Si devenir le traître ultime permet d’échapper à sa langue d’argent, c’est avec plaisir que je le suis. "
-Egrimm van Horstmann, le jour de sa fuite.
Une fumée grisâtre s’élève vers le ciel, devenant un avec celui-ci. Une véritable purée de brouillard, qui remplace les nuages les plus bas. Cet écran ne vient pas d’un volcan, non, mais d’une jungle. Une jungle de pierres, de briques et de bois. Grouillante comme la plus massive des fourmilières, elle a un nom célèbre parmi les hommes, et bien plus qu’eux.
Altdorf, la Couronne de l’Empire.
Tout au sud de la capitale, proche des remparts, se trouve une très grande place vide, complètement. Pas un homme, pas un chat, pas un oiseau. Non, rien si ce n'est la poussière et le sable sur les rares pavés mal entretenus. Ce vide sépare l’immense enceinte militaire du reste urbain, sans pour autant expliquer pourquoi.
Caché derrière ce vide, ou plutôt dedans, se trouve quelque chose qui défie l’imaginaire commun. Des grandes pyramides blanches aux sommets dorés, presque aussi hautes que la protection des murs. De nombreux piliers, ainsi que la paroi verticale des défenses locales, sont couverts de hiéroglyphes qui luisent d’un ton bleuté telle la mer Estalienne en été. Certaines de ses fines tours pointues délimitent cette fameuse plazza, cachée aux yeux de tous.
Dans une de ses pyramides, où les étages et les couloirs se mélangent comme un labyrinthe souterrain, se trouve un jeune homme. Aussi blond que ses habits sont blancs, aussi fin que son esprit. Théophraste, avec comme seule compagnie ses propres affaires, et une récente lettre, datant d'hier.
Assit, il repense à cette étrange première journée d’Automne. Convoqué par le patriarche en personne, il attend dans l’antichambre. Ce n’est pas la première fois qu’il est appelé ici, espérons que ce ne soit pas la dernière.
Verspasian Kant convoque parfois des apprentis, ce n’est donc pas si exceptionnel. Les rumeurs disent qu’il essaye de s’impliquer bien plus dans l’apprentissage des jeunes de l’Ordre Lumineux. Uniquement ceux sans maître, cela va de soi. En parlant du loup…
La porte s’ouvre, et un homme surgit. Un peu plus grand que le jeune hiérophante, sa posture n’en est pas moins bien plus imposante. Sa pilosité, parfaitement taillée et entretenue est aussi claire que sa robe, couleur neige. Son long bâton doré suit le même paterne que son tabard, alternant le blanc nuage et le doré.
Il n’est pas aussi vieux qu’il en a l’air, son visage n’ayant que bien peu de rides malgré la décoloration du reste.
"Ah, Herr Théophraste, je suis heureux de voir que vous avez reçu ma lettre. Entrez donc. "
Sa voix est incroyablement contrôlée. Chaque syllabe qu’il articule est parfaitement maîtrisée, comme s'il l’avait inventée lui-même. L’intonation, elle, est calme. À première vue, il doit être de bonne humeur.
Avançant alors, ils se trouvent dans un bureau. Ou plutôt une étude large, richement ornée, et très bien entretenue. Pas de fenêtre, étant donné qu’ils sont sous la terre. Une odeur de parchemin imbibe la pièce, qui est dominée par un gigantesque bureau. Il est couvert de hautes piles de papiers empilés, avec une rangée d’une vingtaine de pots d’encres et de cires différents, ainsi qu’une sélection de plumes exotiques. Deux chaises finement taillées sont de l’autre côté du bureau. Le mur dextre est aligné avec des étagères pour moult ouvrages. L’autre paroi semble dédiée aux armoires, tiroirs et autres formes de compartiments. Chacun est rempli jusqu’à la limite du possible.
Seul le bureau est presque entièrement libéré, l’exception étant un kit d’écriture en ivoire.
"Asseyez vous, je vous prie."
Il se place de l’autre côté du bureau, sur une chaise étant bien plus proche d’un trône que d’un tabouret.
"Comme spécifié dans ma lettre, je tiens à prendre du temps pour vous parler des récents évènements. Mes regrets sont nombreux. Se faire retirer son propre maître ainsi, me désole. Vous êtes le premier depuis des lustres à perdre ainsi son précepteur.
Votre ancien maître est désormais occupé, ailleurs."
Il impose fortement le dernier mot, l'accentuant bien plus que nécessaire, ou peut-être pas assez…
"Ses méthodes d'enseignement font partie d’un passé contre lequel je m'efforce de lutter chaque jour. La preuve étant ces dernières semaines, n’est-ce pas ? Le maître magister Hell, ne représente pas notre Ordre. Il a sali l’image du collège par ses choix. Je veux que vous en soyez conscient.
Bien sûr, un jeune… homme, comme vous, se doit d’avoir un enseignant direct. La situation étant exceptionnelle, la solution mérite de l’être tout autant.
Avant de continuer plus loin, je me dois de vous poser plusieurs questions, apprenti.
Comment allez-vous depuis l’incident ? J’ai cru comprendre que… ce fut rude. Votre présence me conforte dans votre santé physique, j’espère que votre mental n'ait point été ébréché. Vous sentez vous… d’attaque ?
Enfin, il me faut la confirmation que vous désirez suivre un nouveau maître. "
Peu d’apprentis ici finissent avec un maître. Entre ceux qui finissent mal et les incompétents, c’est ce collège qui possède le plus d’apprentis éternels. Ce sont eux qui assistent les hiérophantes attitrés dans toutes les tâches, qu'elles soient magiques ou non. Il était déjà chanceux d’avoir un maître avant. Alors qu’on lui offre l'opportunité d’en avoir un autre…
" Bien sûr, si vous avez des questions, je suppose que j’ai plus d’une minute, ja. Je préfère attendre un peu avant de vous parler de votre prochain maître, cependant. Une vieille tradition, je suis sûr que vous comprenez. "
Il est coutume dans le collège de ne pas parler d'un futur maître avec les apprentis qui n'en ont pas. Cela évite les "accidents" entre élèves, qui, bizarrement, surgissent très souvent après que l'un d'eux déclare avoir bientôt un maitre...