- " Partir ? Pour aller où ? Vous pouvez partir, vous ?"
Elle frissonna soudainement, et la lumière disparut de ses yeux.
- " Je sais que vous êtes plusieurs. Ils vous entendent aussi."
Là, elle se planta sur le banc, assise comme une gargouille, les pieds sur la pierre et les mains entre les pieds. Elle gonfla le dos à nouveau, et lorsqu'elle glissa ses ongles vers l'avant, Karil eut l'impression d'y voir un de ces chats de gouttière qui s'étire sans cesse au bord des toits. Il y eut quelques craquements sourds, et puis la jeune femme reprit sa posture statuesque.
- " Vous allez faire quoi maintenant ? Vous êtes invité quelque part ? "
Le couloir se présenta dans le même état qu'auparavant, c'est à dire terne et ombragé. Avec la lumière du ciel, on arrivait à discerner des carreaux de carrelage, des gravures murales, des renforts, une arche à l'encadrement de la porte. Tuli eut à nouveau un tic, un mouvement de tête étonné.
- " C'est un piège, c'est ça ? Je peux pas sortir, je le sais. Len a essayé de partir seul la dernière fois. Il est pas revenu. Vous m'invitez ?"
- " Attendez au moins que ça fasse quelques tours. Oskar avait raison."
C'est donc ça d'avoir du sang d'esclave. Fascinant.
L'intonation qui résonna après le mot "Fascinant" était si âpre que l'apprenti eut automatiquement un autre mot en bouche : Pathétique.
Il sentit une nouvelle pression sur ses épaules, mais une pression physique cette fois. Tuli posa à nouveau ses griffes sur lui, et elle mit tout son poids sur son dos. Il y eut à nouveau ce souffle bestial, cette sueur froide, ce hérissement sur tout le corps, et puis... Karil entendit une voix très distincte, qui lui chuchotait à l'oreille :
J'ai si faim ... Rhaaa ...
Les mains de la sorcière se crispèrent d'un coup, tout comme les siennes. Tout se mit à ralentir, à s'alourdir, comme si Karil était encore très léger ou très rapide. Le raz-de-marée refit surface, avec des secousses toutes aussi fortes qu'auparavant. Il avait de nouveau cette envie de faire mal, de blesser, de battre sans tuer. Au même instant, il avait cette chaleur dans le torse, cette tension dans les joues et les mains, comme lorsqu'il était poursuivi sur les quais ou les égouts.
Tuli bondit alors vers la porte, relâchant toute pression comme si de rien n'était.
- "On y va ?", dit-elle avec un grand sourire carnassier.
Karil se leva d'un seul geste, et comme animé par son instinct, leva une main tendue jusqu'à son épaule. Il s'entendit alors prononcer :
- "N'espère même pas de me tromper ou de me mordre, chienne. Effleure moi une fois de plus..."
المسني مرة أخرى ، وأنت غبار!
Tuli montra à nouveau les dents, mais sa témérité se brisa aussi vite qu'elle était apparue. Lorsque Karil récupéra le contrôle de son bras droit, il n'avait plus aucune pulsion, plus aucune envie soudaine. De même, il n'avait plus aucune faiblesse dans les jambes.
- "Maintenant on y va."
Vous apprenez vite, mais tu es encore trop immature, oisssillon.
***
Le pire dans tout cela, c'est qu'elle ne semblait avoir aucun problème avec le coté macabre ou funèbre des couloirs. Elle était ainsi plus terrorisée par un escalier grimpant que par une statue aux formes squelettiques, plus passionnée par un trou dans un vitrail que par la scène terrifiante qu'il contenait. Enfin, et même si cela survint au bout de deux minutes de marche, Karil se rendit compte d'une dernière chose : Tuli n'avait absolument aucune idée de l'itinéraire entre sa "chambre" et le reste du Collège, et encore moins comment rejoindre ou retrouver Dame Friedberg.
Par chance, Karil avait un vague souvenir de l'endroit où sa maîtresse résidait - du moins, de l'endroit où elle lui avait adressé la parole durant son apprentissage, sauf lors de ce voyage dans les cryptes. Le trajet fut assez long, et assez fastidieux, puisque ni l'un ni l'autre ne savait de quel endroit ils étaient partis, et dans quelle direction exacte ils allaient. Ils passèrent sous une centaine d'arches différentes, près de dizaines d'alcôves délabrées et autant de portes entrouvertes sans surveillance ni mobilier derrière, et ce pendant un temps totalement indéterminé. Ils n'entendaient rien d'autre que le bruit des dalles sous leurs pieds.
Alors que Karil retrouvait enfin les deux colimaçons qui servaient d'épicentre au Collège, il entendit quelqu'un se moquer.
Vous êtes sûrs de connaître les lieux ?
- "Karil. Vous voilà déjà."
La voix l'interpella sur sa gauche. Dame Friedberg sortait tout juste d'une autre alcôve tandis qu'ils étaient en train de prendre une pause entre deux trajets. Tuli se figea sur place, enfonçant sa tête jusqu'à ses épaules