Malgré le cataclysme ambiant, je parviens à me focaliser sur mon auspex. L'ennemi se dévoile, j'analyse chaque point clignotant et un rapide de travail de mes cogitateurs me permet de localiser précisément leur position exacte dans le bar. Je lève mon bras mécanique vers Séphone et fait tinter mes doigts. L'excommuniée tourne immédiatement la tête vers moi.
Je pointe une direction, m'apprêtant à joindre cette information d'une suite de gestes explicatifs. Sephone réagit dans la seconde et envoie une rafale sur le point indiqué. Un cri de douleur gargouillant m'indique qu'il est inutile de compliquer le transfert d'informations. Je pointe un autre endroit, nouvelle rafale, nouveau râle. Impossible de me rappeler combien de fois nous avons renouvelé la manœuvre, mais je sais qu'elle a été très fructueuse.
Tout se déroule à une vitesse hallucinante. Soudain, une explosion fracassante, sans pour autant que le débit de balles ne cesse. Les impacts de projectiles ravagent mes alentours, mais l'adrénaline me force à me lever. Je tire dans la direction générale de l'adversaire - probabilité d'avoir fait une touche critiquement basse - avant de me remettre à couvert.
Strasser apparait de nulle part à mes côtés. Je pousse un couinement honteux en sentant sa main sur mon épaule. S'il s'imagine que je m'écarte pour lui céder sagement ma place, Cécile se trompe. En réalité, j'ai mis quelques secondes à le reconnaître et j'ai pensé qu'un membre du Mitan se préparait à m'égorger.
L'homme enlève sa veste, dévoile un fabuleux mécanisme sur son bras qui asperge mes optiques d'émerveillement, puis invoque un capharnaüm magistral. Après un moment de flottement, j'ose sortir la tête de ma cachette pour analyser le champ de bataille. Le bar est dévasté, le feu se répand, grignote tout, s'approchant de... de...
Je pousse un hurlement de terreur, mélange terrible de cri organique et cybernétique. Sans me préoccuper de la bataille, je me lève immédiatement pour courir vers la machine la plus potentiellement vieille de tout le système.
< STOP! CESSATION! STOP STOP STOP!_ >
Je suis en train de supplier aux flammes de s'arrêter, incapable de me rendre compte de l'illogisme de mon acte. C'est trop tard, la relique est déjà en train de se faire dévorer. C'est elle que j'entends hurler de douleur? Je l'imagine? Qu'importe? Le muet ressent tout autant la douleur que les autres.
Les mains en éventail, je reste là quelques secondes sans savoir quoi faire, continuant de supplier qu'on l'épargne. Un cruel diagnostic m'informe que c'est trop tard, mais je refuse de le croire.
< NÉGATIF!_ >
Il fait si chaud, mes yeux pleurent autant de tristesse qu'à cause de la fumée. Sans mon respirateur, je serais déjà en train d'étouffer. Mon système de filtrage ne tiendra plus longtemps. Cette simple pensée me renvoie au hangar de chargement, dans le Ravel, alors que le gaz moutarde ravageait mes poumons et ma peau. Il faut que j'agisse maintenant.
J'agrippe la machine de son côté épargné pour tenter de la tirer vers la sortie. Elle ne bouge pas d'un centimètre. Je recommence, même résultat. Je recommence...
Séphone me sauve de l'autodestruction. Sans son ordre autoritaire, je serais resté jusqu'à ce que les flammes me consument. Le diagnostic impitoyable est enfin accepté.
Sans plus d'hésitation, je fracasse la vitre frontale de l'engin. Je plonge mes bras dedans et tente, malgré les flammes qui se rapprochent, de récupérer tout ce qui est à porté de main. Des disques, des mécanismes, des boîtiers, des câbles. J'arrive à peine à voir avec la fumée qui s'épaissit, donc je m'empresse, comme un chirurgien qui retournerait sans modération les entrailles de son patient agonisant.
Lorsque je rejoins mon équipe, le matériel ancestral dans les bras, l'auspex en mains, j'ai le visage presque aussi rouge que les saintes tuniques de Mars. Proprement traumatisé par ce qu'il vient de se passer, je refoule tout cela en quarantaine. Il me faudra traiter tout cela plus tard, au calme, avec beaucoup de temps.
Nouveau scan, j'indique du menton la porte. Wullis réagit immédiatement et envoie une rafale. Une fois l'obstacle franchi, je remarque le cadavre du jeune garçon. Parfait, une graine immonde qui n'aura pas eu le temps de complètement grandir pour corrompre. Je suis tellement en colère contre le Mitan. Ses membres ne sont rien de plus que des hérétiques à mes yeux.
Nous rejoignons Enkidu à l'extérieur. Il tient la Moelle en joug et ce dernier semble sur le point de vider ses intestins. Je pose très délicatement le matériel que j'ai récupéré alors que l'interrogatoire commence.
Les révélations manquent de me faire chavirer. L'identité de nos véritables adversaires, l'organisation de leur entreprise sur Lutèce. Les questions d'Enkidu tranchent dans le vif avec une redoutable efficacité. Luntz n'oppose aucune résistance.
Les Logiciens... je me suis vraiment voilé la face! J'aurais dû faire le lien bien plus tôt! Ils furent souvent liés avec les Méritechs. Mais la peur d'entacher mon ordre m'a empêché de tirer les bonnes conclusions. Or, c'est encore pire que ce que je craignais : la Moelle parle de corruption au sein même du Culte de la Machine! Une purge intransigeante devra malheureusement avoir lieu.
Ce minable criminel est très clair : les attaquer de front sans renforts serait suicidaire. Rien que la description de la Chirurgienne me donne froid dans le dos. Une Heretek des plus abominables!
Mon visage jusque-là écarlate a viré au blanc malade.
< La probabilité véridique des propos de ce | pitoyable individu | est [très élevée].
Les Logiciens tirent leur doctrine d'un ouvrage d'une hérésie absolue. Leur objectif ultime est de reverser l'impérium pour imposer leur courant blasphématoire. Ils prônent un accès aux connaissances pour tous, sans le moindre contrôle. Ainsi que l'abolition des frontières de la technologie, soit une Techno-hérésie totale._ >
Mon vox a légèrement grésillé sous l'émotion durant cette dernière phrase.
< Les Logiciens furent souvent affiliés au clan Méritech, ce qui semble valider les propos de | Luntz |. Cette unité n'a pas été capable d'établir ce lien plus tôt. Faute de performance. Elle en est navrée..._ >
Oui, je ressens une honte terrible. C'est pourquoi quand Enikdu mentionne le sac de sport que la Moelle aurait laissé tomber plus tôt, je me précipite à sa recherche pour me rendre utile. Si la clé pour ouvrir l'Aumônerie est dedans, alors nous touchons enfin au but.