- Aang, Avatar.
Une crise, c’est tout ce qu’il a fallu pour que les chiens de garde de l’asile décident d’enfermer la Dame de Fer en isolation. Un sort horrible, plus cruel qu’Isabelle en son temps. La nourriture n’a pas de goût, la lumière est aussi rare que la compassion sur le visage d’un banquier. Ces désagréments ne sont qu’éphémères en comparaison avec le réel enfer de sa condition, elle est seule. Réellement seule, pas une personne sur qui hurler ou se moquer, non, personne.
Cet abandon absolu brisa le peu de volonté qu’il restait à la sorcière, qui désormais n’était plus qu’une loque vivante. Le temps passait tellement lentement qu’elle n’était même pas sûr qu’il continuait. Livrée à elle-même, dans une pièce sans rien, si ce n’est une chaise, un lit, et un miroir. La pierre qui compose l’entièreté de cette cage est froide et terne. Seule la porte est peinte en rouge, du bois cerclé de fer.
C’est dans ce silence Morrien que la vieille dame prétend réfléchir, si ce n’est se morfondre sur elle-même. Quand soudain, pour la première fois depuis un nombre incalculable d'années, Isabelle Breitenbach pleure. Elle pleure à chaudes larmes, pensant à toutes les choses qu’elle a perdues et a pu perdre, pensant à la fin de sa vie, ici. Pensant qu’elle ne pourra jamais rendre la monnaie de leurs pièces aux misérables qui l’ont trahie. Mais elle sait, qu’au fond d’elle, elle est l’unique responsable. C’est elle qui a abandonné ses forces, son esprit, et sa vie à ses ennemis. C’est elle qui a abandonné son fils au monde cruel. C’est elle qui n’a pas su se contrôler dans ce faux sanatorium. Tout. Revient. À elle. Tout.
La réalisation enfonce le clou final du cercueil qu’on nommera Isabelle Breitenbach. Elle tombe à genoux, l’eau cessant de couler, car elle n’en a plus assez dans ses yeux. Aux Dieux, Dame de Fer…
« Pourquoi pleurer, alors que nous sommes ici ? »
Hein ? Mais, à côté d’elle, une voix plutôt douce mais ferme, contrôlée, féminine. Tournant son regard, elle voit une jeune femme aux longs cheveux noirs soyeux. D’une robe presque royale, sa prestance ne laisse aucun doute d’une certaine noblesse. Son visage, ainsi que son corps, sont d’une beauté froide. Sa peau est blanche, et elle arbore des bijoux luxueux. Ce qui choque l’ancienne magistère, ce sont ses yeux bleus-gris, qui viennent transpercer son âme, sans pour autant l'abîmer. Elle connaît ces yeux, mieux que quiconque sur cette planète, car ce sont les siens.
Devant elle se trouve Isabelle Breitenbach, avec au moins trente-ans de moins.
« Il est difficile de connaître la liberté, quand toute sa vie on a vécu enchaînée. Parfois par les autres, souvent par soi. Dès qu’on était petite, tu m’as enfermé, comme un jouet qui ne te plaisait plus après quelques minutes.
Oh je ne t’en veux pas, je suis bien trop fière pour être énervée contre moi-même.
Je peux nous aider à vivre, vivre comme nous l’entendons. Je ne nous demande qu’une seule chose. »
Elle se relève, malgré qu’elle est aussi belle est bien debout. Face à face, l’une se tient droite, l’autre est courbée comme d'accoutumée. Leurs yeux se croisent, et tout à coup, la vieillarde ressent une énergie incroyable qui émane d’elle plus jeune. Cette puissance aethyrique dépasse ce qu’elle imaginait et imagine, mais pas ce qu’elle imaginera. Elle a un peu peur, mais est surtout impressionnée par elle-même.
« Il faut que nous acceptions d’être grande, que nous acceptions d’être non pas ce que nous étions, mais ce que nous aurions pu être. Abandonnons les folies qui attirent et révèlent nos faiblesses. Abandonnons les erreurs du passé au passé. La Dame de Fer est morte. »
La jeune Isa tend sa main vers son présent. Désormais résolue, elle se regarde une dernière fois dans le miroir. Une vieille peau, mal habillée, le dos courbé, les cheveux gris, détruite par une vie échouée. Aussi échouée qu’elle… Elle se serre la main.
Un flash de lumière bleuté vient l’aveuglé, et elle tombe dans des vapeurs qui ne proviennent pas de ses habitudes fumeuses. L’Aethyr lui-même s'affole partout comme si elle venait de commettre une grave erreur à un sortilège. Elle souffre, comme si son être entier tombait en lambeaux, en cendres. Après un court instant de cette torture, elle reprend contrôle de son corps. Elle se sent… vivante comme jamais. Ses douleurs ne sont plus, et elle a l’impression de revenir de très loin, de trop loin.
En se regardant à nouveau dans le miroir, elle sourit. Ses rides ne sont plus si prononcées. Ses cheveux ont pris une teinte argentée qui luit légèrement. Son dos n’est plus celui d’une bossue, mais celui d’une dame. Ses pupilles, autrefois grisâtres, sont désormais légèrement bleues, comme avant.
Elle ne sait pas pourquoi, mais elle ne se sent pas plus jeune, juste… moins décadente. Pourtant son esprit est plus vif. Ses mouvements sont plus précis et contrôlés en étant moins limités qu’avant.
Pour la première fois depuis sa chute, elle respire l’air sans qu’il ne soit fétide. Son soi du passé n’est nulle part, disparue comme une Albionnaise. Elle se tourne vers la porte, derrière, une petite ouverture permet de voir ce qu’il se passe dans le couloir. Un des employés s’y trouve, endormi sur une chaise, les bras croisés.
Avant de prendre en main sa destinée, elle entend une dernière phrase qui résonne dans sa tête sans passer par ses oreilles. Quelques mots, qui lui redonnent une sensation qu’elle avait oubliée. L’espoir.
« Longue vie à la Dame d’Argent. »