
Rédigé par Niklaus Hänshel, Assistant MJ

"Le temps fait changer, mûrir, oublier et mourir."
Une fine pellicule blanche recouvrait les toits d'Altdorf gommant pour un temps les imperfections et les inégalités que la cité offrait à ses habitants. Altdorf capitale d'un Empire fatigué, tour à tour une amante douce et plantureuse, une machine à broyer la masse laborieuse ou la promesse d'un lendemain meilleurs. La ville aux mille et un visage, nombreux sont ceux à tenter de vivre dans sa lumière non loin des puissants bien que la plupart finissent dans l'anonymat, le nez dans la fange d'une ruelle sombre et tortueuse. Alors nous pourrions piocher au hasard un individu lambda, un nombre tout au plus, dans cette foule qui presse en contre-bas mais j'imagine que le visiteur ne soit guère intéressé par ce choix lui qui cherche à fuir son quotidien par la lecture de ces lignes. Alors zoomons .... encore .... un peu plus à l'Est du Reik... là vous le voyez ? Non pas le temple, ni le crématorium, juste à côté dans le Moorwies District... oui c'est ça le colosse de pierres noires, le Collège d'Améthyste. J’aperçois certains d'entre vous qui portent la main à leurs lèvres afin de dissimuler un hoquet de stupeur ou un sourire gêné mais c'est bien là que réside notre jeune héros, Karil Dasmof. Oui je sais, je sais que ce n'est guère vendeur à première vu mais je me permets d’insister quelque peu afin que nous parcourions un bout de chemin en sa compagnie qui risque bien de vous surprendre.
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L'aube se levait, du moins la réflexion se trouvait être le fruit d'une intuition plus que d'une absolue certitude à l'égard de la cellule sans fenêtre qui se situait dans les tréfonds du sinistre bâtiment. Le froid lui était bien présent, la température avait drastiquement chuté et ce n'est pas la maigre couverture dans laquelle se pelotonnait le jeune apprenti qui le protégeait du cruel mordant. Pouvait-il espérer de quoi se réchauffer auprès d'Anton Gasther, l'intendant du Collège qui visiblement sortait chaque sou de sa propre poche, les négociations s'annonçaient d'ors et déjà animées. Au moins point de flemmardise, par habitude il alluma la chandelle qui reposait sur la table de nuit à côté de son lit et frissonna quand ces pieds nus vinrent se poser sur la pierre froide. La faible lumière peinait à repousser les ténèbres des quelques mètres carrés qui composaient son existence. Point de fioritures pour les élèves d'Améthyste, tous étaient logés à la même ancienne ou presque selon leur maître respectif et Dame Anna Freidberg passait pour être l'un des plus sévères. D'ailleurs n'avait-elle pas arrêté d'enseigner depuis fort longtemps avant l'arrivée de Karil ? Le seul fait qu'elle le choisisse comme élève avait causé nombre de murmures et chuchotements dans les couloirs du Collège perturbant ainsi le sacro-saint silence des lieux pour quelques jours.
Soigneusement pliée sur la petite commode attendait sa chasuble de tissu rêche d'un mauve maintenant passé qu'il enfila avec un certain empressement après s'être livré à quelques ablutions à l'aide du broc d'eau et de la bassine qui attendait dans un recoin de la pièce. Dans trois jours si les calculs s'avéraient être exactes cela ferait deux ans qu'il s'était faufilé entre les lourdes portes entrebâillées de la cathédrale à la sinistre réputation pour ne plus revoir, ne serait-ce qu'une seule fois, le monde extérieur si ce n'est pas les vitraux colorés ou le cloître intérieur, carré de verdure magnifiquement entretenu. Pourtant aucun prisonnier en ce lieu, chaque personne entrantes peut ressortir à loisir mais pour les futurs postulants cela signifie le premier échec à très longue liste d'épreuves pour la plupart d'ordre psychologique durant les premières années. La volonté est la première arme de ceux qui manipule Shyush, le vent pourpre, le vent de la mort, le plus mystérieux et dangereux de tous. Une volonté forgée au quotidien afin que chaque leçon soit marquée au fer rouge, la moindre petite chose pouvait s'avérer être un test pour les élèves, autant dire que le plupart ne franchiraient jamais le premier palier et resteraient de simples aides au service des Magisters. Pour les autres c'était juste le début d'une très longue route.
Route qu'avait choisi Karil, le jeune homme la parcourait non sans difficulté, tel un funambule sur son fil toujours proche de la chute sans pour le moment commettre le faux pas fatal. Les cloches se mirent à sonner à l'unissons répercutant leurs octaves dans l'immense structure qui n'allait pas tarder à reprendre un semblant de vie. Le petit déjeuner n'allait pas tarder à être servi pour ceux qui souhaitaient avoir de quoi se sustenter pour la matinée. En quelques gestes précis le jeune homme termina de faire son lit, jeta un dernier coup d’œil à sa cellule afin de s'assurer qu'elle soit au goût de Dame Freidberg en cas d'inspection chose rarissime mais terrifiante avant d'emprunter une série d'escaliers et de couloirs tous plus vides et interminables les uns que les autres, cause d'une mystérieuse question à laquelle peu avait la réponse où menaient-ils ? Un agencement sans queue ni tête, l'architecture d'un fou impossible à cartographier, le lieu était baigné de magie qui rendait toute logique nulle et non avenue. Quelques imprudents tentaient parfois leur chance, un véritable défi lancés entre apprentis que de trouver telle ou telle salle ou d'explorer une partie encore inconnue pour eux, la plupart réapparaissaient au bout de quelques jours peu enclins à partager leur expérience.
En quelques minutes la surface fut atteinte, il longea le cloître dont les galeries étaient baignées d'une douce et réconfortante lumière qui commençait tout juste à poindre d'un ciel sans nuage annonçant une belle journée. Une fragrance florale flottait dans l'air malgré la saison, les massifs libéraient leurs effluves et arboraient de vives couleurs contrastant violemment avec l'austérité de l'ensemble. Le curieux qui s'arrêtait pouvait parfois être le témoin d'un bien étrange phénomène. Un bourgeon se former à l'aube, une fleur s'épanouir au soleil de midi et se dessécher la nuit venue, le vent de la mort mais également du temps qui passe soufflait de façon chaotique en ces murs, frappant de ses caprices sur le novice inattentif. Un rappelle constant que toute chose est éphémère en ce monde et voué à l'entropie.
Un gargouillis sonore conséquence de sa faim grandissante se fit entendre alors qu'il franchissait la salle de réfectoire réservée aux élèves. Une haute salle voûtée de pierres apparente dans laquelle le moindre son venait se répercuter en échos mal venus. Une agréable chaleur accueillait l'affamé, diffusée par deux âtres où glougloutait des marmites au contenu divers plus ou moins sympathique pour les palais sensibles. Des armoires renfermaient le nécessaire laissant libre à chacun de se servir avant de s'installer sur l'une des tables en bois qui avait certainement été les témoins de nombreux drames qu'une jeunesse à l'éducation sans nulle autre semblable supportait avec peine.
A l'heure actuelle une seule autre personne partageait l'endroit, Emelyne, Emelyne tout court on oubliait son som et son statut social en franchissant les portes du collège. Une jeune fille de l'âge de Karil arrivée peu après lui, au charme qui commençait à fleurir et d'un naturel discret mais avenante une fois mise en confiance ce qui n'était pas forcément chose facile. Elle leva sur lui ses étonnants yeux mauves où dansaient parfois des notes plus foncées avant de légèrement sourire au jeune homme puis de retourner à son bol de soupe.