Enfin !
Enfin, Astrid allait pouvoir sortir du collège et expérimenter le Vieux Monde !
Enfin, on allait lui confier une tâche autre que la manipulation des vents de Aqshy et l'entraînement martial dans lequel elle n'excellait pas, au grand dam du compagnon instructeur chargé de la former sur les rudiments de la bataille rangée.
Elle en avait par dessus la tête des théories de champs de bataille et des maximes disant que les sorciers de l'Ordre Flamboyant se devaient de se montrer fidèles à leur réputation de plus ardents et efficaces défenseurs de l'Empire. Elle n'avait jamais aspiré à devenir une sorcière de bataille mais avait dû forcer sa nature pour ne pas être expédiée manu militari à la porte du collège et abandonnée à son propre sort.
Quand on entrait au Collège Flamboyant, il fallait tout faire pour gravir les échelons en montrant ses forces et capacités, ou mourir en essayant... Astrid avait tout fait pour ne pas être jugée indigne de poursuivre sa formation. N'était-ce pas là faire preuve de la même résilience et de la même force de caractère que l'on louait chez ceux capables de détruire une armée à coup de boules de feu ? Elle n'était pas si différente des autres apprentis qui se rêvait en sorcier de bataille.
Elle venait de quitter l'une des salles où certains conseils restreints de l'Ordre se tenaient et son cœur continuait de battre à tout rompre. Dans sa tête résonnaient encore les paroles du Magister Elric Krebs.
- « Mademoiselle » Richter, il est à l'extérieur de ces murs une situation qui réclame notre attention tout en requérant de la subtilité et de la discrétion. Il est de notoriété publique que ce ne sont pas là les attributs qui viennent spontanément à l'esprit lorsque l'on évoque notre Collège de magie. Néanmoins, vous semblez, par votre propension à la curiosité, votre intelligence et votre sociabilité, toute indiquée pour mener à bien la tâche que nous allons vous confier.
Le vieil homme s'était interrompu un instant et avait laissé courir son regard sur ses deux acolytes assis de part et d'autre de son siège. Il y avait, d'un côté, Elmira Günzburg, une magicienne chevronnée récemment rentrée d'une campagne couronnée de succès dans le Suddenland en révolte ; roide, la quarantaine, les membres noueux, le cheveu coupé court, les sourcils sévères, une vilaine cicatrice ouvrant sa lèvre supérieure courait jusque sous son œil droit, et un regard de braise. Visiblement agacée de devoir se prêter à ce petit jeu, elle n'avait cessé de soupirer en roulant des yeux au ciel à chaque tournure de phrase jugée trop pompeuse pour être réellement utile. De l'autre côté, se tenait nonchalamment avachi dans son siège à haut dossier, Wighard Hoenigberg, petit homme chauve d'une trentaine d'années, moustaches recourbées et barbe rousse, les yeux clairs et le regard perçant, inquisiteur, sourire carnassier. Il n'avait pas quitté Astrid des yeux durant toute la séance ; elle le savait. Elle avait senti l'ardeur de son regard suivre ses courbes et s'alanguir sur les parcelles visibles de sa peau laiteuse. Elle avait rougi et il avait eu un hoquet amusé.
- Il y a de cela deux nuits, un drame a eu lieu... Un établissement de l'Oberhausen Distrikt a été dévoré par les flammes. Des dizaines de personnes ont péri dans l'incendie. Le Guet a évidemment diligenté une enquête mais personne n'est encore capable de dire s'il s'agissait d'un accident ou d'un acte criminel. C'est tant mieux. Cette remarque avait fait tiquer Astrid et Elric Krebs l'avait bien remarqué. Oui, jeune fille, c'est tant mieux pour nous car... des perturbations dans les vents de magie ont été ressenties cette nuit-là et j'ai personnellement constaté des traces parfaitement tangible de l'utilisation de Aqshy sur les lieux du drame. Les yeux d'Astrid s'étaient écarquillés à cette révélation. Vous l'avez compris, « mademoiselle » Richter, celui ou celle qui a déclenché l'incendie a utilisé la Pyromancie pour cela. Le Magister avait laissé les mots en suspens l'espace d'un long soupir pour qu'ils imprègnent durablement l'esprit de la jeune femme. Votre tâche ne sera pas simple. Premièrement, il vous faudra faire en sorte que personne ne se doute que la magie de feu a été utilisée, sans quoi nous pourrions avoir de graves ennuis. Ensuite, nous vous demandons de trouver qui a fait ça et pourquoi. Enfin... éliminez le pyromane !
Enfin, son destin était en marche, on venait de lui offrir de quoi satisfaire sa raison d'être.
Une lueur ardente enflammait sa pupille...