[Faust] Séjour à l'ombre

[[MJ] Le Djinn]

Malgré les meilleurs efforts de Faust, qui étaient pourtant acharnés, la poussière et la crasse ne semblaient pas vouloir disparaitre de ces vieilles pierres. Rien n'y faisait: pas le balais, pas la manche, pas le crachat suivit de la paume de la main: rien! C'est comme si la poussière, à force de traverser les siècles au même endroit, avait fini par fusionner avec la matière, créant un composé étonnant ayant la solidité de la brique et la saleté d'une ruelle d'Altdorf. Passé quelques dizaines de minute de ce traitement, Faust fût interrompu par une toux appuyée en provenance de derrière lui. Alphonse se tenait droit comme un I, fixant de ses yeux durs son nouvel étudiant.
Le confirmé ne dit pas un mot mais fit un petit signe de tête qui signifiait à Valdorf de le suivre. Bien que rien ne soit précisé il n'était pas compliqué de deviner qu'il s'agissait de l'heure du repas: le soleil se couchait et les estomacs criaient famine. Ce qui amena d'ailleurs une question: comment les murs et les couloirs pouvaient ils être éclairés, même faiblement, sans aucune bougie ou lampe dans bon nombre d'entre eux?

Le même prodige avait lieu dans le réfectoire, une vaste pièce rectangulaire située sous les hauts-combles. Des tables alignées, quatre en tout, bardées d'environ une centaine de chaises chacune, où de nombreuses formes voûtées et camouflées mangeaient un gruau de blé et des oignons crus. Le silence était absolu, bien que les formes noires bougeaient les unes vers les autres, des lèvres semblant bouger dans l'obscurité qu'était leur visage. Alphonse s'assit à côté de deux de ces créatures étonnantes puis invita Faust à se mettre en face de lui. Alors même que son postérieur touchait sa chaise, les formes se révélèrent être Salim et Magalie qui discutaient tranquillement, les voiles gris s'étant ôtés instantanément. La jeune femme lança un regard timide vers Alphonse, baissa les yeux et retourna à son oignon. Une forme grise ne tarda pas à venir servir aux arrivants le plat du jour qui, s'il n'était pas très appétissant, avait au moins le mérite de nourrir son homme.

-"Siegfried ne vient plus aux soirées?"

Le ton était amusé, presque espiègle. La réponse de l'arabéen était bien plus terre à terre.

-"Non. Depuis qu'il a reçu sa suite personnelle il s'y fait servir. Il m'a dit que ses couverts étaient en argent et qu'il y avait plus d'argent dépensé pour son repas que pour toute une tablée ici."

Une ombre se glissa à côté de Faust et lui donna un grand coup dans le dos. Marco était de retour et visiblement ravi d'être là.

-"Bon appétit! Et je vois que notre nouveau héros a un beau coup de cuillère! Bien, bien! On fait quoi à son sujet demain, Alphonse?"

-"Je l'emmène rouler du cul et chialer devant le G.T. dès le matin. On va essayer d'y aller tôt: avec sa gueule je te parie que les shalléenne vont se précipiter pour le dorloter, on va se faire des couilles en or."

Le faux cultiste eut un rire de bond coeur et croqua avec gourmandise dans son oignon frais. Chacun commença alors à manger sans qu'une discussion particulière ne soit lancée... A moins que Faust ait d'autres idées?

[Faust Valdorf]

De ce que le jeune homme avait compris durant ses pérégrinations, l’Ordre gris était loin d’être le collège de magie le mieux perçu par la population impériale. Faust avait de toute manière bien du mal à croire que ne serais-ce qu’un collège puisse avoir une réputation véritablement positive, vu tous les amalgames que les gens du commun avaient tendance à faire au sujet de la magie, mais ce sentiment était particulièrement exacerbé envers les Umbramanciens. Raison pour laquelle Hannah lui avait bien expliqué de toujours faire attention à ne pas révéler son affiliation au premier venu, surtout avec une emprunte aussi voyante que la couleur de ses cheveux. On avait tendance à les considérer comme louches, peu commodes, voir sinistres… et le jeune homme comprenait parfaitement pourquoi rien qu’en voyant l’état du réfectoire. Non, vraiment, il n'en aurait pas voulu à un répurgateur de prendre l'endroit pour le manoir d'un magus ténébreux. Comparé au reste des lieux, la cantine avait au moins le mérite d’être plutôt propre : il était juste dommage qu’il soit trop occupé à éviter les spectres présents pour vraiment y faire attention. Pas que le reste du bâtiment soit moins étrange à visiter, mais là, c’était quand même quelque chose.

Il y avait ici plus d’Ombres que de vivants. Partout dans la pièce, il pouvait apercevoir ces grandes formes grises vaguement humanoïdes, tranquillement attablées comme si de rien n’était. Suivant Alphonse d’un pas distrait, le Reiklander demeurait plus occupé à regarder les créatures qu’à véritablement chercher une place où dîner. C’était assez amusant à constater, mais il lui semblait bien que c’était la première fois qu’il avait l’occasion d’observer des êtres véritablement invoqués par magie : de quoi l’impressionner autant que le mettre mal à l’aise. Animé par une curiosité bien enfantine malgré l’aspect légèrement effrayant des ombres, il pensa pendant quelques secondes à passer sa main devant le visage d’une d’entre elle pour voir s’il pouvait en tirer une quelconque réaction, avant que le regard de son tuteur ne le convainque de s’asseoir bien sagement. D’autant plus que quelques instants plus tard, certaines de ces formes disparurent pour laisser place aux corps bien vivants, eux, de Magalie et Salim. Peut-être que ces choses n’étaient pas si autonomes, au final, juste des voiles camouflant les Magisters pour une raison ou une autre… Il aurait eu l’air bien idiot s’il s’était retrouvé à s’agiter devant eux sans raison apparente.

Si la nature de ces créatures demeurait donc un mystère, son émerveillement, lui, était toujours bien présent. Tandis qu’on les servait, le jeune homme jeta discrètement un regard en arrière, cherchant de ses yeux bleues sa propre ombre, noyée dans l’obscurité ambiante. Peut-être qu’un jour, lui aussi, il parviendrait à l’animer d’une manière similaire à ces drôles de fantômes. Jusque-là, il n’était parvenu à « maîtriser » (un bien grand mort lorsqu’on savait qu’il avait tendance à échouer ses incantations les deux tiers du temps) que des sortilèges liés aux illusions, ou à la dissimulation. Mais il ne doutait pas un instant que les possibilités du domaine d’ulgu étaient bien plus grande que cela. Demander quelques informations à Siegfried sur ce sujet ne lui aurait pas déplu, mais l’intéressé se démarquait par son absence. Cela ne manqua pas de provoquer une petite discussion entre Alphonse et Salim, que le jeune homme se contenta d’écouter silencieusement, trop occupé à déguster son plat. Il fallait avouer qu’imaginer le vieil homme entouré de servants tranchait un peu avec l’ambiance appauvri des lieux, mais bon. Être un des Magisters les plus puissant de l’Empire devait apporter quelques privilèges, et il aurait de toute manière été très hypocrite de sa part de juger son professeur sur ce sujet.

Concernant le reste du repas, la nourriture apportée était en fait tout ce qu’il y avait de plus normal. Assez loin de ce à quoi il était habitué quelques années auparavant, évidemment, mais suffisamment proche de ce qu’il avait connu durant les derniers mois pour que cela le satisfasse amplement. Est ce que les ombres avaient besoin de manger, elles aussi ? L’idée qu’elles puissent prendre du poids lui paressait tout de même assez farfelue. Les plats disposés devant elles devaient être des illusions. Qui sait, peut-être même que sa nourriture était une illusion. Toisant son oignon à moitié entamé d’un regard suspicieux, il fut interrompu dans son intense réflexion par une grande frappe de Marco qui le fit quelque peu sursauter. Toujours aussi subtile celui-là. Le Valdorf eut à peine le temps de répondre un petit « merci » de politesse au cultiste que ce dernier enchaîna aussitôt sur un autre sujet.

Pour le coup, la discussion le concernait très clairement, ce qui n’était pas forcément pour lui plaire. Être ainsi au centre de l’attention le gênait plus qu'autre chose, et le vocabulaire d’Alphonse n’aidait en rien à diminuer ce sentiment. Peut-être que le noble était sous simplement un peu trop maniéré, mais si la vulgarité pouvait tuer, il ne faisait aucun doute qu’il serait déjà mort depuis un bon bout de temps ! Sous son vocabulaire plus que fleuri, le grand gaillard à la hache n'avait cependant pas tort : il fallait avouer que la perspective d’aller mendier lui semblait de suite beaucoup plus attirante (même si le mot était un peu fort) lorsqu’on ajoutait des prêtresses de Shallya dans l’équation. Tout le monde appréciait les Colombes. Même lui, qui n’était pourtant pas un grand dévot de la déesse, lui préférant ces deux parents, ne faisait pas exception à la règle. D’un autre côté, il ne pouvait néanmoins s’empêcher de penser qu’il y avait quelque chose de légèrement malsain à profiter de la compassion des miséricordieuses pour en tirer de l’argent. Pour des sans-abris, d’accord, mais ce n’est pas comme s’il était lui-même vraiment dans le besoin, alors… il n’était pas vraiment sûr d’être emballé par le projet. Mais bon, ce n’était pas comme s’il avait le loisir de protester, de toute manière. Si ça devait être fait, autant que ce soit par lui... n'est ce pas ?

- Je n'ai pas vraiment l’habitude de côtoyer des Shalléennes, mais si vous le dites, j’imagine que je me débrouillerais...

Les cours de théâtre d’Aurore lui auraient été bien utiles dans cette situation… Son gruau de blé dans la bouche, il jeta rapidement un coup d’œil aux alentours. Aucun signe de la lionne dans les parages. Où est-ce qu’elle pouvait bien être passée ? S’il se basait sur sa perception approximative de leurs auras, elle semblait avoir un niveau similaire à celui de Siegfrid, alors peut-être qu’elle aussi possédait une sorte de suite privée. Dommage. Poussé par la curiosité, il termina rapidement sa bouchée, avant de se décider à briser le silence d'une simple question.

- Aurore aussi ne mange pas ici ?

[[MJ] Le Djinn]

A l'écoute de sa question Alphonse haussa ses lourdes épaules, relevant la tête de son gruau pour poser un regard interrogateur sur Marco et Salim qui répondirent en imitant son geste. Plantant sa cuiller dans le bol remplit de boue beige, le mage-bandit se tira une portion conséquente de nourriture qu'il mâcha bruyamment, produisant moults bruits qui, pourtant, semblaient inaudibles à plus de quelques centimètres. Salim, noble et digne dans son comportement, dégustait son plat infâme à petites bouchées, mâchant longuement la nourriture et fermant les yeux avant d'avaler. Marco, toujours excentrique, agita quelques secondes ses mains au-dessus de son plat et incanta un sortilège. Ulgu apparut à Faust et sembla se mélanger au contenu du bol, que le faux cultiste engloutit ensuite avec un sourire satisfait.

-"Je persiste à penser que ce sort est ma plus grande création. Il parvient même à changer le goût de ce… Truc… qu'on appelle "plat". A ce rythme je suis convaincu de pouvoir devenir patriarche avant mes quarante-cinq ans! Tu veux goûter Faust?"

Même si notre héros avait des raisons hygiéniques de refuse il apparut rapidement que la demande de Marco était rhétorique: il devait essayer. Et effectivement le plat avait changé de goût à un niveau inimaginable! La saveur immonde de blé bouilli et amère avait disparue pour laisser place à un délicieux goût de poulet et pain frais... Un miracle!
Reprenant ces esprits après cette révolution gustative, le jeune apprenti constata la présence d'une ombre à l'oreille d'Alphonse. Plus que les formes grisâtres aux contours indéfinis qui hantaient l'académie, elle se présentait sous un jour parfaitement net. Une véritable ombre en trois dimensions, celle d'un homme en tenue impériale classique, sans détails corporels mais aux atours pourtant clairs. Des cheveux longs en queue de cheval cernaient un visage inexistant, une forme plate et sombre qui s'agitait à l'oreille du sorcier vers lequel elle s'était courbée en deux. Après avoir délivré son message elle salua bien bas et entreprit d'un bon pas de rejoindre la sortie avant de se dissoudre contre la porte fermée. Sans mot dire Alphonse termina son bol avant de se tourner vers Faust.

-"Siegfried veut te voir. Il t'attend dans une heure dans son appartement, je t'emmènerai."

Pendant que Salim terminait son plat, Marco attrapa une besace posée sous la table et tira une dizaine d'osselets qu'il déposa devant lui.

-"Qui pour un yams? Alphonse? Ok. Salim? Ok. Faust? Tu connais les règles?"

Il distribua cinq dés à Alphonse et garda les autres pour lui.

-"En vrai c'est pas compliqué. Faut faire des figures, c'est à dire des combinaisons de dés: trois fois un, quatre fois un, cinq fois un, ainsi de suite. Ou des suites, sans mauvaise jeu de mots: un, deux, trois, quatre, cinq... Tu vois le genre? T'as droit à trois lancers et à chaque nouveau lancer tu choisis si tu veux relancer tous tes deux ou seulement certains. Ca va, tu comprends?"

[Faust Valdorf]

Ce ne serait donc pas aujourd’hui que le jeune homme allait réussir à dénicher des renseignements sur la Magister, aucun des autres sorciers ne paraissant plus informé que lui à ce sujet. Magalie, notamment, demeura parfaitement silencieuse devant sa demande, bien qu’il ne pouvait pas vraiment la blâmer pour cela. Malgré son apparente proximité avec Aurore, elle restait une apprentie, tout comme lui, et ne devait pas être tenue au courant des activités de tout un chacun. Pas que cela le regardait non plus, tout compte fait. Chacun pouvait utiliser son temps libre comme il l’entendait ; c’est simplement qu’il ne pouvait s’empêcher d’être interpellé par ce genre de détails, et l’absence de réponse le frustrait quelque peu. Son côté « enquêteur », peut-être. Sa dernière épreuve avait beau avoir été absurdement stressante, il devait bien reconnaître que sa tutrice avait parfaitement su exploiter sa tendance à fourrer son nez dans les affaires d’autrui.

Un art dans lequel Marco semblait de fait tout aussi versé que lui : c’est ce dernier qui sortit une nouvelle fois l’ancien noble de ses pensées, avec l’enthousiasme fou qui le caractérisait tant. Sans doute essayait-il tout simplement de le mettre à l’aise, mais la manière dont il semblait absolument incapable de rater un sujet de conversation ne manqua pas d’amuser le petit magicien. Une habitude qui pouvait probablement devenir très énervante à long terme, mais qu’il se garda bien de critiquer pour le moment.

C’est néanmoins avec un sourire un peu forcé que l’Altdorfer accueillit la proposition de son confrère. Pas car sa faim était passée, loin de là : vu la quantité modeste de nourriture servie, il possédait probablement, à l’heure actuelle, autant de trous dans l’estomac que dans la charpente du collège. Cependant, pour une raison ou une autre, l’idée de devoir « tester » une concoction produite par Marco le laissait quelque peu… sceptique. Réaliser des blagues de mauvais goût (littéralement dans le cas présent) lui semblait parfaitement coller au caractère excentrique du suspect, et Faust préférait autant éviter une surprise désagréable, si cela était possible.

– C’est gentil, mais je…

Trop tard. À peine avait-il eu le temps d’ouvrir la bouche que le bol du cultiste s’était déjà déplacé juste en face de lui, dans l’attente de son verdict culinaire. Bon. Tant qu’à faire. Puis il n’était pas dans ses habitudes de refuser un cadeau, de toute manière...

Et étrangement, tout se passa en fait plutôt bien. Manipuler les sens restait un pouvoir très dangereux, mais qui lui paraissait tout de suite beaucoup plus inoffensif et agréable quand il était employé de cette manière. Absolument génial. Est-ce que cela permettait vraiment de modifier le goût d’un aliment comme on le souhaitait ? Ce n’était probablement pas le genre de sort que Siegfried lui apprendrait vu le peu d’utilité qu’il pensait pouvoir en faire dans une mission, mais pour la vie quotidienne, c’était tout le contraire. En parlant du vieil homme, un messager ne tarda pas à faire irruption dans la salle, délivrant entre ses lèvres spectrales une invitation du seigneur-sorcier. Pouvoir admirer de près une de ces créatures restait assez fascinant, mais pour une fois, le Valdorf parvint à garder la tête assez froide pour ne pas se perdre dans ses observations.

Se faire ainsi convoquer n’était pas si surprenant que ça, étant donné qu’il était le membre du collège le plus récemment arrivé. En tant que « chef des lieux », Siegfried souhaitait vraisemblablement lui expliquer plus en profondeur le règlement de l’établissement, vérifier si tout se passait bien, ou d’autres formalités de cet acabit. Peut-être même lui donner quelques nouvelles du monde extérieur ? Ou du moins, c’est là ce que le jeune homme espérait. Cela faisait moins d’une journée depuis qu’il avait mis les pieds ici, et la perspective d’avoir déjà pu causer un problème en un laps de temps aussi court l’inquiétait légèrement ! Son repas terminé, il ne lui restait plus qu’à patienter jusqu’à ce que l’heure s’écoule. Une attente que Marco se proposa de combler, encore une fois, avec un petit jeu de hasard comme on devait en trouver partout dans les tavernes de la capitale… et dont le jeune homme n’avait en conséquence jamais entendu parler. Non, sérieusement, il était plus habitué aux échecs, aux dames, aux cartes à la limite, mais lancer des dés et espérer qu’ils tombent sur une bonne combinaison, ça, c’était une nouveauté. Était-il arrogant de dire qu’il était trop noble pour connaître ce genre de chose ? Encore que cela devait sûrement être pratiqué dans certains casinos… mais bref. Il n’allait pas rester pendant une heure à angoisser dans son coin, de toute manière, alors autant essayer : ça lui permettrait de discuter un peu avec les autres, et ce n’est pas comme s’il pouvait y perdre quelque chose.

– Ça va, je suis partant. Il faudra juste que vous m’expliquiez les combinaisons, si possible, je ne me souviens pas y avoir déjà joué. C’est comme au poker, non ? Brelan, carré, tout ça.

En y réfléchissant, le vent gris devait d’ailleurs s’avérer particulièrement pratique pour tricher dans des partis. Bon, pour un « match amical », procéder ainsi lui paraissait un peu excessif : il pouvait presque sentir le regard inquisiteur de Verena se poser sur lui à cette simple pensée. Mais qui sait, peut-être qu’un jour, ce genre de compétence lui montrerait son utilité.

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Une courte explication des règles plus tard la partie pouvait commencer. Et qu'elle fût riche en émotions! Les dés s'enchainaient entre les mains des participants, roulants sur la table comme des billes de bois. La tension était palpable autour de la table, même Salim d'ordinaire si calme se laissait prendre au démon du jeu et serrait les dents et les poings à chaque lancer. Faust ne s'humilia d'ailleurs pas durant cette partie: son score était des plus honorable, bien supérieur à celui d'Alphonse et de l'arabéen. Par malchance pour lui ce fût Marco qui l'emporta avec un dernier yams des plus merveilleux, complètement inattendu. Une cinquantaine de points vinrent s'ajouter à son score, achevant le jeu et plaçant le faux cultiste bien loin devant ses concurrents. Fidèle à son tempérament le mage bondit de sa chaise avec un "Youhouuuuuuu" sonore, immédiatement étouffé par l'atmosphère environnante. Un peu fâché de la tournure des événements, Alphonse tandis son bras vers lui avant de le repousser d'un signe de la main en preuve de dégoût.

-"Bah! T'as dû tricher, j'en suis certain. Allez viens Faust, laisse ton plateau ici, on va voir le vieux."

Sitôt Faust et son mentor un peu écartés de la table, les assiettes semblèrent comme être aspirées par le bois. Elles se couvrirent soudain d'un voile noir qui se dissout sur le matériau du dessous, ne laissant très vite qu'une place vide. Salim et Marco, ce dernier hilare, envoyèrent un signe de la main en guise d'au-revoir avant d'être changés eux aussi en ombres mouvantes.
La loge du vieux magicien devait être à l'étage car il fallut emprunter des escaliers pour l'atteindre. Ils ne se comportaient évidemment pas comme Faust s'y serait attendu, à la place c'était comme si l'escalier lui-même descendait alors que notre héros montait. Le duo avait beau gravir cinq, dix, cent marches, rien n'y faisait: ils n'avaient pas dépassés la deuxième. Alphonse, lui, ne semblait pas particulièrement inquiet de cet état de fait, au contraire son visage gardait l'expression impassible de l'homme qui sait ce qu'il fait. Soudain il posa sa main sur l'épaule de Faust pour l'arrêter. Sa main effleura alors la marche devant lui, la troisième. La forme de l'escalier se modifia alors: de circulaire il devint droit et donnait, six marches plus loin, accès à une porte.

-"C'est là que vit l'ancien, j'sais pas ce qu'il veut te dire mais ça doit être important. Allez bon courage, champion."

C'est ainsi que le jeune Valdorf se retrouva devant la porte unique en haut de quelques marches, qu'il pouvait monter cette fois. Un nuage de la terrible poussière le frappa au visage quand il ouvrit la porte, le faisant tousser. Une voix jaillit du nuage:

-"Ah, jeune apprenti je t'attendais. Entre."

Un calme ordonnait régnait sur la pièce dont le centre était occupé par le vieillard. Nulle crasse ou saleté ici mais une obscurité grisâtre qui vainquait sans difficulté les maigres lumières des bougies. La salle était finalement assez spatieuse, six ou sept fois la cellule de Faust, et abritait tout le nécessaire pour un vieil homme, des pots de chambre au lit en passant par les armoires et autres bibliothèques où s'entassaient des ouvrages. Siegfried était sur un fauteuil roulant, le regard blanc et éteint, une pipe lâchant une fumée âcre qui s'accumulait au plafond, évacué par les meurtrières.

-"Je souhaiterais voir jusqu'où Hannah t'as formée, Faust. Lance donc un exemplaire de chaque sort qu'elle t'a appris. N'ais crainte je ne souhaite pas te juger, juste voir l'étendue de tes capacités.."

[Faust Valdorf]

Il ne fallut à l’adolescent que quelques minutes de compétition endiablée pour réaliser l’ampleur de son erreur. Contrairement à ce qu’il avait pu penser en premier lieu, le Yams était probablement une des plus grandes créations de l’histoire de l’Humanité. Bon, il exagérait peut-être un peu, mais Faust commençait sérieusement à comprendre comment Ranald pouvait bien trouver tant d’adeptes, avec des jeux de hasard aussi excitants. La partie avait pourtant démarré assez calmement. Marco lui expliqua rapidement les règles, le laissant même réaliser quelques lancés au passage, afin de voir s’il l’apprenti avait bien compris comment tout cela marchait. En vérité, le principe restait dans sa globalité plutôt aisé à appréhender, le plus dur consistant simplement à mémoriser les différentes combinaisons possibles. Le Valdorf confondit bien une ou deux fois les suites, mais mit à part ce léger problème, quelques essais suffirent pour qu’il soit complètement paré au combat.

Et là, tout partit en vrille. À sa propre surprise, l’Altdorfer parvint à prendre la tête dès le début de la partie, sans doute grâce à cet étrange phénomène appelé chance du débutant. Marco commença absurdement mal, même si avec le recul, Faust se demandait presque s’il ne l’avait pas fait exprès juste pour accentuer l’aspect dramatique ; tandis qu’Alphonse, de son côté, parût pendant un bon tiers de la partie plus occupé à se battre avec ses dés qu’à véritablement participer. Seul Salim parvenait en fin de compte à rivaliser avec le jeune homme, l’arabéen ayant même réussi à le dépasser en un certain nombre d’occasions.

Voir le mercenaire s’égayer ainsi était plus que ce que le garçonnet avait espéré, d’autant plus qu’il comprenait parfaitement l’entrain de son adversaire. Il avait l’impression qu’une éternité s’était écoulée depuis la dernière fois où il avait pu s’amuser de cette manière. En fait, il se surprit même, au fil de la partie, à rire devant les expressions diverses des attablés. Pas un des sourires polis ou du faciès stoïque qu’il affichait la plupart du temps, mais un véritable rire franc qui résonnait doucement entre les murs sinistres de l’endroit. Et en toute sincérité, cela lui faisait du bien. Effacer, au moins le temps d’un jeu, la pression et les angoisses de sa petite vie. Ici, il pouvait se détendre, s’amuser, discuter, et tout cela lui importait bien plus que de remporter la partie. Ce qu’il ne fit d’ailleurs pas : alors que la victoire semblait assurée, Marco parvint, au dernier tour, à sortir un Yahvé devant lequel il fut bien forcé de s’incliner. Évidemment, une légère déception s’empara tout de même de lui à la vue d’un tel retournement de situation, mais il décida simplement de laisser couler l’affaire. Pour une première fois, la deuxième place lui convenait, de toute manière, très bien. Après avoir agité un dé entre ses doigts comme pour vérifier l’absence de tricherie, le jeune homme leva joyeusement la tête vers Marco, même si ce dernier était probablement trop occupé à danser pour le remarquer.

– Bravo, j’avoue que je ne l’avais pas vu venir celui-là. Tu t’es vraiment bien débrouillé.

Tutoyer un de ses « professeurs » comme s’ils avaient toujours été amis lui laissa avec le recul une impression un peu étrange, mais le jeune homme n’y fit pas vraiment attention sous le coup de l’émotion. Le temps semblait s’être écoulé à une vitesse folle, et aussi surprenant que cela puisse paraître, l’échéance de sa convocation se faisait désormais dangereusement proche. Finis de jouer, comme on disait. Une légère boule au ventre, Faust se leva, toujours attentif aux indications d’Alphonse. Alors que les deux comparses s’éloignaient, il jeta néanmoins un dernier regard enthousiaste au vainqueur de cette manche, bien décidé à prendre sa revanche une prochaine fois, avant qu’il ne disparaisse dans l’ombre des couloirs.

Tortueux n’était plus assez fort pour décrire le labyrinthe sans logique que constituait le collège, même les escaliers semblant incapables de se tenir tranquilles. Peut-être bien que tout le bâtiment était enseveli sous une couche d’illusion que son esprit n’arrivait pas à percer, mais ici, les vents de magie paraissaient si compacts qu’il lui était impossible de dire si tout ce qu’il voyait n’était pas tout simplement vrai. Un endroit si imprégné par l’Ulgu que l’illusoire pouvait même s’être mué en réalité. C’est devant une porte surélevée qu’Alphonse le laissa finalement, lui lançant au passage quelques mots d’encouragements qui surprirent légèrement le jeune homme. Venant du « gros dur » de la bande, ce genre d’attention paraissait plus qu’étonnant, mais pas si désagréable que ça à entendre. Comme quoi, il avait eut raison de penser qu'un homme sympathique se cachait certainement sous cette attitude un peu rude !

Ce ne fut pas le visage ridé de Siegfried qui se découvrit à lui lorsqu’il ouvrit la porte, mais bien un épais nuage de poudre. Par tous les dieux... d’un large revers de la main, il balaya précipitamment le brouillard de saleté, avant de faire quelques pas plus en avant. La poussière lui irritait les yeux et que les poumons, mais il se força à conserver un semblant de dignité devant le vieux magister, autant par respect envers ce dernier que par habitude nobiliaire. Même s’il devait bien avouer que face à un potentiel aveugle, ce genre de politesse protocolaire ne devait sans doute pas servir à grand-chose.

– J’espère ne pas vous avoir trop fait patienter. Nous étions un peu occupés en bas.

Étrangement, Faust ne s’était en fait pas du tout attendu à ce que Siegfried lui propose ce genre d’exercice ; comme s’il avait oublié qu’il se trouvait ici dans un collège de magie plutôt que dans une simple université. Oui, évidemment qu’il était logique que le magister souhaite voir l’étendue de ses connaissances, même si l’apprenti devait bien avouer ne pas être aussi détendu que son « maître » à ce sujet. Hannah l’ayant laissé se reposer après son examen, cela faisait désormais quelques jours qu’il n’avait pas lancé de sorts, et l’impérial avait bien peur d’être un peu rouillé quant à la manière de procéder. Plus encore, un sentiment dont le Valdorf croyait s’être débarrassé depuis un bon moment revenait à la charge, maintenant que la pression se faisait à nouveau sentir sur ses frêles épaules. L’angoisse d’échouer, comme il avait échoué à se contrôler lorsque ses sens aethériques s’étaient réveillés. La peur de ce qui l’attendait de l’autre côté, de ce qu’il pouvait attirer comme il l’avait déjà fait par le passé. Une anxiété dont il avait toujours peiné à se débarrasser, mais qu’il balaya pourtant comme un amas de poussière.

Incanter quatre sortilèges à la suite n’allait pas être une tâche aisée, mais ce n’est pas comme s’il se trouvait vraiment en danger ici : il se sentait même plutôt bien. Il venait de se reposer, l’Ulgu était tellement omniprésent qu’il ne devait pas être très compliqué de l’attirer à lui, et dans le pire des cas, Siegfried serait toujours là pour éviter que la situation ne dérape. Non, vraiment, il n’avait pas de raison de s’inquiéter pour si peu. Il devait juste rester concentré, et tout se passerait agréablement.

– Hannah m’a appris quatre sorts durant les derniers mois. Ils appartiennent tous au domaine de l’ombre, même si en maîtriser quelques-uns de plus généralistes ne me ferait pas de mal. Mais j'imagine qu'une démonstration sera sans doute plus parlante qu’un long discours.

L’apprenti sorcier leva légèrement le bras et appela à lui les vents de magie qui erraient paisiblement dans la pièce. Où est-ce qu’il avait mis son sceptre, au fait ? Il ne lui semblait pas l’avoir rangé dans son dortoi… oh non, il l’avait oublié au rez-de-chaussée quand Alphonse l’avait amené ici. Charmant ! Bien, il allait donc devoir faire sans. Par quoi pouvait-il commencer ? Mieux valait garder le plus difficile pour la fin, qu’il parvienne au moins à en lancer quelques-uns avant de se ridiculiser. Masque d’Ulgu, Aire de camouflage, Incognito, puis Action secrète. Oui, ça lui paraissait bien comme ça. Voilà qu’il se retrouvait à devoir faire l’étalage de ses capacités en dévoilant au grand jour des sorts spécifiquement faits pour se dissimuler. Ironique, non ?

[[MJ] Le Djinn]

Déroulé de l'épreuve: Faust a droit à trois lancers de chaque sorts, à chaque réussite d'un sort Siegfried valide et on peut passer au sort suivant. Siegfried fera une tentative de dissipation en cas d'échec critique.

Voici donc les jets:

Action secrète: 14, 16, 18. Triple échecs.

Masque d'Ulgu: 18, 20, 13. Résultat du fiasco:19, Possession Démoniaque. Tentative de dissipation de Siegfried: 1, réussite critique.

Aire de camouflage: 18, 1.

Incognito: 5.

Dire que ce fût un désastre ne serait pas si éloigné de la réalité. Faust eut beau s'y reprendre à trois fois en aucun cas il ne parvint à lancer son sort "Action secrète", pourtant bien pratique quand il s'agissait d'agir sans être vu. Les vents s'agitèrent, tourbillonnèrent, décrivirent quelques formes cabalistiques des plus exotiques jusqu'à se dissiper tout seuls, n'entrainant aucune conséquence, positive ou négative. Ce n'était pas un bon résultat mais pas un très mauvais non plus si l'on prenait en compte que le jeune étudiant n'avait pas déclenché de catastrophe durant l'exercice.

On ne peut pas en dire autant de Masque d'Ulgu.

Pour un sort destiné à protéger l'aura magique de l'invocateur, il cause bien du grabuge! Les vents s'agglutinèrent autour de Faust, furieux d'être ainsi utilisés pour des fins bassement éducationnelles et notre héros perdit le contrôle suffisamment longtemps pour que son sort devienne entropique et ouvre un portail dimensionnel vers les Royaumes du Chaos! Une démonette de Slaanesh, passant dans ce coin d'infini par hasard, aperçut cette douce lueur appétissante et tenta de sauter par le portail pour se repaître de l'essence vitale du jeune apprenti. Siegfried, dont l'œil entraîné avait tout vu, n'eut qu'un claquement de doigt à faire pour prouver sa maîtrise des arcanes et fermer derechef cette ouverture. D'un signe apaisant de la main il enjoignit alors Faust à continuer.
Sa confiance retrouvée notre héros s'en tira plutôt bien, réussissant ses deux sorts suivants sans trop de pépins. En définitive, le maître hocha la tête vers l'élève, doucement, sans se presser.

-"Tu manques de pratiques, jeune homme. Tes sorts sont mal maîtrisés, sans manière ni art, tu t'acharnes trop à essayer de les lancer au lieu de ne faire qu'un avec Ulgu. Un défaut bien courant chez les apprentis."

Le vieillard sortit sa pipe de sa bouche et cracha un épais volute de fumée. La brume épaisse avança vers Faust et s'étendit, encore et encore, jusqu'à prendre forme humaine. Une forme aux cheveux mi-longs, aux traits juvéniles, au port altier et au sourire triste. Le clone de Faust se saisit alors du bâton de l'original avec une force prodigieuse couplée à la surprise et le ramena au vieux Siegfried. En un battement de cils le bâton avait disparu, transporté par une force invisible dans un endroit secret et caché.

-"Ce symbole d'autorité ne te sied guère, jeune apprenti. Tu es à la lumière, à la merci de nos adversaires, une proie facile pour l'Oeil des Ténèbres. Alphonse t'apprendra à être invisible en plein soleil, Marco t'apprendra les vérités derrière les plus profonds secrets, Salim t'apprendra à faire disparaître tes ennemis, Aurore t'apprendra à n'être qu'un bourdonnement et moi Faust je t'apprendrai à n'être qu'une ombre."

Tout était dit d'une voix grave si calme que c'en était apaisant, même si un lourd sous entendu bientôt exprimé se lisait en sous-texte.

-"Faust, renonceras-tu à ton identité pour devenir une ombre? A être oublié de tout ceux que tu as pu aimer et qui ont pu t'aimer? Car pour progresser, jeune apprenti, tu devras devenir l'Ombre elle-même.."

La question était posée. En quelque sorte rhétorique car Faust se trouvait déjà dans l'enceinte du Collège, mais pourtant grave. Pouvait-on renoncer à tout pour un idéal ou pour une quête de puissance?

[Faust Valdorf]

À bien des égards, Faust considérait la magie comme une arme à double tranchant. Avec le bon entraînement, elle permettait facilement à son utilisateur d’atteindre des sommets complètement hors de portée d’un humain banal ; et, revers de la médaille, à l’exposer à des risques plus grands que tout ce qu’un mortel pouvait imaginer. Et comme le Reiklander l’avait craint, c’est exactement ce qui lui arriva devant Siegfried. C’était probablement ça le pire en fait : il l’avait vraiment vu venir. Peut-être même bien que c’était son manque de confiance en lui qui avait conduit à ce fiasco. À se répéter, en boucler qu’un drame pouvait advenir, voilà que l’univers semblait s’être amusé à lui donner raison. Ce n’était évidemment pas la première fois qu’il perdait le contrôle des vents de manière aussi catastrophique. Résumer ses premières semaines d’apprentissage à une série plus ou moins monumentale d’échecs n’aurait pas été si faux que cela, et pourtant, la pilule restait toujours dure à avaler pour le jeune homme. Il s’était concentré malgré la pression, mais l’Ulgu demeurait insensible à ses appels, au contraire d’une créature comme il n’en avait jamais vu auparavant.

Elle était Belle. Sublime, bien que d’une manière malsaine et dérangeante : une beauté sordide à la peau violacée qui alimenta en lui une foule de pulsions contradictoires. La peur était le seul sentiment que lui avaient jusqu’ici inspiré les vestiges qu’il avait eu le malheur d’invoquer, et il aurait été tout à fait naturel pour lui de paniquer dans ce genre de situations. Mais pas avec elle. Il se sentait même étrangement détendu. Il était simple d’abandonner au premier obstacle venu, de succomber à la paresse ou au désir, et de céder à ses envies les plus immédiates. Cette facilité, il avait été tenté de l’emprunter à de nombreuses reprises durant ses épreuves, et c’était une impression similaire qu’il éprouvait ici. Juste laisser tomber. Permettre à cette jolie démonette d’étreindre son âme sans opposer la moindre résistance. C’était séduisant… mais à l’opposé de tout ce qu’il cherchait à accomplir.

Avec un petit sursaut, l’apprenti recula de quelques pas, sortant de sa léthargie, tandis que son mentor refermait la faille d’un claquement désinvolte des doigts. L’incident n’avait duré que quelques secondes, et il éprouvait pourtant l’impression que des minutes entières s’étaient écoulées. Son cœur battait la chamade, si bien qu’il posa une main un peu inquiète sur sa poitrine. Son regard croisa celui, plus vitreux, du maître sorcier, sans qu’il ne puisse articuler plus qu’un remerciement honteux.

– Merci…

Au moins, s’il avait eu raison de se méfier des risques liés à un tel exercice, l’Altdorfer avait aussi vu juste dans la capacité de Siegfried à empêcher que la situation ne dérape trop. Préférant ne pas penser à ce qui aurait pu lui arriver si le vieil homme n’avait pas été présent, il s’attela à terminer sa démonstration, et ce d’une manière étrangement réussie. L’avantage après avoir touché le fond, c’est qu’il ne pouvait que remonter. Son échec demeurait, mais au moins était-il parvenu à éviter un désastre complet.

Les réprimandes qui suivirent furent sévères, mais justes. Le vieil homme ne mâchait pas ses mots, ce qui dénotait quelque peu avec son ton très posé : il s’exprimait un peu à la manière du garçonnet, l’autorité en plus. Il ne vint ainsi même pas à l’esprit du Valdorf l’idée de le contredire. Il ne pouvait rien contester dans ses paroles, pas plus qu’il ne souhait remettre en cause la sagesse du vieillard. Faust était juste faible. Aussi déplaisant que ce soit à admettre, il le savait, Siegfried le savait, et c’était même la raison principale de sa présence dans cet établissement : apprendre à développer et à affiner ses capacités.

Non, plus que ses mots, ce fut tout bêtement l’apparition de son double qui arracha un hoquet de surprise à l’étudiant. À quand remontait la dernière fois ou il s’était regardé dans un miroir ? Autant dire que ce genre d’objet rarissime ne se trouvait pas facilement une fois sortit des grandes villes. Son reflet, il n’avait pu l’observer que dans les flaques d’eau qui ponctuaient les sentiers perdus du Reikland. Prendre une attention toute particulière à soigner son physique n’était pas vraiment dans son caractère, mais la perspective de pouvoir regarder ce qu’il était devenu à travers ce double de fumée ne l’intriguait pas moins pour autant.

Ce qui le marqua en premier lieu fut la longueur qu’avaient atteinte ses cheveux. Il avait l’habitude de les couper plutôt court avant, mais les aléas de l’errance l’avait poussé à les laisser… pousser, justement. Après, il devait avouer que ce n’était pas forcement désagréable comme ça. Les franges ne lui arrivaient pas encore aux épaules, mais peut-être pouvait-il se permettre de les autoriser à continuer leur chemin le long de sa nuque. Pour le reste, il n’avait pas l’impression d’avoir tant changé. Toujours le même petit bonhomme bien droit et aux yeux cyan, bien que la fumée grisâtre ne parvenait pas à reproduire ce détail de son anatomie. Il rendit un sourire intrigué à son alter ego, mais celui-ci s’éloigna bien rapidement, non sans lui avoir au passage arraché des mains un sceptre qu’il aurait parié ne pas détenir il y a à peine quelques secondes. Aussitôt revenu, aussitôt reparti, l’unique signe de son statut de magister disparu dans les limbes avant qu’il n’ait eu le temps de comprendre comment il avait atterri ici en premier lieu.

Autre discours, autres réprimandes, mais d’une manière qui attira plus spécifiquement l’attention du garçonnet. Ce n’était pas tant que le vieillard le « grondait », non : il éprouvait bel et bien l’impression que son mentor le testait. Tout comme il avait éprouvé ses capacités, il s’attelait maintenant à déceler si sa volonté était suffisante pour rejoindre les rangs des mages gris. Et cela, il pouvait tout à fait le comprendre. Honnêtement, ce genre de question l’avait taraudé durant les derniers jours : c’est paradoxalement lorsque son entrée au collège avait enfin été assurée qu’il s’était mis à en douter. Ce n’était pas comme s’il avait le choix, désormais, mais il se sentait tout de même prêt à répondre honnêtement au Magister. Que ses paroles lui plaisent ou non, au moins allait-il pouvoir se libérer de ce qu’il avait sur le cœur. Il se sentait simplement obliger de le formuler à voix haute, même s’il savait très bien que le vieillard n’avait peut-être rien à faire de ses rêves et de ses aspirations.

– Il y a encore peu de temps, je crois que j’aurai hésité à vous répondre.

Son menton était légèrement levé, son regard braqué dans celui de Siegfried.

– Vous imaginez bien que ce n’est pas moi qui aie voulu rejoindre vos rangs, en premier lieu. J’ai du abandonner mon père, la seule famille que j’ai jamais connue, errer sur les routes aux côtés d’une étrangère, prier pour ne pas invoquer un démon à chaque incantation, tout ça à cause de capacités que je n’ai également jamais souhaité. J’avais beau savoir que vous rejoindre était la seule solution pour éviter de provoquer d’autres fiascos, et que c’était peut-être même une seconde chance, une occasion de pouvoir propager le bien autour de moi, il m’a fallu beaucoup de temps pour m’habituer à cette idée.

Mais j’ai appris. Je crois qu’Hannah m’a très bien cerné, au final. Je ne l’ai jamais remerciée pour cela, mais elle m’a aidé à grandir. En fait, je crois qu’elle m’a permis de réaliser ce que je hais le plus chez moi. Je ne m’en suis pas rendu compte sur le coup, mais son épreuve a été particulièrement enrichissante. C’était un peu comme observer un étranger. J’étais hésitant, j’ai failli abandonner de nombreuses fois, et même si j’ai bien fini par résoudre l’enquête, cela m’a permis de me voir pour ce que j’étais vraiment. Un gamin cherchant simplement l’admiration de son père, parlant toujours de rêves et de grands idéaux sans oser bouger le petit doigt pour les réaliser. Vous avez eu la démonstration de ce problème il y a quelques minutes : en un mot comme un cent, j’étais, et suis toujours, impuissant. Impuissant à aider autrui, impuissant à accomplir la volonté de ceux qui ont placé leurs espoirs en moi. Et je déteste ça.

Baissant légèrement le regard, il leva la main, avant de serrer le poing d’un air convaincu.

On ne peut protéger personne lorsqu’on est faible. C’est parce que je n’ai pas réussi à me contrôler en premier lieu que ma maison a souffert. Alors je me suis promis que je ne laisserai plus cela arrivé, que personne d’autre n’aurait à vivre ce par quoi je suis passé. J’ai le potentiel de rendre ce monde meilleur, j’en suis certain, mais il est inutile si je ne l’exploite pas correctement. Si je dois abandonner mon ancienne vie pour ça, alors je le ferais. Si je dois abandonner ceux qui m’ont aimé, alors je le ferais. Parce qu’au final, je suis sûr qu’il aurait été fier de ce que je veux accomplir. Je n’ai pas choisi de devenir magister, mais je peux vous jurer que je choisis de le rester.

Je deviendrais plus fort. Je deviendrais une Ombre, pour que tous les autres puissent s’épanouir à la lumière.

[[MJ] Le Djinn]

Un silence mortuaire régnait dans la chambre du seigneur-sorcier, lequel était mutique devant ce discours emprunt, et c'était le moins qu'on puisse dire, de solennité et de détermination. Un faible sourire s'étira sur visage du vieillard avant de disparaitre, laissant sa face reprendre le sérieux qu'on lui connaissait si bien. Une bouffée de fumée s'évapora de sa pipe suite à une longue expiration. L'ancêtre se replaça correctement dans son fauteuil et entreprit de donner une réponse.

-"Ah, c'est bien jeune apprenti, c'est bien. Je découvre qu'Ulgu ne t'a pas encore affecté, c'est tant mieux. Accroche-toi à tes espoirs mais ne te repose pas dessus, c'est tout le conseil que j'ai à te donner. Ma question était rhétorique d'ailleurs: tu devras devenir une ombre, Faust. Devenir une ombre ou rejoindre Morr, à la fin du chemin ce seront les deux seuls choix."

Profitant de son effet, Siegfried entreprit de dessiner quelques glyphes en l'air, créant des petites lettres de fumées dans un langage que Valdorf ne reconnut pas.

-"Discutons à présent de tes… Talents. Ne te formalise pas de ton échec, il est courant dans notre domaine. Mais que cela te serve de leçon: tu dois être prêt à toutes les situations, même à l'imprévisible. Je décèle pourtant quelques capacités magiques qui demandent à éclore. Tu manques de variété dans ta magie et c'est une lacune que nous comblerons ensemble, si tu le veux bien. Maintenant je dois réfléchir à ce que je vais pouvoir faire de toi, aussi je t'invite à rejoindre Alphonse, il doit s'ennuyer ferme de l'autre côté."

D'un geste vif et décidé de la main il provoqua une bourrasque qui ouvrit la porte en douceur, laissant Faust saluer et sortir, laissant l'ancien seul avec ses questions. En effet l'autre tuteur attendait derrière la porte, bras croisé, appuyé dos au mur. Il fit un signe de tête à notre héros en le voyant arriver.

-"Ca s'est bien passé avec le vieux? Je n'entendais rien de là. Bon c'est sans importance au fond, il nous mettra au parfum bien vite."

Le duo marcha dans les couloirs infinis, il semblait à Faust qu'ils retournaient à la salle principale qu'il avait vue à son arrivée.

-"Je vais prendre quelques affaires et on va sortir pour te former à la rue. Première question, en oubliant les âneries que j'ai pu dire tout à l'heure: si tu devais aller mendier et surtout glaner des informations, où irais-tu?."

[Faust Valdorf]

Il n’y avait pas à dire : l’apprenti sorcier semblait décidément plus compétent pour les discours héroïques que pour les présentations en bonne et due forme !

Pour lui qui avait douté à l’idée que sa « confession » puisse ennuyer le Seigneur-sorcier, il restait d’autant plus rassurant de voir que ce dernier semblait véritablement intéressé par ses motivations. Néanmoins, tout n’était pas réglé pour autant, et quelques mots firent tiquer le jeune homme lorsque son maître lui adressa à nouveau la parole. Une phrase en particulier, qui pouvait pourtant paraître insignifiante, mais qui trouva néanmoins un écho dans le cœur de l’impérial.

Je découvre qu’Ulgu ne t’a pas encore affecté…

Qu’est ce que le Magister voulait bien dire par là ? Que la magie pouvait influencer ses utilisateurs, l’ancien noble le savait déjà : il suffisait pour s’en assurer de jeter un œil à la couleur de ses cheveux ou à sa mémoire parfois déficiente. Mais qu’elle pût aussi modifier durablement la psyché, ou dans le cas présent, la motivation… devenir une Ombre allait se montrer plus ardu qu’il ne l’avait pensé. Mais c’était là le chemin qu’il avait choisi, et il était hors de question de s’en détourner. Gardant son interrogation pour lui, il se contenta de croiser les bras, prêtant une oreille attentive à la suite des instructions.

Du reste, le Valdorf approuvait les observations du vieillard. Faust avait déjà eu l’occasion de constater son manque de polyvalence lors de l’examen d’Hannah, incapable de se déplacer à la tombée de la nuit, là ou une simple flammèche lui aurait permis d’avancer plus prudemment. Ce détail s’était au final révélé insignifiant au vu de la tournure qu’avait prise son épreuve, mais tout de même. S’il souhaitait progresser et éviter de rejoindre Morr de manière prématurée, comme le disait si bien Siegfried, l’umbramancien allait devoir s’habituer à rectifier ses erreurs.

– Très bien, n’hésitez pas à me prévenir quand vous serez prêt. Je dois avouer que je suis un peu curieux de voir ce que ça va donner.

Alors qu’il s’apprêtait à partir, l’Altdorfer s’arrêta sur le seuil de la porte, légèrement hésitant. Honnêtement, l’envie de demander des nouvelles de son père le tiraillait depuis son entrée dans la salle, mais il sentait bien que ce genre d’interrogation n’avait plus sa place, désormais. Aussi fatigué qu’enthousiasmé, l’adolescent se contenta donc de quitter la pièce sans demander son reste, tout en saluant une dernière fois le maître des lieux.

– Et merci pour tout, monsieur.

Fiou. Et bien, ça ne s’était pas si mal passé que ça, au final. Il était toujours en un seul morceau, son âme n’avait pas encore été dévorée, et pouvoir mettre des mots sur son objectif ne faisait que renforcer sa détermination. La porte refermée derrière lui, il rejoignit Alphonse d’un pas tranquille, ce dernier visiblement très intéressé par le déroulement de la rencontre. Le visage placide, c’est avec son ton le plus pince-sans-rire que le garçon aux cheveux d’argent entreprit de satisfaire sa curiosité, comme si de rien n’était.

– J’ai invoqué une démone par inadvertance. Ça aurait pu être pire.

Simple, concis, efficace.

Bien qu’il avait semblé au jeune homme que son entraînement devait commencer le lendemain, le mage-bandit paraissait d’ores et déjà prêt à débuter, et sa question ne manqua pas de plonger Faust dans une profonde réflexion. Encore une fois, le nobliau n’y connaissait absolument rien en matière d’espionnage, sans parler de pauvreté. Mais peut-être bien qu’il pouvait tenter quelques déductions sur le sujet, comme à son habitude.

– Hum, voyons voir…

Main sous le menton, comme si cette position allait magiquement décupler ses capacités de réflexions, il s’attela à répondre à Alphonse. Ou plutôt, à penser à voix haute sans vraiment s’adresser à lui, ce qui produisit de toute manière un effet assez similaire.

– J’aurai tendance à cibler les places et les marchés en priorité. Le style d’endroits où on trouve toujours du monde, des voyageurs, des crieurs de rue, et où personne ne s’étonnera de voir un ou deux mendiants déambuler sur la chaussée. Il doit y être assez facile de dénicher des rumeurs ou des informations, même si leurs pertinences doivent rester assez… variables, pour le dire ainsi. Les tavernes aussi peut-être. Enfin, au moins rester devant, je ne suis pas sûr qu’ils acceptent des sans-abris dans ce genre d’établissement.

Puis, marquant une pause, il releva légèrement la tête afin de regarder son tuteur dans les yeux.

– Après, je suppose que cela dépend aussi du type d’information que l’on cherche. Si c’est pour se renseigner sur des cultes comme le fait Marco, je ne pense pas qu’il serve à grand-chose d’attendre devant le marché aux grains. Mais pour obtenir le plus de pistes sans cible précise, c’est probablement là que j’irai.