2ème extrait du journal d’Emilie Weiss. Cette fois-ci, il est beaucoup plus long, puisqu’il couvre concrètement 3 séances complètes composant une même mission qui n’a d’ailleurs pu être menée à son terme (le groupe ayant été dissout faute de disponibilités communes).
Paris, plusieurs semaines plus tard (septembre 1914).
En dépit des soins intensifs qui m’étaient prodigués, j’ai mis plusieurs semaines à sortir de l’hôpital. Ce n’est vraiment pas passé loin, mais je ne me plains pas trop. Beaucoup d’innocents sont morts ce jour-là, et continuent à mourir. Par miracle, le Seigneur soit loué, je m’en sors sans séquelles physiques autre que quelques cicatrices au corps.
Notre équipe, l’équipe « bravo » comme je l’ai surnommée, s’est réunie une nouvelle fois à l’initiative de Sugar, à 10 heures du matin. Cette fois-ci, Medved l’ours russe surarmé n’était pas des nôtres. Sans doute l’état-major a-t-il estimé que ses compétences martiales seraient plus utiles au front qu’à l’arrière des lignes. Il a été remplacé par une jeune et petite japonaise –oui, une japonaise, rien que cela-, affublée du nom de code « Kuro ». Le lieu du rendez-vous était l’Isoloir, un QG de la Multitude situé sous la butte Montmartre. Cette fois-ci, le mentor nous a débriefé sur notre première mission et sur les trouvailles de l’équipe « alpha » qui avait opéré à Paris tandis que nous étions en Belgique.
Pour résumer ce que nous a dit Sugar sur l’action de nos camarades en août dernier, l’équipe « alpha » avait enquêté sur une voiture folle en plein Paris, dont le conducteur avait été retrouvé mort, mais pas le passager qui lui avait disparu. Dans le véhicule, nos collègues ont mis la main sur une oreille et une manette. L’oreille semble avoir une certaine importance, ou plutôt une importance certaine d’ailleurs, puisque le groupe a dû abattre des bandits qui ont tenté de la récupérer. Puis, alors qu’ils s’étaient rendus à la morgue, ils ont été attaqués par des zombies.
Après enquête, les mentors de la Multitude, et notamment Sugar, ont ensuite découvert que l’oreille était reliée à son ancien propriétaire, un colonel allemand et son aide de camp, disposants d’un très puissant animus noir. Il semblerait que l’oreille, bien que coupée, leur permettait d’espionner à distance. Ces découvertes, dont celle d’un plan de bataille, ont permis aux forces de l’Entente de remporter la bataille de la Marne, sauvant Paris d’un nouveau désastre semblable à celui de 1870-71. L’équipe alpha a ensuite été envoyée dans un autre lieu, que j’ignore.
Concernant les conséquences de notre propre mission, le sorcier que nous avons capturé a été extradé vers Londres, mais il refuse toujours de nous transmettre la moindre information. Au contraire, il a tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours, comme il l’avait déjà tenté sur le terrain en Belgique. Cela me laisse penser que j’ai eu raison de le maintenir en vie et d’insister pour qu’on le capture en vie. Assurément, cet homme agit comme quelqu’un qui a quelque chose à cacher. Soit il est dévoué à en mourir à sa cause, soit il a tellement peur de ce qui pourrait lui arriver que la mort lui est souhaitable et que nos interrogatoires lui semblent risibles.
« Tintin » est lui parti à Londres, où il a commencé à recevoir la formation de la Multitude, des mains des chevaliers de Windsor. J’espère que cette voie lui plaira et qu’il deviendra vite un Docteur de talent !
Chose étrange, la carte à jouer que nous avons trouvée sur le sorcier capturé se racornit toute seule et bien plus vite que l’usure normale ne le ferait. Sugar nous a chargés d’éclaircir ce mystère et de creuser pour voir si on pouvait relier cet objet à des pistes nous menant à Skulls and Bones.
Après avoir discuté entre nous, nous décidâmes de nous diriger vers une galerie d’art spécialisée dans le médiéval et les arts islamiques, la galerie Demotte, située sur les Champs-Elysées. Rien qu’en entrant dans la boutique, nous remarquâmes la présence de tatouages antiques d’influence Dace ressemblant de très près à ceux qui étaient sur le bulgare possédé en Belgique.
Le propriétaire de la galerie, monsieur Demotte, était en possession d’un tableau de style 1850, peint par un certain Louis Béroud, de la grande galerie de Montmartre, spécialise des cartes. Ce tableau représentait une carte du même genre que la nôtre. Nous sommes donc allés l’interroger, non sans avoir demandé à Sugar d’acquérir le tableau en question au cas où il représente un indice, puisqu’il était hors de prix pour nos propres finances.
A la galerie Montmartre, nous avons pu parler avec ce Louis Béroud. L’homme ne semblait pas lié à Skull and Bones, et n’avait aucun animus. Mais, en nous faisant passer pour des amateurs intéressés par son art et son inspiration concernant les cartes, nous avons pu obtenir de lui un certain nombre d’informations que je consigne ici.
Il semblerait qu’un sultan d’Egypte et de Tunis, du nom de Jaffar Ar Houssid, eut de l’influence sur ces cartes à jouer à la Renaissance. Dans les années 1500 environ, il possédait une ville-palais dans les environs d’Alexandrie, depuis rasée et devenue une gare. L’homme était peu connu pour être un bon souverain. Au contraire, on le décrit comme très lunatique dans ses ordres, à la limite de la folie même. Néanmoins, détail peut-être important, il aurait révolutionné les jeux de son époque, et adorait tout particulièrement ceux de stratégie.
Néanmoins, après lui avoir montré notre propre carte, le peintre y a reconnu plutôt une influence datant de la Renaissance italienne. Plus précisément, du Centre-Nord de l’Italie. Le motif était ancien, mais le papier récent. Il s’agissait donc d’une impression inspirée d’antan. Les familles Borgia et Visconti, à l’époque, étaient connues pour s’opposer, et disposaient de jeux de cartes illustrés spécifiques à leurs familles. Il se pourrait que le motif de la carte corresponde à celui du maître de l’artiste des Borgia (un nommé Pitureccio, dont le maître fut Le Péruguin). Le Péruguin était très inspiré par l’art de sa région natale, l’Ombrie. Il a travaillé principalement à Valfabrica, sa ville natale, et son inspiration était très sombre. Aujourd’hui, Valfabrica est un petit village du Nord de l’Italie, à une heure et demi de marche de la ville moyenne de Gubio, la plus proche, comptant 3000 habitants et disposant d’une gare.
Louis Béroud nous a ensuite orientés vers un de ses collègues peintes à Montmatre aussi, un espagnol du nom de René Vafalgo. Bien que pour ce dernier, la rencontre ait été un prétexte pour tenter de me séduire de manière fort gênante, il nous a confirmé les dires de son ami et nous a donné le nom d’un professeur d’imprimerie aux arts et métiers de Paris qui s’y connaîtrait sur le sujet : Ambroise Champaris.
Nous nous sommes donc rendus chez cet homme et l’avons questionné. Curieuse coïncidence, il nous a dit avoir trouvé une carte semblable à la nôtre peu de temps auparavant, dans un ouvrage de la bibliothèque nationale intitulé « Petits et grands acteurs de la Révolution Française ». Cette carte aussi s’était usée bien plus vite que la nature ne l’aurait voulu et avait fini par disparaître. Elle représentait un crâne et il a pu en faire une copie qu’il nous a montrée. Il nous a également conseillé l’ouvrage de référence sur les cartes à jouer comme la notre « Histoire des cartes de l’Italie ».
Forts de ces informations, nous avons mené l’enquête à la bibliothèque nationale. Dans « Petits et grands acteurs de la Révolution Française », nous avons repéré un passage potentiellement intéressant concernant la société du Luxembourg, un petit acteur scientiste de la Révolution, qui fut détruite par Robespierre, mais se montrait tout comme lui très intéressée par les mystères égyptiens (et donc peut-être l’histoire du Sutlan Jaffar Ar Houssid même si ce ne sont là que des suppositions personnelles).
Ensuite, dans « Histoire des cartes de l’Italie », nous avons découvert deux images de cartes aux motifs semblables aux nôtres ayant appartenu aux Borgia. Ces cartes étaient dans l’influence de l’Ombrie, et plus précisément de Valfabrica. Nous avons reconnu notre carte comme étant « le barbare ». Il y avait aussi des images de « la putain » et du « loup ». Dans le doute, nous avons emprunté ses ouvrages, au cas où.
Puis, après de longues discussions, nous sommes partis vers l’Italie, où tout semblait vouloir nous mener. Notre destination : Valfabrica, en Ombrie. Nous sommes arrivés à Gubbio par le train le 20 septembre 1914, en fin d’après-midi. Mais cette ville qui devait simplement être une étape à l’origine s’est révélée pleine d’angoissants évènements étranges.
Le 19 septembre, la veille de notre arrivée, un jeune paysan père de famille, bon chrétien selon le prêtre (Paolo), avait tué et dévoré sa famille, puis s’était pendu. Les autorités avaient vite classé l’affaire, l’estimant close avec la mort du suspect. Mais ce n’était pas fini : la nuit suivante, celle du 20 au 21, c’était un maréchal-ferrant qui était attaqué sauvagement par son apprenti, qui l’aurait mordu et griffé avant de fuir devant la force supérieure de son maître. Une battue fut organisée pour le retrouver, car, brusquement, il devenait le principal suspect des deux affaires, le paysan suicidé étant finalement perçu comme un leurre par les forces de l’ordre.
Cette affaire nous mit mal à l’aise. Comme par hasard, à notre arrivée, tout semblait s’accélérer, les évènements étranges et inquiétants s’enchaînaient. Nous étions persuadés que Skulls and Bones étaient derrière tout cela. Ces gens n’étaient pas devenus fous furieux du jour au lendemain sans raison, attaquant leurs proches sans le moindre remord et avec une sauvagerie bestiale.
En passant, nous apprîmes en nous faisant passer pour des touristes que la maison natale du peintre Le Péruguin à Valfabrica était encore là.
Nous visitâmes aussi l’église Saint François d’Assises à Gubbio, de style roman. Le prêtre nous a raconté que Saint François y aurait justement soumis un loup en faisant un signe de croix ou avec une feuille de chêne. Or, un très ancien reliquaire couvert d’une feuille de chêne se trouvant dans l’Eglise a récemment été forcé et son contenu dérobé.
Le Palais des Consuls, un autre vieux bâtiment gothique de la Renaissance, avec une petite tour désaxée, servant de mairie et de musée, a également attiré notre attention. Des objets exposés y avaient été volés il y a quinze jours. Il s’agissait de 7 tablettes antiques en bronze dite « eugubines », et jamais déchiffrées.
Je commençais vraiment à avoir peur. Des choses anormales se passaient ici, et Skulls and Bones était derrière tout cela, c’était évident. C’était comme si de vieux démons longtemps en sommeil se réveillaient. Comme si la seule barrière entre les habitants du lieu et des forces obscures qu’ils ne concevaient même pas, c’était nous.
Peu après, cette impression de malaise et d’urgence se renforça quand ce fut au tour d’une vieille femme respectable, une matrone surnommée « la grande mama Sofia » de se mettre subitement à attaquer un enfant ! A vrai dire, j’avais peur. Peur parce que bien qu’infirmière et en études de médecine, je ne comprenais pas la nature de cette menace. Je savais qu’il y avait de la magie derrière tout cela, mais j’avais peur que si nous n’agissions pas très vite, la ville se retrouve à feu et à sang. Qui savait comment et pourquoi la folie furieuse se répandait dans cette ville tranquille ? Qui avait intérêt à massacrer des innocents pourtant neutres dans le conflit européen ? Je l’ignore, car à part pour faire des tests de nouvelles magies noires, je ne vois pas pour quelle raison Skulls and Bones attaquerait au hasard.
Une chose était certaine, à Gubbio, on parlait du retour de la bête autrefois calmée par Saint François d’Assises.
Nous avons enquêté autant que possible. J’ai essayé avec Pepper de nous faire passer pour un médecin légiste et son assistante, envoyés de Florence pour examiner les corps, car après tout nous avions ces compétences. Mais les carabinieri ne sont pas tombés dans le panneau et nous n’avons pu les examiner. Nous avons tenté de trouver un lien quelconque entre les victimes ou les auteurs présumés des attaques. Là encore, rien. Enfin, en désespoir de cause, la nuit, Kuro et Moon ont infiltré le commissariat et la morgue afin d’y trouver des indices. Mais là encore, nous n’avons pas eu grand-chose à nous mettre sous la dent, si ce n’est que le paysan pendu avait la bouche ensanglantée.
Dépités, nous avons décidé de continuer vers Valfabrica. Nous avons perdu une journée entière à enquêter à Gubbio en pure perte. Peut-être qu’en agissant à Valfabrica, nous pourrions stopper ce massacre à la source. Le village de Valfabrica était petit, il était difficile voire impossible pour des étrangers d’y passer inaperçu. Cela pouvait tourner à notre désavantage, mais également nous renseigner. Ainsi, nous avons pu apprendre qu’un groupe d’allemands s’était installé dans une très vieille presse de cartes à l’écart du village et y restait enfermé la plupart du temps.
En dépit de mes exhortations à se faire discrets, nous nous y rendîmes. Et tombions droit dans un piège, dans la gueule du loup. Kuro avait voulu tenter une infiltration. Elle fut surprise par des allemands armés et des démons. Il y avait parmi eux des militaires ou paramilitaires équipés pour la guerre, des démons en masse et un puissant sorcier noir.
A partir de là, tout est devenu plutôt flou. Kuro, insuffisamment gardée, dut fuir pour sauver sa vie. Nous intervînmes pour tenter de la sauver, mais fûmes rapidement submergés. Alors que nous tentions de nous déplacer, Pepper et moi, le sorcier et chef des ennemis nous pétrifia sur place. Incapable de bouger le petit doigt, je ne pouvais que parler et prier pour le salut de mon âme. Les démons étaient partout et, incapable de bouger ou de nous défendre, nous étions à leur merci. Les autres étaient en fuite ou occupés à se battre plus loin et ne pouvaient rien pour nous.
C’est alors que le sorcier s’adressa à Pepper. Il tenta de le corrompre. Et j’avoue que je crus bien qu’il y réussirait. L’homme qui m’avait sauvé la vie allait-il trahir pour devenir un suppôt de Satan ? Durant un moment, il fut tenté, mais heureusement resta dans le droit chemin. J’avoue qu’à cet instant, j’ai réellement eu très peur. Avec Pepper à leurs côtés, Skulls and Bones aurait appris énormément sur la Multitude. Nos agents, notre fonctionnement, notre objectif. Sans parler du fait que j’aurais été complètement démunie seule face à tous ces ennemis. Skulls and Bones était prêt à tout lui promettre, y compris ce qu’il désirait le plus, en échange de son allégeance.
Par miracle, nous avons pu nous en sortir, sans parvenir à éliminer le chef cependant. Ce chef possédait d’ailleurs la carte tête de mort qui se trouvait dans le livre de la bibliothèque nationale, et découverte professeur Ambroise Champaris.
Nous avons également appris qu’un certain Rofl, un autre chef de Skulls and Bones, se trouvait dans une grotte près de Gubbio et étudiait les têtes de cerbères et les tablettes volées en bronze. C’était sûrement lui le responsable des morts à Gubbio.
La suite a été encore plus confuse. Kuro, qui avait semé les démons dans la cambrousse, est revenue. Avec elle et Le Gaulois, au complet, nous avons pu libérer des prisonniers de guerre français qui se trouvaient enfermés dans un bâtiment. Quant à savoir ce qu’ils faisaient là, mystère. C’est alors que les démons sont revenus. A partir de là, nous nous sommes dispersés. Il fallait sauver les prisonniers et les amener en lieu sûr. Mais pour cela, nous avons dû renoncer à rester sur place pour en savoir plus et terminer la mission. J’ignore ce qui s’est passé ensuite, je n’ai plus revu aucun de mes camarades. Suis-je donc la seule à m’en être sortie vivante ?
Paris, plusieurs semaines plus tard (septembre 1914).
En dépit des soins intensifs qui m’étaient prodigués, j’ai mis plusieurs semaines à sortir de l’hôpital. Ce n’est vraiment pas passé loin, mais je ne me plains pas trop. Beaucoup d’innocents sont morts ce jour-là, et continuent à mourir. Par miracle, le Seigneur soit loué, je m’en sors sans séquelles physiques autre que quelques cicatrices au corps.
Notre équipe, l’équipe « bravo » comme je l’ai surnommée, s’est réunie une nouvelle fois à l’initiative de Sugar, à 10 heures du matin. Cette fois-ci, Medved l’ours russe surarmé n’était pas des nôtres. Sans doute l’état-major a-t-il estimé que ses compétences martiales seraient plus utiles au front qu’à l’arrière des lignes. Il a été remplacé par une jeune et petite japonaise –oui, une japonaise, rien que cela-, affublée du nom de code « Kuro ». Le lieu du rendez-vous était l’Isoloir, un QG de la Multitude situé sous la butte Montmartre. Cette fois-ci, le mentor nous a débriefé sur notre première mission et sur les trouvailles de l’équipe « alpha » qui avait opéré à Paris tandis que nous étions en Belgique.
Pour résumer ce que nous a dit Sugar sur l’action de nos camarades en août dernier, l’équipe « alpha » avait enquêté sur une voiture folle en plein Paris, dont le conducteur avait été retrouvé mort, mais pas le passager qui lui avait disparu. Dans le véhicule, nos collègues ont mis la main sur une oreille et une manette. L’oreille semble avoir une certaine importance, ou plutôt une importance certaine d’ailleurs, puisque le groupe a dû abattre des bandits qui ont tenté de la récupérer. Puis, alors qu’ils s’étaient rendus à la morgue, ils ont été attaqués par des zombies.
Après enquête, les mentors de la Multitude, et notamment Sugar, ont ensuite découvert que l’oreille était reliée à son ancien propriétaire, un colonel allemand et son aide de camp, disposants d’un très puissant animus noir. Il semblerait que l’oreille, bien que coupée, leur permettait d’espionner à distance. Ces découvertes, dont celle d’un plan de bataille, ont permis aux forces de l’Entente de remporter la bataille de la Marne, sauvant Paris d’un nouveau désastre semblable à celui de 1870-71. L’équipe alpha a ensuite été envoyée dans un autre lieu, que j’ignore.
Concernant les conséquences de notre propre mission, le sorcier que nous avons capturé a été extradé vers Londres, mais il refuse toujours de nous transmettre la moindre information. Au contraire, il a tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours, comme il l’avait déjà tenté sur le terrain en Belgique. Cela me laisse penser que j’ai eu raison de le maintenir en vie et d’insister pour qu’on le capture en vie. Assurément, cet homme agit comme quelqu’un qui a quelque chose à cacher. Soit il est dévoué à en mourir à sa cause, soit il a tellement peur de ce qui pourrait lui arriver que la mort lui est souhaitable et que nos interrogatoires lui semblent risibles.
« Tintin » est lui parti à Londres, où il a commencé à recevoir la formation de la Multitude, des mains des chevaliers de Windsor. J’espère que cette voie lui plaira et qu’il deviendra vite un Docteur de talent !
Chose étrange, la carte à jouer que nous avons trouvée sur le sorcier capturé se racornit toute seule et bien plus vite que l’usure normale ne le ferait. Sugar nous a chargés d’éclaircir ce mystère et de creuser pour voir si on pouvait relier cet objet à des pistes nous menant à Skulls and Bones.
Après avoir discuté entre nous, nous décidâmes de nous diriger vers une galerie d’art spécialisée dans le médiéval et les arts islamiques, la galerie Demotte, située sur les Champs-Elysées. Rien qu’en entrant dans la boutique, nous remarquâmes la présence de tatouages antiques d’influence Dace ressemblant de très près à ceux qui étaient sur le bulgare possédé en Belgique.
Le propriétaire de la galerie, monsieur Demotte, était en possession d’un tableau de style 1850, peint par un certain Louis Béroud, de la grande galerie de Montmartre, spécialise des cartes. Ce tableau représentait une carte du même genre que la nôtre. Nous sommes donc allés l’interroger, non sans avoir demandé à Sugar d’acquérir le tableau en question au cas où il représente un indice, puisqu’il était hors de prix pour nos propres finances.
A la galerie Montmartre, nous avons pu parler avec ce Louis Béroud. L’homme ne semblait pas lié à Skull and Bones, et n’avait aucun animus. Mais, en nous faisant passer pour des amateurs intéressés par son art et son inspiration concernant les cartes, nous avons pu obtenir de lui un certain nombre d’informations que je consigne ici.
Il semblerait qu’un sultan d’Egypte et de Tunis, du nom de Jaffar Ar Houssid, eut de l’influence sur ces cartes à jouer à la Renaissance. Dans les années 1500 environ, il possédait une ville-palais dans les environs d’Alexandrie, depuis rasée et devenue une gare. L’homme était peu connu pour être un bon souverain. Au contraire, on le décrit comme très lunatique dans ses ordres, à la limite de la folie même. Néanmoins, détail peut-être important, il aurait révolutionné les jeux de son époque, et adorait tout particulièrement ceux de stratégie.
Néanmoins, après lui avoir montré notre propre carte, le peintre y a reconnu plutôt une influence datant de la Renaissance italienne. Plus précisément, du Centre-Nord de l’Italie. Le motif était ancien, mais le papier récent. Il s’agissait donc d’une impression inspirée d’antan. Les familles Borgia et Visconti, à l’époque, étaient connues pour s’opposer, et disposaient de jeux de cartes illustrés spécifiques à leurs familles. Il se pourrait que le motif de la carte corresponde à celui du maître de l’artiste des Borgia (un nommé Pitureccio, dont le maître fut Le Péruguin). Le Péruguin était très inspiré par l’art de sa région natale, l’Ombrie. Il a travaillé principalement à Valfabrica, sa ville natale, et son inspiration était très sombre. Aujourd’hui, Valfabrica est un petit village du Nord de l’Italie, à une heure et demi de marche de la ville moyenne de Gubio, la plus proche, comptant 3000 habitants et disposant d’une gare.
Louis Béroud nous a ensuite orientés vers un de ses collègues peintes à Montmatre aussi, un espagnol du nom de René Vafalgo. Bien que pour ce dernier, la rencontre ait été un prétexte pour tenter de me séduire de manière fort gênante, il nous a confirmé les dires de son ami et nous a donné le nom d’un professeur d’imprimerie aux arts et métiers de Paris qui s’y connaîtrait sur le sujet : Ambroise Champaris.
Nous nous sommes donc rendus chez cet homme et l’avons questionné. Curieuse coïncidence, il nous a dit avoir trouvé une carte semblable à la nôtre peu de temps auparavant, dans un ouvrage de la bibliothèque nationale intitulé « Petits et grands acteurs de la Révolution Française ». Cette carte aussi s’était usée bien plus vite que la nature ne l’aurait voulu et avait fini par disparaître. Elle représentait un crâne et il a pu en faire une copie qu’il nous a montrée. Il nous a également conseillé l’ouvrage de référence sur les cartes à jouer comme la notre « Histoire des cartes de l’Italie ».
Forts de ces informations, nous avons mené l’enquête à la bibliothèque nationale. Dans « Petits et grands acteurs de la Révolution Française », nous avons repéré un passage potentiellement intéressant concernant la société du Luxembourg, un petit acteur scientiste de la Révolution, qui fut détruite par Robespierre, mais se montrait tout comme lui très intéressée par les mystères égyptiens (et donc peut-être l’histoire du Sutlan Jaffar Ar Houssid même si ce ne sont là que des suppositions personnelles).
Ensuite, dans « Histoire des cartes de l’Italie », nous avons découvert deux images de cartes aux motifs semblables aux nôtres ayant appartenu aux Borgia. Ces cartes étaient dans l’influence de l’Ombrie, et plus précisément de Valfabrica. Nous avons reconnu notre carte comme étant « le barbare ». Il y avait aussi des images de « la putain » et du « loup ». Dans le doute, nous avons emprunté ses ouvrages, au cas où.
Puis, après de longues discussions, nous sommes partis vers l’Italie, où tout semblait vouloir nous mener. Notre destination : Valfabrica, en Ombrie. Nous sommes arrivés à Gubbio par le train le 20 septembre 1914, en fin d’après-midi. Mais cette ville qui devait simplement être une étape à l’origine s’est révélée pleine d’angoissants évènements étranges.
Le 19 septembre, la veille de notre arrivée, un jeune paysan père de famille, bon chrétien selon le prêtre (Paolo), avait tué et dévoré sa famille, puis s’était pendu. Les autorités avaient vite classé l’affaire, l’estimant close avec la mort du suspect. Mais ce n’était pas fini : la nuit suivante, celle du 20 au 21, c’était un maréchal-ferrant qui était attaqué sauvagement par son apprenti, qui l’aurait mordu et griffé avant de fuir devant la force supérieure de son maître. Une battue fut organisée pour le retrouver, car, brusquement, il devenait le principal suspect des deux affaires, le paysan suicidé étant finalement perçu comme un leurre par les forces de l’ordre.
Cette affaire nous mit mal à l’aise. Comme par hasard, à notre arrivée, tout semblait s’accélérer, les évènements étranges et inquiétants s’enchaînaient. Nous étions persuadés que Skulls and Bones étaient derrière tout cela. Ces gens n’étaient pas devenus fous furieux du jour au lendemain sans raison, attaquant leurs proches sans le moindre remord et avec une sauvagerie bestiale.
En passant, nous apprîmes en nous faisant passer pour des touristes que la maison natale du peintre Le Péruguin à Valfabrica était encore là.
Nous visitâmes aussi l’église Saint François d’Assises à Gubbio, de style roman. Le prêtre nous a raconté que Saint François y aurait justement soumis un loup en faisant un signe de croix ou avec une feuille de chêne. Or, un très ancien reliquaire couvert d’une feuille de chêne se trouvant dans l’Eglise a récemment été forcé et son contenu dérobé.
Le Palais des Consuls, un autre vieux bâtiment gothique de la Renaissance, avec une petite tour désaxée, servant de mairie et de musée, a également attiré notre attention. Des objets exposés y avaient été volés il y a quinze jours. Il s’agissait de 7 tablettes antiques en bronze dite « eugubines », et jamais déchiffrées.
Je commençais vraiment à avoir peur. Des choses anormales se passaient ici, et Skulls and Bones était derrière tout cela, c’était évident. C’était comme si de vieux démons longtemps en sommeil se réveillaient. Comme si la seule barrière entre les habitants du lieu et des forces obscures qu’ils ne concevaient même pas, c’était nous.
Peu après, cette impression de malaise et d’urgence se renforça quand ce fut au tour d’une vieille femme respectable, une matrone surnommée « la grande mama Sofia » de se mettre subitement à attaquer un enfant ! A vrai dire, j’avais peur. Peur parce que bien qu’infirmière et en études de médecine, je ne comprenais pas la nature de cette menace. Je savais qu’il y avait de la magie derrière tout cela, mais j’avais peur que si nous n’agissions pas très vite, la ville se retrouve à feu et à sang. Qui savait comment et pourquoi la folie furieuse se répandait dans cette ville tranquille ? Qui avait intérêt à massacrer des innocents pourtant neutres dans le conflit européen ? Je l’ignore, car à part pour faire des tests de nouvelles magies noires, je ne vois pas pour quelle raison Skulls and Bones attaquerait au hasard.
Une chose était certaine, à Gubbio, on parlait du retour de la bête autrefois calmée par Saint François d’Assises.
Nous avons enquêté autant que possible. J’ai essayé avec Pepper de nous faire passer pour un médecin légiste et son assistante, envoyés de Florence pour examiner les corps, car après tout nous avions ces compétences. Mais les carabinieri ne sont pas tombés dans le panneau et nous n’avons pu les examiner. Nous avons tenté de trouver un lien quelconque entre les victimes ou les auteurs présumés des attaques. Là encore, rien. Enfin, en désespoir de cause, la nuit, Kuro et Moon ont infiltré le commissariat et la morgue afin d’y trouver des indices. Mais là encore, nous n’avons pas eu grand-chose à nous mettre sous la dent, si ce n’est que le paysan pendu avait la bouche ensanglantée.
Dépités, nous avons décidé de continuer vers Valfabrica. Nous avons perdu une journée entière à enquêter à Gubbio en pure perte. Peut-être qu’en agissant à Valfabrica, nous pourrions stopper ce massacre à la source. Le village de Valfabrica était petit, il était difficile voire impossible pour des étrangers d’y passer inaperçu. Cela pouvait tourner à notre désavantage, mais également nous renseigner. Ainsi, nous avons pu apprendre qu’un groupe d’allemands s’était installé dans une très vieille presse de cartes à l’écart du village et y restait enfermé la plupart du temps.
En dépit de mes exhortations à se faire discrets, nous nous y rendîmes. Et tombions droit dans un piège, dans la gueule du loup. Kuro avait voulu tenter une infiltration. Elle fut surprise par des allemands armés et des démons. Il y avait parmi eux des militaires ou paramilitaires équipés pour la guerre, des démons en masse et un puissant sorcier noir.
A partir de là, tout est devenu plutôt flou. Kuro, insuffisamment gardée, dut fuir pour sauver sa vie. Nous intervînmes pour tenter de la sauver, mais fûmes rapidement submergés. Alors que nous tentions de nous déplacer, Pepper et moi, le sorcier et chef des ennemis nous pétrifia sur place. Incapable de bouger le petit doigt, je ne pouvais que parler et prier pour le salut de mon âme. Les démons étaient partout et, incapable de bouger ou de nous défendre, nous étions à leur merci. Les autres étaient en fuite ou occupés à se battre plus loin et ne pouvaient rien pour nous.
C’est alors que le sorcier s’adressa à Pepper. Il tenta de le corrompre. Et j’avoue que je crus bien qu’il y réussirait. L’homme qui m’avait sauvé la vie allait-il trahir pour devenir un suppôt de Satan ? Durant un moment, il fut tenté, mais heureusement resta dans le droit chemin. J’avoue qu’à cet instant, j’ai réellement eu très peur. Avec Pepper à leurs côtés, Skulls and Bones aurait appris énormément sur la Multitude. Nos agents, notre fonctionnement, notre objectif. Sans parler du fait que j’aurais été complètement démunie seule face à tous ces ennemis. Skulls and Bones était prêt à tout lui promettre, y compris ce qu’il désirait le plus, en échange de son allégeance.
Par miracle, nous avons pu nous en sortir, sans parvenir à éliminer le chef cependant. Ce chef possédait d’ailleurs la carte tête de mort qui se trouvait dans le livre de la bibliothèque nationale, et découverte professeur Ambroise Champaris.
Nous avons également appris qu’un certain Rofl, un autre chef de Skulls and Bones, se trouvait dans une grotte près de Gubbio et étudiait les têtes de cerbères et les tablettes volées en bronze. C’était sûrement lui le responsable des morts à Gubbio.
La suite a été encore plus confuse. Kuro, qui avait semé les démons dans la cambrousse, est revenue. Avec elle et Le Gaulois, au complet, nous avons pu libérer des prisonniers de guerre français qui se trouvaient enfermés dans un bâtiment. Quant à savoir ce qu’ils faisaient là, mystère. C’est alors que les démons sont revenus. A partir de là, nous nous sommes dispersés. Il fallait sauver les prisonniers et les amener en lieu sûr. Mais pour cela, nous avons dû renoncer à rester sur place pour en savoir plus et terminer la mission. J’ignore ce qui s’est passé ensuite, je n’ai plus revu aucun de mes camarades. Suis-je donc la seule à m’en être sortie vivante ?