ni le cachot privé d'air, ni les liens de fer massif,
ne peuvent enchaîner la force de l'âme. >>
Jules César, par William Shakespeare - acte I, scène 3.
***
Des mois s'étaient écoulés depuis l'escapade sous terre. De longs mois tièdes, humides et poisseux comme un marais en fournit tant. Des mois de réjouissance d'abord, puis de quiétude, et d'ennui. Malgré la résurgence du lac et le renouveau des brumes, rien n'était apparu après la déconvenue de ces rongeurs si bavards. Rien, pas même un signe du ciel ou de la lune. Rien, sinon le vent moite et les embruns timides des marécages environnants. Le froid était venu, puis repartit quelques temps, puis revenu de plus belle. L'eau n'était jamais partie. Jamais.
Tout cet immobilisme avait fini par s'imprégner dans la cervelle de Catuvolcos. Il répétait les mêmes gestes chaque jour, les mêmes chansons chaque soir, les mêmes réflexes chaque matin... En vain. Il avait les mêmes conversations, avec les mêmes personnes, jour après jour, jusqu'à ce que la fatigue ou l'ennui ne l’assomme jusqu'à l'aube prochaine...
Ainsi, le jour survint où le druide, excédé par cette torpeur spirituelle, s'exila sans regarder en arrière. Il n'était pas venu sur ces terres pour sarcler des racines, après tout. Seul et sans guide, il se dirigea d'abord à l'instinct, aiguillé par ses propres envies, bousculé par le terrain parfois hasardeux qui l'entourait. Cherchant le soleil, il se mit à le fuir, à le guetter, à le chercher puis à s'en détourner. Cette errance le mena dans des terres inconnues, moins nauséabondes, mais tout aussi humides. Une fois, au loin, alors qu'il trônait sur une colline détrempée, il aperçut des bosses, des pointes glabres et vertigineuses, perdues à l'horizon. A cette distance, elles semblaient immensément anciennes, puissantes et isolées. Peut-être était-ce la clé de cette situation. Peut-être était la solution à cette énigme, à ce mutisme que Danu lui avait imposé. Peut-être que la terre qu'il foulait à présent était trop jeune, trop agitée pour communiquer convenablement avec lui. A moins que le problème ne soit ailleurs. Il pouvait prendre un millier de directions, il y avait des centaines de raisons ou de possibilités qui pouvaient expliquer ce mutisme, et lui seul pouvait... Lui seul pouvait choisir, décider, et peut-être même trouver.
Il était ainsi dans une cuvette, au sommet d'une vaguelette herbeuse, coincé dans cette bassine de terre, couvert par les nuages. Vers l'Ouest, les montagnes et les collines dressaient leur front. Peut-être gardaient-elles des secrets enfouis, des rites inachevés, des refuges oubliés ?
Vers le Nord et l'Est, les marais se dérobaient par endroits, nimbés de brumes. Peut-être contenaient-ils d'autres secrets inavoués, d'autres sépultures anciennes, ou même des cercles abandonnés ?
Vers le Sud, la civilisation sortait petit à petit son manteau de suie. Là, nulle aubaine ne semblait se dessiner. Rien que la forêt, les routes pavées, les gens sérieux, "bien" habillés.
Avance.
Oui, il fallait avancer. L'aube, venait tout juste de se lever.
