Il fallait que Drido se fasse bien entendre pour se faire obéir des chiens ; Ses deux doigts boudinés à chaque coin de ses lèvres, il les étirait, et sifflait si fort qu’il se réverbérait dans un écho le long des montagnes.
De derrière une petite butte, on pouvait redécouvrir les oreilles blanches et touffues de Futé et Gigot. Les deux patous redescendaient à toute vitesse la montée, évitant bien adroitement les cailloux sur lesquels ils risquaient de trébucher. En les voyant revenir, tout guillerets, les langues pendantes, Drido ne put s’empêcher de les engueuler :
« Ah, vous voilà, les cabots ! Vous faites semblant de pas entendre Drido, c’est ça ?!
Oui oui, vous savez de quoi vous êtes coupables, sales fripons ! »
Gigot et Futé ne réagissaient pas. Mais en voyant leur maître Halfelin reprendre sa marche d’un petit pas gêné, les deux clébards surexcités redémarraient à toute vitesse pour ouvrir la voie au convoi — et en profiter pour jouer entre eux en se sautant dessus à intervalles réguliers.
Ils étaient au paradis. Le cirque revenait tout juste de la bourgade d’Ubersreik ; pour une fois, ce n’étaient pas les Halfelins eux-mêmes qui avaient eu des soucis avec les habitants. Personne pour les accuser d’avoir chapardé quelque chose, ou de provoquer du tapage nocturne. Non, c’étaient les patous qu’on avait directement menacé, incriminé de vagabondage et d’avoir dérobé des saucisses au boucher du coin. L’affaire aurait pu être drôle, si seulement les habitants d’Ubersreik n’étaient pas arrivés au campement avec des crocs ferrés et des torches, le boucher menaçant d’empoisonner de la viande qu’il laisserait traîner afin qu’ils soient vilement tués. Plutôt que de risquer de se faire pourrir par les locaux (Même avec le seigneur du coin qui leur avait donné l’autorisation de rester, quelques habitants en colère auraient pu se débrouiller pour rendre leur villégiature insupportable en les harcelant…), les aînés avaient trouvé plus prudent de remonter les tentes, de remplir les chariots, et de traverser le col pour quitter le Reikland.
Si les chiens vivaient donc leur meilleure vie au milieu de la nature, pouvant librement dépenser toute leur énergie à sprinter d’un sens à l’autre, ou renifler la moindre bruyère qui poussait au sol, leurs maîtres subissaient plutôt un calvaire. Les Halfelins grimpaient avec leurs petites jambes des sentiers caillouteux, parfois à pic, parfois zigzagant presque pour contourner des flancs de falaises lors desquels tout le monde se prenait à serrer les dents : un seul essieu de charrette qui se brisait à cet instant, et ça serait un gros retard dans le meilleur des cas, une catastrophe au pire…
C’était tonton Drido qui était chargé de servir d’éclaireur. Il avait plus-ou-moins enrôlé deux jeunes pour venir avec lui, à trotter en avant pour voir où les autres pourraient passer, et, surtout, si on ne risquait pas de tomber sur quelqu’un qui descendait de face, que ce soit un simple berger, un groupe de pèlerins solitaires, voire un monseigneur fort empressé ; si par mauvaise fortune c’était le cas, il faudrait négocier avec eux pour leur dire d’attendre que le cirque passe avant qu’ils ne s’engagent eux-mêmes… En général, Drido était assez sympathique et rassurant pour se faire entendre. Mais il y a beaucoup de bornés chez les Humains.
Manque de pot, Susi faisait partie des deux qui avaient été enrôlés. Peut-être justement à cause de son jeune âge — tous les autres ils avaient des raisons de ne pas s’y coller. Celui-ci il avait mal à la hanche, un autre il était occupé à escorter les moutons, et puis cousin Reuban devait se reposer parce qu’à Ubersreik c’était déjà lui qui s’était chargé de creuser la tranchée, et que si Susi trouvait que marcher c’était trop fatigant, elle n’aurait qu’à prendre une pelle la prochaine fois…
La pelisse autour de son cou pour se protéger du froid, elle aidait donc Drido et ses chiens. Avec eux, le deuxième qui avait été de corvée, c’était le cousin Assmus Folbouffon, l’un des comiques du cirque, et fils aîné de Drido. Pour une fois, Assmus n’avait pas le visage grimé dans tous les sens de maquillages élaborés, mais offrait juste son visage rondouillard et légèrement vérolé, et surtout, ses énormes cernes qui trahissaient son manque de sommeil — ça faisait quelques jours maintenant que personne ne dormait vraiment très bien. On était pourtant au printemps, mais de ce côté des Montagnes Grises, la météo n’était visiblement pas au courant. Le vent, on l’entendait souffler à travers ces immenses monts, comme si c’était un géant qui sifflait. Et, quand on grimpait trop haut, des bourrasques de vents agitaient tous les vêtements, les cheveux, les poils des patous dont la langue virevoltait au gré de la brise.
Au moins, oncle Drido et cousin Assmus étaient plutôt sympas avec Susi. Drido ne sous-entendait jamais que peut-être que, au prochain arrêt, ils auraient la chance de voir d’autres Halfelins, et ça serait une bonne occasion pour elle de se faire jolie, clin d’œil clin d’œil. Assmus ne s’inquiétait pas non plus constamment de sa santé, enfin, du moins il le faisait plus poliment, en lui demandant juste toutes les heures si elle avait faim, en lui assurant qu’il avait quelque chose dans sa besace — c’est juste qu’il n’insistait pas trop lorsque la jeune Halfeline refusait. Il y avait compagnie plus insupportable. Et puis, ils trouvaient assez vite un sujet de conversation.
Parce que Drido n’arrêtait pas de parler de ses chiens. Toute la journée que les Dieux faisaient, il parlait de ses clébards…
« C’est Gigot qui embête Futé, hé, j’le vois bien ! Futé c’est pas son genre de désobéir, mais voilà, Gigot il est trop jeune — il sait jamais quand les autres veulent pas jouer !
– C’est sûr papa, c’est sûr.
– Et encore là y a pas Tartelette, parce que quand Tartelette elle est près de Gigot alors là c’est plus possible de lui donner le moindre ordre ! Rah là là, il est vilain ! Mais ça reste un bon chien !
– Oui, papa, oui. »
Ils grimpaient à sec là. Susi était donc maintenant assez surélevée pour voir toute sa famille, rien qu’en lançant un regard de chouette derrière elle :
Une dizaine de petits chariots ou charrettes, tractés par des poneys ou des ânes. Un groupuscule de moutons qui étaient étroitement surveillés par d’autres patous (Dont la jolie Tartelette), avec leurs béliers d’époux qui étaient bien plus embêtants à convaincre de suivre. Un tas de poules qu’on avait enfermé dans les cages et postées sous les bâches et les toiles de tentes pour qu’elles ne soient pas trop nerveuses. Et puis, tractés sur les roues, y avait tellement de planches, de morceaux de bois vernis et peints, pour représenter les attractions avec lesquelles ils tentaient de soutirer des pièces et des cadeaux aux humains : Du Tape-Gobo avec les maillets, un jeu de quilles à faire tomber avec une fronde, des pancartes soigneusement dessinées pour représenter les numéros qui étaient montés et démontés à chaque étape du voyage — dont celui de Susi.
C’était là toute son existence. Pas de pays, pas de terre natale, elle était née sur une route, et elle demeurait sur la route. À écouter les aînés, les Halfelins ont toujours été comme ça : à jamais marcheurs. Même avec leurs petites jambes, il fallait trotter, comme ils trottaient depuis la nuit des temps.
« Rêvasse pas, Susi ! On doit faire grimpette !
– Roooh, elle rêvasse pas la cousine ; elle songe !
– Elle songe, elle songe ! Ah, on peut très bien songer en marchant !
– Parce que tu songes à des trucs, toi papa ? Je croyais que t’entendais le vent siffler dans ta tête tellement elle est vide !
– Tss tss tss ! Fait attention à ta langue, fiston ! »
C’était toujours Assmus qui avait réponse à tout — bien pour ça qu’il était bouffon, d’ailleurs. Il fit un petit sourire à Susi, et reprit sa marche en tirant de la langue. Il n’était pas aussi sportif que son paternel, qui était bien solide pour un Halfelin. Le trio escalada une petite butte, suivis par Gigot et Futé qui traînaient dans leurs pattes. Ils passèrent sur un plateau de verdure, et, alors, s’étalait devant les yeux de Susi un horizon magnifique.
On aurait dit qu’un colosse s’était saisi d’un marteau et d’un burin pour tailler des menhirs à sa hauteur. Une immense forêt de sapins tapissait de hauts-plateaux, tandis qu’une eau cristalline irriguait des prés gras. À la lueur d’un ciel bleu, des oiseaux revenus du sud volaient dans une élégante nuée, tandis qu’au sommet de certains pics, on devinait, en plissant très fort des yeux, quelques monticules de pierres qu’on aurait pu facilement confondre avec le reste de la roche — c’étaient ces vieilles ruines Naines, obligatoires dans les montagnes, laissées à l’abandon depuis des millénaires maintenant. Aux pieds de ces montagnes, quelques chaumières en torchis, d’où s’échappait la discrète fumée de foyers probablement bien chaleureux, on voyait les nouveaux habitants de cette terre si grande et si belle.
Un peu haletant, Assmus fut loquace :
« Alors… C’est ça, le Westermark ? »
Drido observa l’horizon. Posa ses poings sur ses hanches. Et approuva d’un hochement de tête.
Alors, le bouffon pouffa de rire. Et tonton Drido, peu causant, se contenta de sourire — d’un beau, et vrai sourire, rayonnant, qui découvrait ses fossettes au coin de ses joues glabres.
C’était ça, leur récompense, pour des jours longs et des nuits courtes, de froid mordant, de repas bien maigres — et Esméralda sait que les Halfelins sont attristés par des repas frugaux — de pleurs de bébés, de grognements de vieux, de chiens à engueuler, de prières constamment murmurées et de cœurs qui palpitent en voyant le risque d’un accident mortel au détour d’une falaise.
Les êtres humains, en observant tout ce qui les entoures, imaginent que tout doit forcément appartenir à quelqu’un : Telle forêt à tel seigneur, tels bovates de terres à telle église, et les sillons, et les vignes, et l’eau courante qui font tous l’objet d’interdits et de plaintes. Mais les Halfelins n’ont pas les yeux des Hommes. Le Westermark, c’était ce que Susi voyait : et ce qu’elle voyait, c’était à tout le monde. Toute une terre qui s’offrait au cirque Bonchardon. Peut-être un endroit où être prospère, et heureux.
Alors, comme si c’était un agrégat secret entre les trois, il y eut un instant de contemplation silencieuse. Drido s’agenouilla pour gratouiller le ventre que lui offrait Gigot, tandis que le bouffon sortait d’un pochon un peu de tabac qu’il chiqua bruyamment.
« Bon allez les jeunes ; je sais que vous voulez être tires-du-flan, mais j’ai hâte qu’on s’installe dans un endroit tranquille où on aura un vrai repas !
Je vais prévenir la caravane, traînez pas ! »
Le vieux tonton Drido s’éloigna un peu, tandis que Susi et Assmus restaient tout deux à contempler l’horizon. Le maître-chien se mit bien en évidence, et comme il avait fait pour rappeler ses cabots, il posa ses doigts dans sa bouche pour siffler très fort.
Une fois parti, les deux jeunes Halfelins étaient tous seuls sur leur bout de falaise. Le bouffon eut un petit sourire, et il parla à voix basse.
« C’est une belle vie qu’on a quand même. J’imagine pas en avoir une autre. »
Il tourna ses talons. Contempla le chemin qu’ils avaient emprunté ; d’ici, le Reikland paraissait tellement loin… Que l’Empire était grand. Susi n’avait fait que marcher, d’un point à l’autre, pendant dix-neuf années, et pourtant, elle n’en était jamais sortie. On aurait dit que partout où il y avait un horizon, ça appartenait aux Hommes.
« Dis-moi, par curiosité : T’as jamais réfléchi à des… À des trucs pour pimenter ton tour au cirque ?
Enfin je veux dire, très bien, oui, t’es douée pour te sortir de menottes… Mais hé, tu imagines si la cage était en feu ?! Ah, on s’ennuierait moins quand même ! »
Il disait ça avec une grande grimace — il était évident qu’il n’était pas sérieux. Il arrivait souvent au bouffon d’être taquin, mais jamais de véritablement penser à mal de quelqu’un. Ce n’était pas lui, le plus commère ou le plus médisant de la troupe.
Alors, ils profitaient d’être seuls pour un peu discuter, tranquilles, le temps de retrouver leur haleine empestant le tabac froid.
La caravane passait sous eux. Alors les deux jeunes suivirent le chemin qu’avait emprunté Drido pour rejoindre la troupe. Ils arrivaient au chariot le plus en arrière, où quatre Halfelins étaient assis avec les truies et du bric-à-brac en tout genre. Sans l’arrêter, Susi et Assmus s’agrippèrent au bois et montèrent à l’arrière, vite aidés par des mains tendues. Ils pouvaient enfin s’asseoir et se reposer, tandis que maintenant, tandis que le convoi quittait petit à petit la passe de montagne, c’était toute la famille Bonchardon qui pouvait découvrir la magnifique vallée verte vers laquelle ils s’élançaient.
Il y avait un des frères de Susi juste là. Rimi, le compagnon de tours d’Assmus, ne pouvait pas s’empêcher de jeter une pique à sa sœurette :
« Ha bah alors, Tristepanse ! Pas trop fatiguée ? T’as l’air toute pâle ! Faut manger, hein !
– Roh, Rimi, s’il te plaît…
– Bah quoi ? J’ai rien dit de mal ! C’est vrai qu’il faut manger ! »
Folbouffon avait beau être tout gentil lorsqu’il était en privé avec Susi, il n’était pas non plus du genre à la défendre devant ses frères. Il se contenta plutôt de faire un petit sourire gêné alors qu’il s’écrasait devant Rimi.
Celui-ci tapota l’épaule d’un Halfelin âgé qui somnolait un peu à ses côtés.
« Eh, dis donc, Beauconteur, toi qui sais toujours tout sur tout…
Pourquoi ce Col, on l’appelle la Dame Grise ? »
Perrin Beauconteur papillonna des cils. Regard Rimi. Et soupira un peu.
« Si tu me réveilles, t’as intérêt à avoir un truc pour moi ! »
Rimi sourit, et lui tendit une pipe : Si Susi chiquait, Perrin avait toujours préféré fumer. Il posa la pipe à son bec, et se pencha un peu au-dessus de Rimi, qui utilisa son briquet en amadou pour allumer le tabac bourré au fond — avec le froid montagnard, il dut bien faire claquer le silex quatre ou cinq fois pour produire une étincelle bien éphémère. Mais enfin, Perrin colla son dos à la charrette, avala bien la fumée dans tous ses poumons, et recracha par le nez avec un petit sourire.
Beauconteur était un des aînés du cirque. C’était également un des deux grands-pères de Susi — et il insistait assez lourdement, pas qu’auprès d’elle d’ailleurs, pour espérer devenir arrière-grand-père avant de mourir. Malgré son âge vénérable, qui lui épargnait la plupart des corvées manuelles, il avait encore bien assez d’esprit et de verve pour bien gagner son pain. Un bel Halfelin grassouillet, aux rouflaquettes blanches et au crâne qui commençait à dégarnir, ses rides étaient plutôt estompées par son gras, et avec la température, il avait de grosses joues bien rouges. Il gagnait sa vie parce qu’il connaissait des centaines, et des centaines d’histoires par cœur, juste en les récitant dans sa tête. Des légendes, des fables, des petits contes qu’il offrait avec plein d’emphases pour amuser les petits, tandis que cousine Poppy agitait des marionnettes pour illustrer ses paroles. Certains soirs, il passait aux sordides récits d’horreur, toujours les nuits de lune verte, pour profiter du reflet de la lumière pour se faire plus impressionnant et intrigant qu’il n’était… Devant un public plus averti, il avait même tout un répertoire intarissable d’anecdotes très osées, d’histoires d’amour bien polissonnes, qu’il pouvait maquiller en une hagiographie pieuse de Taal et Rhya pour se faire faussement modeste, peu importe à quel point il était obscène.
Lorsqu’ils arrivaient en ville, Beauconteur partait toujours tout seul. Parlait à tout le monde, tout le temps, sans jamais craindre d’importuner ou de mettre mal à l’aise. Comme ça que, alors qu’il n’était pas lettré, il semblait toujours tout savoir sur tout.
Et maintenant que Rimi lui avait permis de fumer sa pipe, il fallait se préparer à encore écouter une de ses affabulations.
« Oyez, oyez, mesdemoiselles et messieurs, jeunes et moins jeunes.
Il y a mille ans d’ici, le grand guerrier Sigmar unifiait tous les peuples humains qui existaient, chaque homme, chaque femme, chaque enfant humain reconnaissant en lui le grand Roi qui les avait menés et protégés en vainquant moult ennemis…
…Enfin, presque tous les peuples humains qui existaient. Car de l’autre côté des montagnes, bien d’autres, fort nombreux, refusaient de reconnaître son gros marteau avec lequel il avait fracassé du Peau-Verte !
De ce côté des Montagnes Grises, vivent des gens que l’on appelle les Bretonni. Alors qu’ils étaient nés dans les mêmes forêts que tous les peuples de l’Empire, ils sont partis, et ont traversé ces cols et ces montagnes, comme nous, pour occuper un grand pays jonché d'époustouflantes ruines de villes qu’ont bâti les Elfes, avant qu'ils ne disparaissent au large de l'Océan Infini.
Les Bretonnis sont des gens grands, immenses, et forts, et obsédés par leurs chevaux ! Ah, il y aurait fort à digresser sur l’amour qu’ils éprouvent pour leurs montures, que ce soit sur le sujet de savoir si ce sont toujours eux qui les montent ou s’il arrive fréquemment que ce soit l’inverse, ou bien s’il fallait se demander qui de l’homme ou de la bête a été le mieux gâté par la Sainte-Mère Rhya lorsqu’il s’agit de ce qu’ils cachent sous leurs braies — mais soit, soit !
Tout forts et virils qu’étaient les Bretonnis, ils avaient un grand souci : ils sont nés, quelque part dans leur corps, peut-être leur pantalon, avec quelque chose qui ne cesse de démanger. Ils sont, un peu comme nos béliers, obsédés par le fait de tout saccager en chargeant, peut-être parce que parfois c’est la saison des amours chez eux, et qu’ils doivent évacuer un trop-plein de frustration. Pendant des siècles, les Bretonnis ont attaqué l’Empire, saccageant les villes frontalières, capturant des femmes qu’ils épousaient de force en les jetant sur les croupions de leurs chevaux, saisissant à la pointe de l’épée des joyaux et de l’or qu’ils ramenaient de l’autre côté des Montagnes.
Un jour, en revanche, l’Empire dût juger qu’ils cassaient un peu trop les pieds, alors, l’Empire décida de leur donner un bon coup de pied dans leurs couilles pour tous les calmer.
L’Empereur Sigismond le Conquérant, convaincu par le Grand Théogoniste de Sigmar, rassembla une grande armée, à laquelle il fit emprunter ce col, que nous avons mis tant de jours à traverser. Imaginez le même chemin, mais avec des milliers de chevaux, des dizaines de milliers de soldats, tous vêtus de hauberts de fer, avec des lances, et des massues, et des boucliers !
Insolents, les Bretonni arrivèrent pour vaincre Sigismond. Mais Sigismond, plus malin et plus féroce qu’eux, les massacra bien, et poussa jusqu’à une rivière qu’on nomme la Grismerie — seule une grande cité de montagne, aux murs bien trop lourds et épais pour avoir été construits par des hommes, qui plus est des hommes aussi demeurés que les Bretonnis, résista à l’offensive. On nommait cette ville Parravon, et elle fut probablement la seule chose qui sauva les Bretonnis.
Afin de s’assurer qu’ils ne viendraient plus jamais embêter notre Empire, Sigismond décida de fonder une province. Toute la terre qu’il venait de prendre, il la nomma Westermark, et il la donna entre les mains d’un margrave. Le Westermark se truffa de mottes castrales, et accueilli de nombreux colons qui quittèrent le Reikland pour fonder des hameaux et des bourgades, et vivre bien paisiblement.
On raconte que dans les villages du Reikland, il y avait une femme qui s’appelait Fretha. Son époux était un homme libre du sud de cette province. Lorsque Sigismond rassembla un champ de guerre, l’homme prit sa lance et son bouclier, et partit rejoindre l’Empereur à la guerre comme il était de son devoir — mais alors que les guerriers rentraient dans leur pays, le mari de Fretha ne revint jamais.
Alors, Fretha s’élança vers le Col. Elle le chercha, en voyageant d’un côté à l’autre des montagnes. Elle le chercha, et l’attendit, un jour. Une semaine. Un mois. Des années. Elle attendit son mari jusqu’à devenir une vieille femme, ses longs cheveux blonds devenant des mèches blanches. Elle l’attendit, et on raconte qu’elle n’est toujours pas morte — elle surgit quelques fois auprès des voyageurs, depuis des siècles maintenant, en demandant à qui veut bien l’entendre si on n’aurait pas vu un jeune soldat qui est l’amour de sa vie.
C’est pour cela que ce col appartient à la Dame Grise. »
Il retira une bouffe sur sa pipe, mais à force de parler et de pas fumer, elle s’était éteinte. Il tapa sur le genou de Rimi, qui la ralluma pour lui.
Et puis, le frère devait se sentir drôle, parce qu’après un petit silence, il pouffa de rire :
« Hé beh, je me dis, attendre… Combien de siècles, Beauconteur ?
– Hm ? Hm… Oh… La fondation du Westermark, attend, ça remonte à… Hm…
Cinq cents ans. C’était y a cinq siècles.
– Cinq siècles à attendre son amant ! La vache, elle doit s’ennuyer la Dame Grise ! Moi j’pourrais pas attendre aussi longtemps sans femme, je me demande comment elle faisait quand elle avait une crampe pour patienter ! »
Puis il lança un regard plein de malice à Susi.
« Toi tu dois savoir ! Comment elle a dû faire pour attendre aussi longtemps, la Dame Grise ?! »