Pas de sommeil cette nuit pour le jeune magicien. La nuit durant, il était resté concentré, affinant son analyse. C’était presque comme un défi, au fond. Il avait poussé à fond sa méditation pour être sûr de percevoir cette magie. Hélas, même ainsi, il ne pouvait mettre le doigt sur la nature de ces rituels. Quel était le but de ce rassemblement magique et de cette union d’autant de vents différents ? Quel genre de sordide sortilège se tramait dans l’ombre ?
Le réveil de Dankmar fut pour Théophraste le signe du lever du jour. Si concentré qu’il était, il avait perdu le fil du temps. Avec un brin d’anxiété, il réalisa que cette affaire l’avait maintenu éveillé toute la nuit, et tout son corps se plaignait déjà. Ses yeux lui faisaient mal à rester ouverts, ses muscles étaient engourdis, et il dut s’échauffer la voix avant d’être capable d’articuler des salutations convenables à l’égard du cocher.
"Bon matin monsieur Keilberth. Je n’ai pour ma part, presque pas pu dormir, mais je vous expliquerai plus tard. Je pense que l’on devrait se presser de retrouver la magistère Ashamira."
Tout en regardant Dankmar s’évertuer à ouvrir la porte, le jeune apprenti s’efforçait pour sa part à reprendre pied avec la réalité. Ils étaient encore vivants, et il ne semblait pas s’être passé quoi que ce soit de grave durant la nuit. Aucun bruit ou odeur n’avait réveillé le cocher, pas de manifestations physique inquiétante… en soit, peut-être cette manifestation magique avait elle été purement inoffensive. Théophraste commença à songer qu’il avait été trop paranoïaque.
Du moins jusqu’à ce que Dankmar déverrouille la porte et qu’un paysage à la bizarrerie sans équivoque vienne emplir son champs de vision. Théophraste se frotta les yeux, croyant halluciner, mais les plaintes atterrées du cocher finirent de le convaincre qu’il voyait bien la réalité.
"Sigmar nous garde."
Finalement, il avait sûrement très bien fait de ne pas mettre le nez dehors cette nuit. Quel genre de monstre avait la puissance nécessaire pour changer en une nuit le climat et la flore dans un périmètre si vaste ? Les arbres eux même avaient été remplacés par d’autres, l’humidité était installée comme si l’endroit avait toujours été un marais, la mousse, la brume, les lichens… tout était apparu spontanément, et combien de choses avaient disparu ? Quelle horreur pouvait transfigurer tant de choses si radicalement en si peu de temps ? Certainement pas le premier magicien sauvage venu. Dankmar qui avait sans doute encore moins d’éléments de réponses que le magicien se perdait à accuser l’alcool. Théophraste tiqua.
"S’il vous plait, ne faites pas de promesses en l’air. Je... nous devrions chercher sérieusement à comprendre quelle magie a fait ça."
La surprise lui ayant fait écarquiller les yeux, Théophraste résolut de ne pas les fermer avant d’avoir au moins un peu compris. Il fit quelques pas, cherchant du regard si quelque chose de la faune et de la flore originelle du lieu avait survécue. Les arbres étaient une chose, mais les animaux en étaient une autre. Voyait-on des insectes, des escargots, des grenouilles, bref la faune d’un marécage ? ou bien restait-il, aussi apeurés qu’eux, des écureuils, des oiseaux forestiers, la faune originelle du l’endroit en somme.
Il n’eut pas vraiment le temps de pousser son analyse. Ashamira reparut et, par prudence, ordonna qu’on lève le camp au plus vite. Sans surseoir, la compagnie reprit la route, Théophraste n’ayant ni le temps d’expliquer à la magistère ce qu’il avait ressenti cette nuit, ni de rattraper son besoin de sommeil. Qu’importe, il y avait urgence.
Dans la diligence, Théophraste fermait et rouvrait les yeux à intervalles réguliers, reposant ses paupières sans pour autant s’autoriser à dormir. Il fit bien, puisqu’il ne dormait pas quand les paysans se montrèrent et arrêtèrent la diligence. Le jeune mage réprima un frisson.
La situation était tendue, et c’était typiquement le genre de cas de figure que Théophraste redoutait depuis son premier pas en dehors de l’enceinte du collège. Il y avait eu de la sorcellerie dans l’air, et ils étaient deux sorciers à la merci d’une horde de paysans en colère. Combien de magisters des collèges avaient déjà fini au bout d’une fourche ou brûlés par les torches de foules justement en colère mais contre les mauvaises personne ? Théophraste ne pouvait pas leur en vouloir, il en voulait presque au Patriarche Kant de l’avoir envoyé ainsi risquer sa peau loin du collège. Le sort d’apprenti perpétuel n’était-il pas enviable comparé à celui de viande grillée ?
Quand les paysans s’adressèrent à eux, Théophraste se redressa sur son siège. Il fallait s’expliquer, mais ne surtout pas prononcer le mot « sorciers ». Il eut un coup d’œil vers la magistère Ashamira. Hélas, elle pouvait difficilement faire profil bas et passer leur blocus sans rien dire. Étrangère, habillée bizarrement, avec des bijoux ésotériques… bon, lui même n’en menait pas large, avec son chasuble blanc et son bâton surmonté de la rune du collège, tout ça devait crier « magicien » au regard de n’importe qui s’y connaissant un minimum, mais peut-être que ces signes ne diraient rien à ces gens là. Il pouvait espérer.
Une idée lui traversa l’esprit. Se faire passer pour des agents du culte de Sigmar. Ils pourraient ainsi justifier de vouloir collecter des témoignages sur les évènements de la nuit, tout en s’attirant la sympathie des paysans. Mais Théophraste abandonna aussitôt cette idée. Il connaissait les us et coutumes du culte de Sigmar, et ils n’avaient rien sur eux qui puisse suffire à convaincre un vrai pratiquant qu’ils aient la moindre affiliation avec un temple. Mais plus encore, Théophraste chassa cette idée parce que le mensonge, même en tant que concept, lui semblait intolérable. Mentir serait reconnaitre le mensonge comme une règle universelle viable et acceptable, ce qui serait absurde. Pour que le monde fonctionne correctement, il fallait être honnête, alors autant dire la vérité et simplement la tourner de façon à ce qu’elle puisse être bien digérée par les gens.
Aussi, se dressant sur son siège de sorte à cacher au moins en partie Ashamira derrière lui, remettant droit les plis de son chasuble, et prenant la parole avec le plus grand calme et le plus de contrôle possible, il répondit :
"Justement, nous sommes des agents envoyés par la capitale pour enquêter sur des événements surnaturels dans la région. Nous avons été aussi surpris que vous par ce qui s’est passé cette nuit, mais apparemment ce n’est pas le premier phénomène à se produire dans les environs. Nous serions ravis de pouvoir collecter vos témoignages pour aider l’enquête. Avec votre collaboration je suis certain que nous trouverons les coupables."
Se tournant d’un air qui se voulait flegmatique vers Ashamira, il lui demanda poliment de lui faire passer son matériel de calligraphie. Puis il reprit.
"Si vous voulez bien, je vais devoir poser plusieurs questions à chacun d’entre vous qui nous permettront de savoir qui, et où. Je vais prendre en note vos témoignages par écrit. J’espère votre entière collaboration et toute votre honnêteté, et par Sigmar je vous promet de jeter la lumière sur toute cette sordide affaire. Les responsables n’échapperont pas à des professionnels tels que nous."
Et il le pensait vraiment. Prononcer le nom de Sigmar n’était pas anodin pour lui, en vrai pratiquant, il comprenait parfaitement l’émoi des paysans, mais il fallait qu’ils lui fassent un minimum confiance pour qu’il puisse accomplir son devoir. Peut-être perdraient-ils du temps par rapport à leur mission principale, mais ils n’avaient pas le choix. L’article 13 de l’Ordonnance Impériale sur la Sorcellerie stipulait que tous les magister étaient tenus de traquer les pratiquants de magie et de les éliminer s’ils présentaient un danger. Que la magistère le veuille ou non, et que ce soit lié à leur enquête principale ou une simple coïncidence ; il n’en demeurait pas moins que ce qui s’était passé ici était une sorcellerie abominable qui requérait qu’ils se dédient à l’affaire. De plus, il était infiniment plus sûr que ce soient eux, des mages éduqués et formés sur la question qui s’occupent de traquer l’hérésie plutôt que de laisser cette foule de paysans déboussolés faire justice par eux même en n’ayant aucune idée de ce qu’ils cherchaient.
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En cas de gros échec, je pense que j'utiliserai l'Anneau de Lasset Standing que j'ai gagné au dernier event pour refaire le jet. Je le rappelle juste au cas où.
Si je vois que les paysans rechignent quand même à parler, j'ajoute qu'on récompensera sûrement les témoignages qui permettront de faire vraiment avancer l'enquête. Je compte sur la bourse d'Ashamira.
Le plan est donc d'interroger tous les paysans un par un, et de noter les témoignages pour ensuite tout étudier et recouper. Je veux vraiment me présenter comme un professionnel avec une tâche officielle, et mettre toutes les formes que ça implique.
Les questions porteront sur ce qu'ils ont vu ou entendu cette nuit, l'ampleur et la nature des changements qu'ils ont constaté, quelles pertes ça représente pour leurs cultures et est-ce que certaines personnes en ressortent avantagées par rapport à d'autres. Est-ce qu'il y a eu d'autres phénomènes bizarres dans les jours qui précèdent, est-ce qu'il y a eu des disparitions, est-ce que quelqu'un de leur village a eu un comportement louche, est-ce que des voyageurs sont passés par là récemment, et enfin si ils ont des soupçons et, au cas où pour chacun d'entre eux, si quelqu'un dans le village aurait des raisons de leur en vouloir personnellement.
Ensuite, on pourra expliquer que notre enquête nécessite de circuler plus loin dans la région pour enquêter sur d'autres phénomènes ayant sûrement la même cause, puis poursuivre notre chemin sans pour autant abandonner l'enquête.