« Détruis-lui sa race, à ce monstre. »
Reinhard se redressa. En voyant les humains cesser de les garder en joue, le cercle d’Hommes-Bêtes exulta : Les semi-chèvres et semi-vaches frappaient leurs sabots sur le sol, agitaient les pointes de leurs lances en l’air, et se mettaient à hurler à tue-tête, dans des cris bestiaux qui ressemblaient à des chants de supporters à un match de soule.
Mais le monstre qui l’avait défié, lui, resta bien calme. Se détachant des rangs, il s’éloigna d’un pas lent, même si son immense taille faisait qu’il s’éloignait à grandes enjambées.
Il contourna le charnier. L’autel constitué d’un homme massacré et de dépouilles par terre. Il se posa devant, en mettant ses pinces près de son corps.
Reinhard s’approcha, et planta son bâton dans le sol non loin de lui.
Les monstres cessèrent de faire du bruit. Sortant des buissons, grimpant aux branches des arbres, ils formaient une tribune venue assister à un combat. Et à présent, il n’y eut plus que le silence, tandis que les deux mages se faisaient face.
L’Homme-Bête sourit — il plissa ses grosses joues dans un rictus sardonique, une expression faciale humaine au milieu d’une gueule de bovidé. Il souffla des naseaux, et avec le froid de l’automne, il y eut de la buée qui en vola un peu.
« Quand moi buter toi, moi arracher tes couilles et faire bouffer à tes faux-fidèles. »
Devant toute l’élégance et la subtilité de son adversaire, Reinhard, qui n’était vraiment pas habitué à sortir des répliques de théâtre, se contenta de cracher par terre.
« Va t’faire foutre. »
Silence.
Le chamane frappa un sabot à terre.
Reinhard fit craquer ses phalanges.
Et soudain, alors qu’un tout petit d’averse se mit à couler, presque à la même seconde, les deux serviteurs du Chaos invoquèrent tous les vents qu’il y avait autour d’eux : L’Hysh de la journée, le Ghur des oiseaux et des cervidés qui étaient passés dans le coin, le Ghyran de la végétation. Ils les attrapèrent, tous les deux, à la volée, et les écrasèrent pour les plier dans une énergie impitoyable, noire, du Dhar puant qui tourbillonnait.
Et ils crièrent chacun le nom de leur Dieu, en même temps.
Reinhard envoya une volée de ses mouches dans le visage du Chamane. Puis, soulevant son bâton et l’écrasant au sol, il y eut un flux. Un jet d’acide. Tout lui coula à la gueule, et le monstre recula en hurlant, sa jolie fourrure mauve-rose soudain en train de se décoller de sa chair.
Il ragea, frappa le sol, et ouvrit grand la gueule.
Il tira sa langue. Et alors, sa langue décupla de taille. Sa langue se mit à atteindre une longueur de trois mètres, et elle entra directement dans la bouche du Nurglite.
Reinhard sentit le muscle lui gratter la glotte, remonter sa gorge, et entrer profondément dans son œsophage. Il la sentit pulser, gonfler, et pulvériser l’intérieur de sa chair. Il se sentait être étranglé. Et, ainsi paralysé, ce ne furent que des grognements asphyxiés effroyables qui sortirent de ses cordes vocales torturées.
Mais malgré les larmes qui lui coulaient des yeux à l’en aveugler, Reinhard trouva une force insoupçonnée.
Il se saisit de la langue à pleine main, et la serra de toutes ses forces. Il tira dessus, pour faire trébucher l’Homme-Bête. Il l’extirpa ensuite de lui-même, à la vigueur de sa seule main, comme s’il sortait un ver solitaire. Sitôt la gorge libérée, il hurla un mot qui sortait haché, et il envoya un nouveau sortilège dans la gueule au monstre.
Le Chamane se tordit de douleur. Recouvert de morve acide, son corps tout entier se mettait à fondre sous ses yeux. Il glissa au sol en suppliant son Dieu, mais son calvaire ne faisait que commencer.
Il n’était même pas encore mort, que Reinhard s’effondrait à genoux, essoufflé.
Tout autour de lui, les Hommes-Bêtes semblaient choqués. Ils se regardaient mutuellement, silencieux, incapables de faire le moindre bruit, incapable de vociférer comme ils n’arrêtaient pas de faire.
Irmfried siffla. Oswin frappa son arquebuse au sol. Kurt hurla de rire. Les cultistes agitaient des poings en l’air, pour fêter la victoire de leur chef devant toute une Harde.
Leur joie elle aussi fut bien vite tue, lorsque l’un des Hommes-Bêtes brisa les rangs. Un gros costaud, quasi-nu, si son aine n’était pas couverte par des crânes humains pas encore séchés qui pendouillaient près de ses cuisses. Les mouches de Reinhard sautèrent dessus en nuée pour manger le reste de pourriture ainsi affichée à la vue de tous.
Alors que le Chamane n’était même pas encore mort, et qu’on l’entendait encore gémir faiblement, le monstre alla voir Reinhard, et se dressa juste au-dessus de lui.
Il étudia le Coësre. Montra ses crocs. Et puis, il parla avec une voix dure, insupportable, mais qui, pour une fois, ne paraissait pas si menaçante que ça.
« Qui toi être ? »