L’on avait sonné vêpres depuis quelque temps, mais déjà la nuit insinuait-elle ses longs doigts d’obscurité dans les venelles crasseuses des bas-quartiers du Reikerbahn District. Entre chien et loup, les rues se confondaient les unes aux autres, les gens ne sortaient que trop peu, et les seuls qui s’y risquaient voyaient leurs silhouettes se transformer en ombres sinistres qui rasaient les murs. Dans cette zone, le quartier s’étranglait entre le Talabec et les taudis environnants, et les ruelles étaient dévorées par une eau lourde et vorace sitôt que le vent s’agitait, que Mannslieb était ronde, ou que les précipitations se déchaînaient sur le monde. Les murs des misérables masures et des bicoques borgnes portaient les traces d’un ressac âpre et souillé ; l’onde noire s’avançait en rampant sur la terre, rongeant d’une moiteur virulente bois et parois, emportant avec elle quelques cadavres de rats pour ne laisser dans son sillage que des relents d’algues pourries, de crustacés avariés et des détritus humains.
Plus que partout ailleurs, la fange qui faisait office de chaussée était profonde et conglutineuse, se mêlant à la vase et à la terre décomposée que charriaient les eaux troubles. Les murs renversés des margouillis, les colombages rongés des habitations, les pierres tachetées de mousse des gâts luisaient d’humidité et gouttaient dans une complainte de caveau. La brume épaisse crachée de temps à autre par les fleuves stagnait en volutes funèbres que trouaient de loin en loin un lampion sinistre ou la lanterne rouge de ces quelques bordels où se rassemblaient la lie et la misère de la capitale.
Quelques clapotis visqueux se firent entendre, et les bruits de succion, émis par une paire de bottes laissant ses empreintes dans la vase, se rapprochèrent de la masure qu’habitaient Konrad et sa sœur. L’on frappa brutalement à la porte de bois vermoulu, qui frémit devant un léger rideau de poussière provoqué par la vibration. Les murs de l’édifice, à l’image du quartier, arboraient une allure décrépie et branlantes ; les vantaux et les volets ne fermaient jamais complètement, les parquets se déformaient et se trouaient au fil des âges, et les cloisons avaient plus d’une fois été perforées d’un maladroit coup de coude.
L’on tapa de nouveau sur le battant, dans des chocs aussi répétés qu’impatients.
Konrad, occupé à quelque affaire que ce fût, s’en alla répondre à l’entrée. Avec un léger moment de retard, il traversa rapidement les petites pièces insalubres de son logement, que pour mieux trouver Helena dans le vestibule. La jeune femme, quoiqu’elle ne le fût plus véritablement désormais, avait entrebâillé la porte, la bloquant de son pied, et tenait dans sa main une dague. Une vieille habitude précautionneuse qu’avaient tous les habitants de la rive est d’Altdorf qui tenaient encore un peu à la vie. En entendant son frère arriver, elle tourna la tête, et se détendit.
« C’est pour toi, Konrad », lâcha-t-elle sur un ton fatigué, comme si les mots pesaient trop lourds pour sa pauvre existence.
Les outrages du temps commençaient à rattraper la jeunesse qu’elle avait toujours arborée, et sous ses grands yeux se dessinaient des cernes chaque jour plus épaisses et profondes. Des rides légères parsemaient çà et là son front, ses longues mèches de cheveux voyaient blanchoyer leur racine, et, lorsqu’elle se déplaça pour le laisser passer, Konrad put presque voir les épaules de sa sœur se voûter subtilement. Oui, dans les bas-fonds de la capitale, l’existence même représentait davantage un fardeau qu’une source d’allégresse, et la dureté aussi bien que la misère de la vie imprégnaient les traits de chacun, les marquant à jamais d’un masque d’épuisement.
Dans l’entrebâillement de la porte se découpa un visage dur et anguleux, patibulaire, dont le regard s’attarda longuement, sans vergogne aucune, sur Helena. Puis, les pupilles s’arrêtèrent sur Konrad, repartirent sur sa sœur, et se fixèrent définitivement sur l’aigrefin. Un petit sourire cauteleux, presque lubrique, vint orner des lèvres qu’un horion avait récemment fait éclater. Reconnaissant la face tuméfiée du Forgeron, un affidé de Maître Flinch, Konrad ouvrit plus grand la porte.
Le Forgeron n’avait pas été surnommé ainsi par le métier qu’il faisait, mais plutôt par son accoutrement atypique. Son torse épais se recouvrait d’un lourd tablier de cuir sans manche qui laissait passer deux bras musculeux terminés par deux gigantesques poings. Des chausses sales et maculées lui remontaient jusqu’à sa taille, laquelle était ceinturée d’une corde goudronnée où se glissait le manche d’un marteau de ferronnier. Aux alentours du Reikerbahn, plus d’une mâchoire et plus d’une main avaient été brisées par cet énergumène dont la réputation n’était plus à faire.
« Y a le Patron qui veut te causer. »
Le Patron, sortit de la bouche du Forgeron, impliquait l’homme qui avait jadis essuyé les dettes d’un jeune garçon de quatorze ans après que ce dernier lui eut apporté et le cadavre de son propre paternel, et un sac de poudre noire qui avait été chapardé. Maître Finch.
« J’crois qu’il s’inquiète pour toi. Ça fait quelque temps qu’tu lui as pas rendu visite, et t’sais bien à quel point ça le chagrine qu’on vienne pas l’voir. »
Voilà ton point d’entrée sur notre forum, qui, je l’espère, te conviendra. Tu as le droit d’aller un peu plus loin que cela (le voyage jusqu’audit Patron, par exemple).
Tiens, vu que j’ai été reloue sur les fautes, si jamais tu en trouves dans mon texte ou dans le suivant, ça te fera un xp bonus (non cumulable).
Venge-toi.