Rédigé par Armand de Lyrie, Assistant MJ
Le Collège Doré est la plus noble institution qui existe au sein de l’Empire de l’Humanité. Composée des mages les plus disciplinés et les plus compétents, tout autant savants que connaisseurs des arcanes, ils sont l’épine dorsale sur laquelle tous les corps impériaux se reposent. Inventeurs, découvreurs, ce sont eux qui ont inventé les pierres de pouvoir qui permettent aux magistères des collèges de décupler leur force. Manipulateurs de Chamon, ils font preuve à l’occasion d’un raffinement martial essentiel à la défense des frontières des provinces, transformant la pluie en des pointes d’or acérées pour empaler tous les ténèbres et les ennemis de la Nation. Est-il si étonnant que le Patriarche Suprême, Balthasar Gelt, soit issu de la plus noble de toutes les institutions magiques ? Riche, puissante, novatrice, intégrer le Collège Doré est un honneur qui est réservé à une élite qui peut se vanter sans jamais subir de reproches…
...Du moins, ça, c’est ce qu’on répétait tous les jours aux étudiants. Surtout à ceux qui ne cessaient de se plaindre de ne pas apprendre de sortilèges et d’au contraire crouler sous les tâches laborieuses.
« M-Maître, heu, est-ce que… Est-ce que nous pourrions, peut-être, connaître la formule pour cette potion ?
– Comment osez-vous ?! Savez-vous que vous avez bien de la chance de faire partie de la plus noble des institutions ?! Vous auriez pu finir dans le collège de Jade à vous tripatouiller dans la boue, ou dans le collège Améthyste à embaumer des cadavres ! Vous savez que c’est sur nous que l’Empire tout entier se repose ?! L’Empire tout entier !
Alors maintenant arrêtez de vous plaindre et frottez bien les bocaux, j’ai pas envie d’avoir de l’arsenic contaminé ! »
Les « cours » qu’on dispensait à Avicebron oscillaient entre beaucoup de travaux ennuyeux et répétitifs, et quelques brefs moments de stimulation intellectuelle véritablement intense. Si les lectures de vieux ouvrages le passionnait énormément, tout comme les travaux pratiques où on lui demandait (sous une stricte supervision) de s’essayer à quelques sortilèges mineurs, ce n’était que des instants rares qui étaient compensés par de l’abrutissement généralisé. On lui demandait plus souvent qu’à l’ordinaire de fabriquer des savons et des teintures, afin que le Collège Doré puisse continuer à vendre des produits et recevoir une grosse manne monétaire. Le fait qu’il ait maintenant plusieurs années d’expérience au sein du collège parvint, certes, à diversifier le curriculum : à présent, il avait des cours très avancés de mathématiques, d’application métallique, et même d’inscription de runes. Mais ces enseignements passionnants restaient uniquement théoriques, et malgré le fait que le collège Doré soit un énorme complexe constitué de laboratoires et de fonderies, il passait le plus clair de son temps dans des salles de classe légèrement surchargées, à prendre laborieusement des notes pendant que des magistères accomplis faisaient des cours magistraux où ils ne prenaient même pas la peine de ralentir le débit de leur voix pour s’accommoder à leurs étudiants.
Pour tout dire, Avicebron n’avait pas vraiment de mentor. Ce n’était pas comme dans les autres collèges, où naissait une relation privilégiée entre apprentis et sorciers. Avicebron avait affaire à des professeurs, des mages alchimistes luxueusement habillés, qui ne vivaient pas au sein du Collège, mais qui se contentaient de venir le matin dans le bâtiment afin de dispenser leurs cours et de mener leurs études de laboratoire, afin de justifier leurs gages et pouvoir payer très cher les courtisanes et les réceptions fines qu’ils tenaient dans de beaux appartements privés d’Altdorf. Ce train de vie confortable et passionnant se faisait sur le dos des novices, qui se brûlaient les mains à manipuler de l’alkali et des pigments afin de préparer des pommades et des cosmétiques ; ils n’étaient pas payés pour ce travail, bien sûr, car ce n’était non pas un emploi mais des travaux pratiques pour valider leurs matières d’enseignement, et que de toute façon, ils étaient nourris, blanchis et soignés aux frais de l’Ordre et qu’il fallait bien rembourser tout ce qu’on dépensait afin d’accueillir ces petits poussins de la magie.
Mais vu qu’Avicebron, comme ses camarades, dormait sur un lit superposé dans un dortoir rempli et toujours froid l’hiver, qu’il mangeait bien souvent de la soupe fade et du pain noir, et que les étudiants qui allaient à l’infirmerie étaient simplement accueillis par une doctoresse qui soupirait et leur filait une concoction de sauge qu’importe ce dont ils souffraient, il fallait se demander où passait l’argent. Par contre, « blanchis », ça ils l’étaient très bien. Les apprentis du Collège Doré étaient toujours tout propres, et on leur avait appris à repriser, recoudre et laver leurs vêtements afin qu’ils soient constamment présentables : il en allait du prestige de l’École.
Ce matin, juste après le réveil, Avicebron avait été de corvée de lessive d’ailleurs. Avec quelques camarades, il avait dû s’ennuyer à laver, frotter, et essorer les linges de tout le dortoir – c’était aux yeux de certains la corvée la plus emmerdante, la préférée étant la corvée de cantine, même s’il valait mieux ne pas se faire voir quand on attrapait en secret des petits bouts de viande et des dragées au miel qui étaient réservés au repas des professeurs. À onze heure trente, il eut droit à un repas bourratif constitué d’un gruau d’orge, d’un petit fromage de chèvre avec du pain noir, d’un potage carotte-céleri et une pomme en guise de dessert. Après avoir soigneusement terminé son assiette – on déteste le gâchis – il eut droit à un moment de « temps libre », même si ce temps libre correspondait très très rarement à une simple indolence de la part des étudiants ; ils étaient au contraire invités à méditer, à se rendre à la chapelle multiconfessionnelle du collège pour remercier les Dieux (Même s’il y avait pas mal de courtes prières obligatoires qui rythmaient la vie des étudiants), ou bien à pratiquer un exercice sportif dans l’un des cloîtres du complexe. Nous étions au mois de Nachexen, il cessait enfin de cailler, et malgré des averses régulières, les fleurs bourgeonnaient à nouveau et le soleil pointait le bout de son nez. C’était donc le moment parfait pour recommencer à courir et à se défouler en extérieur, beaucoup mieux que l’été où la chaleur se fait trop écrasante, et où surtout l’air est trop pollué par les nuages sortant des cheminées du Collège, faisant tousser douloureusement ceux qui ont eut le malheur de fournir un peu trop d’effort à l’air libre.
À présent, après le temps libre du midi passé, Avicebron fut invité à treize heures quarante-cinq à se présenter devant une salle de cours très jolie et moderne, sans façade lézardée ou vétusté du matériel. Les étudiants attendirent bêtement en discutant devant la salle, quand le magistère arriva en retard, sans présenter d’excuses, à quatorze heures cinq, et leur somma d’entrer à l’intérieur et de se mettre au travail. Les étudiants se répartirent par groupes de trois, devant des paillasses où se trouvaient des pots, des bocaux, des fioles remplies de produits colorés et disposés en tout genre : Il était temps pour eux de pratiquer un peu d’alchimie appliquée.
« Allez, allez, on a pas toute la journée. Ne vous inquiétez pas, vous n’allez pas chercher le Solvant Universel aujourd’hui.
Ouvrez votre ouvrage Des Applications Réelles Et Patentes De L’Alchimie Au Service De La Salubrité Publique à la page 73, s’il vous plaît. »
Après avoir appris les premières années à fabriquer des teintures et des pigments, le nouveau curriculum d’Avicebron était plus intéressant : L’ouvrage au titre à rallonge qui avait été distribué en neuf exemplaires à la classe de vingt-sept élèves était un essai rédigé il y a deux siècles par un jeune alchimiste qui avait offert au comte du Wissenland d’alors des moyens pour lutter contre les poux qui envahissaient sa ville et faisaient proliférer des maladies. Le fait que l’alchimiste en question était un mage illégal, qui n’appartenait à aucun collège, avait conduit sa personne à être accusée de comploter avec les Puissances Obscures, et alors que les Répurgateurs du culte de Sigmar débarquèrent chez lui pour qu’il soit jugé, une horde de gueux citadins superstitieux arrachèrent aux sergents de la foi leur cible et le lynchèrent en place publique, persuadés par des rumeurs que les poux avaient été amenés par son laboratoire étrange et puant. Une jolie leçon de vie pour les jeunes apprentis qui étaient persuadés qu’ils pouvaient utiliser leur magie en public sans risquer d’attirer le soupçon des gens beaucoup moins intelligents qu’eux – et les magistères d’or étaient persuadés d’être plus intelligents que tout le monde.
À la page 73, Avicebron découvrit une vieille formule en Reikspiel (Ce qui changeait de la Magikane qu’on apprenait pour lancer des sorts) de produits à mélanger, à faire bouillir, à mesurer de plusieurs façons différentes, afin de créer une pommade qui est censée agir contre les tiques et les puces. C’était un exercice intéressant, parce qu’il fallait créer un produit qui soit suffisamment agressif pour tuer des insectes, mais qui devait être doux avec l’animal sur lequel on allait appliquer le répulsif.
Il fallait se mettre au travail avec ses camarades.
Avicebron, à cause de son naturel réservé, n’avait pas vraiment d’amis. Mais il connaissait bien les deux étudiants avec qui il avait été assigné.
Le seul truc énervant c’est qu’elle avait plus-ou-moins imposé Dieter dans les révisions, et malheureusement, le nobliaud n’était pas aussi studieux qu’eux.
Le professeur exposa la formule au tableau à l’aide d’une petite craie blanche, rappela rapidement quelques principes de base, puis il s’installa à son bureau et laissa les étudiants travailler pendant qu’il se plongeait dans la rédaction de tout autre chose, en jetant plusieurs fois des regards appuyés sur l’horloge de la salle de cours, visiblement pressé d’être ailleurs. Toutes les petites fourmis étudiantes se pressèrent, et commencèrent leur travail, en s’appliquant à bien réussir pour tenter d’obtenir les félicitations de leur professeur visiblement peu intéressés par l’ouvrage des apprentis.
Dieter et Heilika se pressaient autour d’Avicebron, en se soulevant un peu pour regarder le livre ouvert. Alors que Heilika commençait à sortir les bocaux et à vérifier que tous les ingrédients étaient là, Dieter se mit à se plaindre dans sa barbe, à toute petite voix pour que le professeur ne l’entende pas.
« Super exercice d’alchimie, dites donc, ils vont pas du tout vendre ce qu’on prépare aux bouseux du coin pour se payer du cognac Bretonnien.
– Chuuut, Dieter, paniqua Heilika.
– Quoi, chut ? »
Ce n’était pas l’exercice en soi qui était compliqué, mais la maîtrise de toutes les opérations et des quantités : en somme, un sujet parfait d’évaluation, et qui en plus allait demander de la coordination de la part du groupe.Des Applications Réelles Et Patentes De L’Alchimie Au Service De La Salubrité Publique, par Fricz-Gernot Hößengent, page 73.
Avertissement : Ouvrage pernicieux mit à l’index par bulle du Grand Conclave. Reproduction en imprimerie interdite. Usage réservé aux institutions habilitées.
La recette que je propose ici est une tentative de concocter un répulsif contre les poux et les tics, efficace dans les chenils et les écuries, qui soit plus efficace que le simple vinaigre mais moins dangereux que l’arsenic, en essayant de limiter au maximum les prix sans lésiner sur la qualité.
Il vous faudra préparer un cataplasme léger constitué de farine de lin, mélangée à un volume d’eau proportionnel à la quantité de plantes d’absinthe que vous souhaiterez préparer ; il vous faut pour cela extraire le concentré d’absinthe en vous référant aux méthodes de distillation que j’ai évoqué précédemment à la page 11, en prenant garde à ne pas contaminer l’extrait en gardant votre mortier et vos bocaux propres, avec de l’eau citronnée. Préparez à côté une décoction d’aristoloche clématite dont vous ferez bouillir les germes et infuser les racines. Il vous faudra aussi préparer un séchage de pédiculaire des marais, en utilisant pour cela les techniques de chauffage que j’aie énoncées en page 25 de cet ouvrage. Faites très attention de garder votre feu toujours à une température régulière et contrôlée, utilisez de la magie si possible et nécessaire. Une fois que vous aurez votre pâte d’absinthe, vous la transvaserez dans la décoction d’aristoloche, et vous utiliserez vos connaissances d’alchimie pour modifier les textures et y intégrer les pédiculaires : le résultat final ne doit être ni une pommade, ni des cristaux, mais une poudre fine au point d’être invisible, et active. Il faut qu’un simple jet de la poudre sur un animal, une fois par semaine, puisse tuer l’infection sans pour autant empoisonner l’animal, d’où l’importance fondamentale de la maîtrise des quantités et des transformations que je vais décrire ci-après...
Ce qui semblait plutôt mal parti avec Heilika qui n’arrêtait pas d’éternuer et de paniquer à l’idée d’avoir une mauvaise note, et Dieter qui soupirait et semblait bien peu intéressé par l’exercice.
« Heu, je… Heu… On a allumé le four ? Attendez, je vais allumer le four, je… Il faudrait… On commence par le cataplasme ou la concoction ? On a combien de temps ? Heu…
– De l’anti-puce, c’est ça l’alchimie qu’on doit apprendre ? Moi je pensais qu’on allait genre créer de la poudre à canon, pas ce machin là. On nous a prit pour des herboristes de campagne, ou quoi ? On est pas des rebouteuses de village, quoi. »
Le fils du Nordland regarda d’un mauvais œil les ingrédients disposés autour de lui. Et il semblait bien plus disposé à bavarder qu’à se mettre à s’organiser – même si le groupe était loin de s’organiser.
« Hey, Avicebron. Tu sais jouer à la soule ? Après le cours on va s’entraîner un peu dehors et il nous manque un joueur, je sais pas si t’es intéressé.
Tu sais ce que c’est la soule, hein ? Rassure-moi ? »