Les jours passent, mais il est des plaies que le temps peine à guérir. Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis les événements de Tor Velanor ; pas assez peut-être pour apaiser les esprits. La compagnie d’Ori Æn Elle avait été grandement réduite du fait de la décision du jeune prince de se séparer de la majorité de la troupe pour son voyage vers Tor Anroc. Ainsi, seuls Ætinis, Godion, Melhira et Yrin l’accompagnaient encore en cette heure. Certains adieux avaient été plus aisés que d’autres à prononcer ; parmi les plus difficiles comptaient certainement ceux de Cyrielle Nagaril et Ori, et évidemment ceux d’Ætinis et Nalthaël. Curieusement, Vanora Velanor n’était pas présente au petit matin pour leur souhaiter bonne route ; ce rôle était finalement revenu à Orion le Lucide, en l’absence de l’archimage millénaire. Ayant retrouvé le prince Daruil Il’Ithar et sa propre troupe, Ori l’avait informé de son choix de se rendre avec lui à Tor Anroc en qualité de négociateur, afin d’appuyer ses efforts pour maintenir une paix dans l’Ouest d’Ulthuan. L’escorte du prince Daruil était composée d’une petite vingtaine de heaumes d’argent, Ithiltaen en elfique, tous issus de familles de la petite ou haute noblesse de Tor Anroc. Le heaume d’argent blessé au flanc par le trait de l’assassin avait finalement survécu, bien que son teint pâle et son équilibre chancelant laisse penser qu’il aurait besoin de soins supplémentaires une fois parvenus à destination. Daruil avait naturellement invité Ori à chevaucher en tête, avec lui et Mirai de Caledor, Ætinis, Godion, Melhira et Yrin positionnés immédiatement après eux. Le voyage avait notamment été l’occasion pour Ori de s’informer auprès de Daruil au sujet de la situation politique qu’il s’apprêtait à découvrir à Tor Anroc. Quant à Ætinis, elle avait pu en comprendre les grandes lignes, à la mesure de sa propre éducation, et au gré des bruits de cavalcade. Elle n’avait, après tout, rien d’autre à faire, si ce n’est méditer sur les événements récents. |
Tor Anroc était la plus grande cité d'Ulthuan à l'Ouest de l'anneau des Monts Annulii, que seule égalait Anlec, en Nagarythe, où Ænarion le Défenseur tint un temps sa cour. Le fier peuple de Tiranoc était depuis longtemps reconnu pour son savoir-faire dans la navigation, ou encore la fabrication de chars, aussi rapides que maniables. Leurs villes étaient bâties de pierre et de marbre blanc, décorées de nombreuses dorures du fait de l'abondance de matériaux issus des colonies. Tor Anroc ne faisait pas exception, et l'on disait que son faste était l'une des fiertés d'Ulthuan.
La cité était de fait dirigée depuis des générations par une des plus anciennes famille de la noblesse d'Ulthuan, dont le représentant actuel était l'Archonte Cyrion. C'était là le titre traditionnellement donné au dirigeant de Tor Anroc, auquel venait s'ajouter, selon les besoins de l'étiquette, plusieurs appellations. Ainsi était-il également nommé « Œil du Dragon », en référence à une légende selon laquelle il reçut du dragon auquel il se lia le don de lire la vérité au fond des âmes. Enfin, « Arbitre de l'Ouest » était-il pour ceux souhaitant flatter son rang de régent des territoires de l'Ouest au nom du Roi Phénix. Ce dernier point s'expliquait naturellement du fait que l'Archonte Cyrion, au même titre que d'autres seigneurs de grandes cités comme Valarion Æthil, siégeait au conseil des électeurs des Rois Phénix, et avait appuyé la candidature d'Imrik de Caledor, contre celle de Malékith de Nagarythe.
Tor Anroc était donc bien plus qu'un pôle stratégique de l'Ouest, c'était une arène politique, au sein de laquelle s'affrontaient le « Parti de la Guerre » et le « Parti de la Paix ». Daruil était une figure majeure de ce dernier camp, comme l'était son père, récemment assassiné dans de troublantes circonstances.
Comme ils approchaient enfin de l'une des entrées de la capitale de Tiranoc -et peut-être de l'Ouest- plusieurs cavaliers vinrent à leur rencontre. L'un d'eux s'adressa avec déférence au prince Daruil, lui souhaitant un bon retour à Tor Anroc, et lui assurant que la nouvelle de son arrivée courait déjà en ville depuis la veille, pour la plus grande satisfaction de la garnison. Manifestement, Daruil Il'Ithar était très apprécié des soldats sous son commandement On leur ouvrit donc les portes, prenant en charge le blessé dans le même temps. Lorsqu'il se tourna vers Ori, les yeux du prince Daruil traduisaient la sincère joie d'être de retour chez soi, cette même émotion que le prince originaire de Nagarythe savait reconnaître entre mille. Cette expression était d'autant plus rare chez Daruil, Ori ne lui connaissant qu'un regard triste ou sérieux.
« Bienvenue à Tor Anroc, prince Ori Æn Elle. Je serais honoré de vous héberger, si vous le souhaitez, dans l'attente de votre introduction à la cour de l'Archonte. » |
A mesure qu'ils s'enfonçaient dans la ville, Ori comme Ætinis commencèrent à découvrir un époustouflant paysage, progressivement dévoilé devant leurs yeux. Tor Anroc était en soi un spectacle mémorable, par son étendue comme son architecture. Pierres blanches et marbre immaculé semblaient habiller le moindre bâtiment, la moindre tour, où que porte le regard. Autour d'eux, les citadins qu'ils croisaient bien souvent reconnaissaient Il'Ithar, parfois les saluaient, quelquefois les acclamaient. Derrière eux sonnaient moult carillons, dans les échoppes et les habitations, célébrant le retour d’un prince aimé du peuple. Au loin, surplombant la majorité de la cité, plusieurs édifices se distinguaient de l'ensemble. Désignant le plus titanesque d'entre eux, qui comptait les plus hautes tours, autour desquelles l'on pouvait voir planer au moins deux silhouettes de dragons. Daruil expliqua qu'il s'agissait de la citadelle de l'Archonte, où se tenait la cour. Les autres palais, en divers points de la capitale de Tiranoc, étaient de moindres dimensions, quoique témoignant toujours d'un faste comme il était rarement donné d'en contempler en Ulthuan. C'est de l'un de ces manoirs d'albâtre, juché sur une petite colline, dont ils prirent la direction.
Tor Anroc |