller toutes les révélations du Loup Blanc. Mais, preuve que ce que disait Geralt semblait digne d’intérêt à ses yeux, pour une fois, il resta silencieux. Ses yeux fixaient ceux du Loup Blanc avec pendant une demi-seconde, et pour la première fois dans son regard depuis que Geralt le connaissait, une pointe de respect, de déférence et presque même d’envie. Mais cela ne dura qu’une fraction de secondes avant qu’il ne se replonge dans sa chope et ne continue à manger, ou plutôt se goinfrer, comme si de rien n’était. Visiblement, il n’était pas pressé de parler et d’exprimer ce qu’il pensait.
A l’inverse, Nathalie, la benjamine du groupe, se montra ostensiblement la plus curieuse. Cela allait bien au delà du simple professionnalisme, non, elle semblait réellement vouloir en apprendre plus sur celui qu’elle avait pour tâche de protéger. Elle parut aussi de loin la plus affectée par les révélations du chasseur de vampires et n’arrêtait pas de passer d’un état à un autre. D’abord, une certaine compassion blasée lorsqu’il s’excusa, un demi-sourire sur le visage, car passer la nuit dehors sous la pluie n’avait quand même pas dû être très agréable, surtout alors qu’elle avait loué une chambre d’hôtel, mais, pas rancunière, elle ne lui en voulait pas, un sourire en coin.
-Bah, c’est rien, on a tous parfois des moments comme ça… Mais à l’avenir, ne nous refaites plus ça s’il vous plaît.
Puis, la curiosité, l’excitation, lorsqu’il annonça avoir quelque chose à dire, mais elle ne parla pas, suspendues aux lèvres de Geralt, sentant bien qu’il s’apprêtait à dire quelque chose d’important et qu’elle ne devait pas l’interrompre. Sa curiosité céda bientôt la place à la stupeur lorsqu’elle entendit parler de vampires. Sa première réaction sembla fut de jeter un regard interrogateur à tous, comme pour vérifier qu’elle avait bien entendu. Puis vint le déni, qu’elle exprima en hochant la tête de droite à gauche en exprimant son scepticisme. Cette attitude d’incrédulité dura tout au long du récit, jusqu’à ce qu’il annonce qu’il continuerait.
Là, ce fut Gertrud qui intervint la première. Tout au long des révélations, elle était restée impassible, de marbre, et on aurait pu dire quelle fut sa réaction intérieure. Un rictus d’agacement, très fugace, n’échappa pas toutefois à la perspicacité du chasseur de vampires, mais étrangement, pas lorsqu’il parla d’elle, mais plutôt légèrement avant et après, plus précisément lorsqu’il abordait le sujet des vampires. Au contraire, ses yeux brillèrent lorsqu’il lui avoua qu’il avait hésité à l’abandonner, d’une lueur malicieuse, presque triomphale, mais encore une fois, cela fut très court, et l’expression d’un visage, le temps d’un regard, était à la fois difficile à interpréter et pas forcément significative. Toujours est-il qu’elle resta la majeure partie du temps neutre, faisant preuve d’une rare maîtrise d’elle-même, et ne parût à aucun moment surprise ou effrayée.
Nathalie, mal à l’aise et visiblement convaincue, pâlit, elle était visiblement rongée par la peur, maintenant, et pendant quelques instants fixa ses pieds, puis, elle releva la tête et planta ses magnifiques yeux verts dans ceux du Loup Blanc, en affirmant avec détermination avec son accent chantant bretonnien si séduisant :
-Quand j’étais petite, j’avais déjà peur de ces histoires que ma mère me racontait pour m’effrayer, et pourtant, je n’avais pas peur de grand-chose, j’étais plutôt intrépide. Elle n’y croyait pas, bien sûr, et moi non plus…
Je suis mercenaire, je n’ai pas peur de mourir, ni de tuer, je l’ai déjà fait de nombreuses fois. Mais si ce que l’on raconte est vrai, alors c’est bien pire que ma vie qui est en jeu, c’est mon… Mon… Enfin bref… Ca, désolé, mais je ne le risquerai pas, même pour tout l’or du monde, ni pour les beaux yeux du Roi Louen en personne, ou de votre Empereur.
Il est hors de question que je prenne un tel risque pour un contrat… En revanche, pour un ami. Geralt, je ne vous connais pas bien, mais déjà plus que quiconque depuis bien longtemps. Et puis, la personne qui m’a donné ce contrat tenait à vous. Je ne la trahirais pas non plus. Je reste, quoi qu’il m’en coûte. Mais je l’avoue, je suis morte de peur.
Presque tout le monde avait fini de manger, maintenant. Le pèlerin de l’autre table s’était déjà levé et venait de quitter l’auberge, reprenant sa longue et pieuse route. Quant à celle qui était bien la fille de l’aubergiste, elle était partie se coucher, remplacée par son père qui reprenait son service le matin. La salle commune se remplissait à vue d’œil, tandis que le soleil montait dans le ciel. Il était temps de partir, s’ils voulaient rejoindre tranquillement Holzbeck, ville située exactement à la frontière du Hochland. Ils quitteraient alors la province du Middeland, pour un temps indéterminé, laissant derrière eux Tsaqra, Edrik, Klaus et les autres, fonçant droit vers l’aventure et le danger, dans ce qui était bien une passionnante et mortelle course contre la montre.