[Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

L’Empereur Karl Franz siège à Altdorf, capitale impériale depuis. Altdorf est un carrefour du savoir et son université est l’institution académique la plus respectée de tout l’Empire. Là, les seigneurs et les princes de nombreux pays viennent s’asseoir aux pieds des plus grands penseurs du Vieux Monde. Altdorf est aussi le centre du savoir magique et ses huit collèges de magie sont fort justement réputés bien au-delà du Vieux Monde. Altdorf est une ville affairée, avec un nombre important d’étrangers, de commerçants et d’aventuriers. La cour impériale elle-même engendre une activité économique florissante, qui attire toutes sortes de gens.

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[MJ] La Fée Enchanteresse
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[Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

« Vos répurgateurs m’ont taxé de fou. Mais la science n’a pas encore tranché sur la question de savoir si la folie n’était pas la plus sublime des intelligences. Que tout ce qui est glorieux, ou profond, ne provient pas d’une maladie de l’esprit ; de ces humeurs de l’âme exhalées aux dépens de l’intellect général. »


– Edgar Allan Pohl, magistère condamné pour être un fidèle de la Cabale.





Le chemin le plus rapide pour atteindre le manoir, c’est la porte ouest. Altdorf n’est pas comme presque toutes les villes de l’Empire — c’est une cité. Une cité si immense, si vaste, si essentielle, que même en pleine nuit, elle est grande ouverte.
Passant devant les statues de griffons qui ornent ce large accès, quatre cavaliers trottent à bonnes foulées, pour escorter une voiture à attelage de deux roncins. Les montures hennissent, remuent leurs encolures, alors que ce menu convoi quitte la cité pour s’enfoncer dans les faubourgs, dans les petits villages construits aux alentours, ces logis de paysans qui nourrissent les urbains, ou ces humbles pêcheurs qui dorment dans des cabanons bâtis le long du Reik.

Il leur faut un moment pour quitter Altdorf. Deux heures à cheval, avec leur vitesse ; ça leur aurait pris au moins une bonne demi-journée à pied. Ils s’éloignent suffisamment de la ville pour délaisser les plaines, et ces champs bien actifs avec les journées plus longues du printemps — les arbres fruitiers commencent en effet tout juste à bourgeonner. Des paysans travaillent encore à cette heure-là : les propriétaires terriens les plus riches ordonnent qu’on allume et nourrisse des feux, de crainte que le gel de cette soirée un peu fraîche ne tue les fleurs qui serviront à faire pousser les pommes et les poires, si nécessaires au bon cidre Reiklander.
Le décor change. Maintenant, on revoit des arbres. De beaux sapins et des chênes alignés, droits, entretenus, rationalisés — rien à voir avec les grandes forêts où sont nés les peuples de l’Empire. Ici n’est pas le Talabecland. Ici n’est même pas la Reikwald. Ce sont des pousses humaines, destinées à fournir le bois des arbalètes, des maisons et des navires. Ce n’est pas la main de Taal qui a fait naître tout ce domaine, mais des signatures de princes de la famille Holswig-Schliestein, qui depuis un siècle sont constamment élus Empereurs de père en fils — ils vont fêter leur centenaire cette année. Comme Marienburg fêtera le centenaire de son indépendance.

Le convoi se perd dans la nuit. Le ciel est bien éclairé, car c’est un soir de pleine lune : Mannslieb est haute et scintillante, et comme il y a peu de nuage, ce sont des milliers de constellations qui tapissent la voûte céleste. Nul doute que les mages d’Azyr, le collège Bleu, imposent à leurs apprentis une nuit blanche le temps d’enregistrer de savants calculs de trajectoires. Les quatre cavaliers qui escortent en avant la voiture craignent pourtant quelque chose, peut-être un accident, car ils ont tous allumé une petite lanterne à huile qu’ils ont accroché aux fontes de leurs selles ; on dirait quatre petites lucioles fort bruyantes, car les sabots des canassons martyrisent la grande route entretenue, vieille artère monarchique qui doit mener en théorie jusqu’au Westerland — ce qui était le Westerland, avant son insurrection.

Au bout d’un moment, les cavaliers quittent la grande route bien large et bien lisse, maintenue en état pour être parcourue par d’immenses armées en marche et des foules de marchands, pour s’engager dans un chemin beaucoup plus étroit. Ils bifurquent une ultime fois, à droite, et maintenant, ils sont obligés de passer en file indienne et ralentir, la voiture aux deux chevaux devant bien manœuvrer son engagement ; le cocher se fait assister par un deuxième comparse, qui soulève lui aussi une cinquième lanterne au-dessus de la route, des fois qu’une roue risquerait de s’enfoncer dans un fossé.
On peut bien vivre ici. En hauteur. Juste assez proche d’Altdorf pour avoir tout le confort de la plus belle ville de l’Empire, juste assez loin pour ne pas avoir à subir le bruit, la pollution et le nombre de ses habitants. Ce ne sont que des riches ou des puissants, bien souvent les deux, qui peuvent se permettre de construire ici.
Et il y a effectivement un manoir, au bout du sentier.

Il est entouré d’une enceinte grillagée. Les deux barrières de l’entrée ne sont pas verrouillées. Alors que le convoi s’arrête, l’un des cavaliers met le pied à terre et va les pousser toutes deux en entier — elles grincent, on en a pas graissé les gonds depuis fort longtemps. Le reste des chevaux, et la carriole, suivent.
Autrefois, il y avait un très grand jardin — il est totalement délabré. Les arbres n’ont pas été élagués et menacent à présent de percer les murs de l'habitation. La pelouse n’a pas été raccourcie, la serre où il y a quelques arbres fruitiers a des vitres cassées, le cabanon avec les outils de jardinage a son bois qui pourrit. Cela doit faire de véritables années qu’aucun entretien n’a été accordé au terrain. Il y a du lierre sur les dalles du chemin qui mène jusqu’à la porte du bâtiment, et de la mousse sur les murs en pierre.

Les quatre chevaux sont répartis dans la cour. Les quatre cavaliers sont tous descendus de leurs selles, et les voilà qui se disséminent un peu dans le jardin.
Ils sont très bien armés.
Sous leurs grands manteaux de voyage, ils cachent des brigandines matelassées, de longs poignards de qualité, et surtout, une paire de pistolets rangés dans leurs étuis. Ce n’est pas n’importe qui qui peut s’acheter le service de soldats équipés comme des reîtres.
Pourtant, la porte de la voiture s’ouvre. Et malgré son haut statut, il n’attend aucun page ou serviteur pour l’aider à descendre. Une silhouette vêtue d’une robe pose son talon sur le marche-pied, et foule le chemin. L’un des cavaliers s’approche, pour lui ordonner de remonter dans la sécurité de la carriole, mais rien n’y fait : l’homme à la robe lui fait un signe de main, et, d’une voix rauque avec un léger écho, il le rabroue.

« Je serai bref. Laissez vos hommes ici. »

Le cavalier grimace. Avec force de politesse, et malgré son ton sec de sergent, il tente de faire entendre raison à son employeur.

« Pardonnez-moi, monseigneur, mais on va faire le tour du bâtiment, s’assurer que tout soit sécurisé ; nous ne serons pas longs.
– Je vous assure que ce n’est pas nécessaire.
– C’est le protocole, monseigneur. C’est pour votre-
– Je vous défends de me faire répéter. »

Le cavalier aux pistolets se tait. Il hésite. Si quelque chose se produisait, il serait tenu pour responsable.
Mais il est difficile de résister ainsi à un ordre direct. Alors, après quelques instants de réflexion, il décide de céder. Il siffle, fait un signe de main, et alors les trois escorteurs avec lui cessent leurs mouvements, et demeurent dans l’entrée du manoir, sans mener la moindre ronde.
L’homme à la robe se tourne. Il attrape un petit paquet dans sa voiture, qu’il cache sous son bras. Il ferme la porte en la faisant claquer, et, d’un pas assuré, il se dirige tout droit vers la porte d’entrée.

Avec son assurance, on dirait presque qu’il est attendu ici. Qu’il est invité. Et pourtant, tout le manoir ressemble dangereusement à une maison abandonnée. Les fenêtres sont sales. Beaucoup de volets à l’étage sont clos, et depuis fort longtemps. Il y a un petit trou dans le grenier, et un nid de pigeons s’est installé sur une des alcôves supérieures.
L’homme à la robe s’approche tout droit. Il s’arrête à la porte, et il voit à sa gauche une petite clochette — le cuivre n’a pas été entretenu, alors elle est devenue toute verte, tandis que la corde semble avoir pourri à cause de l’humidité. Il trouve plus prudent de fermer son poing et de toquer.

Il attend.

Le manoir a tout d’un lieu abandonné. Et pourtant, il sait que quelqu’un va ouvrir.

Il entend du bruit. Un bond contre la porte. La poignée qui se tire. Et, très lentement, la porte s’entrebâille. Alors, l’homme en robe la pousse un peu, et se risque à jeter un œil à l’intérieur. Il découvre seulement en regardant au sol celui qui lui a ouvert.
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Un tout petit automate de métal s’est jeté sur une commode, avant de sauter sur la poignée. Il est pas plus grand que la cheville de l’homme en robe. Vêtu d’une minuscule redingote taillée presque sur-mesure, bien qu’un peu trop large, le voilà qui met la pince au petit couvercle au-dessus d’un pot d’échappement qui crachote ; il le soulève pour saluer l’invité, dévoilant ainsi un mécanisme de rouets et de vis égal à celui d’une montre.
Le petit automate se tourne alors, et, comme pour indiquer le chemin au nouveau venu, marche tout lentement le long du couloir.

L’homme à la robe entre, et ferme derrière lui. Il peut découvrir l’intérieur du manoir.

Il est infect.

Devant un escalier, il y a des toiles d’araignées. Beaucoup de fleurs fanées en pot. Au plafond, en passant devant une vieille antichambre, il découvre une grosse trace de moisissure. Il y a des crottes de pigeon le long de murs effrités. Du papier et des livres renversés par terre. Un capharnaüm immense. Personne de sain ne peut vivre là-dedans.
Pourtant, il découvre un petit panier dans la salle-à-manger. Il y a, sur une table, des œufs frais, et du pain coupé, avec beaucoup d’assiettes sales qui sont empilées les unes sur les autres. L’homme à la robe s’approche du panier, et il découvre, avec un certain étonnement, un journal qui date d’hier seulement.

Aubentag 24. Nachexen 2529


L’ALTDORF SPIELER
Des Nouvelles Impérieuses Pour Les Vrais Impériaux


L’EMPIRE HURLE : UN EMPEREUR, UN DIEU, UN THÉOGONISTE !
DES DÉLÉGUÉS DE L’ANTI-THÉOGONISTE JOHANNES ESMER SERONT REÇUS CETTE SEMAINE EN SECRET À ALTDORF !


Lorsque le Dieu-Empereur Sigmar a uni notre Nation, son cri était fort simple : Nous sommes un Peuple, unis derrière un seul Empereur, formant un seul et unique gouvernement. Aucun érudit sérieux de l’Empire n’osera contester notre analyse ; les grands malheurs de notre histoire n’ont pu se produire que lorsque la désunion était encouragée, et les plus grandes merveilles n’ont pu être bâties que lorsque nous étions réunis.

Depuis sept ans maintenant, deux prêtres se réclament tous les deux de la sainte-office de Grand Théogoniste ; L’un est aussi illustre que légitime, car il vit à Altdorf, et il s’appelle Volkmar. C’est un héros du Déluge, où il souffrit le martyr comme les plus braves qui ont forgé notre sanglant passé. L’autre s’appelle Esmer, et il se cache comme un paria à Marienburg, la cité insurgée du Pays Perdu. Planqué comme un rat dans un manoir offert par le Directoire du soi-disant Jutonesryk, vivant d’une rente payée par leur diète municipale, l’Anti-Théogoniste proclame depuis la sécurité de garnisons de soldatesques Tiléennes qu’il demeure pourtant le digne possesseur de la dignité sacro-sainte de notre Empire.

La réponse officielle de Sa Majesté Karl Franz a toujours été la plus évidente : Ignorer cet ambitieux trop poltron pour venir défendre ses droits en terre d’Empire ! Mais nos enquêteurs au sein du Culte de Sigmar donnent une toute autre version de cette fermeté affichée publiquement.

« Il est évident que Volkmar ne s’est pas fait que des amis en reprenant possession du bâton de Helsturm », nous a confié une source secrète au plus près du Saint-Conclave. « Esmer a toujours de nombreux soutiens, et ses tentatives de réforme de l’Église étaient une raison pour laquelle il avait été élu en premier lieu. Tant que Volkmar refuse de s'adresser à ces désirs de changements, il y aura toujours des prêtres pour voir en Esmer une alternative — même parmi les Lecteurs du Culte. »

Selon l’un de nos journalistes infiltré à la cour, le plus impensable se produirait cette semaine même : des délégués envoyés par Johannes Esmer devraient être reçus dans le plus grand des secrets par Jan Todbringer, camérier du Grand Théogoniste ! Jan Todbringer serait chargé d’assurer un accord avec Esmer, qui amènerait à la levée de son excommunication en échange de réformes qui devraient être proposées à la prochaine réunion du Conclave — Parmi les nombreuses demandes, une importance accrue devrait être donnée aux Lecteurs dans la gestion de la religion, une surveillance plus poussée des Collèges de Magie, et surtout, une systématisation de la dîme dans toutes les provinces de l’Empire.

Telle réforme n’a jamais pu être mise en place à cause de l’hostilité des provinces du Nordland et du Middenland. Mais Jan Todbringer lui-même, pourtant un enfant de Middenheim, est un fidèle Sigmarite qui […]


L’homme à la robe entend un bruit venir de l’autre pièce. Il cesse de scruter la page qu’il était en train de relire.
C’est Hanna qui a amené le journal, les œufs et le pain. C'est aussi elle qui a préparé la soupe. Elle vient, quelques fois. Elle change les bougies. Amène de quoi se sustenter. Fait un peu de ménage — mais dans une bâtisse aussi immense, la tâche est trop colossale pour une jeune fille toute seule. Elle s’assure qu’il y a bien quelqu’un qui puisse survivre ici, plus que vivre. Elle le fait par devoir. C’est, après tout, la maison dans laquelle elle a grandi. Sa mère était une gouvernante ici.
Autrefois, elle était amoureuse d’un jeune homme. Le premier garçon qu’elle a embrassé.
Et le garçon n’est plus là.

L’homme à la robe entre dans le salon. Et il est transporté dans un autre temps. Ici, il y a des fleurs qui sont encore en vie — des jonquilles sur un rebord de fenêtre. Il y a un grand tableau, sur le mur — un tableau qui représente une belle femme à la mine sévère, en costume noir fort sinistre. Il y a des canapés, qui sont usés, mais pas totalement moisis. Il y a des livres, qui remplissent une bibliothèque à ras-bord ; des imprimés et des manuscrits. Les livres sont précieux. De tels volumes feraient le bonheur de clercs de Véréna, qui aimeraient bien s’en emparer pour les compiler. Rien que les ouvrages doivent valoir beaucoup d’argent. Mais il y a aussi des meubles. Des chaises qui perdent leur vernis, des bijoux dans des coffrets — moins qu’avant, beaucoup ont été vendus ou donnés en gage, pour éponger toutes sortes de dettes.
Et puis, le petit automate s’approche d’un beau fauteuil rembourré. Il fait des bruits de pistons, et exécute une petite révérence devant la personne qui se trouve dessus.

L’homme à la robe a un mouvement de recul.
La propriétaire du manoir est assoupie. Mais elle n’est pas morte. Beaucoup le souhaiteraient. Peut-être lui-même. Ça lui rendrait toute cette tâche plus facile.
Mais non. Elle bat des cils. Se relève. Elle est tirée d’un rêve. Met un moment à comprendre ce qui se passe. Elle s’est endormie à cause de son laudanum. Elle est ensuquée, mais au moins, l’opium lui permet de dormir doucement en paix.

Elle n’avait invité personne.
Elle est aussi terrifiée que l’homme devant lui, qui vient juste d’entrer. Qui est-ce ? Un cambrioleur ? Un rapace d’Altdorfer, fils d’Estalien, qui est venu ici arracher un collier à une vieille dame sans défense ?!
Elle ne se détend qu’en découvrant la silhouette qui se dresse dans l’ombre complète. Il n’y a plus aucune bougie, plus aucun chandelier ; pour se garder du froid, elle s’est vêtue d’une épaisse couverture en laine, parce que dans la cheminée, les bûches sont en train de mourir. L’homme n’est visible qu’à la lueur de la Lune Grise.
Mais elle reconnaît cet intrus. N’importe qui à Altdorf le reconnaîtrait. N’importe qui sur le continent, devinerait de qui il s’agit.

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Cet homme, c’est Balthasar Gelt.
Cet homme, c’est le Patriarche du Collège Doré. Peut-être le plus grand alchimiste de l’Histoire depuis Théodor Habermas, le mage qui forgea les Pierres de Pouvoir. Et c’est aussi le Patriarche Suprême, le magicien le plus puissant et le plus important de l’Empire. Tout ce qui est ésotérique, arcanique, immatériel, doit relever de son for et de son ban.

Ce garçon, elle l’a connu quand il était un jeune adulte. Un bellâtre au teint mat, trop bronzé par rapport à tous les autres Impériaux. Trop talentueux, aussi, c’était peut-être ce qui l’énervait le plus. Il ne prenait jamais ses études au sérieux, alors, elle avait tenté de le briser. Personne n’avait jamais mis de mention « Defectum » au moindre travail de Gelt, personne ne l’avait jamais puni parce qu’il avait été en retard de cinquante secondes à un cours, l’obligeant à récurer des tubes à essais comme retenue — personne, sauf elle.

« Bonsoir, maîtresse. »

Maîtresse. Personne ne l’appelait plus comme ça. Personne. Ses « collègues », ils lui lançaient tous un froid « sœur magistère ». Hanna, elle s’obstinait à la nommer « madame ». L’imbécile qui venait chercher le laudanum qu’elle confectionnait en échange de quelques pièces d’argent, il la raillait d’un « mamie ».
Mais maîtresse, ça, ça devait faire tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas entendu.

Le mage le plus puissant de toute la Nation se tenait là. Soudainement. Dans son salon. Sans avertissement. Sans annoncer sa venue. Tout seul. Avec juste un étrange objet sous le bras.

Sans même attendre une parole de sa part, il posa ce colis sur la table-basse où se trouvait du biscuit, un trognon de pomme, et une tasse avec du reste de thé au fond. Il s’approcha de l’âtre de la cheminée, tendit l'index, et lança un simple sortilège primaire. Avec un tison, il agita des étincelles. Il faisait tout ça silencieusement, juste le temps qu’Isabelle se réveille. Reprenne un peu de constance. Un peu de sa prestance.

Il y avait enfin du feu. On pouvait enfin voir plus loin qu’un mètre. Et bientôt, il ferait sans doute très chaud. Alors, Gelt rangea le tison, et lia ses mains dans son dos.

« Il faut que nous parlions. »

Il avait une voix grave. Métallique. La faute à son masque. Son masque qu’il n’enlevait jamais. Accident, tout le monde disait. Mais Isabelle, elle, elle était au collège, lors de cet événement. Une expérience secrète. Une mauvaise gestion des éléments. Peut-être n’avait-il pas assez récuré ses instruments, comme elle l’avait pourtant forcé encore, et encore à le faire… Et puis, d’un coup, une explosion. Les fenêtres de son bureau qui volent en morceaux. Des bris de glace dans la cour. Tout le monde qui s'agite. Breitenbach est la première à ouvrir la porte pour aller le secourir.
Gelt était un beau garçon, plein de charme. Mais quand elle était entrée en courant dans son étude, elle avait vu une mare de sang teintée de violet. Et son ancien apprenti qui convulsait au sol, en hurlant de cris aigus, les mains se tenant le visage.
Il était en train de fondre.

« Vous avez à manger ? Je vous prépare du thé ? »

Jet de mémoire : 5. Tu te souviens très bien de Balthasar Gelt.
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Isabelle Breitenbach
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par Isabelle Breitenbach »

Ce n'était pas une tentative de suicide. Pas encore. Car même si l'anciennement célèbre Dame de Fer augmentait toujours plus ses doses d'alcool et de drogues avant de se coucher (ou même en se réveillant), elle ne dépassait jamais le point de non retour, celui qui la plongerait dans son dernier sommeil. On pouvait donc se poser la question : pourquoi? Pourquoi diable s'infligeait-elle sa propre existence? Pourquoi continuait-elle cette pitoyable mascarade? Dans ses rares moments de lucidité, Isabelle avait bien conscience de sa dépravation, de la folie de la crise qu'elle venait d'abattre avant de s'effondrer, épuisée, sur ses cocktails de substances. Alors pourquoi se réveillait-elle, plutôt que de se libérer de sa douleur physique et mentale?

Une flamme, non, une braise rougeoyait encore dans le fourneau de sa volonté. Une infime lueur qui, inconsciemment, retenait sa main lors des dosages, poussait sa fourchette vers son repas et rapprochait son corps gelés vers la chaleur de la cheminée. Mais chaque jour, ces simples gestes perdaient en vigueur, en conviction, tandis que la lueur de la braise diminuait un peu plus. Bientôt, elle ne serait plus qu'une coquille vide, fissurée, enfin résignée.

En attendant, la vieille Breitenbach s'agrippait mollement à la vie, se félicitant de l'exploit qu'elle accomplissait chaque jour : maintenir les apparences. Elle restait digne, organisant régulièrement de grands dîners avec la crème de la crème, maintenant cette vaste propriété dans un état impeccable. Les hommes se régalaient de sa silhouette et les femmes jalousaient ses beaux bijoux. Cette petite peste de Anne (ou Sarah peut-être?) était la seule nuisance de cet harmonieux tableau. Elle venait régulièrement troubler le calme du manoir, déplaçant les affaires d'Isabelle et créant un bazar infernal. Breitenbach le savait, Emma faisait tout cela pour la torturer et il était impossible de chasser définitivement cette vermine de son somptueux domaine.

Car la Dame de Fer ne voyait plus vraiment comme tout le monde. Elle ne voyait pas les murs recouverts de fiente d'oiseaux, elle ne voyait pas l'état lamentable de ses vêtements, elle ne voyait pas les trous qui perçaient sa toiture. Isabelle ne remarquait pas non plus que les personnes avec qui elle conversait durant ses longs dîners n'étaient que des silhouettes de ferraille qu'elle avait assemblées la veille. Elle pensait devoir sa survie à son unique personne, à sa volonté inflexible, ne s'interrogeant pas sur l'origine de sa nourriture, ou même du journal quotidien. S'ils étaient là, c'est que Breitenbach l'avait souhaité, rien de plus.

La mémoire vacillante d'Isabelle nourrissait son imagination. Elle comblait elle-même les trous, garnissant ses journées d'évènements fictifs alors qu'elle en dépensait beaucoup enfoncée dans son fauteuil, sa silhouette à jamais imprimée dans le cuir. Si la magistère n'utilisait presque plus sa magie, c'est qu'elle n'en avait tout simplement pas envie, s'en convainquait-elle. Aussi ne se risquait-elle pas à fouiller sa tête à la recherche de sort, inconsciemment terrifiée de ne recevoir en réponse qu'un infini écho.

Si l'image puissante de la Dame de Fer avait disparu de l'esprit de tous, au moins restait-il bien présent dans le sien.






Isabelle était plongée dans un rêve à la saveur âcre, désagréable. Elle était un château aux proportions démesurées, sa splendeur écrasant les terres environnantes. Cette œuvre d'art était si belle que le simple fait d'imaginer sa destruction serait un blasphème, un coup au cœur à l'idée de voir le monde perdre pareil aboutissement. Mais à l'intérieur du château, de son propre corps, une petite tumeur grandissait, attaquant les fondations, rongeant le somptueux mobilier et déchirant les œuvres d'art. Une tour s'effondra, puis une autre, et c'est lorsque l'ensemble de la structure commença à s'écrouler qu'Isabelle se réveilla.

C'était une odeur qu'elle connaissait, mais qui n'avait pas sa place ici. Les yeux toujours fermés, Breitenbach humecta l'air, captant la saveur aethyrique familière. Subtile, mais d'un fumet exquis, parfaitement maîtrisé, comme un met réalisé par le plus talentueux des cuisiniers. Breitenbach fronça le nez, cette odeur l'écœurait, ou plutôt avait-elle appris à la détester. Pourquoi? Impossible à dire.

Un œil s'ouvrit mollement, dévoilant une pupille d'un bleu perçant, injectée de sang. Puis le deuxième, cette fois une surface unie, d'un gris métallique. Breitenbach eut beau cligner des yeux plusieurs fois, rien à faire, sa vue ne se stabilisait pas. Ses sens lui revenaient lentement, d'abord un goût immonde dans la bouche, auquel elle s'était accoutumée, puis une nausée grandissante, dangereuse. Le tic-tac insupportable de son petit serviteur lui vrillait les oreilles, accentuant la migraine infernale qui dévorait son crâne.

Si son cerveau avait reçu l'information olfactive plus tôt, il n'en avait pas encore dégagé de conclusion. Était-ce un souvenir? Fort heureusement, la pièce était plongée dans les ténèbres, la vieille ne supportant pas les lumières vives au réveil.

Enfin, Breitenbach remarqua la silhouette qui se tenait devant elle, à peine dessinée dans l'obscurité ambiante. Elle eut un spasme de terreur, le peu de chaleur qu'abritait son corps s'évaporant instantanément. Son premier réflexe fut de tâtonner maladroitement sur la petite table installée à côté de son fauteuil. Cherchait-elle une arme pour se défendre? Non, juste un petit étui en métal et son porte cigarette fétiche. D'une main tremblotante, elle actionna l'unique bouton de la petite boîte qui s'ouvrit, puis en tira un des fameux cylindres dont elle seule avait le secret. Isabelle dût s'y prendre à trois fois avant de fixer la cigarette sur son accessoire, puis cala ce dernier entre ses dents sombres.

La Dame de Fer tenta de lancer un des derniers sortilèges dont sa mémoire se souvienne. Si elle n'y parvint pas, alors elle se résolut à utiliser son briquet amadou, lui aussi posé sur la table. La vieille tira une longue bouffée, la lueur de la braise dévoilant les détails de son visage squelettique. Immédiatement, la douleur qui vrillait son crâne s'amenuisa et ses tremblements se calmèrent. Isabelle était prête à faire face à l'intrus.

Pourtant, elle fut de nouveau surprise, tant bien par le timbre de la voix que par le titre utilisé à son égard. Immédiatement, elle fit la connexion : la signature aethyrique si distinctive, puis cette voix unique. L'intrus n'était autre que Balthasar Gelt, son insupportable apprenti. Le cerveau d'Isabelle avait fait un mauvais virage et c'était égaré à une autre époque.

La voix enrouée de l'ancienne magistère sembla provenir du tréfond d'une caverne humide.


« Tête de Plomb... Tu es en retard. J'espère que cette fois, l'alambic est propre. »

Alors qu'elle s'apprêtait à enfoncer encore un peu plus son apprenti, ce dernier raviva les flammes de la cheminée. La silhouette se détailla, une robe somptueusement décorée et ornée d'un col disproportionné, des gants tout aussi nobles et un casque... non, un masque doré dont la forme rappelait les rayons du soleil. Confuse, Breitenbach fronça les sourcils, la bouche toujours entrouverte. Ses yeux scrutaient la pièce frénétiquement, tentant de tirer un sens de cette situation. C'était bel et bien Balthasar Gelt qui se tenait devant elle, mais pas celui qu'elle avait en tête. Pourtant, Isabelle connaissait cet autre Balthasar, elle en était convaincue.

C'est seulement quand le timbre métallique résonna une seconde fois que tout lui revint en tête. Le cerveau de Breitenbach fit demi-tour et, cette fois, s'engagea dans le bon virage. Balthasar Gelt, le Patriarche de l'Ordre Doré et de tous les Collèges de Magie d'Altdorf. L'homme au sommet de tout ce qui touchait à l'aethyr dans l'Empire. Le mage le plus puissant du Vieux Monde. Et elle, la Dame de Plomb, l'Oxydée, la magistère déchue, trahie par les siens et bannie dans cette demeure/prison pour y finir ses jours dans la misère et la décadence.

Le Sorcier Soleil désirait lui parler. Pire, il l'invitait à prendre le thé.

Isabelle prit une nouvelle bouffée, atténuant sa colère et lui permettant de se maîtriser. Elle ne voulait pas s'afficher en partant dans une nouvelle crise délirante.


« Tink va s'en occuper »

Sur ces mots, le petit automate se mit au garde-à-vous avant de se précipiter vers la cuisine.

« Hermaan, laisse-nous » Ajouta-t-elle d'une voix glaciale. Hermaan n'était autre qu'une des statues de ferraille présente dans la pièce, installée nonchalamment dans un canapé éventré. Si la statue ne bougea évidemment pas, Isabelle parut pourtant satisfaite et reporta son attention vers celui qui s'était invité chez elle.

L'ancienne magistère contempla le masque d'or avec un dégoût affiché. Elle se rappelait de ce jour où elle avait trouvé cet homme à terre, hurlant, fondant, misérable. Sans elle, il serait mort, par sa propre faute, et cela, Breitenbach n'avait pas oublié de le lui faire comprendre. Lorsque Gelt s'était enfin remis, sa peau recouverte d'or et de vêtements pour cacher les effets du drame, elle l'avait accueilli par ces simples mots : « Tu auras beau te murer dans l'or, tu resteras toujours une Tête de Plomb. Ce sarcophage, c'est ton incompétence qui l'a forgé, ne l'oubli jamais. »

Bien plus tard, ce misérable avait assisté à la chute de la Dame de Fer. Peut-être n'y avait-il pas participé directement, mais il n'avait pas cherché à l'arrêter non plus. Aux yeux d'Isabelle, c'était presque pire. Comment osait-il se tenir devant elle, bardé d'or, la toisant du haut de son rang? Si l'ennui quotidien de Breitenbach n'était pas aussi grand, elle n'aurait même pas cherché à le savoir et l'aurait expulsé de chez elle.

S'il était là, c'était probablement que la situation du Collège Doré s'était dégradée. Sa Grande Trésorière bannie, le laxisme avait sûrement envahi les réformes et faire s'effondrer les rentrées d'argent. A présent au bord du gouffre, les mages de l'Ordre Doré n'avaient plus qu'une seule personne vers qui se tourner : la Dame de Fer. Breitenbach attendait cela depuis des années, des décennies, et enfin, sa patience serait récompensée. Elle regagnerait sa place et son prestige, puis abattrait sa fureur sur ceux qui l'avaient trahie.

Un rictus se dessina sur les lèvres d'Isabelle.


« Alors, Tête de Plomb. Comment se porte ce bon vieux Collège? Serait-ce la raison de ta visite? »
Modifié en dernier par Isabelle Breitenbach le 11 mai 2021, 23:05, modifié 1 fois.
Isabelle Breitenbach, Voie du Sorcier des Collèges de Magie
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Le Patriarche Suprême de l’Empire observait Hermaan.
Longuement.
Quand on a le visage camouflé derrière un épais masque de métal, c’est pratique pour ne pas montrer la moindre émotion. Pas un sourcil, pas une ride autour des lèvres, pas un tressautement de paupière. Rien. Il avait cette tête, égale à celle d’un loup de cirque Tiléen, qui montrait la seule émotion qu’il souhaitait présenter au monde : rien. Une neutralité absolue.
En ça, il était bien l’élève d’Isabelle von Breitenbach.

Alors non, Isabelle ne sut pas si en découvrant Hermaan, Gelt était amusé, par vantardise. Ou terrifié. Ou triste. Il se contenta de regarder en direction du canapé, quelques instants, avant d’aller se poster devant une des fenêtres aux vitres propres — ici, contrairement au reste de la maison, Hanna retirait soigneusement les toiles d’araignée pour permettre à un peu de lumière entrer, afin de garder en vie les quelques plantes en pot sur le rebord.

« Le Collège se porte bien. Le Collège se porte mieux que jamais, à vrai dire. Je n’ai plus le temps d’expédier toutes ses affaires courantes — la charge de Patriarche Suprême est un cadeau empoisonné, on le sait tous quand on entre dans la salle des duels de la Tour de Volans… Mais on continue de vendre et de recruter. On s’est mieux remis du Déluge que d’autres.
Participer au Conseil d’État est une corvée dont je me passerai bien. L’Empereur ne m’aime pas. Il regrette Thyrus Gormann, et il aime me le faire savoir. »


L’ancien Patriarche Suprême faisait partie du Collège Flamboyant. Un homme vif, expérimenté, Gormann a rendu de fiers services à l’Empire au moment où ils avaient besoin d’un homme fort capable de mener des armées. La magie, durant les durs combats contre le Norse et le Kurgan, avait un but martial, et personne ne savait mieux militariser les arcanes que les invocateurs d'Aqshy.
Et pourtant, il avait perdu face à un petit alchimiste comme Gelt. Breitenbach n’aurait peut-être jamais imaginé un homme maigre, indiscipliné et peu porté sur la violence comme Gelt capable de remporter le Duel. Peut-être une facétie de Ranald, comme seul le Dieu du hasard pouvait fomenter.

La nouvelle qu’il apportait, en tout cas, était mauvaise. Si le Collège allait bien, pourquoi était-il ici ? Et pourquoi il se taisait, à regarder bêtement dehors, les mains dans le dos ? Il avait l’air de jeter un œil en direction de la serre. Une serre délabrée, carreaux brisés, ne produisant absolument plus rien. Un gros matou avait donné des petits dans le bac d’un olivier que l’hiver avait meurtri. C’était ça, aujourd’hui, le manoir : il était squatté par des animaux, des pigeons, des rats, des chatons. La seule compagnie vivante. Hormis les statues. Hormis le petit golem qu’on entendait grimper sur les tiroirs dans la cuisine, escalader pour aller faire chauffer de l’eau sur un petit feu.

« J’ai un cauchemar récurrent, ces dernières nuits. »

Il dit ça d’une voix quelconque, avec toujours le même écho à travers l’or. Et, pour on-ne-sait quelle raison, voilà qui se mit à dévoiler ses états d’âmes.

« Je me revois… Plus jeune. Avant l’accident. Je suis dans une sorte de caverne, et, je prends des pièces de fer, et de plomb. En les touchant, je les change en or.
Je continue de le faire. Une pièce, puis une autre, et encore une autre… Et petit à petit, sans que je l’aperçoive, le sol est jonché de pièces d’or. Il en tombe du plafond. Elles envahissent toute la caverne. Il en suinte, de la roche où le minerai se transforme et coule.
Je lève les yeux, et de l’or en fusion coule sur mon visage. Je tente de me débattre, de hurler, mais je sais que personne ne viendra m’aider. Des golems de métal, à l’aspect de chiens, sont bien là. D’autres créatures insufflées par d’autres sorciers ; mais au lieu de m’aider, elles regardent juste mon supplice.
Et je me transforme en statue d’or. Et ensuite je me réveille. »


Il prit une grande inspiration ; elle vibra dans le masque.

« Vous n’avez jamais voulu d’amis, maîtresse. Vous les avez tous repoussés. Ou bien vous leur avez fait du mal. Vos inférieurs ne vous voient pas avec respect. Vos collègues ne vous voient pas comme un pair.
Si vous saviez ce que je vous hais, Isabelle. »


Il se tourna, et la regarda droit dans les yeux.

« J’admets une chose horrible : J'ai maintes fois repoussé ma venue ici. Et une partie de moi, une petite partie de moi, pensais pouvoir vous rire au nez. Je pensais entrer dans ce salon, dans le seul but de savourer une revanche que j’aurais prise sur vous.
Mais maintenant je vous vois. Et je n’ai aucune envie de rire. »


Il s’approcha du canapé éventré. Plutôt que de s’asseoir sur le coussin, il posa ses fesses sur le dossier, et lia ses mains devant lui.
Il soupira ; et à nouveau, il y eut la même vibration dans son casque.

« Une… Une femme va venir ici, en fin de semaine. Angestag, dans quatre jours. C’est une prêtresse de Shallya, et une érudite. Elle est diplômée de l’Académie de Miragliano. Elle… Elle s’occupe de soigner ceux qui ont…
Ceux qui ont des problèmes à garder conscience de la réalité. »


Il était en train de la traiter de folle. Il était en train de la comparer avec les idiots de village, ou les demeurés qu’on enferme dans des asiles bondés pour qu’ils arrêtent de voler des culottes sur des cordes à linge ou de faire des croches-pieds aux passants.

« Elle va venir ici, et j’aimerais que vous la receviez. Elle va voir le manoir dans lequel vous vivez, elle vous posera des questions, et à la fin, je sais ce qu’elle va conclure. Que vous êtes un grand danger pour les autres. Et aussi pour vous-même.
Elle va vous soigner. Elle va vous aider. Il y aura des prêtresses pour s’occuper de vous, et vous soulager.
C’est une immense chance, pour vous. »


Il y eut du bruit dans la cuisine. Un vacarme, du fracas.
Tink avait fait tomber par terre des petites assiettes en porcelaine.

Jet de Magie pour lancer Flammèche : 13, échec. 13, encore échec.
Tu n’es plus aussi vive d’esprit qu’avant. Échouer un sortilège qu’on apprend à de simples apprentis… Gelt l’a remarqué.

Jet d’habilité de Tink (Bonus : +6) : 15, échec.
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Isabelle Breitenbach
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par Isabelle Breitenbach »

Isabelle tira rageusement sur sa cigarette, serrant son briquet amadou entre ses doigts crochus. Le crépitement du papier avait un effet agréable, vengeur, après la honte qui s'était abattue sur la Dame de Fer. Par deux fois, elle avait claqué des doigts et, par deux fois... rien ne s'était passé. Pas de flamme, même pas une infime manifestation aethyrique. Breitenbach n'avait pas été capable de lancer un sort si futile qu'elle n'avait normalement plus besoin d'en prononcer la formule. Balthasar s'était-il abaissé à perturber ses manipulation magiques pour ridiculiser l'ancienne magistère? Sûrement. Ce misérable se délectait de cet entretien et aucune bassesse n'était indigne de lui.

Le Patriarche Suprême poussa le vice encore plus loin, appuyant sur l'état "formidable" du Collège Doré. « Menteur. » Pensa Breitenbach. « Fumier de menteur de merde. » Quel triste personnage! Le plus prestigieux mage de l'Empire se tenait là, presque rampant devant les pieds de son ancienne maîtresse, repoussant jusqu'au dernier instant ses supplications. Il voulait garder la face le plus longtemps possible, mais ne se rendait pas compte que cette mascarade le rendait toujours plus pitoyable aux yeux d'Isabelle. Chaque instant de cet entretien était un délice, une escalade de mauvaise foi avant l'inéluctable conclusion. Le rictus de la vieille s'étendit un peu plus.

Pourtant, la suite de la conversation prit un virage inattendu. Balthasar fut affecté d'un élan de confidence, détaillant un cauchemar récurrent, terrifiant. Ce cauchemar fit un étrange écho dans le crâne de la Dame de Plomb, trouvant un résonnance étouffée mais familière. Sans comprendre pourquoi (ou en refusant de le comprendre), Isabelle sentit son sang se glacer, ses poils se hérisser, la sueur froide s'accumuler sur son corps. Imperturbable, Gelt continuait son récit alors que Breitenbach s'enfonçait toujours plus dans son fauteuil, un tube de cendre éteint pendant mollement sur son porte cigarette. Ses yeux écarquillés fixaient le vide, ou plutôt un passé qu'elle s'était obligée à oublier, à tuer par a consommation de substances. Mais les fantômes d'antan ne meurent jamais vraiment.

Isabelle aurait aimé répondre au Patriarche, lui renvoyer au visage son discours ridicule. Mais elle en était totalement incapable, tétanisée par les paroles du Sorcier Soleil. Sans s'en rendre compte, ce dernier était en train de l'achever, de planter lentement un tison ardent dans son cœur et de le tourner dans tous les sens. Breitenbach avait du mal à respirer, cette douleur physique s'installant toujours plus alors que l'atonie de l'opium s'évaporait. Elle commençait à reprendre conscience d'elle-même et de son environnement. Depuis quand les murs étaient-ils si sales? Que signifiait ces statues difformes, tristes caricatures de silhouettes humaines. Mais surtout, d'où provenait cette puanteur?

La Dame de Plomb reposa son regard sur le Patriarche, l'observant se détourner de la fenêtre pour se rapprocher d'elle. Ses paroles étaient sincères, dangereusement sincères. Des confidences qu'il ne se serait permis de faire qu'à l'extrême fin de leur relation, car elles ne risqueraient pas de ressortir plus tard. Breitenbach était en danger.

D'un rapide coup d'œil, la vieille remarqua que sa canne était posée au sol, hors de portée. Elle n'avait qu'elle-même pour se défendre, pour abattre cet ennemi de toujours ou au moins périr dans un BOOM retentissant. Isabelle avait un avantage certain : dans son arrogance, Balthasar était partiellement recouvert d'or. Le vent de Chamon se nourrissait de pareilles protections, foudroyant leurs hôtes dans un torrent de métal ardent. Durant sa longue carrière, Breitenbach avait amassé un Archidoxis impressionnant, la rendant parfaitement adaptée à cette situation. Il y avait les flèches de... d'Hanna? Non. Les flèches d'A quelque chose... Il y avait aussi un sort en rapport avec le regard. Le Regard Forgé? Non plus mais qu'importe! Il lui restait toujours sa Tempête de Fer... Torrent de Fer?

Marmonnant des mots incompréhensibles, Isabelle tentait de retrouver ses antiques formules. Elle ne quittait pas le Patriarche des yeux, ses lèvres bougeant mollement, la faisant plus paraître comme une vieillarde radotant que comme une ancienne magistère accomplie.


« Verbaliem esolidert, forgottem arl corromalis. Torticolis rabert lodiarm Syphilis. Encouliate tamert und strin dogher. Varmelis Onglacarneh. Lapis lazuli nyk tad ahrone. Tartiflist. Magnetémorr orl potatoe... »

Perdue dans son flot d'incohérence, Isabelle n'entendait pas vraiment les paroles de Balthasar. Elles lui parvenaient en différé, son cerveau les laissant flotter quelques secondes avant de leur donner du sens. Lorsqu'il eut fini son discours, Breitenbach murmura encore quelques instants avant de s'arrêter brusquement. Le Sorcier Soleil venait-il de lui proposer d'être mise en hospice? Au même moment, un bruit de fracas résonna dans la cuisine.

Quelque chose monta dans la gorge de la Dame de Plomb. Au dernier moment, elle se retint de vider son estomac sur les pieds de son ancien élève. Il n'était pas venu pour la supplier de revenir, ni pour la tuer. Le Patriarche ne lui offrait même pas ce dernier honneur, ce respect digne d'un valeureux adversaire. Tout ce qu'il avait à donner, c'était une immense pitié. Rien en ce monde n'aurait pu donner naissance à plus grande humiliation. Un coup de grâce impitoyable, dernier clou du cercueil de la Dame de Fer.

Breitenbach se recroquevilla un peu plus, les articulations de ses doigts blanchies à force de serrer ses accoudoirs.


« Je le jure. »

Tink débarqua à toute vitesse de la cuisine, affolé. Il courut en cercles dans la pièce, un vacarme suraigüe s'échappant de sa petite cheminée, couvrant presque son cliquetis frénétique.

« Je jure que tu me le payeras, Balthasar Gelt, Patriarche Suprême des Collèges de Magie. Tu penses pouvoir te débarrasser de moi? Pauvre merdeux pitoyable. Tu es un menteur et un incompétent. Le Suprême Bouche-Trou de l'Empire! Hahahaha! Attends donc que débarque la première crise, tu finiras aplati comme le cul d'une femme de joie!
Et moi, je serais là, je te regarderai te faire ravager de l'intérieur, supplier à la mort, mendier mon aide comme tu l'as fait après ton "accident". Cette perspective est la seule étincelle qui me maintienne en vie! Et Ô combien est-elle forte. »


Elle se leva brusquement, vacilla d'un intense vertige, puis reprit de sa fougue. Elle s'approcha du Sorcier Soleil assis et pointa un doigts à la manucure écaillée à quelques centimètres de son visage.

« Car je sais ce qui se cache sous ce masque. » Articula-t-elle entre ses dents. « Une putain de Tête de Plomb. »

A leurs pieds, Tink était tombé sur le flanc. Ses bras et ses jambes continuaient de s'agiter dans le vide, incapable de gérer le flot de colère qui s'abattait sur son petit système primitif.
Isabelle Breitenbach, Voie du Sorcier des Collèges de Magie
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Tout manucuré qu’était l’ongle d’Isabelle, il ne serait pas suffisant pour égratigner de l’or. Mais est-ce que ses paroles, à la place, pouvaient blesser celui qui s’était emparé du bâton de Volans ? Elle l'insultait bien. Avec toute sa haine, toute sa verve, toute sa hargne.
Mais Gelt ne répondit pas.

Gelt se contenta de se lever. Il n’était pas quelqu’un de spécialement grand, mais il dépassait bien la vieillarde d’une tête. Il passa ses mains sur sa robe pour bien la remettre en place, et ne laisser aucun pli. Tout dressé devant elle, sans aucune distance entre leurs deux corps, il baissait son masque.
Et alors, Isabelle découvrait ses yeux à travers les deux légères fentes de sa face de soleil. Des yeux bruns, communs, qui disparaissaient lorsqu’il cligna des paupières.
Elle entendit une vibration métallique dans le masque.

Il était en train d’incanter. Il était en train de réciter une phrase en magikane.
L’information mit du temps à remonter jusqu’au crâne d’Isabelle. Elle avait déjà été dans des duels magiques. Elle avait affronté des centaines de magistères, dans des combats d’entraînement, ou à des occasions moins courtoises ; pourtant, elle restait là, sur place, avant qu’enfin, elle ne comprenne quel sortilège le Patriarche Suprême invoquait à son encontre.

Elle cria un mot de pouvoir, tenta d’appeler à elle tous les vents qu’il y avait dans sa maison remplie de statues métalliques pour tenter de se défendre ; mais Gelt était beaucoup trop puissant. Elle sentit les paroles soufflées par son ancien élève lui rentrer en pleine face, et traverser son cœur. Tous ses poils se dressèrent sur sa peau, et elle fut couverte de chair de poule.

Elle eut envie de s’effondrer.

Elle devenait molle. Par réflexe, Gelt l’attrapa et la serra contre lui. Il l’accompagna, alors qu’elle devenait léthargique, et la posa sur son fauteuil.

Elle avait envie de dormir. Retourner dans son sommeil. Mais Gelt n’en avait pas fini avec elle. Gelt, il était agenouillé devant le fauteuil, à la regarder, en lui tenant le cou — peut-être par peur qu’elle ne se fasse mal en s’effondrant dans un autre sens. Il patienta, quelques courts instants, et alors qu’Isabelle reprenait un peu plus le contrôle de son corps meurtri et malade, le Patriarche se releva, et s’approcha de la table.

« Je vous ai amené un cadeau. »

Il indiqua le colis qu’il avait posé sur la table-basse en arrivant. Il l’ouvrit, retira soigneusement le cartonnage, et fit glisser son contenu à la vue d’Isabelle.

C’était une sorte d’objet rectangulaire, crénelé de petites cases de deux couleurs différentes. Un… Damier ? Non. Un échiquier. Un petit plateau pour jouer aux échecs. Il était entouré de dorures, mais il n’avait pas une matière normale pour un échiquier. Les gens modestes jouent sur du bois commun, les gens riches sur de magnifiques œuvres d’art en ivoire ou en marbre ; celui-ci était en métal. En cuivre et en acier. Et, entre chacune des petites cases crénelées, on devinait des sortes de petites vis. Des écrous.
L’échiquier sentait fort Chamon. Il était traversé et constitué non seulement de matière, mais aussi de bribes de magie visible et odorante.
C’était…

C’était un échiquier qu’Isabelle reconnaissait.

Gelt n’expliqua pas. Il regardait la vieille droit dans les yeux. Il attendait. Est-ce que c’était par patience ? Ou par extrême cruauté ? Il attendait juste qu’elle additionne tout dans sa tête. Et qu’elle comprenne.

Elle connaissait cet échiquier.

Parce que c’était un échiquier que son fils avait fabriqué.
Un petit jeu qu’il avait mit au point, pour pouvoir s'entraîner aux échecs en solitaire. Il avait installé une sorte de mécanisme de serviteur, inspiré des golem, afin que les pions se déplacent tout seuls et apprennent de leurs erreurs. Il désirait créer une intelligence automatique capable de battre un humain à ce jeu.

Elle était persuadée que cet échiquier faisait partie des affaires que les répurgateurs avaient emportées avec eux, en même temps qu’ils emportaient le jeune homme, des liens en chanvre à la place des menottes en fer serrant ses poings dans son dos.

« Je sais que vous ne voulez pas vous plier à ma volonté. Vous préféreriez vous battre, jusqu’au bout, peu importe combien de gens vous ferez souffrir dans votre soif de vengeance.
Alors, je suis venu avec une offre.
Si vous acceptez de recevoir la prêtresse de Shallya chez vous, et si vous acceptez de vous plier à sa décision, qu’importe laquelle elle sera, même si c’est de vous faire interner…
Je demanderai à Reiner Starke de chercher ce que votre fils est devenu. »


Reiner Starke : Le Patriarche du Collège Gris. Les espions et les investigateurs des collèges. Des illusionnistes, spécialisés dans la lutte contre les mages renégats.
Gelt s’agenouilla. Il attrapa le petit Tink, et le remit sur ses pattes. Il se releva, et se dirigea dans le couloir qui le mènerait hors du manoir.

« Bonne soirée à vous, Isabelle. »
Balthasar Gelt incante et lance le sort « Stupeur » (Fracas, que tu as proposé sur le wiki. C’est rigolo.) : 3, large réussite pour le sorcier le plus puissant de tout l’Empire. Oui, quand même.
Et comme Gelt est, tout de même, le mage le plus puissant de l’Empire, tu te doutes qu’il a les points de Maîtrise de l’Aethyr derrière.

Tentative de dissipation de ta part : 13. Ce ne sera pas assez. Il n’y a aucun moyen pour que ce soit assez.

Jet d’endurance (Malus : -5) : 8. Sans les malus, ça passait. Mais là, non.

Jet de résistance mentale (Bonus : Volonté de fer (+1). Isabelle est une femme pleine de colère (+3)) : 20, échec critique.
Voir l’échiquier de ton fils te détruit. Ça te remue. Je ne te force pas à le jouer d’une manière ou d’une autre : si tu décides de te ruer sur la drogue, si tu casses tout dans ta maison, si tu es effondrée avec des larmes… Mais toujours est-il que, sur le coup, ta personnalité de dame impassible en prend un sacré coup.
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par Isabelle Breitenbach »

Un flottement inconfortable s'était installé entre les deux mages. Isabelle sentait ses articulations lui fait mal, comme si des grains de sable se frottaient entre le contact de ses os. Elle s'était levée bien trop vite et à présent, son corps tentait de le lui faire payer. Mais il était hors de question qu'elle flanche, ce duel de regard représentant en tout point ce qu'elle était : inflexible. Certes, elle tremblait, accentuant ainsi encore plus la douleur et grignotant son équilibre, mais cela résultait de son âge et de ses "cocktails" quotidien. La Dame de Fer n'avait pas peur.

Pourtant, la raison de cette audace était plus profonde, plus sombre. Breitenbach avait toujours fait preuve de fougue dans ses débats enflammés, mais elle n'était pas idiote. Elle connaissait les forces et les faiblesses de ses adversaires, mais aussi d'elle-même, prenant bien soin de fustiger autant qu'elle pouvait se le permettre. Or, au sommet de sa carrière, elle pouvait beaucoup se permettre, raison pour laquelle on avait supposé que sa colère n'avait pas de limite, à tort. Isabelle était fourbe, calculatrice, frappant fort au bon moment pour dissuader ses détracteurs.

Alors pourquoi provoquait-elle ainsi le Patriarche Suprême alors qu'elle n'était pas capable de se servir une tasse de thé? Parce que ses chances de victoires étaient immenses, parce que sa propre défaite serait son ultime triomphe. Physiquement, elle n'avait aucun espoir de l'emporter, elle serait balayée d'une seule phrase. Mais mentalement, c'était là qu'elle avait misé son jeu. Balthasar Gelt, Sorcier Soleil, poussé au bord de la colère, achevant sans la moindre dignité une vieille folle refusant de se plier à sa volonté. La Dame de Fer serait enfin libérée de ses démons, transmettant sa malédiction au Patriarche.

Et si Balthasar ne tombait pas dans le panneau, certes Isabelle serait déçue, mais au moins n'aura-t-elle pas plié. Un long chemin de rétablissement serait alors à accomplir pour qu'elle tienne promesse et abatte sa vengeance. Dans son état actuel, Gelt ne pouvait lui faire de mal, juste la tuer ou se résoudre à l'épargner. Il n'avait aucun moyen de pression pour la forcer à entrer en hospice.

Oui, Breitenbach préférait la première option, car elle était fatiguée. Fatiguée de sa propre volonté, fatiguée de ce rôle qu'elle pensait maintenir aussi fermement qu'elle l'avait toujours fait. Elle n'avait aucun doute sur son succès, mais anticipait des mois, des années de calvaire avant d'atteindre son objectif. Intérieurement, et malgré elle, Isabelle supplia le Sorcier Soleil de lui donner le coup de grâce.

Lorsque le maître sorcier se mit enfin en branle, Breitenbach sentit son cœur accélérer. Enfin! Elle était prête. Il aura fallu la puissance du Patriarche Suprême pour abattre la Dame de Fer! Elle se satisfaisait de toutes les fois où elle avait fait preuve de retenue en dosant ses substances, s'évitant ainsi la honte de mourir si pitoyablement. Son image inflexible resterait à jamais gravée dans l'esprit de Balthasar. Isabelle prit bien soin de s'en assurer en fixant les yeux bruns, trahissant un restant d'humanité de la statue qu'était le Patriarche. Elle leur transmettait tout son défi, toute sa fougue.

L'esprit toujours embrumé, la magistère déchue eut d'abord du mal à donner sens aux paroles de son bourreau. Elle se força à se concentrer, voulant absolument reconnaître le sortilège qui éteindrait sa lumière. D'abord incompréhensible, la formule devint de plus en plus familière, réveillant d'antiques neurones desséchés. Oui, elle avait connu ce sort, l'avait même utilisé à de maintes reprises. Isabelle l'avait sur le bout de la langue.

Ses yeux s'écarquillèrent quand elle réalisa enfin ce qui allait s'abattre sur elle. Ce n'était pas un sort de mort, mais de paralysie! Surprise et furieuse, Breitenbach recula en tentant d'articuler une dissipation. Ses mots se mélangèrent, l'aethyr tournoyant autour d'elle sans comprendre quoi faire. De toute façon, il n'aurait pas été suffisant pour contrer la formidable puissance qui s'accumulait autour de Balthasar. Maladroite, la Dame de Plomb trébucha. C'était déjà trop tard, une onde de choc jaillissant de Gelt, faisant vibrer les membres douloureux de la sorcière. N'ayant jamais encaissé les effets de ce sort, Isabelle ressentit pleinement ce qu'elle avait fait subir à tant de ses adversaires : une abominable sensation d'être secouée en continu à une fréquence presque imperceptible.

A présent simple statue à l'équilibre relatif, la vieille n'avait plus que son esprit pour hurler. Le simple fait de bouger les yeux demandait un effort considérable. Elle sentit sa masse basculer en arrière, toujours figée sans cette pose de stupeur. C'était sa dernière chance : elle pouvait encore se rompre le cou sur un meuble. Ce ne serait pas aussi glorieux qu'elle l'espérait, mais au moins Balthasar serait-il fautif. C'était tout ce qui comptait.

Sa chute s'arrêta doucement, le Patriarche empêchant le corps fragile d'Isabelle de se briser par terre. Maudit soit-il! Gelt n'accordait pas la moindre faveur à la magistère déchue. Chacune de ses actions était insultante, blessant toujours plus l'honneur déjà ravagé de la Dame de Fer. Au contact de ses bras, Isabelle sentit ses membres se ramollir, les effets paralysants du sort mutant en une somnolence incapacitante. L'homme déposa délicatement sa victime dans son fauteuil fétiche, maintenant son visage pour garder un contact visuel. Breitenbach s'écœura de ce contact, de cette profanation de son propre corps. Cette impuissance était la pire des tortures.

Le Patriarche reporta l'attention d'Isabelle sur le présent qu'il lui avait apporté. Sans savoir pourquoi, la sorcière ressentait un étrange rejet face à ce colis soigneusement emballé, et ce, depuis que Balthasar l'avait réveillée quelques minutes plus tôt. Elle ne voulait pas savoir ce qu'il contenait. Pourtant, jamais elle n'aurait pu imaginer l'ampleur de ce qui allait s'abattre sur elle lorsque le l'objet fut lentement tiré de son cartonnage. Breitenbach avait voulu un coup de grâce, elle l'avait eu, mais ce n'était pas son corps qui s'était brisé, c'était son esprit.

La Dame de Fer n'était plus. En réalité, pour Isabelle, plus rien n'existait à part cet échiquier de cuivre et d'acier. Une image lui apparut, un souvenir s'échappant de la prison dans laquelle elle l'avait fermement interné. Un petit garçon de douze ou treize ans, lui tendait timidement cet objet. Isabelle se souvenait de sa surprise : si l'objet était loin d'être parfait, c'était un accomplissement fabuleux de la part d'un si jeune apprenti. Wilfried Breitenbach (elle n'était même plus sûre de son prénom, s'arrachant une nouvelle vague de désespoir) avait passé une grande partie de son apprentissage à fabriquer des jouets de la sorte, ou de petits golems pour combler sa solitude. Et à présent, les propres serviteurs de Breitenbach avaient, sans même qu'elle ne s'en rende compte, les mêmes caractéristiques : de petits golems de ferraille attendrissants, tels que Tink.

Qu'avait-elle répondu à cet exploit? Isabelle ne voulait pas se le rappeler, mais c'était trop tard, la valve était déjà ouverte. Dans un premier temps, elle avait détaillé point par point chacun des défauts de l'artefact, réprimant son fils pour son travail bâclé. Puis, elle avait puni le jeune garçon pour avoir gaspillé des ressources du Collège. En réalité, Breitenbach avait pris peur de cet élan d'affection qu'elle avait ressenti, levant ses défenses de fer pour s'en protéger. Elle ne voulait pas ramollir le jeune apprenti avec des éloges prématurés.

Une nouvelle image se matérialisa devant elle, celle d'un adolescent désespéré, suppliant son aide, alors que des silhouettes à chapeau l'emmenaient, poings liés, loin de sa mère. Et ce, parce qu'elle leur avait ordonné...

La vision de l'œil gauche de Breitenbach se troubla soudain, brouillant la forme de l'échiquier. Elle n'était pas familière de cette sensation, et peut-être ne l'avait-elle jamais été jusqu'alors. La larme s'accumula, tout comme le poids des échecs s'était accumulé sur le dos d'Isabelle, puis, arrivée à saturation, elle glissa rapidement sur sa joue. Cette infime libération ne pesa pas lourd sur la balance de détresse de la Dame de Plomb qui se sentait plonger toujours plus loin dans les ténèbres, brisant toutes les défenses psychiques qu'elle s'était fabriquée durant ses longues années d'existence. Elle avait perdu à plusieurs reprises, mais n'avait jamais été réellement défaite jusqu'à présent. Maintenant, elle s'attristait encore plus de ne pas pouvoir pleurer de ses deux yeux, le droit restant aussi sec que le fer qui le constituait.

Si Balthasar pensait offrir une lueur d'espoir à Breitenbach avec ses paroles, notamment sur ce qu'il était advenu de son fils, il n'en était rien. Car il n'avait plus personne à qui s'adresser, juste une coquille vide enfoncée dans le cuir. Cela, il pourrait s'en vanter, il était le seul homme vivant à avoir vaincu la volonté de la Dame de Fer. Ou peut-être n'était-ce pas son intention et se rendait-il compte à présent qu'il était allé trop loin. Beaucoup trop loin. Un millier de dagues n'auraient pas infligé pareille douleur. Il avait battu à terre une vieille femme, certes fougueuse, mais inoffensive. L'avait-elle mérité? Il fut un temps, beaucoup l'auraient affirmé. Mais face à cette carcasse misérable, rien n'était moins sûr.

Isabelle n'entendit pas son bourreau partir, toujours paralysée à fixer la source de sa peine. Des heures s'écoulèrent sans qu'elle ne soit capable de faire le moindre mouvement ou de tarir les gouttes qui coulaient régulièrement sur sa joue. Le sort s'était dissipé de lui-même peu de temps après le départ du Sorcier Soleil, pourtant, la vieille femme était toujours incapable de mouvoir le moindre de ses muscles. Elle pouvait apaiser la douleur d'une cigarette à l'opium, mais n'avait même plus la force de le faire, son paquet se trouvant à des années-lumière de sa main.

Tink, à ses pieds, était roulé en boule, se balançant d'avant en arrière dans une boucle sans fin.



Le corps d'Isabelle sortit finalement de son coma. Léthargique, elle se pencha en avant, ignorant ses muscles atrophiés ou ses os grinçants. Sans se défaire de son expression ahurie, Breitenbach se saisit de la table basse pour la traîner jusqu'à elle. Une douleur vive perça son dos, mais elle n'était pas vraiment capable de s'en rendre compte. L'échiquier à portée, la Dame de Plomb saisit délicatement un pion en acier pour l'avancer de deux cases. Après quelques instants, un pion de cuivre se déplaça à son tour de lui-même. De deux cases.

Isabelle joua ainsi jusqu'au lever du soleil, et bien après. La faim et la soif la tiraillaient, mais elle avait d'autres priorités. Les yeux écarquillés, elle déplaçait ces petits golems, dernier contact restant avec son fils. Quand une partie était terminée, elle réorganisait méticuleusement les soldats d'acier pendant que ceux de cuivre reprenaient leur place. Breitenbach ne gagnait jamais, laissant chacune des victoires aux mains du petit Wilfried. Après tout, il l'avait bien mérité.
Isabelle Breitenbach, Voie du Sorcier des Collèges de Magie
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Altdorf ne dort jamais. La nuit remplace le jour, mais les portes demeurent à jamais ouvertes ; simplement, petit à petit, la lueur de Mannslieb pleine perd en intensité, et, en observant le panorama de la capitale de l’Empire, on peut voir les lueurs de milliers de torches et de lampadaires lentement mourir lorsqu’elles achèvent de consumer leur huile. À la porte ouest, il y a un bruit de tambours battant, tandis que les sentinelles éreintées effectuent un changement de garde avec les soldats frais. Le pavillon du Reikland flotte toujours. Et alors que toute la province prend une lueur orangée, avec le lever du soleil, il est l’heure pour Altdorf de débuter une nouvelle journée fraîche de printemps.

Tink était mort. Au bout d’un moment, sans que sa maîtresse ne s'en rende compte, l’automate avait perdu toute l’énergie de Chamon qui l’insufflait. Il était redevenu un tas d’acier et de métal, avec sa petite cheminée crasseuse de poussière qu’il faudrait ramoner, et ses écrous légèrement oxydés par les simples affres du temps. Et Isabelle demeurait là, son esprit entièrement concentré dans son répétitif jeu d’échecs. Le plateau était bel et bien doué d’une intelligence, car au bout de la troisième partie, il commença à se défendre plus férocement, en utilisant l’Ouverture Bretonnienne ; combien de fois le Fils avait joué avec cet objet ? À combien de joueurs s’était-il mesuré durant son existence, pour mémoriser des combinaisons et des fourchettes de pions avec lesquelles forcer l’adversaire à se rendre ?
Petit à petit, sans s’en rendre compte, la vieille magicienne se mit à lentement sombrer dans l’inconscience. Malgré la soif, malgré la faim, c’était le besoin de sommeil qui l’appelait avant tout le reste. Elle recommença à dodeliner de la tête, et, sa narcolepsie empirée par l’opium dont elle abusait, elle se mit à fermer des yeux et à voyager entre les bras de Morr — uniquement le temps de ses rêveries. Ce n’était pas encore définitif.





Il fallait deux heures pour atteindre le manoir depuis Altdorf ; mais ça, c’est quand on quittait la porte ouest. Hanna Merz vivait au Südküste, dans une chambre de bonne qu’elle louait avec l’argent qu’elle pouvait gratter au cours de la semaine, avant le passage hebdomadaire de son propriétaire. Isabelle le savait, parce qu’elle questionnait parfois sa domestique sur son domicile — elle avait simplement du mal à se rappeler qu’elle avait déjà posé la question et obtenu la même réponse des dizaines de fois.
Le Südküste, c’est un joli quartier de la classe moyenne, voire moyenne-haute quand on approche des demeures qui jouxtent le pont menant à la Vieille-Ville. Bien urbanisé, salubre, on disait que Taal et Rhya avaient béni cet arrondissement, peut-être à la faveur de ses jardins qui étaient couverts d’oiseau s’envolant le matin… Hanna Merz avait beau louer une simple chambre sous les combles, trop froide en hiver, trop caniculaire en été, l’immobilier est un marché qui repose fondamentalement sur la localisation — même son peu d’espace représentait un loyer conséquent. Et ça expliquait peut-être pourquoi Hanna Merz ne laissait pas sa maîtresse crever en oubliant de venir lui ramener de la nourriture une semaine de trop ; elle en avait besoin, d’argent, pour ne pas finir dans les lieux délabrés des docks.

Isabelle avait des trous dans son esprit. Elle avait l’impression de beaucoup en savoir sur cette jeune fille, et en même temps, tout n’apparaissait que par tâches, les souvenirs étaient brouillés, son esprit comme piégé dans un brouillard matinal. Hanna, elle l’avait vu petite. C’était la fille de son ancienne gouvernante. Une garce. Trop espiègle, trop rieuse. Il fallait l’engueuler, et demander à sa mère de la punir, parce qu’elle risquait de salir, de casser des bibelots en voulant jouer. Elle avait grandi en bougeant dans le jardin, dans la serre, dans la chambre de sa mère qui se trouvait dans un coin du manoir, à l’étage, où Isabelle ne se rendait plus vraiment. Elle était devenue adulte. Elle n’était pas encore mariée, alors qu’elle avait le bon âge pour — c’est pas normal pour une jeune fille de vivre toute seule dans une chambre de bonne. Elle savait lire et écrire, ce qui est pratique parce que c’est à elle de ramener le journal ; le Spieler, Isabelle réclamait le Spieler, parce que c’était le plus respectable des torchons qui se vendaient à travers Altdorf. Des Spieler, il y en avait plein la maison, des gazettes partout, empilées en tas renversés, avec des dates différentes, ce qui n’aidait en rien à la confusion perpétuelle qui empoisonnait l’esprit de la magister.



Il y eut des bruits depuis la porte d’entrée. Ils tirèrent Isabelle de sa langueur. Elle était avachie n’importe comment sur le fauteuil, et avait à présent de douloureuses courbatures partout dans son dos. Elle mourrait de soif, elle avait mal au ventre de faim. Devant elle, l’échiquier continuait de fonctionner, et patientait depuis on-ne-sait quand qu’un nouveau coup soit joué. Est-ce que Balthasar Gelt était toujours là ? Oui, il était passé, elle se remémorait des événements qui s’étaient joués il y a quelques heures. Mais là, le pas qui remontait le long du couloir était moins lourd. Plus hésitant. Une tête, pourtant, finit bien par apparaître devant le petit salon.
Hanna était revenue pour lui permettre de survivre une journée de plus.
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Une petite jeune femme, maigrelette, le visage à la physionomie plutôt commune, mais pâle, elle avait ce teint pâle qui faisait penser qu’elle avait une mauvaise santé. Elle soignait bien ses cheveux, toujours apparents, elle ne les voilait pas à la mode des dames Bretonniennes qui était copiée dans les salons d’Altdorf. Elle avait mis sa robe bleu-verte, sous un gros manteau pour se protéger du froid. Et elle se tenait là, bêtement, hagarde, avec son panier sous le bras.
C’était un cocher qui l’amenait ici depuis Altdorf. Ernst, qu’il s’appelait. Il devait bêtement attendre devant l’entrée. Isabelle le voyait parfois de loin, ce Ernst, à poireauter des heures durant pour ramener Hanna chez elle. Il l'aidait parfois en descendant ses fesses de sa maigre charrette pour porter du bois de chauffe qu'il balançait dans le cabanon jouxtant l'aile gauche du manoir. Ce que la jeune femme le payait pour qu’il s’embête à lui faire le voyage et à l’attendre de longues heures durant, ça devait pas être suffisant. La vieille en été persuadée — ce cocher devait se gêner à se rendre serviable pour espérer quelque chose de la gamine. C’était peut-être ça la première pensée qui occupait son esprit.
Mais pourquoi Hanna ne disait rien, et restait toute droite avec son air niais ? D'habitude, en entrant dans la pièce, il n'y avait aucune pause. Elle entrait, fonçait dans la cuisine, préparait à manger, tout en racontant sa matinée à voix haute en lui donnant un tas de détails dont Breitenbach n'avait rien à foutre.

« Madame ? Je…
J’ai vu des traces de sabots et de charrette devant la barrière… Je pensais… »


Elle faisait exprès de ne pas terminer sa phrase. Elle entra timidement dans le salon, et, finalement, s’approcha de la vieille dame.
Elle posa son panier sur la table basse, à côté de l’échiquier. Ça sembla attirer son attention. Ce qui attirait l’attention d’Isabelle, c’était plutôt le pain et les légumes qu’elle avait ramené. Elle avait faim, elle commençait à le sentir à présent.

« Où c’est que… Qui vous a ramené ça ? »
Sortilège « Serviteur de métal » : 5, réussite. Tu peux continuer de jouer aux échecs sans souci.

Jet d’endurance : 11, échec. Tu t’endors dans ton fauteuil en plein milieu de la partie. Isabelle n’est réveillée que par l’arrivée de Hanna.
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Isabelle Breitenbach
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par Isabelle Breitenbach »

Isabelle s'était perdue dans les limbes, s'enfonçant toujours plus dans un sommeil sans rêve. Sa peine s'évaporait lentement, son esprit se calmait. Contrairement à ses habitudes, elle ne remua pas durant ce repos, paraissant plus paisible que jamais. La magistère déchue lavait son immense fatigue provoquée par un trop plein de sentiments étrangers, se laissant couler sereinement dans cette torpeur sans chercher à tout contrôler. Après la tempête revenait le calme.

Un bruit la réveilla, tirant son esprit hors de cette infinité. Breitenbach grommela et ouvrit les yeux. L'échiquier se trouvait toujours là, patient. L'avait-elle activé avec sa propre magie? Oui, elle s'en souvenait à présent : Balthasar, la prêtresse de Shallya, l'échiquier et l'espoir d'apprendre ce qu'il était advenu de son fils. Sa peine aussi, mais de manière plus distante, comme un démon murmurant à ses oreilles.

Tink était mort, affaissé par terre dans une position de défaite. Lui aussi avait abandonné sa maîtresse, la laissant seule, isolée, livrée à elle-même. Isabelle n'aimait pas cette solitude, elle l'avait vécue pendant trop longtemps et avait besoin d'une moindre compagnie pour subir ses ordres et ses caprices. Le petit golem faisait un parfait serviteur, car il était entièrement plié à sa volonté. Il lui apportait une impression de contrôle et d'autorité, certes illusoires, mais nécessaires.

Son ventre lui faisait mal. Isabelle avait terriblement faim, mais elle ne pouvait rien y faire pour l'instant : avec l'agitation du passage de Gelt, les pigeons avaient momentanément quitté le domaine. De toute façon, la vieille femme n'avait plus la force de les attraper et encore moins de les cuisiner. Sa gorge était aussi très sèche, mais cela, elle pouvait y remédier. Breitenbach fouilla dans la poche de sa veste et sortit sa flasque de brandy. Elle prit une longue rasade d'alcool, bien trop longue. Très vite, sa gorge s'enflamma et son nez sembla contenir de la lave en fusion. Isabelle recracha une partie du liquide ingurgité et toussa violemment.

En relevant la tête, la vieille sorcière remarqua enfin la présence de Silvia (non, Hanna). La jeune fille la regardait, l'air plus hagard que d'habitude. Avait-elle parlé? Cela n'avait pas grande importance, elle n'avait jamais rien d'intéressant à dire de toute façon. Le visage d'Isabelle s'orna d'un dédain exagéré et d'une profonde lassitude. Elle voulait bien faire comprendre à cette petite peste que sa présence n'était pas appréciée. Mais cela n'empêchait jamais Hanna de revenir, même après que Breitenbach ait piqué une terrible crise à son encontre. Cette fois ne dérogea pas à la règle et, sans se soucier de l'animosité de la maîtresse des lieux, la jeune fille vint poser son panier sur la table à côté de l'échiquier.

La Dame de Plomb tenta de résister à l'envie de regarder le panier, mais l'odeur la fit rapidement céder. Des produits frais en dépassaient, faisant rugir l'estomac affamé d'Isabelle. Elle prit une nouvelle (petite) gorgée de Brandy pour calmer son envie de tousser, puis saisit son étui à cigarettes. L'accessoire équipé et calé entre ses dents, la vieille femme claqua plusieurs fois des doigts pour en faire jaillir une flamme aethyrique. Comme avec Balthasar, rien ne se passa. Après un soupir, Isabelle tendit son briquet amadou à Hanna, lui signifiant que c'était à elle d'allumer sa cigarette.

La magistère déchue tira longuement sur sa cigarette à l'opium, sentant immédiatement la faim et la douleur s'amoindrir. C'était un acte de défit à l'encontre de la jeune fille : Isabelle tuait sa faim pour bien lui signifier que son aide n'était pas nécessaire. Mais cette fois, l'opium ne suffit pas à endormir totalement l'estomac de la vieille femme. Elle devait impérativement se nourrir.
Sans se défaire de son air supérieur, Breitenbach se pencha pour saisir un morceau de pain. Elle croqua dedans avec avidité, laissant une trace de rouge à lèvre sur la mie.

Hanna ne la regardait plus, son regard était fixé sur le présent de Balthasar. Elle interrogea Isabelle sur la provenance de l'échiquier.


« De quoi te mêles-tu?! » Avait immédiatement répondu la Dame de Fer avec une sécheresse dont elle seule avait le secret.

Mais peut-être avait-elle parlé trop vite. Peut-être y avait-il un coup à jouer. Isabelle fit mine de regretter son ton et soupira longuement. Elle tendit son bras à Hanna pour lui ordonner de l'aider à se relever. Son corps était trop engourdi par l'opium pour qu'elle le fasse toute seule. Une fois debout, la sorcière pointa sa canne au sol pour que la jeune fille la ramasse et la lui donne. Certes, la présence de la petite peste était agaçante, mais cela faisait du bien à la magistère déchue de mener quelqu'un à la baguette.

Aidée de sa canne, Breitenbach se rapprocha du mobilier de la pièce et commença à ouvrir toutes les armoires, à fouiller tous les tiroirs, sans dire ce qu'elle cherchait. En réalité, elle pensait trouver un jouet en métal susceptible de servir d'ingrédient. Si la magistère déchue était incapable d'allumer une simple flammèche, raviver Tink serait une tâche presque impossible. Mais si elle lançait le sort avec son ingrédient attitré, peut-être y parviendrait-elle. Isabelle prit la parole pendant ses recherches, forçant la jeune Hanna à la suivre dans toute la pièce.


« Le Patriarche Suprême m'a rendu visite hier. » Isabelle jeta un œil à l'air surpris de la jeune femme. « Ne prends pas cet air ahuri! J'ai formé Balthasar bien avant qu'il ne porte ce masque ridicule.

Il ne supporte pas l'idée de m'avoir eu pour maîtresse, s'étant toujours vanté, à tord, d'avoir acquis sa puissance tout seul.
Pour cela, il me hait. Il espérait probablement me retrouver morte dans mon manoir. Aha! »


Isabelle avait trouvé ce qu'elle cherchait : en tira un tiroir, elle dévoila une dizaine de petits soldats de plomb ayant appartenu à son fils. Elle ignora ce détail, refusant de se replonger dans une pitoyable mélancolie, et saisit l'un des petits jouets. Elle le plaça devant son œil de métal pour en observer la manufacture.

« Quant il a vu que la Dame de Fer était toujours là, il s'est énervé. » Isabelle se retourna pour regarder Hanna. « Il a tué mon pauvre Tink. »

Isabelle retourna aux côtés de son serviteur mort et reposa son porte-cigarette en équilibre sur le cendrier. Elle serra fort le petit soldat dans sa main gauche et leva la droite au dessus du cadavre de ferraille. Fermant les yeux et levant le menton, elle commença à murmurer son incantation. Au grand soulagement de Breitenbach, l'aethyr présent dans la pièce se mit en mouvement. Tel un immense drap bercé par un courant d'air surnaturel, le vent de Chamon dansa autour de la vieille femme.

Isabelle baissa le bras pour diriger son œuvre vers Tink. L'aethyr ne répondit pas à cet ordre, continuant de s'accumuler autour de la magistère déchue. Son cœur manqua un battement et elle tenta de nouveau de déplacer le vent jaune. Rien n'y faisait, la charge de magie croissait dangereusement sans que la Dame de Plomb ne puisse l'arrêter. Un grésillement insupportable commença à faire vriller les oreilles de la sorcière alors qu'une forte odeur de brûlé asphyxiait ses narines.

Hanna, être insignifiant n'ayant pas été doté du sens de la magie, ne se rendait compte de rien.

L'inévitable arriva : la surcharge aethyrique indomptée se jeta sur sa maîtresse, lui assenant un choc fabuleux. Isabelle eut l'air de recevoir un coup de marteau sur le crâne. Après ce violent spasme, elle perdit connaissance et s'effondra.



Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Breitenbach découvrit le regard terrorisé d'Hanna. La jeune fille, paniquée, était assise à ses côtés et avait placé un coussin sous son crâne. Une petite tache rouge s'était répandue sur le tissu blanc, là où le crâne d'Isabelle avait rencontré le sol. Une migraine abominable, paralysante, affectait la vieille femme, une sensation bien familière. Au cours de ces dernière années, la Dame de Plomb s'était accoutumée aux malaises et aux chutes provoquées par la maladresse, l'alcool, ou la drogue. Aussi, elle savait plus ou moins gérer cet état abominable, prenant bien soin de ne pas bouger avant que la douleur ne se calme.

Isabelle était furieuse contre elle-même. Elle n'avait pas réussi à contrôler sa magie et avait reçu un retour de flamme. Était-elle diminuée à ce point? L'ancienne Grande Trésorière ne pouvait admettre pareil échec, surtout à un membre de la basse plèbe. Fort heureusement, l'inculture de ces derniers pouvait facilement être exploité pour justifier même le plus ridicule des fiascos.

Isabelle somma Hanna de se taire d'un geste de la main, puis attendit quelques minutes pour retrouver contenance. Pendant ce précieux moment de silence, elle fit travailler ses méninges et structura son discours. Une fois son état passé d'abominable à très désagréable, elle s'assit avant de s'adresser à la jeune servante.


« Ce qui vient d'arriver est l'œuvre de cet enfoiré de Gelt. Il m'a maudite à l'aide de sa magie, m'enfermant dans une cage invisible pour m'empêcher de jeter un sort ou de quitter ce domaine. »

Sa voix était rauque, caverneuse. Breitenbach sortit maladroitement sa flasque pour la porter à ses lèvres, mais stoppa son geste pour contempler l'objet en métal. Il luisait. Stupéfaite, la magistère déchue se rendit compte que, tout autour d'elle, la matière non-organique avait aussi gagné ces propriétés luisantes, comme recouverte d'huile. Les bagues à ses doigts, ses vêtements, mais aussi ceux d'Hanna étaient affectés. Cela ne résultait pas de ses migraines, car sa peau restait sèche et sans reflets. Par son échec, Isabelle avait été affectée par une empreinte du vent jaune.

« Regarde, ma propre magie lutte contre la sienne, cela affecte la matière autour de moi. »

Breitenbach ne savait pas combien de temps ça allait durer, mais ce n'était pas important : l'effet n'était pas trop contraignant. Après une rasade de brandy, elle reprit :

« Le Patriarche Suprême me trouve gênante, il veut se débarrasser de moi. Cette malédiction n'a pas pour unique but de me tourmenter : elle lui permet de gagner du temps.

Ses effets disparaîtront dans une semaine ou deux, mais alors, ce sera trop tard. Dans quelques jours, quelqu'un va passer au manoir pour s'occuper de moi. »


Isabelle devait mettre en œuvre toute sa volonté et son intellect rouillé pour improviser ces mensonges. Si elle en avait déjà le schéma général, elle découvrait elle-même de nouveaux détails au cours de son récit.

« Balthasar ne peut se permettre de m'assassiner, cela risquerait d'entacher sa noble fonction. » Elle avait accentué ce "noble" pour bien souligner son caractère dérisoire.

« Sais-tu ce qu'ils font des gens de ma trempe? Ils leur arrachent leur connexion avec l'aethyr, avec la magie. Pour cela, ils les torturent pendant des jours pour ne laisser qu'une coquille vide, morte sans vraiment l'être.

Gelt ne peut pas le faire lui-même, c'est pourquoi il va engager une personne spécialisée pour cela. Une sombre personne. »


La magistère déchue refoula son envie de fumer une nouvelle cigarette. Elle voulait profiter de cet étonnante clarté d'esprit pour berner Hanna.

« Son plan était bon, du moins jusqu'à ce que son envie de me voir souffrir prenne le dessus. Cet imbécile voulait me faire mal, me faire sentir que la fin approchait. Il m'a donc bêtement détaillé son plan. » Un sourire féroce déforma son visage et accentua ses rides.

« Mais il a commis une grossière erreur : il m'a sous-estimée. »

Breitenbach tendit ses mains au dessus du cadavre de Tink.

« Je vais briser cette malédiction en jetant un sort. La première fois, j'ai affaibli le seau de Balthasar. Maintenant, je vais le détruire.
Ecarte-toi. »


A nouveau, la sorcière prononça l'incantation, haut et fort cette fois. Si elle voulait donner un minimum de crédit à son histoire fantaisiste, elle n'avait pas le droit à l'échec. Mais Breitenbach avait un avantage certain, inespéré. C'était la première fois depuis des mois qu'elle était prise d'un tel élan de parfaite lucidité, la Dame de Plomb redevenant la Dame de Fer d'antan.

Isabelle sentait que son esprit restait ancré dans le présent, sensation presque oubliée à cause des fréquents torrents de sénilité qui se déchaînaient en elle. Cette fois, l'aethyr ne fit pas de caprice, s'enroulant doucement autour des bras de la sorcière pour se canaliser au bout de ses doigts. Telles des goutes s'accumulant, le vent jaune finit par couler sur Tink en formant de fines ficelles dorées. Breitenbach fit bouger son auriculaire et le petit golem souleva son bras droit. Elle remua son pouce et le serviteur leva sa jambe gauche.

La Dame de Fer exécuta une adroite manipulation et Tink se releva doucement. Une fois redressé, les fils dorés se sectionnèrent, l'aethyr venant s'enrouler autour du serviteur réveillé pour l'alimenter en magie. Le golem tendit les bras et Isabelle le souleva du sol pour le serrer contre elle. Un fort sentiment d'apaisement l'affecta sans qu'elle n'ait besoin de le simuler.

Après plusieurs secondes, elle releva la tête pour regarder Hanna d'un air satisfait. Dans son récit, elle venait de se libérer de la malédiction de Gelt.


« Derrière son masque en or, le Patriarche Suprême est une personne cruelle. Il m'a apporté l'échiquier de mon fils pour me briser mentalement. Un personnage aussi sinistre ne reculera devant rien pour m'anéantir. »

Isabelle plongea son regard de fer et de bleu dans les yeux de la jeune femme.

« Hanna, si je veux survivre, je dois me préparer à partir. »

Comme pour entacher la détermination apparente de la vieille femme, un éloquent gargouillis s'échappa de son ventre.


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Modifié en dernier par Isabelle Breitenbach le 06 mai 2021, 13:56, modifié 1 fois.
Isabelle Breitenbach, Voie du Sorcier des Collèges de Magie
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[MJ] La Fée Enchanteresse
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Hanna prenait Isabelle pour une folle.

Comment lui en vouloir ? Ce n’était pas un jugement trop hâtif. Isabelle von Breitenbach était, à tous égards, véritablement fêlée. Elle vivait dans sa crasse, au milieu d’un manoir infesté de rats et de pigeons, incapable de véritablement s’alimenter, s’habiller ou se laver seule. Dans l’Empire, les vieux séniles, ils sont gardés par leurs familles, peu importe qu’on soit riche ou pauvre ; Mais Isabelle avait commis l’erreur d’être une vieille folle qui s’était mise à dos tous les gens qui auraient pu prendre soin d’elle. Elle avait bien des neveux et des petits-cousins, mais la maison von Breitenbach attendait patiemment qu’elle canne pour récupérer son manoir enregistré au cadastre. Elle avait bien des collègues, mais eux jouaient la montre pour aller chez elle et fouiller de fond en comble le grenier et la cave à la recherche de notes ou de débuts de thèses de projet à cacher dans les archives. Elle avait eu des amants, au moins un homme qu’elle estimait assez pour porter son enfant — leurs visages étaient aussi confus que leurs noms ; étaient-ils seulement en vie ? Les femmes vivent notoirement plus longtemps que les hommes, quand elles ne meurent pas en couches. Le monde est bien assez cruel pour que Morr vienne faucher des gens de tous les âges ; s’il y avait eu des gens pour aimer Isabelle, ils ne devaient plus être de ce monde.

Le souci, c’est que Hanna, elle en avait déjà entendu des bobards racontés par la maîtresse de maison. Elle radotait constamment, confondait les années, les époques, les lieux et les personnages. Elle confondait ceux qui étaient vivants et ceux qui étaient morts. Alors, si Hanna laissait bien Isabelle raconter la totalité de son récit, en se contentant de distraitement montrer le contenu du panier qu’elle avait ramené d’Altdorf, les longues phrases de la vieille mage avaient beau avoir de la cohérence, comment juger de la valeur des paroles d’une folle ? Le Patriarche Suprême était passé ici, hier soir — certes, Isabelle le connaissait le Patriarche Suprême. Elle connaissait du monde. Elle connaissait même l’Empereur Luitpold — ou alors elle parlait du Prince Luitpold, nommé selon feu son grand-père ? Dans ses moments de clarté, Isabelle se rendait compte de ses propres erreurs, mais alors c’était sa fierté qui était blessée.

En tout cas, même si Isabelle n’était pas certaine que la jeune Hanna la croyait sur paroles, une chose était certaine : Hanna semblait très inquiète. Agenouillée devant le fauteuil de la dame qu’elle avait relevée après son léger coma, la servante avait de grands yeux écarquillés. Elle posa une main sur son front, pour vérifier qu’elle n’était pas fiévreuse — ça aurait été une bonne explication à ses théories complotistes — et dodelina de la tête en s’étant assurée de son état de santé.

« Sigmar me garde, madame… Je… Je ne sais vraiment pas quoi dire… »

Plutôt que de regarder la vieille dans les yeux, elle scrutait nerveusement une bague à son doigt. Elle pouvait bien voir comment le métal se mettait à luire, d’un aspect huileux, quand il était trop proche d’elle. Quand bien même elle ne percevait pas la magie, elle se mettait à présent à frisonner en se rendant vraiment compte de ce que pouvaient impliquer sa proximité avec une magistère.
Dans l’Empire, la magie fascine autant qu’elle inquiète. Les gens, naturellement, veulent s’approcher clandestinement de ces mages ; ils veulent voir des tours joués par des illusionnistes, ils souhaitent qu’on leur conte la bonne aventure dans des cartes ou des boules de cristal, ils sont admiratifs des feux d’artifice de l’Ordre Flamboyant, et dans les villages, on retire son chapeau quand passent les chamanes ou les druïdes. Et dans le même temps, ces mêmes gens sont les premiers à chercher des coupables quand l’eau du puits est infect, quand le lait tourne, quand les hommes sont infertiles ou les récoltes mauvaises. Quand ils ont faim, ou peur, ils exorcisent leurs craintes en cherchant des gens pas normaux, ceux qui font des rêves étranges, qui hallucinent de couleurs ou de sons que la vue et l’ouïe humaine ne peuvent détecter.
Au sud d’Altdorf, se trouve une colline ; la colline crépitante. C’est là où les mages illégaux et les mutants sont tués par le bûcher, la superstition des Altdorfer les empêchant de tolérer que la sentence des gens de ces espèces ne soit rendue sur la place des potences, comme pour les crimes de droit commun. Peut-être Isabelle pourrait elle aussi finir attachée à un poteau en haut de cette colline, il n’y aurait qu’à révoquer sa licence de magie…

« Écoutez, je…
Je vais d’abord vous faire à manger, là, et, heu, ensuite… Ensuite, bah, on verra. »


Elle s’approcha du panier. Elle tira une gazette enroulée qu’elle posa en bout de table, à côté de l’échiquier.

« Je suis désolée, le vendeur de journal du Spieler n’était pas là quand je suis allée au marché. J’ai pris le Corps Céleste à la place ; ça vous ira tout de même ? »

Le Corps Céleste était le journal le plus populaire d’Altdorf — et c’était peut-être là la raison principale pour laquelle on n’avait pas l’habitude de le trouver dans la maison d’Isabelle. Alors que le Spieler était un journal ancien et à peu près respectable (Pour de la presse écrite…), le Corps Céleste se trouvait être une publication fort récente. Dans un ancien entrepôt à navet le long des docks, on sortait ce torchon polémiste qui crachait sur tout et tout le monde, rapportait des ragots sur le Volkshalle et la cour impériale, et les problèmes quotidiens sans importance des Altdorfer. Et contrairement au Spieler, il n’y avait même pas une page ou deux sur les représentations culturelles un peu intéressantes, comme une critique de théâtre ou d’opéra, en revanche il y avait un astrologue en toute dernière page…
Peut-être Hanna mentait-elle, et ne l’avait acheté que parce qu’elle était pince. Ou que, en tant que gosse du peuple, elle souhaitait avoir le journal pour elle lorsqu’Isabelle aurait fini de le lire ; il est vrai que la servante avait la chance d’être alphabétisée. Sa gouvernante de mère s’en était bien assurée.

Isabelle se retrouvait à nouveau seul. Le petit Tink décida de redevenir la fée du logis qu’il se devait d’être, à présent qu’il était réanimé. Il décida de courir aller nettoyer le bazar qu’il avait causé hier, et utilisa un tout petit balai à sa taille pour ramasser les morceaux de porcelaine fendus. Une nouvelle cigarette et une tasse de thé plus tard, elle pouvait lire les gros titres de son torchon.
LE CORPS CÉLESTE

Backertag 26. Nachexen 2529
Quotidien Véridique Et Actuel
Chaque jour — six pages
Altdorf : 2 s. Abonnement mensuel : Altdorf (3 p), Ubersreik, Helmgart, Eilhart (4 p), Reikland (8 p)



LES SHALLÉENNES CHIALENT POUR LA CHIENLIT !
Des Prêtresses De La Colombe Pétitionnent Les Primes États De L’Empire Pour Offrir Des Soins Aux Mutants !


Une fois n’est pas coutume, le clergé de la Colombe a décidé de cracher sur les drapeaux des régiments de l’Empire en étant à l’origine d’une nouvelle polémique bien virulente ; un groupe de douze prêtresses s’est tenue devant Sa Majesté Impériale hier dans l’après-midi pour soutenir une pétition des plus révoltantes — elles souhaiteraient obtenir la permission d’ouvrir un hospice dans la province du Reikland pour tenter d’y enfermer et d’y traiter les personnes atteintes de mutations.

Telle proposition est au mieux d’une naïveté hilarante, au pire une insulte envers les milliers de militaires de l’Empire qui sont morts — et meurent encore — en luttant durant le Déluge face à des osts démoniaques qui étaient bien constitués en majorité de ces monstres difformes ; le plus doux des bons sujets de l’Empire saura bien dormir sur ses deux oreilles en imaginant la place de ces êtres dans des zoos, quand le plus discipliné sait que le bûcher est là tout le soin qui leur doit être porté. Et pourtant, il y a encore aujourd’hui des cœurs faibles pour appuyer la pétition qui a ainsi été soutenue publiquement, sans une once de honte.

Les journalistes du Corps Céleste se sont empressés de mener leur enquête sur ces prêtresses ; la meneuse n’est même pas Impériale, mais une Bretonnienne du nom de Fabienne Alezar officiant à la chapelle du Fleishmark en semaine entre huit heures et seize heures — nous ne pouvons qu’encourager nos lecteurs de se présenter à elle pour exiger des explications théologiques sur sa manière de percevoir les créatures maléfiques ; à moins que la grande-prêtresse Anja Gustavson ait l’inspiration divine d’excommunier sa subalterne !
[…]



ENCORE LES NORDLANDER ! — FOURNÉE HEBDOMADAIRE

Comme chaque Backertag, le Corps Céleste est ravi de vous publier les nouveaux délits dont se sont rendus coupables des Nordlanders dans la ville d’Altdorf. Le but de cette revue n’est pas d’être insultante envers les Nordlander travailleurs et respectueux qui ont émigré ces dernières années au sein de nos murs (Si si, ils existent, on en trouve parfois !), mais simplement de laisser nos lecteurs profiter de faits VÉRIDIQUES afin de se rendre compte eux-mêmes de la prévalence criminelle chez les sujets de Theodoric Gausser.
— Bezhaltag 19 : Dans la nuit, deux frères Nordlander nommés OTTO et GERHARD VOSS sont appréhendés par le guet pour tapage nocturne et ivresse sur la voie publique.
Dans la même nuit, un certain WERNER de Salzenmund se soulage en pleine rue sur la Königplatz.
— Konistag 20 : En matinée, une certaine KAROL OHNMACHT de Norden est arrêtée pour injures, et comportement immodeste sur les quais.
Deux Nordlander dont nous n’avons malheureusement pas pu obtenir les noms sont bastonnés par des oblats de Sigmar pour bougrerie.
Dans la nuit, un certain ADOLF de la proximité de Salzenmund est arrêté pour larcin et délit de fuite.
[…]



JOHANNES ESMER BIENTÔT CHEZ LES BRETONNIENS ?!

Le rat d’anti-Théogoniste se chercherait de nouveaux lieux où passer ses vacances ! Le soleil de la province insurgée du Westerland ne semble plus lui convenir, car nous avons eu vent de tractations le concernant au Palais-Neuf de Marienburg.
« Marienburg souhaite continuer l’œuvre de normalisation de ses relations avec les autres provinces de l’Empire », m’a confié hier l’ambassadeur du Jutonesryk (On continuera de parler de Westerland, merci bien !) Thurk van Hasteroy. « Le Directoire souhaite un processus de conciliation entre toutes les parties du culte de Sigmar, même s’il garde une place d’observateur neutre dans cette affaire purement religieuse. »
Traduction pour nos lecteurs : On a pris les Impériaux pour des gros cons en accueillant une petite fiotte lâche chez nous, et maintenant on se rend compte qu’on aurait pas dû ! Enfin, ne jetons pas la pierre aux Marienbourgeois ; ils accueillent tout et n’importe quoi chez eux, peut-être même auraient-ils déployé le tapis rouge pour Archaon s’il avait cherché l’asile chez eux ! En revanche, si nous conseillons à nos lecteurs de ne pas aller faire part de leurs opinions à ce sujet auprès de leurs voisins de quartier nés à Marienburg, nous ne pouvons que vous mettre en garde face à d’autres genres de rats bien plus cruels et sadiques que ces marchands véreux et vénaux…

Car la Bretonnie pourrait bien devenir la prochaine destination de Johannes Esmer ! De Marienburg à Couronne, la distance n’est pas si longue, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, une véritable communauté Impériale vit dans le royaume voisin de Bretonnie ! Dans le duché de Montfort notamment, où résident et travaillent de nombreux émigrés Impériaux, la foi dans le Dieu-Kaiser est toujours très importante. Et si le Roy Louen profitait de la présence d’Esmer à sa cour pour maintenir de la pression sur le Reikland ? À cette question que je lui ai posée, l’ambassadeur Bretonnien s’est contenté d’un laconique : « No comment. »

Le Bretonnien a été, durant le Déluge, un grand allié. Nous ne pouvons qu’honorer le sacrifice de chevaliers et soldats qui ont traversé les Montagnes Grises pour se battre de Middenheim jusqu’au fleuve Lynsk. Oui. Mais ces derniers mois, cet allié s’est révélé être un bien mauvais gagnant, et un bien mauvais camarade. Alors que les forts du Défilé de la Hache et du Col de la Dame Grise ont été dégarnis, leurs garnisons mobilisées pour aider les provinces plus touchées par le Déluge, les bastions du duché de Parravon sont eux peuplés d’hommes d’armes rentrés de l’Empire. « Ce sont des déploiements dont nous sommes informés, destinés à lutter contre les Peaux-Vertes », me répondait cette semaine le Reiksmarshall Kurt Helborg. « Le Sud du Reikland n’a rien à craindre de nos voisins, et vous ne devriez pas semer la panique ou la discorde en parlant de sujets militaires », s’était même permis de répliquer sèchement le Grand-Maître de la Reiksguard, abandonnant ainsi sa neutralité coutumière !
[…]


« Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ?! »

Un homme se plaignait. Un bel homme, élégant, qui devait avoir la cinquantaine à en juger par ses rides et ses cheveux poivre-et-sel ; une jolie peau blanche, un costume cintré, avec une canne en beau bois verni pour se soutenir. Il avait tous les atours du dandy du Volkshalle, car il était un petit aristocrate qui s’était assuré une place dans la bureaucratie byzantine de l’Empire. Un homme bien informé, d’une intelligence rare, même s’il employait trop souvent un vocabulaire ordurier, preuve qu’il n’était pas d’aussi bonne naissance qu’on voudrait bien croire.

« Allons, ma mie, ce n’est pas de votre rang de lire de telles sottises ! Baste, la presse polémiste ; elle offre au peuple des nouvelles sur des choses qu’il devrait mieux ignorer ! C’est la faute à ces papiers, s’il y a des émeutes et des troubles en ville ! La presse — voilà bien ce qui tuera l’ordre et empoisonnera les consciences de l’Empire. Le Progrès n’amène pas que du bien dans son sillage ! »

Au fond de lui, Hermaan était un conservateur. Bon Sigmarite, bon père de famille, bien discipliné, se sentant à l’aise dans l’ordre et la permanence des convenances. Il allait bien au Temple deux fois par semaine, et croyait dur comme fer en l’importance des classes sociales.
Lui et Isabelle étaient bons amis, quand bien même ses opinions n’étaient pas forcément toujours partagées par la noble dame von Breitenbach — elle était à l’inverse une novatrice, adorant les nouveautés et les améliorations scientifiques et technologiques. En tant que Trésorière du Collège Doré, elle pouvait bien voir comment les alchimistes du Collège Doré étaient en première ligne pour donner naissance aux étincelles qui changeraient tout l’ordre du monde. Un jour, les soldats mécaniques remplaceront les preux chevaliers, et des bras automates laboureraient les champs à la place de paysans priant Taal et Rhya, les Dieux ancestraux…

« Quel est donc le projet de ces journalistes ? Qu’est-ce que cela leur sert, de semer partout la discorde, partout la méfiance ? À vendre ! Ils en appellent aux bas instincts des Altdorfers, comme les puterelles le font avec leurs bas et leurs corsets !
Et le pire, c’est que des gens comme ça, il y en a de plus en plus dans la cour Impériale… Karl Franz est un bon Empereur, mais petit à petit, ses conseillers sages sont en train d’être remplacés par des vauriens.
Tenez, Kurt Helborg, le Reiksmarshall : en voilà, un bel homme, bon, et courageux ! Il remonte bien le niveau ! Mais que penser de Tybalt ? Le chancelier de l’Empire qui est un fils d’épicier, quelle horreur ! »


Et voilà, c’était parti pour une dispute. Un long débat politique, de quoi se mettre d’humeur dès le matin ; surtout que Hermaan avait toujours une opinion sur tout, et il ne se taisait que pour prendre un verre de brandy Bretonnien.

Alors qu’Isabelle était en pleine conversation, Hanna arriva de la cuisine, en tenant une assiette de soupe si chaude qu’un voile de fumée s’en élevait. Elle arrivait en faisant les gros yeux, toujours avec cet air idiot, et elle fit juste :

« Heu… Madame, ça va ? »

Elle observait Hermaan comme si elle observait un chat errant. Mais finalement, elle décida de se taire et d’aller dans le salon adjacent, pour mettre la table.

« Pfeuh, quelle vilaine peste celle-là…
Tu devrais faire attention à elle, Isabelle ; As-tu vu comment ses yeux papillonnent quand elle regarde ton Wilfried ? Je connais des jeunes qui convolent en noces en échappant à l’autorité de leurs parents ! Ils imitent les Bretonniens, crois-moi, ça se fait de plus en plus ! »
Jet de charisme sur Hanna (Malus : -3, raison cachée) : 2, ça passe quand même.

Jet de résistance mentale : 16, échec. Ah, bienvenue, Hermaan.
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Isabelle Breitenbach
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Re: [Isabelle] « Un danger pour elle-même et pour autrui. »

Message par Isabelle Breitenbach »

Plus Isabelle s'emportait dans son récit fantaisiste, plus Hanna s'enfonçait dans le doute. La vieille femme le sentait bien, elle avait déjà vu ce regard insupportable se poser sur elle. Dubitatif, emprunt d'une profonde pitié. La jeune fille la voyait comme un être fragile, tant bien physiquement que mentalement, s'imposant une barrière psychique pour éviter de se laisser emporter dans les délires de la magistère déchue. Chacune de ses paroles était sujette à questionnement. Il est vrai que si elle avait écouté et cru Breitenbach dès son premier jour après la disgrâce, Hanna serait probablement nue aujourd'hui, suspendue à un lustre, à lancer ses excréments contre des menaces inexistantes.

La Dame de Fer sentait la moutarde lui monter au nez. Comment osait-elle réfuter ses mensonges? Connaissait-elle seulement l'ampleur de la force de volonté mise en œuvre pour tisser ces plans? Actuellement, Isabelle n'était pas totalement folle. Ses histoires découlaient d'un raisonnement sensé, minutieusement calculé et dosé. Rien n'était plus frustrant que de se voir considérer comme sénile quand notre seul crime était de mentir éperdument. La vieille femme en avait déjà joué, feignant de ne pas se souvenir d'avoir bloqué la porte d'entrée pour laisser Hanna dehors, sous une pluie torrentielle. Elle se délectait de voir la colère de sa servante se muter en pitié compatissante. Mais aujourd'hui, ce n'était pas pareil : il fallait que Hanna la croit.

Tout n'était pourtant pas perdu. La jeune fille n'était pas dans un total déni, mais envahie par le doute. Car le récit de Breitenbach était crédible, anormalement cohérent dans son découpage et dans sa narration. La sorcière ne s'était pas égarée, évaporant sa concentration dans des détails sans le moindre de sens. Et il y avait la magie, arme si efficace contre les simples d'esprits. "Tais-toi, c'est magique", une formule si simple permettant de retourner les croyances, de sauver ou de condamner. Mais serait-ce suffisant?

La servante balbutia quelques mots, incapable d'affirmer ou d'infirmer le crédit accordé à son employeur. La vieille femme sentit ses épaules s'affaisser de déception. Une des pires punitions infligées par sa décadence était de se voir imposer ce jeune esprit simplet, si étroit, si confiné dans un confort illusoire. Et c'était elle que l'on traitait de folle?! Si la Dame de Fer voulait convaincre Hanna, elle devrait y aller doucement, en plusieurs étapes. S'acharner maintenant oxyderait son crédit, verrouillant la jeune fille dans une conviction inflexible : Isabelle était folle et il ne fallait jamais croire en ses histoires.

Prenant une mine abattue, sans trop exagérer, Breitenbach fixa son regard au loin.


« Tu ne me crois pas. Malgré les preuves, les traces de carrosse dehors, la luisance de mes vêtement... L'échiquier... Qui d'autre aurait-il pu me l'apporter du Collège Doré?
Non, malgré tout cela, tu ne me crois pas... »


Avant de partir pour la cuisine, Hanna déposa maladroitement la gazette aux côtés de la vieille femme. Le Corps Céleste. Isabelle sentit quelque chose monter en elle, une colère irraisonnée, fulgurante. Son moment de lucidité était passé, à présent, elle sentait le délire s'emparer d'elle. La sorcière devenait une masse nerveuse d'émotions colériques. Ces instants étaient les plus difficiles à supporter, quand elle se trouvait dans cette zone d'entre-deux, toujours consciente, mais sentant son esprit divaguer petit à petit.

Elle posa un regard haineux sur la jeune servante, se tassant sur elle-même comme une araignée sur le point de bondir sur sa proie.


« Si tu t'imagines que je vais payer pour ce torchon, tu peux t'enfoncer le doigts dans l'œil jusqu'à l'épaule! »

D'un brusque geste de la main, elle congédia inutilement la jeune fille (qui allait se diriger vers la cuisine de toute façon). Tassée sur elle-même, véritable boule de colère chauffante, Isabelle grommela sans discontinuer entre ses dents serrées. Une cigarette au bec, elle entreprit de se remaquiller pour occuper ses mains. Terriblement maladroite, Isabelle contempla ensuite son œuvre abominable dans son petit miroir. Elle le reposa, satisfaite, avant de se saisir (non sans un profond dégoût apparent) de la gazette du Corps Céleste.

A sa grande surprise, Isabelle s'emporta dans sa lecture, découvrant un véritable intérêt dans cette abomination complotiste qu'elle avait entre les mains. De par son statu, elle n'avait jamais prêté attention à ce genre d'imbécilités débilitantes. Les délires ahurissants de ces fumiers de journalistes nuisaient souvent à ses affaires du temps de sa place de Grande Trésorière. Elle avait décidé, à raison, de ne pas prêter attention à ces accusations ridicules pour ne pas remettre de l'huile sur le feu. Mais à présent qu'elle tenait entre ses mains osseuses cet ennemi de toujours, elle ne pouvait que lui reconnaître un certain talent.

Le ton et le raisonnement étaient simplistes à outrance, l'écriture ne traduisait pas la moindre connaissance de la lettre. Mais Breitenbach en était convaincu, tout cela était minutieusement assemblé pour toucher le plus grand nombre : la plèbe à peine lettrée. L'écrivain se rapprochait du peuple, parlait son langage et pensait comme lui pour mieux s'immiscer dans leur foyer, dans leur crâne. Le rédacteur ne croyait probablement pas au moindre mot couché sur ces pages, s'amusant à rédiger des articles toujours plus osés. Peut-être était-ce un jeu pour lui, chercher la limite, pousser ses énormités toujours plus loin en attendant patiemment de dépasser le point de non-retour. C'était un agent du chaos, galvanisé par le pouvoir de sa plume si efficace.

Il y a des années de cela, Breitenbach se serait outrée de cet immonde personnage. Elle qui chérissait le progrès et l'ordre, ne supportant pas que pareilles infantilités ralentisse ses réformes. Mais aujourd'hui, que lui importait le destin de l'Empire et de la Bretonnie? Elle n'en avait tout simplement plus rien à foutre. Aussi, libérée de ses barrière morales et de ses propres intérêts, Isabelle ne pouvait que constater du talent de cet homme (les femmes ne possédant pas l'audace nécessaire pour pareille entreprise). Il se faisait passer pour un fou inculte et indigne de débattre auprès des riches, et pour un possesseur de LA Vérité auprès de la plèbe.

La Dame de Plomb sursauta lorsque Hermaan prit la parole. Quand diable était-il arrivé? Cet artistocrate mal-né avait le don de toujours apparaître quand on ne l'attendait pas. Il se tenait là, assez, les jambes élégamment croisées, les deux calmement posées sur sa somptueuse canne. C'était par jalousie que Breitenbach avait passé aussi longtemps à décorer la sienne. Au moins pouvait-elle se vanter aujourd'hui de gagner ce discret concours.

Elle ne savait pas pourquoi, mais Isabelle sentait la présence d'Hermaan comme une gêne, quelque chose d'inapproprié. Elle avait l'impression qu'entamer la conversation ne serait "pas commode". Au diable ces imbécilités, le brave homme lui avait rendu de nombreux services au cours des ans, il méritait une réponse. Breitenbach termina son thé (comment était-il arrivé là, d'ailleurs?) et s'alluma une nouvelle cigarette. Sans arrêter de feuilleter la gazette, elle prit la parole.


« Haha! Mon pauvre Hermaan. Toi et ton classicisme me ferez toujours rire. "Tout est à sa place, comme il se doit". Mais si c'était vraiment le cas, te tiendrais-tu à mes côtés, habillé de si riches vêtements? »

Elle le taquinait, lui et sa noblesse fictive. Hermaan n'en prenait jamais vraiment offense, ou du moins le cachait-il suffisamment. C'était l'une des qualités qui permettaient à Breitenbach d'apprécier sa présence. Lui la vouvoyait, elle le tutoyait et ce, depuis le premier jour de leur rencontre. Isabelle lui avait pardonné de l'avoir abandonnée suite aux nombreux scandales qui "avaient failli" la faire éjecter de l'Ordre Doré. Après une période de silence frustrante, l'aristocrate était subitement réapparu pour divertir la vieille magistère. Ses visites quotidiennes étaient un rayon de lumière dans ses journées de travail et de soirées mondaines ennuyeuses. Breitenbach chérissait tout particulièrement leurs disputes et autres débats animés, considérant qu'il était une des rares personnes à mériter de se confronter à elle.

« Apprends donc à te malmener un peu, veux-tu? Ce n'est pas parce que ce torchon n'est pas digne de nous qu'il nous faut l'ignorer. Tu t'instruirais beaucoup sur tous ces gens que tu te vantes de dominer si tu daignais sortir de ta zone de confort. Le Savoir est notre arme la plus puissante et ce, quelque soit la couleur de notre sang... » Sur ces derniers mots, elle posa un regard insistant sur son interlocuteur, qui en disait long sur le fond de sa pensée.

D'un coup sec, Isabelle secoua le journal pour le redresser.


« Pour tout t'admettre, je trouve cette gazette fascinante. Calvin Kenzig a un talent indubitable et s'est trouvé une place confortable dans la société. »

Evidemment, la conversation s'éloigna de son sujet d'origine pour partir dans un débat politique.

« Le Reiksmarshall est un imbécile couplé d'un bourrin. Très utile sur le champ de bataille, il est affecté de ce mal qui ronge tous les champions : il ne vit que dans l'instant du combat, est incapable de se projeter. Mets-le aux rennes de l'Empire et il se retrouvera tout aussi désespéré et pleurnichard que les malheureux qu'il se vante d'achever durant ses campagnes. »

Le débat aurait pu continuer de s'échauffer pendant longtemps si Hanna n'était pas venu pour l'interrompre. Breitenbach la regarda, bouche ouverte, telle une enfant prise sur le fait. Elle se sentait honteuse, mais pourquoi? Quelque chose n'était pas à sa place et, étrangement, ce n'était pas la gamine qui venait d'interrompre la conversation de deux adultes. Désorientée, Isabelle cligna plusieurs fois des yeux en se massant le front. Elle remarqua l'assiette fumante dans les mains de sa servante et sentit sa faim s'exprimer dans toute son ampleur.

Mais surtout, il n'y avait qu'un seul plat. Furieuse, Isabelle commença à réprimander l'idiote jeune femme.


« Une seule assiette? Ta mère ne t'a-t-elle donc pas appris à compter? Fais-moi le plaisir d'en préparer une deuxième pour... »

Pour Hermaan? Non, elle ne devait pas le dire... C'était capital que la Dame de Plomb ne termine pas cette phrase, pour quelque raison que ce soit. Mais elle ne pouvait pas s'arrêter ainsi, elle passerait d'autan plus pour une vieille sénile. Alors quoi? Il ne restait qu'une seule solution. Pitié non, elle ne voulait pas s'infliger cela. Malheureusement, elle n'avait pas le choix.

« Pour toi. »

Breitenbach avait vomi ces deux simples mots, retenant un abominable haut-le-cœur. Elle allait réellement prendre son repas avec sa servante? Était-elle tombée si bas?

Tandis qu'Hanna s'affairait à mettre la table, Hermaan s'adressa de nouveau à la Dame de Plomb. Il la mit en garde contre cette jeune femme avide de son fils.


« Je le sais bien, imbécile! » Souffla-t-elle entre ses dents. « Maintenant silence! Tu risques de tout faire foirer! »

Le repas prêt et la table mise, Breitenbach tendit le bras pour qu'Hanna l''aide à se lever. La jeune servante ôta doucement le porte cigarette oublié entre les dents d'Isabelle pour le déposer dans le cendrier. La vieille femme s'offusqua d'un "hum" dédaigneux, mais n'ajouta pas de remarque. Une fois installée, elle saisit sa serviette pour la caler d'un geste maladroitement noble dans le col de sa chemise. Immédiatement après, la serviette se délogea pour tomber au sol sans que la sorcière ne s'en rende compte.

Ne pouvant plus se nourrir elle-même à cause du tremblement de ses mains, Isabelle se tint droite pendant que la jeune femme portait les cuillères à sa bouche. Le repas était évidemment infect, une boue digne des plus bas caniveaux d'Altdorf, bien loin des mets raffinés auxquels Breitenbach s'était habitué au cours de sa vie. Mais cette fois, hormis quelques grimaces exagérées, elle ne s'en plaignit pas.

Entre deux cuillérées, la magistère déchue lâcha doucement.


« Parle-moi de Wilfried. »

Ces paroles surprirent même Isabelle, qui, dans ses machinations les plus poussées, n'avait jamais imaginé poser LA question qu'elle s'était toujours refusée de penser.
Isabelle Breitenbach, Voie du Sorcier des Collèges de Magie
Profil: For 8 | End 8 | Hab 9 | Cha 10 | Int 13 | Ini 9 | Att 8* | Par 8* | Tir 9 | Foi 0 | Mag 13 | NA 1 | PV 70/70
Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_isabelle_breitenbach
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