[Raël Khem] Ad vitam aeternam

[[MJ] Kriegsherr]

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Cela faisait déjà près d’une semaine que Raël Khem était sorti du musée, emportant sur son épaule le frêle corps de sa compagnonne elfe. A l’extérieur, les choses avaient peu évolué depuis l’épisode malheureux, qui s’était soldé par la mort du nécromant et la perte de la main gauche d’Aducia Egwin. Oh, certes, la nouvelle avait fait grand bruit, mais les faits réels avaient été soigneusement dissimulés par les autorités. On ne parlait pas de nécromancie, mais simplement d’une bande de voleurs sans foi ni loi qui avaient assassiné les gardiens.

Comme toujours, les rumeurs allaient bon train, et plus d’un client de l’auberge jetaient de temps à autre des regards suspicieux sur l’elfe mystérieusement blessée au même moment. L’atmosphère était devenu trop lourde, trop pesante, et les deux locataires le sentaient bien. Des questions se posaient, et tôt ou tard, ils auraient des ennuis s’ils restaient là. Ils décidèrent donc d’un commun accord de bouger vers une autre place.

Au niveau médical, les médecins qui avaient examiné l’elfe l’avaient déclarée estropiée à vie, mais stabilisée. Ils avaient fait leur travail en lavant la plaie, il n’y avait plus de risque de gangrène ou d’infection, et la douleur s’était calmée progressivement. Malgré tout, Aducia n’arrivait pas encore à s’habituer à ce nouveau corps. De nombreuses fois, elle tendait son bras pour saisir quelque chose, mais s’arrêtait au dernier moment, la mine contrariée, les sourcils froncés, fixant son moignon protégé par un joli pansement de chiffons terminé en un élégant nœud qu’elle avait serré elle-même avec ses dents et qu’elle changeait tous les jours.

Elle était pourtant restée étonnamment joyeuse et égale à elle-même. Trop, peut-être, car sous les sourires, aux moments où elle se croyait seule ou sous la couverture de l’obscurité, Raël voyait pointer la tristesse et même les larmes.

Dès que notre héros lui en avait fait part, l’elfe avait montré un grand intérêt pour le message laissé sur le corps du nécromant. Descellant la lettre en présence de Raël, elle avait constaté que l’intérieur du papier n’était en rien abîmé par le sang, et avait traduit le contenu du message avec enthousiasme, la flamme de la vengeance brûlant dans ses yeux :

–Raël Khem,

Je vois que tu as reçu mon invitation. Je savais que tu ne pourrais pas la refuser. A ce que l’on dit, tu es devenu un grand guerrier. Tu vas avoir une occasion de le prouver. Tu n’es pas sans savoir qu’il y a toujours une affaire en suspend entre nous. Ton intervention à Nuln est un affront que je ne peux tolérer. Réglons cela une bonne fois pour toutes.

Au cœur de la Reikwald se trouve le village d’Issenburg. Rends-toi-y et tu me retrouveras sans mal. Je t’attends.

Romain d’Albon.

Et ainsi, le duo s’était mis en marche en direction d’Issenburg, passant d’auberge en auberge sur le chemin. Ils étaient partis tranquillement d’Altdorf deux jours plus tôt. Ils entamaient maintenant leur troisième jour de marche, et selon toute vraisemblance, ils arriveraient bientôt, sans doute aux alentours de midi. La route s'était déroulée sans encombre. Le Reikland était une province riche, et relativement peu vallonnée dans cette région. Le soleil était haut et les températures idéales pour marcher.

[Raël Khem]

Etrange ambiance qui s'était installée entre les deux êtres depuis l'accident du musée. Aducia ne semblait pas tenir rigueur à Raël de la perte de son membre ni de l'avoir, en quelque sorte, laissée tombée. Cela dit elle était évanouie à ce moment là et il était probable qu'elle n'ait rien entendu du tout, se contentant de subir le coup de lame sur son poignet et de se réveiller dans un lit d'auberge peu après. Au départ le Scythien pensait qu'il aurait droit à un sermon mémorable sur son imprudence, sur les conséquences de ses actes et sur le danger qu'il leur avait fait courir à tous les deux… Mais il n'en fût rien. L'elfe se mura dans la dignité du silence, feignant de ne pas souffrir, de ne pas sentir la honte et la peur.
Pourquoi? La raison était bien simple quand, comme notre héros on avait été soldat: la honte de la défaite. Dans son esprit embrumé et douloureux, elle se sentait unique responsable de la perte d'un membre. Peut-être même ressassait-elle encore et encore la scène, revivant son erreur dès qu'elle voyait son bandage, imaginant des mouvements qui l'auraient sauvée. Une torture mentale qui se rajoutait à la perte physique. Le temps passerait sur le chagrin et elle s'habituerait, bien sûr. Elle n'était pas la première dans ce cas après tout. Pourtant dès qu'elle verrait son moignon elle repenserait à son échec et en souffrirait. De ce que Raël avait compris, les elfes vivaient des siècles: cela ferait un lourd fardeau à porter.

Incapable de l'aider ou de la soutenir, le champion des dieux s'était retrouvé en retrait. Quelle ironie: avoir vaincu des monstres abominables, des guerriers valeureux et des sorciers malfaisants mais ne pas savoir quoi faire devant une elfe démoralisée. La situation était étonnamment similaire à celle d'Aziz et de Marguerite quelques semaines plus tôt, qui s'étaient retrouvés amourachés l'un à l'autre. Devant ce fait accompli le père d'adoption s'était retrouvé incapable de trouver les mots justes à dire que son fils.

Ce qui l'étonnait toujours davantage était la vivacité qu'avait mise l'elfe à retourner sa fureur contre d'Albon. Ayant déjà deviné d'avant la présence de son vieil ennemi derrière cette attaque, le Scythien n'avait pas été plus étonné que ça en entendant le nom du vampire prononcé de la bouche d'Aducia lisant le papier. Elle avait orienté sa douleur et sa colère sur le cerveau de l'histoire, se laissant peut-être aveugler au passage. Sur la route, entre deux morceaux de bon pain et un peu d'œufs durs, Raël avait bien tenté d'établir une stratégie.

-"Je te l'ai déjà dit Aducia mais je connais Romain d'Albon. Je connais aussi sa force et elle est bien supérieure à la tienne. Quant à moi... Disons qu'avec le soutien des dieux j'ai mes chances. Je ne veux pas que tu te mettes en danger inutilement ni que tu t'exposes. D'ailleurs nous n'allons pas rentrer directement dans le village. Voilà ce que nous allons faire..."

En deux mots, le Scythien expliqua son idée: rentrer dans le village d'Issenburg comme ça, sans réflexion ni préparation, équivalait à un suicide. Pas un seul instant Raël ne pensait que d'Albon se battrait de manière honnête et équitable: il y aurait des coups fourrés. Autant rester aux abords, cachés, et observer la situation. Il faudrait ensuite improviser selon les éléments trouvés. S'il n'y avait vraiment rien à voir, alors seulement il y aurait question d'entrer par la grande porte...

[[MJ] Kriegsherr]

Ils arrivèrent à proximité de leur destination par l’Est, ayant suivi la seule route y menant. Cette petite route naissait et s’écartait perpendiculairement de la route reliant Rottfurt, la ville la plus proche, située un peu plus au Nord-Est, et Ubersreik, beaucoup plus au Sud-Ouest.

Le village forestier d’Issenburg n’était pas bien grand. Au cœur de la Reikwald, il était peuplé d’environ 200 ou 300 âmes qui vivaient essentiellement du bois. Ceux qui s’y étaient établis les premiers avaient probablement profité de la présence d’une clairière naturelle, qu’ils avaient ensuite peu à peu agrandie en défrichant la forêt directement aux alentours. Aujourd’hui, on comptait facilement une quarantaine d’habitations au moins, bâties en cercles concentriques autour de la place centrale, entourées par une palissade de bois autour de laquelle une bande d’une bonne centaine de mètres de large servait de cultures. Le village, entièrement bâti en bois, n’était pas très riche, mais il prospérait suffisamment pour générer des richesses et continuer à s’agrandir.

Une seule route y menait, celle que Raël et Aducia avaient empruntée. Sinon, les arbres entouraient intégralement le lieu. Quelques petites collines se trouvaient un peu plus au Sud, profondément dans la forêt. Conformément aux instructions du scythien, le duo s’était arrêté à la lisière des bois, afin d’observer la ville avant de décider quoi faire.

Tests d’INT : 8 et 2. Réussites pour Raël et Aducia.

A première vue, tout aurait pu sembler normal, mais à première vue seulement. Il ne fallut pas longtemps à nos deux héros sur le qui-vive pour s’apercevoir que les habitants qu’ils voyaient semblaient tendus, voire même franchement inquiets. Alors qu’on était au milieu d’après-midi, seuls de rares groupes osaient s’aventurer hors des palissades, et ils restaient toujours à plusieurs, même lorsque cela était superflu ou contre-productif. Pourtant, des signes récents d’exploitation montraient que l’activité avait été plus importante et étendue, comme des traces de camps d’abattage et de coupe, ou des cultures fraîchement laissées à l’abandon.

De plus, tous ceux qui sortaient portaient des « armes » sur eux. Gourdins, fourches, faux, bâtons, épieux, arcs… Ce n’était guère brillant, mais suffisant pour dénoter un certain état d’esprit, une certaine nervosité. En comptant les silhouettes de gardes qui patrouillaient sur les palissades, le binôme en dénombra au moins huit. Huit hommes de garde en pleine journée, pour un village d’au maximum 300 personnes y compris les femmes, vieillards et enfants. C’était beaucoup.

Pourtant, de l’extérieur, rien ne semblait justifier cette méfiance. Ni Raël, ni Aducia ne percevaient quoi que ce soit d’anormal.

En faisant le tour du village, le duo remarqua au Sud les vestiges presque effacés par la forêt d’un vieux sentier, qui autrefois avait sans doute été une route. Curieusement, mais peut-être par pur hasard, il n’y avait aucun habitant dans le secteur Sud, malgré là aussi des traces d’exploitations forestière et de cultures qui semblaient avoir été récemment abandonnées. A première vue, l’ancienne route ne menait vers rien d’intéressant. Elle n’avait pas été entretenue depuis des décennies, au bas mot, et ne menait vers aucune ville. Elle s’enfonçait seulement en direction des collines. Qu’allaient faire nos deux héros ?

[Raël Khem]

Dire que la situation étonnait Raël aurait été un doux euphémisme. Jusque là il avait connu d'Albon très discret, apte à se mêler à l'humanité facilement et sans faire de tumulte au-delà du raisonnable. Drôle de manie que de commencer à faire parler de lui maintenant alors que notre Scythien venait pour le défier. Pourtant toutes les pièces du puzzle s'assemblaient: les zones désertées par les paysans alors qu'elles semblaient occupées un peu plus tôt encore, les groupes de villageois en armes, les nombreux gardes au-dessus des palissades qui observaient la forêt avec inquiétude. Oui, décidément il y avait de la menace là-dedans et elle ne pouvait venir que d'un seul être.

Alicia en était venue aux mêmes observations que lui, bien qu'elle ne mettait pas nécessairement ces étrangetés sur le compte d'un vampire. Les humains craignaient de nombreuses créatures vivant dans les forêts, pas juste un ennemi particulier. D'ailleurs, Raël en avait déjà rencontré: les gobelins. Restait maintenant à battre le vampire à son propre jeu et deviner avant lui ce qu'il comptait faire. Comment battre un être vieux de trois siècles alors qu'on tapait soi-même dans moins du dixième et du tiers respectivement? C'est l'aînée qui eut la réponse:

–"Si vous avez raison, messire Khem, il doit nous attendre. Pourquoi ne pas faire exactement l'inverse de ce qu'il veut? "

Un regard oblique lui répondit.

-"Pas bête."

Un haut-le-coeur saisit le guerrier d'avoir lancé une réponse si banale. Quelque chose le gênait au niveau de sa cage thoracique depuis l'accident du musée. Une honte ou une compassion exagérée? Il se sentait coupable d'avoir rendue l'elfe handicapée et n'osait plus vraiment la reprendre ou s'adresser à elle trop longuement. Il n'aimait pas la regarder dans son état, elle lui faisait mal à voir.
Il secoua la tête et reprit la main sur ses pensées. Le secteur Sud semblait abandonner et ce fameux sentier paraissait bien trop seul pour être innocent. Si son expérience militaire était correcte alors les attaques devaient provenir de ce coin là. Inutile de tergiverser ou de discourir mille ans sur la conduite à tenir: ils allaient pénétrer ce chemin aussi discrètement que possible et tirer au clair le secret de ce village.

Serrant sa lance et son bouclier, le guerrier du désert se jeta à l'aventure, encore une fois. Toute cette histoire sentait mauvais et il y avait peut-être un habile piège derrière cette évidence, mais comment savoir sans y aller?

[[MJ] Kriegsherr]

La décision de Raël Khem fut de suivre les vestiges du vieux sentier. Au départ, la chose était simple, mais à mesure qu’il s’enfonçait plus profondément dans la Reikwald, la tâche se révéla plus ardue. Sans doute totalement abandonné depuis des décennies, le chemin disparaissait petit à petit dans les bois, grignoté, rongé par la végétation. La première heure, ils purent tant bien que mal le deviner ou imaginer son prolongement dans les passages de moins en moins rares où la nature avait repris ses droits. Mais à un moment donné, le sentier parut tout simplement disparaître. Quelques reconnaissances de proximité ne donnèrent rien. Il faudrait observer les lieux très attentivement avec des yeux d’experts pour interpréter l’itinéraire d’antan, ou évoluer au hasard. Aducia Egdwin ajouta :

–Dans le pire des cas, nous pourrons toujours revenir au village. Quelqu’un saura peut-être où menait ce chemin...

Mais je ne pense pas que cela sera nécessaire.

Il y avait de la dureté, voire de la violence dans cette dernière phrase, comme si la jeune elfe mettait au défi la route de la priver de sa vengeance. Car oui, il y avait une haine froide dans le cœur de celle qui serait désormais mutilée à vie, peut-être pour les siècles à venir. Celui qui était responsable de cet acte allait payer pour toutes les souffrances endurées, pour ce handicap définitif, pour toute l’amertume qu’elle devrait supporter.

Test d’INT : 10 pour Raël, réussite. 1 pour Aducia, réussite critique.

Et effectivement, les yeux de l’elfe ne la trahirent pas, elle ne ralentit même pas, ne prenant même pas la peine de se pencher pour vérifier les traces. Sûre d’elle, la garde maritime progressait dans les bois. De toute façon, même seul, le scythien aurait sans doute pu lui aussi suivre le tracé de la route, au prix certes d’un plus grand effort. Celui-ci se dirigeait droit vers les collines boisées au Sud, qu’ils atteindraient en fin de journée s’ils continuaient à ce rythme.

Quelque chose était étrange dans cette partie de la forêt. Tout d’abord, l’homme du désert, peu habitué à ces environnements, n’y prêta pas grande attention. Mais cela finit par le frapper comme une évidence : tout comme les hommes du village d’Issenburg évitaient la partie Sud de leur clairière, les animaux aussi semblaient se faire plus rares, voire quasi-absents.

Les heures passèrent et les collines approchaient, jusqu’à ce qu’enfin, en fin d’après-midi, ils y arrivent. Là, le sentier continuait encore un peu vers le sommet d’un des petits monticules. Le relief n’était pas très important. Les collines rondes devaient s’élever d’à peine 100, 200 ou 300 mètres au dessus du sol. Elles étaient intégralement recouvertes d’arbres et de végétation. Du moins était-ce ce qu’il paraissait au premier abord. En s’approchant du sommet de la colline à laquelle menait le sentier, le scythien constata la présence de ruines, cachées à la vue par les arbres lorsque l’on regardait de loin. Devant eux se dressaient les restes d’un petit château en pierres. Un donjon carré et un mur d’enceinte partiellement éboulé. Une petite forteresse des temps anciens, dont les restes tombaient en ruine. L’endroit n’était pas grand. La cour, vaguement carrée, devait faire entre vingt et trente mètres de côté. Les murs faisaient trois mètres de haut. Le donjon les dépassait d’un étage, et il disposait d’une porte permettant d’accéder directement au chemin de ronde.

Prudents, Raël et Aducia restèrent à bonne distance de l’édifice, dissimulés derrière la végétation forestière. De toute évidence, le château était occupé. Il était assez facile de le dire, puisque le chemin d’accès final menait vers un portail effondré que l’on avait déblayé pour laisser un passage. Au dessus de chaque portion de mur éboulée, des planches avaient été rajoutées afin de permettre le passage d’un homme de ronde. Et des hommes de faction, il y en avait !

Rien que devant l’entrée, Khem compta deux hommes. Sur les murs, un troisième larron était de garde et tournait inlassablement. Il était impossible pour l’instant de dire plus précisément ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur de l’enceinte.

.

Le château :

[Raël Khem]

La situation ne se présentait pas bien.

Sans douter outre-mesure de ses capacités, Raël doutait pourtant de pouvoir faire face à un groupe de mercenaires entiers, surtout qu'ils avaient dû être triés sur le volet par le vampire pour l'occasion. Car oui, notre héros n'en doutait pas une seconde: ils étaient au service de Romain d'Albon. Bon, évidemment tout cela pouvait n'être qu'une coïncidence et il pouvait simplement s'agir d'un simple camp de bandits ou de porte-lames. Qui y croyait pourtant? Des paysans terrifiés, un chemin caché dans les bois, une forteresse habitée par des hommes sur le qui-vive… Tout cela sentait le vampire à des lieues à la ronde.
Ce qui n'aidait pourtant pas à décider de la suite. Charger le donjon tête baissée ne serait pas la tactique du siècle et si une dizaine de soldats supplémentaires attendaient à l'intérieur, toute tentative d'intrusion serait vouée à l'échec - et à une mort certaine le cas échéant. Il faudrait plutôt pousser le chef à sortir de sa cachette et à venir se battre en combat singulier, là où il serait possible de le piéger ou de l'affronter en duel. Il était fort, terriblement fort même, mais avec l'aide des dieux et de Hnytanx, il serait possible de l'abattre.

Soucieux et perdu dans ses pensées, Raël se mordit la lèvre inférieure. Aducia, sans doute de plus en plus impatiente à l'idée d'obtenir enfin sa vengeance, le pressa en lui frappant la hanche de sa main valide.

–"Ils ne sont que trois ou quatre, ça doit être possible."

Le Scythien la regarda, mi-figue mi-raisin.

-"Hors de question, s'ils ont des arcs on va juste se faire percer. Allons voir ailleurs, nous reviendrons plus tard."

La leçon de ces deux dernières années était apprise: on ne fonçait pas dans le tas sans réfléchir, au contraire. Ils allaient tous les deux explorer les environs et essayer de trouver une cachette pour la journée, voire pour la nuit. S'ils n'en trouvaient pas il leur faudrait revenir au village pour éviter de dormir dans le froid. C'était très risqué et toute cette histoire sentait le piège à plein nez, mais quand il n'y a pas le choix...

[[MJ] Kriegsherr]

La voix de la sagesse s’exprima sans doute par la bouche du scythien. Malgré son envie d’en découdre, l’elfe dû se résigner à l’écouter. Avec un « bah » méprisant, et après un dernier regard noir vers le château en ruines, la garde maritime se résolut à suivre son compagnon d’aventure dans sa quête d’un abri sûr et pas trop éloigné.

Tests d’INT cachés.

Une forêt et quelques collines présentaient sans nul doute un certain nombre de recoins et de cachettes potentielles. Néanmoins, après un rapide examen de tous les lieux propices, ni Egdwin, ni Khem ne furent convaincus. Trop proches, trop évidents, trop risqués en cas d’attaque. Les emplacements repérés n’étaient guère convaincants. S’il n’y avait que la faune, ils auraient été parfaits, mais là, justement, la faune semblait avoir mystérieusement disparu des environs. Comme si les animaux sentaient instinctivement la noirceur qui se dégageait dans cette partie de la forêt et s’en éloignaient. Si l’on prenait en compte la possibilité que d’Albon et ses sbires fassent des patrouilles régulières, et s’ils étaient coincés dans une caverne sans issue, par exemple, la mort serait certaine et sans possibilité de se battre loyalement. Le duo ne le savait que trop bien, c’est pourquoi, il se résigna finalement à rentrer au village.

Issenburg n’avait pas changé, le soir tombant avait simplement fait rentrer les travailleurs extérieurs chez eux. Sur le chemin de ronde des palissades, les gardes, maintenant équipés de torches, étaient toujours aussi nombreux. En s’approchant normalement de la porte, sans prendre de précaution particulière, le scythien et l’elfe furent vite repérés. Leur démarche n’étant pas dissimulée, elle inspirait plutôt confiance. Pourtant, les locaux étaient toujours aussi tendus.

Lorsqu’il arriva à hauteur du portail, un homme sur le mur les observa attentivement sans mot dire, puis se retourna vers l’intérieur et cria :

-Vas-y, Franky, c’est bon ! Tu peux ouvrir !

Et une sorte de petite porte taillée dans un des deux lourds vantaux s’ouvrit, permettant l’entrée dans le village. Une fois entrés, un homme de quarante ans, plutôt fluet, crâne rasé et petite moustache en trait qui surlignait ses lèvres, probablement le dénommé Franky, referma la porte derrière eux en la claquant, avant de s’éloigner brusquement.

Tout autour d’eux jaillit une douzaine d’hommes plus ou moins assurés. Ils restaient à bonne distance, parfois postés devant les murs des premières maisons ou aux coins des rues, mais beaucoup les tenaient en joue avec des arbalètes ou des arcs. Le reste du village, composé de maisons de bois, paraissait désert. Au loin, un volet claqua tendis qu’une main le refermait prestement. Derrière les vitres, les rideaux étaient tirés, même si un œil attentif aurait pu voir que certains villageois en soulevaient légèrement les coins pour épier ce qui se passait tout en restant à couvert.

Les hommes qui entouraient le duo n’étaient pas des militaires, et pour la plupart même pas des miliciens. C’étaient des travailleurs armés avec ce qu’ils pouvaient trouver ou fabriquer : lances, épieux, faux, marteaux, haches, gourdins… Des vêtements épais ou des tabliers de cuir les protégeaient.

L’un d’eux, un solide et grand gaillard dans la trentaine, cheveux et barbe noire hirsute, s’avança. Il portait une grande hache de bûcheron sur l’épaule. Il désigna Raël du doigt et lui dit d’un air patibulaire :

-C’est vous, Raël Khem ?

[Raël Khem]

Être reconnu était sujet à caution dans le Vieux Monde. On pouvait être reconnu de bien des manières après tout: un noble pouvait s'attendre à être reconnu et servi partout, notamment chez ses pais, un héros pouvait être reconnu par les habitants des villages qu'il a sauvé et couvert d'honneurs, un bandit peut s'attendre à être reconnu de ses victimes et traînés en justice.

En l'occurrence, Raël ignorait où il se plaçait. Pour autant il craignait d'être davantage dans la 3ème catégorie que dans la seconde, sans parler de la première. C'est à dire que se retrouver entouré de paysans hostiles et armés d'arcs et d'arbalètes n'était pas pour rassurer. Oui, notre Scythien aurait aimé passer une soirée tranquille avec Aducia à regarder le feu crépiter en songeant aux lendemain qui chantent. Comme toujours le destin semblait en avoir décidé autrement.
Restait à analyser la situation aussi vite que son esprit le pouvait. La majorité de ses opposants étaient des paysans ou en tout cas des travailleurs, on le voyait bien à leurs outils. Ils avaient vidés les quartiers et tendus une embuscade ce qui impliquait une préparation et le savoir que l'elfette et lui viendraient. En revanche, un bon point, ils ne devaient pas avoir eu pour ordre de les tuer, sinon ils n'auraient simplement pas hésité à tirer. Restait la dernière hypothèse, la pire peut-être, sur le fait qu'ils cherchaient à les capturer vivant pour les livrer à d'Albon. Auquel cas les Enfers se déchaîneraient, car cela n'arriverait pas.

Cesser de faire des histoires imaginaires et répondre, voilà ce qu'exigeait la situation. Au pire des cas, ce grand gaillard hirsute ferait un bouclier humain parfait. Il était costaud, le prototype du bûcheron avec sa lourde hache et sa carrure colossale. Pourtant il faudrait plus, bien plus pour mettre à terre un élu des dieux.

-"En personne, et voici Aducia, ma compagne. Qui le demande et pourquoi?"

L'elfe lui jeta un regard plus que surpris à l'évocation de son statut de compagne. Elle s'apprêta à répondre quelque chose mais se tût au dernier moment, suffisamment fine pour comprendre. En tout cas elle se tenait aux aguets aussi, cette situation n'étant pas des plus banale.

[[MJ] Kriegsherr]

Il y eut un moment de tension, pendant lequel les deux hommes se jaugèrent silencieusement, sous le regard inquiet des autres protagonistes. Un mot, un geste de travers, et tout pouvait partir en vrille. Finalement, après quelques secondes, le visage du costaud se dérida, et il répondit d’une voix forte :

-Qui le demande ? Un sacré enculé pour sûr ! Pourquoi ? J’en sais foutre rien… Mais ce que je sais, c’est que ce connard pâlichon et ses hommes sont venus ici il y a quelques semaines. Il était notre nouveau seigneur qu’il disait, et il réclamait qu’on lui fournisse de la bouffe pour ses hommes. Sans compter… d’autres choses.

L’homme avait un air sombre. La tristesse et la colère froide se lisaient dans ses yeux. Il jaugea encore son interlocuteur, semblant hésiter, avant de continuer :

-Il a dit s’appeler comment déjà… Roman von Hezog non ?

Le nommé Franky corrigea, laconiquement :

-Von Herzog.

Avec un soupir, le bûcheron remercia d’un signe de tête et reprit :

-Ouais, t’as raison, c’est ça. On sait qu’il te cherche. Et toi, qu’est-ce que tu viens faire par ici, Raël Khem ?

La question était franche, directe. De la réponse pouvaient dépendre beaucoup de choses.

-Je viens le tuer.

Si la question avait été posée sans détour, la réponse l’était tout autant. Il était audacieux de dévoiler aussi ouvertement ses objectifs, de menacer quelqu’un qui se disait le seigneur de ces terres. Rien ne disait que le village n’était pas tombé sous sa coupe. Un court silence suivi la déclaration du scythien. Les gens s’étaient tus, ils échangeaient maintenant des regards mal à l’aise, sauf le costaud, qui lui restait droit, les yeux plantés dans ceux de notre héros. Après une poignée de secondes de mutisme, il finit par s’exprimer de nouveau :

-Alors sois le bienvenu chez moi, Raël Khem, toi et ta compagne. Je m'appelle Karl Höster.

Avec un mouvement brusque, le colosse passa sa hache dans sa main gauche, et tendit la droite vers le guerrier, pour échanger une franche poignée de main. Aussitôt, les autres villageois semblèrent plus détendus. Ils baissèrent leurs armes et saluèrent timidement l’étranger, puis rentrèrent vaquer à leurs occupations. Le bûcheron conduisit le faux couple jusqu’à chez lui, une solide baraque faite de rondins de bois. Là, il frappa à la porte de son poing.

-Ouvre, Hilda, c’est moi !

Une jeune fille lui ouvrit. Elle devait avoir entre 11 et 13 ans, et ressemblait beaucoup au bûcheron. Un même air courageux et bourru sur un visage à l’air bon, mais aux traits durs. Elle portait des vêtements simples en toile grise et beige, sur lesquels étaient néanmoins cousus quelques motifs. Sa tignasse de cheveux noirs en bataille rappelait celle de son père, dont la pilosité semblait tout aussi rebelle. Contrairement à celui-ci, qui avait les yeux marron sombre, elle arborait deux magnifiques yeux saphir. C’était une jeune beauté farouche et sauvage, trop d’ailleurs pour aimer en profiter. Un grand couteau passé dans la ceinture, elle jeta un regard interrogateur au toisa d’un air féroce les invités, comme si elle les défiait de venir déranger sa maison. Son père, voyant cela, la calma, un petit sourire sur le visage :

-Olà, tout doux avec eux, d’accord trésor ? Ce sont nos invités, Raël Khem et sa femme Aducia. Ils viennent pour tuer von Herzang.

A peine radoucie par ces paroles, elle libéra l’entrée et laissa le trio pénétrer dans une confortable maison plutôt grande, avec de nombreuses pièces. Dans la salle principale, un gamin pas très âgé, sans doute dans les 3 ans, se tenait là, avec de grands yeux bleus et déjà une tignasse noire lui aussi, il regardait d’un air curieux les invités. Le bûcheron posa sa hache dans le vestibule puis partit le serrer dans ses bras. Puis il dit :

-Va coucher ton frère, veux-tu, Hilda ? Il reste un peu de soupe de ce soir, non ? Je vais discuter avec nos hôtes.

La jeune fille jeta un dernier regard suspicieux à Raël et à l’elfe, avant d’acquiescer et de prendre par la main le petit pour l’amener dans une pièce à côté. Pendant ce temps, le bûcheron amena nos deux héros jusqu’à la cuisine, où il servit un repas simple composé de fromage, de pain et de soupe de légumes, le tout arrosé d’un petit alcool pas très fort. En même temps qu’il servait et mangeait, il leur expliqua :

-Vous en faites pas pour ma petite Hilda. Elle est gentille, mais elle se méfie des étrangers. Faut la comprendre après ce qu’il s’est passé récemment. Tout le village est à cran.

Avec un soupir, et un air rageur, l’homme mordit dans un morceau de pain qu’il avait trempé dans sa soupe, et en arracha une bouchée. Il continua :

-Quand ce Roman von machin-chose est arrivé avec sa bande, on n’avait jamais entendu parler de lui. Normalement, on dépend du baron de Rottfurt. Le seigneur local, un chevalier quelconque dont tout le monde a oublié le nom, a disparu bien avant la création de ce village, il y a peut-être des centaines d’années, j’en sais foutre rien, moi. Ce qui est sûr, c’est qu’il y en a jamais eu depuis peut-être l’époque du Saint Empereur Magnus. Son château en ruines est au Sud, dans les collines. Et là, voilà qu’un jour, ce type se pointe à la nuit tombée, avec une bande de « suivants » comme qu’il disait, mais qui ressemblaient plus à des tueurs qu’à des servants et autres écuyers et trucs de nobliaux… Il dit qu’il s’appelle Roman von Hezrog et reprend le château, qu’on doit nourrir ses hommes, leur donner de quoi vivre là-bas, et lui apporter un type du nom de Raël Khem s’il venait à se pointer, vivant.

Le bûcheron prit une bonne gorgée de breuvage, avant de reprendre :

-Y en a qui ça a paru louche. Le bourgmestre il a dit qu’il avait pas été mis au courant par le baron Rottfurt, qu’il allait demander des explications. Alors ils l’ont pris avec eux, en frappant et blessant ceux qui ont tenté de s’interposer. Et ils l’ont emmené au château, avec les provisions dans lesquels ils se sont servis.

Ca a grogné. Le soir même, certains se sont réunis. Mon frère et moi avec eux. Le chef de la milice aussi. On était nombreux, plus qu’eux. On a décidé d’aller réclamer qu’ils nous rendent le bourgmestre. Quand on s’est approchés du château, ils nous ont menacés, mais on s’est pas laissés démontés. Le grand pâle s’est alors avancé, et il a dit quelque chose sur la trahison, puis il a dit à ses gars de tirer. On a chargé, mais on a été massacrés. Il a laissé fuir quelques uns d’entre nous, pour qu’on aille raconter au village. Les autres, je sais pas.

On a décidé d’en appeler au baron. Mais chaque fois qu’on envoyait quelqu’un, il ne revenait pas. Et puis… Il y a eu ces disparitions. Surtout au Sud. Des gars, des femmes et des gosses qui étaient isolés pour jouer ou travailler, ou flâner dans les champs ou à la lisière de la forêt. Ils disparaissaient.

Des larmes embuèrent les yeux du costaud qui serra si fort sa chope que ses jointures blanchirent.

-Ma seconde fille, Karen, était parmi elles. Elle jouait dans les champs quand un soir elle n’est pas rentrée. Ma femme, Jenna, est partie la chercher. Elle n’est pas revenue non plus. J’y serai bien allé, mais je peux pas laisser Hilda et Ulfran seuls. Ils n’ont plus personne maintenant.

Certains… Certains disent que c’est les mercenaires. Qu’ils leur font des choses, là-bas, dans le château, qu’ils ont entendu des bruits, la nuit, venant du Sud. Je sais pas ce qu’il y a de vrai là-dedans. J’espère juste… Juste qu’elles sont mortes sans souffrir. En tout cas, on ne les a jamais revus. Alors, on a pris nos précautions. Mais si vous venez tuer ce salaud… Vous pouvez compter sur moi et sur une bonne partie du village enfin, compter…

Attention tout de même : les plus courageux sont morts. Les autres sont des lâches, voire pire. Je sais pas si c’est vrai, mais il se dit que certains ont vendu leur âme à ce démon et informent leur « seigneur » de ce qui se passe au village.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Simplement pour que vous sachiez à qui vous avez affaire.

[Raël Khem]

Mangeant tranquillement sa soupe, légère mais avec un bon arrière-goût, Raël se laissait happer par l'histoire du brave Karl Höster. Clairement l'homme était d'une trempe rare et il en avait bavé dans sa vie, surtout dans ces derniers jours. Dans le détail, si bien raconté, on retrouvait toute la bassesse et la cruauté pernicieuse du vampire. Ce salopard avait assujetti par la force cette partie de l'Empire pour transformer un paisible village en piège mortel, comme il avait pu le faire avec sa bande de vauriens à Nuln. Et puis cette précision qui révélait le personnage: "lui ramener Raël Khem, vivant". Oui, vivant, pour pouvoir mieux le torturer en riant. Il attendait sa vengeance avec impatience depuis presque deux ans maintenant et il avait sûrement tout planifié afin qu'elle ne lui échappe pas. Quelque part, plus qu'un duel entre deux guerriers, ce serait un duel d'esprit.

-"Merci, messire Höster. La situation est difficile mais j'espère pouvoir aider. Avec ma compagne nous avons été visiter les environs du château dont vous parler, enfin de la ruine. Pas beaucoup d'entrées, ni de sorties."

–"Je t'interromps mon chéri. Combien sont-ils d'après-vous, les brigands?"

Le Scythien se tourna vers elle pour lui lancer un coup d'oeil interloqué mais elle le remit droit d'un coup de talon dans le tibia.

–"Attaquer le donjon lui-même ce n'est sans doute pas possible, mais si on peut en faire sortir quelques uns il doit y avoir moyen de faire saigner leurs effectifs, non?"

Décidément cette soif de sang étonnait le guerrier du désert qui avait connu son amie comme plus calme et mesurée. Sa blessure faisait vraiment jaillir d'étranges instincts.
A part cela un autre détail chiffonnait Raël: les enlèvements. Oui les vampires buvaient du sang humain, il l'avait déjà constaté lui-même à Marienburg... Mais autant de personnes que ça? Aducia semblait avoir compris la même chose et gratifia son compagnon d'une oeillade entendue. Mieux valait ne pas en parler pour le moment, mais Romain d'Albon pouvait être en train de préparer une armée de morts-vivants.

Le champion des dieux jeta un coup d'oeil à sa lance bénie. L'enfoiré allait avoir une sacrée découverte.