Ainsi, il fut mis au fait de certaines méthodes douteuses quant à la manière dont le juge parvenait à obtenir des aveux ; avait-il réellement mené des charlatans bâillonnés jusqu'à la faculté de médecine pour entendre des réponses qui le satisfissent ? ou n'était-ce là que des ragots colportés par les jaloux de sa réussite en magistrature ?
Plus tard, un vétéran vint à confesser qu'Hugel était peut-être devenu un personnage impérial noble et respecté mais qu'avant ça il n'était autre qu'un sergent ordinaire qui dirigeait le cinquième hallebardier tel une terreur.
« - Aussi vif qu'un serpent et pas plus aimable que maint'nant... »
Quant à sa passion pour la peinture, d'aucun disait qu'il s'agissait d'une lubie subite et incompréhensible. Sans doute le juge cherchait-il par là à se faire reconnaître en tant qu'égal des autres bourgeois et nobles de la ville. Peut-être, cherchait-il simplement à se faire accepter par ses pairs ? Quoi qu'il en fut, cela avait étonné tout le monde qu'il cherchât à acquérir « Le Triomphe de Ranald ».
« - Il n'avait jamais fait preuve de bon goût auparavant ! Regardez ce que peut devenir un roturier lorsque la chance frappe à sa porte ; même son majordome a de l'or sur ses vêtements ! »
Après tant de révélations, parmi lesquelles il lui faudrait sans doute démêler le vrai du faux, le bonimenteur entreprit d'observer la maison dès le petit matin dans l'espoir de trouver ce qu'il n'avait pas eu le loisir de découvrir la veille.
Ainsi, outre les soudards Tiléens que Herzlos lui avait déjà signalé comme étant le service de sécurité du juge, Sigmund put apercevoir, jusqu'à la mi-journée, quelques habitants des lieux quitter l'endroit. Il avait pris note, la veille, de quelques noms qu'il n'eut aucun mal à placer sur les visages qu'il vit défiler.
La première à sortir fut la vieille servante Brunhilda qui était chargée, avec une jeunette à la chevelure blonde bien peignée, de quérir les provisions nécessaires à la préparation des repas. Très tôt le matin, elles étaient parties au marché avec deux gros paniers en osiers qu'elles avaient ramenés remplis de légumes en tout genre et de volailles. La vieille femme était rentrée haletante et avait pesté contre sa compagne qu'elle avait jugé marcher trop vite. Personne n'avait su donner le nom de la blondinette mais on savait qu'elle avait été engagée depuis peu. D'aucun disait que le majordome en avait plus après ses charmes que ses compétences domestiques.
Ce dernier, Albrecht Oldenhäller, était un homme dur, voire cruel, qui n'hésitait pas à s'en prendre au personnel qu'il se plaisait à dénigrer et rabaisser sans cesse alors même qu'il n'était pas de meilleure extraction que les pauvres bougres et bougresses qu'il rudoyait. Lui et son maître étaient décrits comme colérique et sans cœur, hurlant sans cesse de jour comme de nuit. Or, mis à part ces plaintes d'anciennes servantes renvoyées sans ménagement pour un oui, pour un non, Sigmund n'apprit rien de plus sur le bonhomme. Il avait quand même remarqué qu'Oldenhäller s'était discrètement éclipsé de la maison peu avant midi en empruntant la trappe de la cave dont il conservait la clé dans une poche intérieure de son pourpoint.
Maintenant, le pâle soleil automnal était à son zénith et la rue était déserte… sans doute valait-il mieux s'éloigner avant d'éveiller les soupçons, quitte à revenir plus tard compléter les observations. A moins que Sigmund n'en ait appris assez pour commencer à passer à l'action ?