Si il avait laissé transparaître un peu de camaraderie au moment de leur remettre leur récompense, dûment promise sous serment par l’héritier de Karak Ruf, son sourire avait été bien plus visible (et sardonique) lorsqu’il leur infligea une punition à l’aulne de leur juvénile désobéissance. Et c’est ainsi que pendant de longues semaines, les jeunes apprentis avaient trimé sans relâche dans les différents secteurs de la guilde voire même, pour Omnir qui avait commis la tragique erreur de grommeler à portée d’oreille du maître ingénieur, dans des zones d’ordinaire réservés aux autres guildes comme celle des brasseurs ou celle des forgerons (dont on sous-estimait trop souvent le besoin en matériel complexe pour produire la bière et l’acier, deux des composants les plus essentiels à la vie d’un nain digne de ce nom). Bien sûr ils avaient toujours un peu de temps pour leurs projets personnels, lorsqu’ils n’étaient pas accaparés par quelque ingénieur dans le besoin ou professeur grognant sur le fait que de son temps non seulement les étudiants arrivaient à lire un ouvrage de trois kilos en une journée, mais qu’en plus ils venaient en redemander. Ainsi allait la vie dans la cité du torrent, au bord du Lac Noir.
L’hiver commençait lentement à mourir, même si dans les montagnes ce changement était encore infime, et avec lui revenait la saison des voyages et du commerce. La ville et plus particulièrement le quartier commerçant, situé juste à côté de la ville humaine bien que plus personne ne se souvienne du quel avait entraîné le développement de l’autre, bruissaient toujours plus à l’idée de la reprise des affaires. Et cette reprise affectait tout autant la Guilde des Ingénieurs, puisqu’il fallait s’occuper de la formation des apprentis et pas seulement de la théorie. C’est à cet effet que le vieux Thork convoqua une trentaine des apprentis parmi les plus âgés, pour les envoyer faire un « stage », parce que comme il aimait à le répéter, « D’mon temps on s’contentait pas d’lire des bouquins, mais on allait sur le terrain, et plutôt deux fois qu’une ». À vrai dire le vieux maître soliloqua pendant une dizaine de minutes tout en triturant son tresse-barbe à vapeur avant d’en venir au cœur du sujet :
-« Enfin bref les p’tits gars, tout ça pour dire que j’ai plusieurs offres pour vous, bosser à Barak Varr, mais c’est plus pour ceux qui tendent vers le matos lourd et les grosses armes quitte à bouger un peu, il y a quelques postes chez les cousins norses, nan parce que la tradition c’est bien mais là il y a quand même mille à deux mille ans de retard, même pas de poudre par l’outillage de Morgrim. J’ai ce bon vieux Ventrefer aux Huit-Pics, deux trois places à Nuln pour ceux qui voudraient voir ce qu’il ne faut pas faire et même quelques demandes de la part de Marien’, bon après si vous voulez apprendre l’hydro, autant rester là les gars, après c’est les classiques, dans l’ankor. Ah j’oubliais il y a aussi un Prince Marchand d’Estalie ou de Tilée, Machin de Medis qui chercherait un ingé, paraît que c’est prestigieux là-bas, même si je vois pas pourquoi il voudrait un ingé si c’est pas pour le faire bosser. Bon, c’est pas tout ça les jeunots, j’ai du taff, donc j’vous laisse la liste au mur et vous vous inscrivez fissa, j’la veux complétée dans mon bureau d’ici deux heures. »
Et à peine l’ingénieur en chef sorti que ce fut la cohue chez les apprentis, chacun voulant les places les plus intéressantes, voire voulant une place tout court, car tous craignaient de rester à Zhufbar une année de plus sans apprendre de nouvelles sources...