- Par les couilles de Sigmar...
Dokhara venait de mettre un pied hors du bar crasseux dans lequel elle avait passé la soirée, et contemplait une Nuln bien différente de ce qu'elle avait vu même pas trois heures plus tôt. Des cadavres jonchaient le sol en terre battue, une majorité humaine, mêlée de quelques rares skavens. Les bas-quartiers de l'ancienne capitale étaient largement délaissées par la garde, aussi les habitants avaient été livrés à eux-mêmes lors de l'invasion - et dans leur tentative désespérée de fuite, ils avaient fait office de proies faciles. Seuls quelques gangs habitués au combat semblaient avoir opposé de la résistance.
Les envahisseurs avaient apparemment profité de la nature hautement inflammable des habitations environnantes : la moitié du quartier était en proie au feu. L'air s'en retrouvait chargé d'une vilaine odeur de chair brulée.
Si la rue offrait un spectacle de désolation aussi irréel que captivant à Dokhara, elle était aussi étrangement silencieuse - les combats avaient du se déplacer à d'autres endroits de la ville, laissant ce quartier à sa désolation. Les affrontements au sein du tripot avaient été de longues haleine, les deux femmes avaient littéralement tenu un siège contre les skavens au sous-sol dans les cellules des prisonniers pendant plusieurs heures, s'enfermant elles-mêmes dans les geôles pour se protéger des rats. Quand ces derniers avaient fini par faire tomber la porte en bois massif, ils avaient eu la surprise de voir que Dokhara et Veylaïs s'étaient trouvé des alliés d'un gabarit non négligeable. A eux quatre et profitant de l'étroitesse des couloirs souterrains, ils avaient progressé en marchant sur les cadavres de leurs adversaires pour se frayer une sortie jusqu'à l'entrée du bar, où ce mystérieux type encapuchonné les avait attendu, pour leur demander de profiter du chaos ambiant pour voler un bouquin à l'université.
A l'origine, si Dokhara se trouvait à Nuln, c'était pour des raisons bien plus terre à terre. Les cultistes slaaneshi d'Altdorf attendaient une livraison importante de Baiser de Courtisane , dont la recette avait été modifiée pour que la drogue soit plus puissante et addictive que jamais. La jeune baronne étant particulièrement friande des effets de ce liquide, et apprenant que la pègre de Nuln avait décidé de confisquer leur cargaison pour leur usage personnel, elle s'était portée volontaire pour aller les "raisonner", et ainsi faire à son tour main basse sur une partie de ce butin pour son propre profit. Leur contact sur place devait la retrouver dans ce bar pour négocier, mais...
Elle reconnut le rouquin qu'elle devait rencontrer couché dans la boue de la rue, avec sous lui une mare de sang trop grande pour laisser le moindre espoir sur sa survie. De frustration, elle mit un coup de botte dans sa tête qui craqua sous l'impact.
Dokhara observa le petit groupe qui l'accompagnait. Juste derrière elle se tenait Veylaïs. La kislevite blonde était la raison qui l'avait fait occulter sa mission première. Lorsque la baronne déguisée était entrée dans le tripot, la pirate attirait l'attention de tout l'établissement, se faisant payer des coups par tous les soudards locaux avides d'obtenir sa reconnaissance. La jeune rouquine n'avait que peu apprécié cette concurrence, et l'avait provoquée sans détour. La suite... s'était déroulée dans une totale perte de contrôle. Elles avaient bu, beaucoup. S'étaient insultées. Avaient joué aux osselets, et aux cartes. Puis bu encore. S'étaient échangé quelques coups, et avaient fini au sol en même temps. S'étaient insulté à nouveau. Puis ri de la situation, avant de se relever, et de boire à nouveau comme pour fêter leur incapacité à se départager. C'était là que Dokhara, doucement ivre, avait suggéré ce pari sur le combat clandestin du soir. Leur rivalité nocturne avait crée un désir malsain de domination chez la baronne, qui voulait soumettre cette forte tête, l'entendre supplier sa pitié. Les formes du corps de la kislevite n'avaient rien à envier à l'harmonie des traits de son visage : elle ne pourrait être que sublimée lorsqu'elle se tordrait de convulsions de douleur et d'extase dans son lit.
Malheureusement les rats avaient tout gâché. Quelqu'un d'autre se serait inquiété de l'existence-même de ces horribles créatures qui semblaient avoir déferlé sur toute la ville, ces monstres vivant sous terre dont on ne pouvait accepter l'existence que lorsqu'on les rencontrait. Mais Dokhara ne voyait en eux qu'une armée de gêneurs venus s'interposer dans le combat qui aurait du sceller sa nuit avec Veylaïs, ce qui attisait sa fureur.
En parlant de monstre légendaire, l'orc qu'elles avaient libéré passa la porte du bar à son tour, malgré quelques difficultés vis-à-vis de son gabarit - il était plus grand et plus large que le passage qu'il empruntait. Bien sur, à la différence des skavens, l'existence des orcs était relatée dans les livres d'histoire. Mais c'était une chose d'en voir des illustrations, c'en était une autre de voir ce monstre de deux mètres cinquante se dresser devant vous, avec une musculature délirante - son bras faisait l'épaisseur du torse de la baronne ! Le colosse s'était présenté sous le nom de "Gorgut" : c'était bien là tout ce qu'elles avaient réussi à tirer de lui, la barrière de la langue n'aidant pas à communiquer et l'orc n'étant pas bien loquace au demeurant, sinon pour hurler sur les hommes-rats qu'il massacrait. Et si elles avaient été aussi effrayées qu'impressionnées par un tel géant lorsqu'elles étaient dans les geôles souterraines du tripot, maintenant qu'il avait retrouvé son armure et sa gigantesque machette, il était plus terrifiant encore qu'auparavant. Par chance, et même si ses deux prunelles rouges brillaient d'une rage sanguinaire constante, l'orc semblait capable de distinguer amis d'ennemis, et ne semblait pas vouloir tuer ses deux sauveuses pour le moment.
Lorsqu'elle l'avait rencontré dans la cellule, ç'avait été comme un coup de foudre. Attaché au mur par des dizaines de chaines en métal, Dokhara avait tout d'abord été hypnotisée par le spectacle, et n'avait pu s'empêcher de laisser un doigt effleurer la peau verte du monstre, qu'elle avait laissé glisser le long de sa musculature. Quel gâchis de n'exploiter une telle merveille de la nature que dans de stupides combats illégaux - Dokhara pour sa part imaginait déjà bien des manières créatives pour mettre à profit un physique si exceptionnel.
Ce n'était qu'après avoir entendu Veylaïs se racler la gorge derrière elle qu'elle était revenue à la réalité, et avait tenté d'établir un marché avec lui, à renfort de signes de la main. Et si Gorgut l'avait observée, la rage dans ses deux yeux rubis n'avait pas faibli un instant. Au moment où Veylais le libérait finalement de ses chaines, elles avaient toutes deux retenu leur respiration, attendant de voir si leur vie prendrait fin dans l'instant qui suivait. Ranald soit loué, il semblerait que le monstre verdâtre sut canaliser toute sa colère non pas sur elles mais bien sur les hommes-rats. Un allié dont elles ne pouvaient désormais que se féliciter - un tel garde du corps serait un atout de poids pour s'amuser dans une Nuln ravagée sans craindre pour leur survie.
L'encadrement de la porte désormais considérablement agrandi, le guerrier chaotique sortit à son tour. A sa manière, il était presque plus effrayant encore que l'orc. S'il avait des proportions plus humaines, son visage était tout autant habité par une rage brute qu'il semblait impossible de calmer. Habillé de simples lambeaux, sa peau était couverte de tatouages que Dokhara identifia sans mal pour reconnaître plusieurs symboles portés par ses camarades cultistes. Quant à son bras, il était clairement muté par le Chaos, recouvert d'épaisses écailles marronnâtres comme la peau d'un reptile.
Il avait été plus simple à convaincre. Comprenant leur langue, Dokhara avait tracé du doigt un cercle autour d'un tatouage slaaneshi apparaissant sur son torse huilé, puis lui avait susurré à l'oreille :
- Je sers moi aussi le Prince des Plaisirs. Sortons d'ici. Ensemble.
Et de fait, lorsqu'il s'était agi d'élaguer de l'homme-rat, le guerrier chaotique n'eut pas à rougir de la comparaison avec l'orc. Utilisant une hache recouverte de runes rappelant les motifs de ses tatouages, il tranchait de cette dernière les membres de ses adversaires sans aucune difficulté.
Aucun doute, si Dokhara regrettait toujours n'avoir pu voir le résultat de son pari avec Veylais, elle ne pouvait que se féliciter de s'être trouvé deux pareils gardes du corps pour les accompagner dans une ville en proie au chaos. Avec eux, massacrer des civils pour leur voler tout ce qu'ils possèdent serait d'une simplicité enfantine.
Si elle avait pu se croire au mauvais endroit au mauvais moment lorsque les hommes-rats avaient attaqué le tripot et massacré le public des combats, son ressenti de la situation avait totalement changé maintenant qu'elle constatait que toute la ville était envahie, et apparemment déjà partiellement tombée. Dans un climat de destruction pareil, elle pourrait laisser libre cours à toutes ses pulsions, tous ses désirs, sans plus n'avoir à subir aucune retenue. Pas de garde, pas de règles, pas de lois. Juste elle, et Nuln pour terrain de jeu, afin de torturer et tuer sans à s'inquiéter des répercussions.
Elle offrit un gigantesque sourire irradiant d'un bonheur malsain à ses trois nouveaux compagnons.
- M'sieurs dames, nous avons du travail à l'université d'la ville. Mais not'commanditaire ne nous en voudra pas si l'on s'amuse un peu sur la route, n'est-ce pas ? Après tout, son bouquin va pas s'envoler...
Et si l'orc ne comprit pas le charabia de l'humaine, la signification de ses mots fut sans doute plus claire lorsque, dégainant sa dague, elle s'approcha d'une bicoque avoisinante dont la porte verrouillée semblait avoir résisté aux assauts des hommes-rats.
- Au secours ! hurla t-elle en tambourinant sur la porte.
Les hommes rats sont derrière moi, par pitié, laissez moi entrer, j'ai de l'argent, je vous paierais, par pitié, pitié, pitié !
Et lorsque la porte s'entrouvrit, laissant apparaître un vieillard trop gentil pour son propre bien, Dokhara bondit à travers l'ouverture pour lui enfoncer tout l'acier de son arme à travers la gorge.
A genoux sur le cadavre du vieil homme, elle retira son poignard de son corps pour en lécher le sang, avant de se retourner vers ses compagnons, une lueur de folie dans le regard.
- J'adore cette ville ! C'est génial !
***
Quelques visites de maisons plus tard, ainsi que quelque combats contre des groupes d'hommes-rats qui ne s'attendaient clairement pas à ce qu'un orc leur fonce dessus en hurlant, ils arrivèrent finalement dans le quartier de l'université de Nuln.
Si les lieux respiraient autrefois d'un luxe bien plus ostentatoire que les bas-quartiers qu'ils avaient quitté, ils étaient désormais dans un état de délabrement comparable. Les habitations environnantes avaient été pillées et saccagées, les portes forcées, les fenêtres détruites, les citadins tués sans pitié par des groupes d'hommes-rats ou par d'autres bandes de pillards qui avaient choisi la même voie que leur petite équipe.
Si l'université était leur destination, l'attention de Dokhara fut néanmoins attirée par une calèche immobilisée par des émeutiers, sur la route se situant juste devant l'université. Apparemment le véhicule avait tenté une sortie en force du campus, mais les chevaux avaient pris trop peur des torches tenues par la foule agressive qui bloquait la route et avaient refusé la charge imposée par le cocher. Ce qui avait permis aux émeutiers d'immobiliser la calèche, et de tenter d'en faire sortir de force ses occupants.
Dokhara se tourna vers Veylaïs et Goraxul, sachant très bien que l'orc ne comprendrait de toutes façons pas grand chose.
- Trouver un bouquin dans une bibliothèque risque d'être fastidieux. Avec un peu d'chance, y a un guide qui nous attends dans cette jolie calèche, qu'cette foule a eu la gentillesse d'intercepter pour nous. Et qui sait, p'tet même qu'il saura nous traduire l'orc pour qu'on fasse plus ample connaissance avec notre nouvel ami ?
Ses deux interlocuteurs n'émettant pas d'objection, Dokhara se tourna vers Gorgut. Elle lui pointa du doigt la calèche, puis mis les deux mains en avant paumes tendues pour signifier un arrêt. Elle mima ensuite le forçage de la porte du véhicule. Puis enfin, elle désigna circulairement les émeutiers, avant de porter le pouce à sa gorge puis de faire un mouvement horizontal avec sa main. Comme si ce n'était pas assez clair, elle ajouta une onomatopée de décès avant de laisser tomber sa tête sur le côté, sortant la langue et fermant les yeux. Puis les rouvrant, elle lui fit un grand sourire.
Alors que les deux guerriers commençaient à charger pour se frayer un chemin jusqu'à la calèche, Dokhara chuchota à l'oreille de Veylaïs.
- Le pari tient toujours. Le premier des deux qui meurt dans les combats fait perdre sa parieuse.
Puis elle lui mima un baiser accompagné d'un sourire, avant de s'élancer avec la kislevite derrière les deux forces de la nature, dague au poing.
***
Arrivée à la calèche, profitant de la protection offerte par ses trois compagnons, Dokhara s'adressa au groupe d'universitaires - le véhicule contenait six personnes, toutes entre quarante et soixante ans. Apparemment, les professeurs avaient volé le seul véhicule disponible pour la fuite, et avaient eu l'intelligence de laisser leurs étudiants se débrouiller par eux-mêmes dans l'académie. La sagesse du grand âge.
- Messieurs, bien le bonsoir ! J'me présente, Red Karla, et j'ai une proposition d'emploi pour vous. Voyez-vous, nous avons besoin d'un profil bien particulier : il nous faut une personne importante dans la hiérarchie d'votre école qui fasse un otage de qualité, et qui saurait nous guider là où sont entreposés les ouvrages les plus sensibles d'votre université, ceux qui n'doivent pas tomber entre d'mauvaises mains - les miennes sont bonnes je vous rassure, excellentes mêmes selon tous mes amants ! Ah, et si l'individu qui correspondrait à ma description sait parler le langage des peaux-vertes ce serait un bonus non négligeable. L'heureux élu qui remplira ces conditions bénéficiera d'ma promesse d'lui laisser la vie sauve, et même d'l'escorter en sécurité hors d'cette ville en perdition. Les autres, malheureusement, seront massacrés sans aucune forme d'pitié par mes compagnons et moi-même. Alors discutez entre vous, et décidez-vous vite : quel sera l'heureux gagnant d'mon p'tit concours ? Attention néanmoins, j'dois vous prévenir : si l'élu s'avère finalement incapable d'nous aider à trouver l'ouvrage qu'nous r'cherchons, il ne bénéficiera pas de la même mort douce que ses camarades - non, nous le torturerons encore et encore pour une éternité d'sublime souffrance ! J'vous laisse trente secondes pour délibérer, amusez-vous bien !