[Anton] La Complainte du Solland

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[MJ] Le Grand Duc
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Jan Möbius semblait plus à l'aise maintenant qu'ils parlementaient dans le salon particulier, à l'abri des regards. L'air anxieux qu'il affichait quand il était entré dans l'auberge avait cédé la place à une expression affable et à un sourire protocolaire. Il écouta le baron de Terre-Noire avec attention, hochant la tête à intervalles réguliers pour lui donner raison. Oui, c'est une sale époque pour les affaires. Tout à fait, les vins tiléens inondent le marché. En effet, les troupes de gardes privés coûtent une fortune. Il leva les yeux vers le plafond avec fausse modestie avant d'incliner la tête en signe de gratitude aux derniers mots d'Anton.

- "Je vous remercie du crédit que vous accordez à mon modeste avis, Herr Von Adeldoch, mais je ne suis qu'un humble marchand et je n'entends que peu de choses à la politique, j'en ai peur. Mes connaissances s'arrêtent au commerce, et je me contente d'exercer mon mandat de délégué de la Maison des Guildes avec dévouement et bon sens. Vous l'avez dit, les temps sont durs. L'insécurité règne, la concurrence étrangère se fait plus hardie de jour en jour et les marchands de Pfeildorf traversent une période difficile où beaucoup sont obligés de vendre leur affaire au plus offrant ou de s'endetter à des taux scandaleux. La politique menée par Nuln en matière de commerce se veut innovante et favorable aux échanges avec les autres nations. C'est là une chose louable, Händrich en soit témoin, mais la suppression de nombreuses taxes et autres droits de péage porte préjudice à l'économie de Pfeildorf et des environs qui peine à tenir la dragée haute aux riches maisons marchandes étrangères. Tenez, la semaine dernière encore, la Maison Di Saltarelli de Tobaro a racheté pas moins de trois des neuf entrepôts que la Maison des Guildes détient dans le Solhafen."

Le Solhafen était l'un des quartiers les plus animés de Pfeildorf, s'étendant à l'Ouest de la ville de part et d'autre du mur d'enceinte. C'était l'un des cœurs battants de la ville, où se trouvaient les quais animés qui donnaient sur la Sol. Des péniches y accostaient jour et nuit et l'endroit grouillait de manœuvriers, de matelots, de débardeur, de collecteurs de taxes, de marchands, de gardes, de voleurs et de miséreux.

Jan Möbius, peut-être à dessein, ne faisait guère de référence directe au Sudenland et se contenta de mentionner Pfeildorf à plusieurs reprises. Ce n'était guère surprenant en vérité, tant il existait de différences entre les "sudenlanders du Nord" et les "sudenlanders du Sud." Les premiers vivaient dans l'ancienne capitale de la province et dans les riches bourgades qui entouraient cette dernière. Idéalement placés dans le bassin formé par la confluence de la Sol et du Reik Supérieur, ils vivaient principalement des plantations céréalières telles que le blé ou le seigle, des vignes et surtout d'un commerce florissant. Les seconds étaient éparpillés dans de petits hameaux nichés dans les contreforts des Montagnes Noires ou dans les forêts avoisinantes et formaient une populace plus rude et habituée à la vie dans les collines, loin du grouillement incessant des villes. Ils étaient pour la plupart des berger, des bûcherons ou des mineurs et misaient principalement sur l'élevage du mouton et l'exploitation des ressources naturelles telles que le bois, la pierre, la houille ou le fer. Enfin, ceux du Nord considéraient ceux du Sud comme des rustres arriérés et ceux du Sud considéraient ceux du Nord comme des lopettes fardées, ce qui ne manquait pas de compliquer encore un peu plus les choses.

- "Arh, veuillez accepter mes excuses, je vous endors avec mes considérations de commerçant. Vous m'avez fait venir ici pour me demander mon avis, aussi vais-je vous le donner." continua Jan avec un sourire poli. "La Guilde des Tondeurs est en effet une institution hautement respectée ici mais permettez moi de douter de leur capacité à mener des affaires qui dépassent de simples problématiques telles que le prix de la laine ou le marquage des troupeaux. Ce sont des gens riches et influents mais fort peu versés dans l'art de la politique et dont la plupart n'ont reçu qu'une instruction sommaire et un sens des relations limité." dit-il avec une expression désabusée avant de boire une gorgée de bière. Il regarda Anton quelques secondes en pinçant les lèvres avant de reprendre. "Vous semblez fonder beaucoup d'espoirs sur ce prince étranger et je dois avouer que votre engagement soudain en a surpris plus d'un. Il est rare de voir ainsi quelqu'un renoncer à un tel titre pour s'incliner devant un autre prétendant, et cela est tout à votre honneur, baron. Mais, et vous le reconnaissez volontiers vous-même, je doute qu'un tel arriviste puisse emporter l'adhésion du Conseil. De plus, et quand bien même ses revendications seraient fondées, les Toppenheimer ne permettrai pas l'éventualité de céder leur place. La Grande Comtesse Emmanuelle von Liebwitz, Sigmar veille sur elle, semble leur accorder sa confiance pour administrer la province en son nom, et ce malgré le scandale provoqué par les activités immorales de feu l'héritier de la baronne Etelka, Olaf Sektliebe. Forte de cette présomption, je suis certain que la baronne ne se débarrassera pas aussi facilement d'une occasion de prétendre au titre de Comtesse Électrice du Wissenland ..."

Devant l'éventuel air surpris d'Anton, le délégué de la Maison des Guildes se contenta d'écarquiller les yeux.

- "Allons baron, vous ne me ferez pas croire que vous n'êtes pas au fait des rumeurs qui courent à Nuln !" lança-t-il. "Vous savez bien qu'on dit que la Grande Comtesse Emmanuelle négocie en secret avec l'Empereur lui-même pour obtenir à nouveau la séparation complète de Nuln et du Wissenland. Certains avancent qu'elle veut faire reconnaître un vote électoral pour sa ville, ce qui permettrait au Wissenland de conserver son propre vote. En échange, elle serai prête à consentir un prêt considérable au trésor de l'Empereur, ce qui n'est pas de trop quand l'on constate le coût qu'impose la reconstruction des provinces du Nord après les événements de la Tempête du Chaos. Si ces bruits sont fondés et qu'une telle séparation devait arriver ... il faudrait alors trouver quelqu'un pour exercer la charge de Comte Électeur du Wissenland." dit-il l'air de rien. "A mon humble avis, le Comte Bruno Pfeiraucher ou la baronne Etelka Toppenheimer me paraissent les candidats les plus à même d'être désignés."

Bruno Pfeiraucher était issu de l'une des plus anciennes familles de la province. A une époque pas si lointaine où le Sudenland était une baronnie indépendante jouissant de la dignité électorale, le comte s'était vu attribuer l'administration du Wissenland sous la houlette de Nuln. Aujourd'hui, il était quelque peu relégué au second plan mais dirigeait cependant les riches bourgades de Kreutzhofen et Grissenwald. A cinquante-six ans, c'était un homme robuste et austère qui bénéficiait de nombreux soutiens à la cour de la Grande Comtesse Emmanuelle et il représentait probablement la menace principale à l'hégémonie des Toppenheimer. Du moins pour le moment.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

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GERECHTFELD,
Auberge du Renard et du Chien

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C'est, j'imagine, un grand honneur pour le Sudenland de savoir que l'argent prélevé sur le fruit de notre travail s'apprête à reconstruire les provinces du Nord en échange d'un droit de vote pour les amis de notre bienaimée Comtesse. Herr Möbius, vous savez comme moi que ceux qui nous dirigent n'ont qu'un piètre sens des affaires, tant qu'elles ne recoupent pas leurs tambouilles personnelles; je m'étonne de vous voir considérer avec autant de flegme l'éventualité d'un accroissement du pouvoir de la famille Topenheimer, quand on voit qu'elle laisse l'occupant étranger racheter pièce après pièce nos biens et nos possessions...

Anton but lentement une gorgée d'hydromel. L'animal était loin d'être ferré, mais il ne fallait certainement pas renoncer. Une négociation pouvait prendre place ici, il le savait; Möbius n'était pas le dernier des imbéciles, et s'il restait là à tenir le crachoir au baron, c'est qu'il avait ses raisons.

Personnellement je ne crains rien. Ma fortune peut souffrir des taxes, mais bien malin celui qui profiterait de ma faiblesse pour annexer mes terres. C'est là l'avantage du Sud n'est-ce pas... Pfeildorf en revanche change vite, je trouve. Vous savez, je pense que les Topenheimer auraient dû préempter la vente de ces entrepôts. Le Solhafen n'est pas un quartier anodin, et où va-t-on si la province perd ce qui est le cœur de son économie ?

Air négligent, comme s'il découvrait des pensées nouvelles qu'il énonçait au fur et à mesure, s'étonnant lui-même de ses découvertes. Innocent jeu de la diplomatie.

J'y pense, le Conseil lui-même aurait dû préempter ces entrepôts. C'est là une affaire d'autonomie économique, de souveraineté de la Province. Où nos marchands stockeront-ils leurs marchandises ? En retrait du fleuve, avec les surcoût que cela causerait ? Non, en réalité, cela ne ferait qu'accroître la dureté de la concurrence étrangère...

Le baron faisait mine d'ignorer les tarifs prohibitifs imposés par la Maison des Guildes sur le dépôt dans ses propres entrepôts. Le commerce n'était pas son affaire, du moins pas encore. Le peuple est toujours plus révolutionnaire lorsqu'il a faim, et c'était bien d'instabilité dont Von Adeldoch avait besoin en ce moment.

Enfin, je suppose que nous pouvons toujours agir en ce sens lors de la prochaine réunion du Conseil. Nous confierions la gestion des entrepôts à des patriotes qui ont l'habitude de telles opérations. Une majorité des deux tiers est toujours complexe à obtenir, mais il est vrai que si nous soulignons à quel point c'est un enjeu d'autonomie... Nous pourrions financer le rachat grâce à une taxe sur le halage des marchandises venus des autres régions par exemple; ce sont surtout eux qui encombrent le trafic fluvial aujourd'hui, il serait juste qu'ils en paient le prix...

Dialogue, insinuations, négociations à mots couverts suivirent. Difficile de savoir au juste ce qui intéressait vraiment un représentant comme Jan Möbius. Mais une chose était certaine, il fallait lever certains doutes...

Le Wissenland ne nous intéresse pas, Herr Möbius. Je n'ai pas besoin de vous rappeler la situation de notre économie du temps du rattachement à nos voisins. Nuln signifie des impôts, mais aussi un peu de force et de puissance de négociation; avec le Wissenland, nous n'aurons que les taxes, sans le pouvoir de la Comtesse. Cet héritier me semble légitime. Il me semble surtout arriver au bon moment pour demander une séparation rationnelle de notre terre du Solland de nos cupides voisins, pardonnez ma franchise. Les bourgmestres du Wissenland, électeur ou pas, ne voteront pas la restauration des vieilles routes et la rénovations des docks de Pfeildorf. Ce qu'il faut viser, c'est une véritable indépendance.

Économiquement l'Empire est à genoux. Nous n'avons pas à subir le diktat de nos voisins piètres gestionnaires, si vous voulez mon avis...


Retour des considérations générales et convenue. Le temps s'écoulait vite en phrases de ce genre. Ultime précision. Il était temps de clore l'entretien.

Cet héritier a du bon sens, et il peut se faire aimer de la populace. Il a décidé de mettre les coupes-jarrets aux frontières de notre Province, et de cesser l'hémorragie pécuniaire qui gangrène le Sudenland. Rien ne coûte de l'appuyer dans ses projets, du moins pour un temps. Otto m'a dit que certaines de ses connaissances dans les Guildes pensaient de même; le père Max suit les signes de Véréna, et j'ai personnellement reçu certains soutiens de nobles que la discrétion m'interdit de nommer ici... il suffit d'un vote des deux tiers pour une reconnaissance après tout. Mais je suis de ceux qui croient que certaines voix ont plus de poids que d'autre, et j'aurais été fâché, comme vous m'êtes sympathique et raisonnable, que vous manquiez ce mouvement-là et que vous ne votiez point. Après tout nous sommes tombés d'accord pour dire que l'autonomie est la première des nécessités économiques de la Province, ce que je n'hésiterais pas à faire valoir à tous les partisans de l'indépendance si vous soulevez la question de Solhafen devant le Conseil.

Le moment critique approchait. Le représentant lui serrait-il la main, scellant un accord ainsi que cela se pratiquait dans ce genre de réunions informelles ?

A vrai dire, Anton manœuvrait un peu à vue. Selon sa théorie des équilibres et des contrepoids, il était urgent d'agir pour déséquilibrer la situation au maximum. Ce qu'il souhaitait avant tout, c'était un climat d'indépendance; les héritiers importaient peu, et cela le piètre politique Möbius, représentant de son état, ne l'avait pas compris. Ce qui comptait, c'était une dynamique politique. Le tout serait de manœuvrer ensuite pour en tirer le profit maximal.

Il quitta l'auberge a moitié satisfait, à l'idée de la longue nuit qui se préparait. Il avait encore bien des entretiens à tenir, et il espérait que cela se ferait sans trop de mal.
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PFEILDORF,
Faubourgs Extérieurs

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L'expérience avait enseigné à Anton que les Dieux ne sont jamais taquins au moment des grands enjeux. Les petites contrariétés de l'existence que certaines journées multiplient parfois dérisoirement n'avaient que rarement cours au moment des heures critiques.

C'est ainsi que le baron put en toute quiétude ranger sa monture dans une auberge médiocre située dans les faubourgs crasseux de la grande ville, et s'approcher sans mal d'une certaine poterne fort bien gardée assez connue des amateurs de promenades nocturnes. La garde en question était composée de deux soudards à l'air simiesques, qui faisaient à leurs meurtrières une surveillance acharnée afin de ne manquer aucune opportunité d'accroître leur maigre de solde d'extra nocturnes. Les informations du baron n'avaient jamais fait mention d'une quelconque brigade de macaques dans les effectifs des mouchards de la Martre; il prit cependant à tout hasard la précaution de rabattre sur ses yeux une pèlerine de voyage, et de ne verser son écot qu'avec ces petites pièces sales que l'on trouve toujours dans ses poches mais avec lesquelles le véritable aristocrate a tant de mal à payer.

Il doutait qu'on l'eut reconnu; mais il fit tout de même un ou deux détours dans la nuit, qui l'amenèrent jusqu'au Temple de Véréna d'une manière, il l'espérait, à n'être point suivi. Il fallait avouer pourtant que ses connaissances en filatures demeuraient bien maigre, et il n'aurait pu tout à fait jurer qu'on ne le filait pas. Ombre parmi les ombres, le baron remonta la Tempelplatz loin des lueurs des grandes torches du temple de Sigmar, et s'engouffra dans le lourd parvis à colonnades du temple de la déesse de la Justice.

L'entrée discrète qui bordait les grosses portes de la salle principale convenait parfaitement à Anton. Il n'avait jamais encore eut recours aux salles mises à disposition par le Temple, même s'il avait déjà fait emprunter quelques ouvrages généalogiques et des documents officiels par serviteur du Conseil interposé. Immensité assez peu éclairée, mais à l'air sec et léger, le temple semblait curieusement à taille humaine malgré les statues et les dizaines de colonnes démesurées qui s'alignaient le long des murs. Il ne fallut aussi pas très longtemps au baron pour trouver les quartiers du maître temporel des lieux, le Père Max.

A vrai dire, le baron dut se ranger sous une de ces fameuses colonnes pour se dissimuler aux yeux d'un homme pressé qui quittait à l'instant les lieux où siégeait de nuit le Père Max. Visiblement, c'était là une pratique reconnue que d'aller, encagoulé, chercher les conseils de celui que l'on disait un des hommes les plus incorruptibles de Pfeildorf. L'ombre mystérieuse éloignée, Anton pénétra dans la lumière de la salle.

Bonsoir mon Père. J'espère que je ne vous dérange pas. Je suis venu car j'ai besoin de comprendre les desseins de Véréna pour notre Sudenland. Pouvez-vous m'aider ?

Salutations d'usage, paroles dan le vent. Le Père Max était un habitué de ce genre d'introductions. Il fallut que le baron développe un peu.

Il m'a semblé que si cet homme était appuyé par le clergé de Véréna, c'est qu'il s'agissait bien de l'héritier des Comtes de jadis, et il m'a semblé aussi que l'occasion était bonne pour faire avancer la cause de l'indépendance, qui s'avère bien celle de la justice. J'aimerais connaître les pensées de votre déesse, ou de ses représentants, sur cet important sujet. On ne peut certainement pas ignorer un tel présage,, si ?

L'objectif d'Anton était simple; s'assurer de l'identité du prêtre qui accompagnait le prince étranger, dans un premier temps. Connaître l'opinion du Père sur la situation dans un second temps, tout comme savoir ce qui préoccupait Véréna en ce moment dans le Sudenland et qui pourrait faire office d'élement de négociation; les années passées par le baron à la cour et ses intrigues l'aideraient certainement à amener la conversation sur un tel terrain.

Il serait toujours temps après d'entamer de discrètes palabres pour s'assurer d'une voix de plus au Conseil.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 28 sept. 2015, 20:56, modifié 2 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

GERECHTFELD,
Auberge du Renard et du Chien
Jan Möbius se contentait de hocher vaguement la tête en clignant lentement des yeux avec une mine affectée, l'air de donner raison à Anton sans pour autant participer à la discussion, comme on pouvait parfois le faire quand on se retrouvait face à un ivrogne décidé à raconter ses mésaventures pendant des heures. Son regard s'éclaira en revanche lorsqu'il fût fait mention du rachat des entrepôts du Solhafen. L’acquiescement se fît plus vigoureux et le délégué se redressa quelque peu sur son tabouret. Lorsqu'ils eurent fini de discuter, Jan se leva et serra chaudement la main d'Anton.

- "Refuser votre proposition serai contraire aux intérêts que je défends, Herr Andeldoch. Vous avez mon soutien en ce qui concerne l'acquisition de ces entrepôts." dit-il avec un sourire avant de réarranger rapidement la plume de son béret.
Test de Char + 1 (Intrigue de Cour) : 3, réussite.
- "En revanche, permettez moi de vous donner un conseil, entre amis ..." dit-il sur le ton de la confidence. "Provoquer un vote pour reconnaître ce Falco comme l'héritier de la couronne du Sudenland me semble futile. Son ascendance est de toute façon établie par la généalogie qui nous a été présentée, cependant cela ne retiendra pas la baronne Etelka de faire tout ce qui est en son pouvoir pour refuser quelque distinction que ce soit à votre poulain. Si partition entre Nuln et le Wissenland il y a, la baronne ne permettra pas que l'on puisse prétendre à accorder son indépendance au Sudenland, ou du moins pas à Pfeildorf, et encore moins qu'on la confie à un étranger avec qui elle n'a probablement aucun lien."

C'est sur cette confidence et après quelques formules d'usages que le délégué de la Maison des Guildes pris congé de son hôte, quittant l'auberge pour rejoindre son garde du corps et enfourcher son cheval avant de piquer des deux afin regagner discrètement la ville endormie.

PFEILDORF,
Temple de Véréna
Les bottes d'Anton claquaient contre le carrelage en damier noir et blanc à mesure qu'il traversait les galeries garnies de colonnes qui menaient aux appartement du Père Max. Quelques candélabres en bronze éclairaient les couloirs silencieux que remontait le baron en quête de conseils. Bientôt, il arriva devant une porte en bois taillée en ogive et gardée par un chevalier en armure de plate complète qui se tenait debout, une main ganté tenant la hampe d'une impressionnante hallebarde décorée. Son casque à la visière en fente était piqué de deux plumes blanches et beiges, et il portait un tabard d'albâtre frappé d'une lame piquant vers le bas dont la garde symbolisait une balance, et qui l'identifiait clairement comme un frère du Vénérable Ordre de l’Épée et de la Balance. L'imposant fidèle bardé d'acier examina Anton de haut en bas puis lui demanda son nom, avant d'ouvrir la porte du bureau du Grand Prêtre et d'annoncer le visiteur nocturne, la voix étouffée par le métal qui lui ceignait le corps. Il quitta la pièce dans un grincement métallique continu et referma dernière lui.

La salle était à peine plus grande qu'une chambre d'auberge et principalement occupée par un large bureau central en chêne qui était encombré d'impressionnantes piles de parchemins, d'ouvrages divers et variés, de calepins noircis d'inscriptions, d'encriers bleus et de plumes de cygne. Des bougeoirs étaient disposés ça et là, diffusant une lumière dansante dans la pièce tandis que quelques boulettes de gomme se consumaient lentement dans un encensoir en or perdu entre ces montagnes de dossiers et de manuscrits, propageant une odeur lourde et capiteuse. Une grande fenêtre gothique laissait entrer une brise fraîche et donnait sur un cloître à l'intérieur du temple. Le reste de la pièce était occupé par de lourdes étagères croulant sous les grimoires, les recueils et autres rouleaux et par une commode sur laquelle trônait une statue en marbre de la déesse de la Justice, une balance dans la main et une chouette posée sur l'épaule. Un siège curule était posé devant le bureau encombré et de l'autre côté, assis sur une chaise à haut dossier, le Père Max attendait malgré l'heure tardive, les doigts joints sur un livre ouvert en son milieu.

C'était un homme à l'allure austère, au crâne dégarni et à la longue barbe blanche. Il portait une robe brune ouverte sur le devant. Deux yeux brillants d'intelligence perçaient son visage fermé et ridé, et sa bouche sèche formait toujours une ligne immobile au point où on disait qu'il ne souriait jamais. Malgré cet air sévère, il était connu pour être un homme intègre, humaniste et altruiste. Il tenait la justice en haute estime et était l'auteur de nombreux traités de droit et de textes de loi, et siégeait également comme magistrat au tribunal de Pfeildorf. Théologien reconnu, il fut professeur à l'université de Nuln pendant de longues années où il tenait la chaire de philosophie aux côtés de Marieka van der Perssen, par ailleurs Grande Prêtresse du temple de Nuln et matriarche des soeurs du couvent de Notre Dame des Lumières. Nombreux étaient ceux, comme Anton, qui venaient lui demander conseil et il dispensait toujours sa sagesse avec bienveillance et compréhension, bien que ces dernières années et les événements politiques qui secouaient le Sudenland l'aient rendu amer.

Image
- "Soyez le bienvenue en ces lieux, Herr Adeldoch." l’accueillit le prêtre de sa voix légèrement chevrotante. "Cet homme dont vous parlez est effectivement l'héritier de la couronne du Sudenland, à condition que le document qu'il brandit à l'appui de ses prétention soit authentique, bien entendu." dit-il ensuite sans bouger d'un pouce, immobile et droit contre le dossier de sa chaise. Seules ses lèvres se mouvaient à peine et ses yeux vifs fixaient le baron. "Je connais le Père Christoph, qui accompagnait le prince au Conseil des Pairs. Il officie en effet au temple de Nuln, où il est archiviste. Cependant, l'ouvrage qu'il a cité lors de la réunion ne peut provenir des bibliothèques de l'Empire, sans quoi je serai au courant. Je dois avouer que je suis curieux quant à sa provenance, mais pour autant nous devons faire preuve d'impartialité et considérer cette généalogie comme authentique jusqu'à preuve du contraire afin de ne pas contrevenir à la réputation honorable du Père Christoph, par ailleurs fermement établie."

Le Père Max resserra sa longue robe de velours fauve et se redressa lentement. Il s'approcha de la fenêtre et regarda au loin, par dessus les toits, dans la nuit éclairée par les deux lunes.

- "Pour autant, les autorités du culte ne sauraient prendre ainsi parti pour une cause bassement politique, et se contentent de défendre ce qui leur semble juste, afin de faire respecter la loi et de garantir à ce prince ce qui lui revient de droit. Vous appelez cela un présage, baron, mais vous ne me trompez pas. C'est là une opportunité comme une autre, une ouverture dans cette bataille que vous autres livrez depuis toujours." Le Grand Prêtre se retourna vers Anton. "Votre père, Morr veille sur lui, a essayé avant vous et a échoué. Les voies du pouvoir sont tortueuse et vous, comme les autres, vous déplacez sur l’échiquier pour faire tomber le roi." La métaphore était-elle délibérée ? "Cependant, la cause que vous défendez est sincère et véritable, je le crois. Le peuple du Sudenland aspire à plus de liberté, de lumière. Chaque homme se croit maître de son propre destin, n'est-ce pas ?"

Le vieillard poussa un soupir désabusé et vint se rasseoir face à Anton, plongeant son regard acéré dans celui du baron.

- "Et pourtant, nous savons tous deux combien l'esprit des gens est faible et aisé à acheter. Le gouvernement de Nuln et les bourgmestres du Wissenland commandent à des foules dont ils ne connaissent rien. Peu leur importe, car les impôts prélevés ici enflent leurs coffres. Vous l'ignorez peut-être, mais vous avez de nombreux amis, à Pfeildorf. Le désir d'émancipation n'est pas encore mort, mais il est verrouillé et contrôlé par les autorités. Maints gentilshommes rêvent de voir renaître un Sudenland souverain mais se murent dans le silence et la soumission car c'est la peur qui domine les hommes. Et la peur est une ressource comme une autre que l'ont peu acheter aussi facilement que du pain ou du vin. L'or des citoyens est celui-là même qui finance les piques pointées sur leurs épaules."

Il marqua une courte pause, en profitant pour refermer délicatement l'ouvrage qui se trouvait devant lui de ses mains parcheminées.

- "Voilà qui est bien malheureux, Herr Adeldoch. Toute ma vie j'ai rêvé d'un gouvernement des hommes et de l'esprit, où chacun est libre, instruis et éclairé, où chaque duc, chaque boulanger, chaque bouvier participent à voix égales à la création d'une société fraternelle et pure. Mais l'âme de l'homme est noire, baron, et les aspirations du peuple ne sauront être dirigées par autre chose que l'or et la peur, le pouvoir et la mort. " dit-il, sinistre. "Les affaires politiques sont désormais aux mains des bourgeois gras et des nobles lymphatiques. Je suis Grand Prêtre de Véréna et, en tant que tel, je m'interdis de prendre part aux batailles d'antichambre que vous autres affectionnez. Mon devoir s'arrête à servir la Justice à travers les préceptes qu'Elle nous a enseigné. Aussi, je ne peux que vous mettre en garde. Vous avancez dans un jardin de ronces dont les dards auront tôt fait de vous transpercer si vous ne prêtez pas attention où vous posez le pied."
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

C'est la peur qui domine les hommes, Herr Adeldoch. La peur, la peur...

Je ne sais trop que dire, ni par où commencer. Les souvenirs foisonnent, envahissent ma tête. A l'âge où je portais que mon cœur pour toute arme, mon père qui se cloître et toujours sans réponse, envoie messagers sur messagers, tempête et grisonne peu à peu devant les portes closes d'un palais comtal fantasmé. Ce père terrible, inflexible. Moi à vingt ans, lui qui m'ordonne de revenir prendre à mon tour ce fardeau, ce dur harnais qu'il laisse tout rigide de ses efforts et de la sueur de ses dernières journées, la lourde traine de l'héritier d'un domaine qui n'existe pas, qui n'existe plus. Et les clefs de Terre-Noire.

Fuite après fuite, jusqu'en Arabie, jusqu'au soleil du désert et au retour au seuil de la mort, jusqu'à ce message funèbre qui me tend sa lettre en m'appelant baron. Que pouvais-je faire d'autre que revenir ? J'ai pris mon destin en main. J'ai bâti Terre-Noire un peu plus, à l'image de mes rêves d'enfant. J'ai fait sa fortune, son nom, ou du moins je m'y suis efforcé, vivant avec ces dix lettres inscrites de feu et de terre dans mon cœur alourdi. Chaque jour était un nouveau défi lancé à la face du monde. Chaque geste, chaque avancée, chaque recul aussi. Et puis je me suis cru tout-puissant, arrivé, destiné. Je règne sur ma vie ! N'est-ce pas ce que dit le Père Max, chaque homme rêve de prendre en main sa destinée ?

Mais là, enfin, je fatigue. Je doute. Cette immense montagne que je tente d'ébranler seul, car mon caractère me laisse instrumentaliser les hommes mais ne sait pas me les attacher, cette masse absurde, absolue, qui pèse d'un poids immense sur ma réalité, que puis-je lui faire ? M'agiter, diablotin stupide, m'attacher au succès de mes effets de manche, me glorifier du maigre basculement arraché au prix de l'usure de ma volonté ? C'est de la vaine gloriole, du prestige que je projette comme une poudre à mes propres yeux.

Comment changer seul le destin de milliers ? Comment faire comprendre un à un à chacun de ceux qui ont sur ma destinée une emprise démesurée l'importance de mes idées, de mon combat ? Les voir, un par un, tête par tête, les gagner cœur par cœur, mots par mots, je ne le puis. Je ne peux PAS. Cela me demanderai une éternité. Je n'ai que le peu de temps que les Dieux m'ont laissé.

Et pourtant! Pourtant! Je sais que les mots du Père Max sont vrais et sont faux. La peur est pour les autres, et je dois me battre conte la lassitude. La vie peut être morne, elle peut être souffrance, mais je la ferai héroïque. Je continue, ne serait-ce que pour pouvoir m'éveiller chaque matin et me regarder dans une glace en me disant que je suis quelqu'un. N'aller pas au bout, peut-être, mais avancer plus que personne, ce doit être mon leitmotiv, ma volonté, mon mantra. Je fais et je veux, je suis et j'existe.

Qu'ils viennent les minables, les pleutres, les accapareurs! Qu'ils accourent les médiocres qui ne voient pas le sens divin de l'effort tendu vers un but qui recule toujours. Je suis qui je suis car tous les jours je crée, par ma volonté, mon propre univers. Et je ne crains pas de recommencer chaque jour, en sublimant cette volonté, en m'efforçant tous les jours de suivre ce que je sais juste, ce que je sais être la voix de la raison. Il faut imaginer Sisyphe heureux, disait le sage au nez camus; moi je l'imagine, non je fais plus encore: je l'invoque, je le crée, je l'incarne! Et contre tous, contre les mauvais et les éléments, les craintes et les ordres, je continuerai à être heureux et à savoir, profondément, charnellement, ce que je veux faire.

Je veux l'indépendance de mon pays. Je la veux du fond du cœur, des tréfonds de mon âme au bout de mes doigts qui grattent cette plume, ce parchemin, en voyant l'aube se lever. Je veux que ces mots s'ancrent en moi comme je les encre sur ce parchemin, dans l'Empire tout entier, en lettres immenses. Et tant pis pour les pleutres calculateurs, comme ce commerçant de malheur. Tant mieux pour les idéalistes comme le Père Max, et pour tous ceux qui n'osent pas agir comme ils le voudraient. Il ne faut pas dire Je Vais, mais faire Je Veux. LA réalité est un pouvoir qui s'acquiert en faisant.

Demain, tout à l'heure, l'aube sera levée sur une nouvelle journée de l'Empire. Elle effacera dans les replis de la nuit mes adieux au Père Max, nos promesses et nos compréhensions mutuelles, ma course nocturne jusqu'à ce logement où enfant j'ai passé toutes ces nuits d'espoir, vu tant de fois revenir les traits tirés mon père, ce damné des hommes. Je me lèverai dans le jour nouveau et j'irai face à mon destin. Oui! Je serai celui que je dois être, un homme qui tient ses mots et respecte ses espoirs. Je ferai ce que j'ai à faire. Et aujourd'hui comme demain, de la fureur de mon sang et de ma voix, naitra ce pour quoi j'ai déjà donné ma vie et la donnerai encore

L'INDEPENDANCE. Enfin. Totale.

Et ensuite, appaisé, je courrai au sommeil qui me fuit.

A l'aube du dix-neufSigmarzeit de l'an 2532,

AVA

Pour que vive l'Empire.


Sans même un regard jeté aux stries d'encres jetées hâtivement sur le parchemin, les dents serrées, l’œil fou.

La peur... elle ne m'atteindra pas.

Le baron se jeta sur sa couche et ferma brutalement les yeux.

Le sang bouillonnait dans ses veines. Il était plus vivant que jamais et les Dieux seuls savaient à quoi demain le destinait.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 12 oct. 2015, 21:58, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Au petit matin, Anton von Adeldoch retourna en ville pour rencontrer les maîtres des guildes des Tanneurs et des Tondeurs dans une taverne discrète à deux rues de la Tempelplatz. Une serveuse guida le baron jusqu'à une arrière-salle où l'attendaient les deux élus, attablés entre des verres de vin blanc, un plateau de fromage et une coupe en porcelaine garnie de grappes de raisin.

Gunther Korb, le Maître de la Guilde des Tanneurs de Pfeildorf, était un homme à l'allure austère. Robuste, il avait de larges épaules, un catogan et une barbe broussailleuse et fournie. Il portait le lourd tablier de cuir usé, attribut traditionnel des membres de sa corporation. En dessous, sa tenue se résumait à un pourpoint passé sur un maillot de corps, des braies sombres et de solides bottes. Ce rude gaillard occupait la fonction de Maître de Guilde depuis de nombreuses années et était le propriétaire des célèbres tanneries Korb & Bach, installées hors de l'enceinte de la ville en raison des effluves nauséabondes qui en émanaient. De part sa fonction, il exerçait un contrôle rigoureux sur la production de cuir et de peaux dans la région. Les bottiers, gantiers, selliers-bourreliers et autres maroquiniers qui exerçaient en ville lui mangeaient dans la main et Herr Korb savait très bien tirer parti de cette situation à son avantage. En outre, et malgré son air d'ours mal léché et son caractère bien trempé, il bénéficiait d'une certaine popularité à Pfeildorf. Son établissement employait de nombreuses personnes généreusement rémunérées pour leur travail ingrat, et sa production de qualité alimentait la plupart des travailleurs de cuir de la ville. Ainsi, Gunther Korb représentait le premier maillon d'une chaîne d'artisanat de luxe qui faisait la fierté et la réputation de Pfeildorf dans tout l'Empire. Ce matin là, il écoutait Anton, l'air maussade, une longue pipe en bois jaillissant de sa grosse barbe. Ses mains étaient croisées sur ses avant-bras épais et velus.

Dietrich Eberwald tranchait singulièrement avec son homologue. Glabre, plutôt petit et sec, il portait les cheveux courts et un anneau argenté pendait de son lobe droit. Il était habillé d'une veste en cuir étroite et d'une tunique longue, et était chaussé de souliers vernis. Son col ouvert laissait voir une chaîne aux maillons d'or. Herr Eberwald était le dirigeant d'une guilde aussi ancienne que particulière, l'illustre Fraternité des Tondeurs du Sudenland. Ses membres étaient des travailleurs saisonniers qui se déplaçaient de village en village pour participer à la tonte des moutons, un évènement trimestriel qui revêtait une grande importance économique comme symbolique dans une contrée où l'élevage des ovins était prédominant. De part leurs déplacements perpétuels dans la région, les tondeurs de la guilde étaient connus de tous les paysans et jouaient un rôle majeur dans la vie des campagnes et des collines. En plus de leur profession, ils faisaient souvent office de colporteurs ou de messager et faisaient voyager les informations et les rumeurs jusque dans les hameaux les plus isolés. La vocation de tondeur se transmettait de père en fils. C'étaient pour la plupart des personnages singuliers, sans attaches, voués à une vie passée sur les routes. Ils partageaient des croyances et des rituels propres à leur métier et se réunissaient une fois l'an quelque part dans une vallée encaissée pour participer à des rassemblements aussi étranges que secrets. En outre, la majeure partie d'entre eux dégageait une puissante odeur de mouton. Dietrich Eberwald était l'un des rares à échapper à cette règle. De part sa position au sein de la Fraternité, il était destiné à passer le plus clair de son temps à Pfeildorf où il négociait les contrats de l'année à venir avec les représentants des seigneurs locaux et des propriétaires terriens. C'était un homme vif, intelligent et particulièrement bien informé. Il était donc important pour le baron de l’avoir dans son escarcelle. Dietrich écoutait Anton avec attention, égrenant lentement les grappes de raisin pour gober un grain de temps en temps.



La discussion entre les trois hommes se déroula à voix basse, seulement ponctuée par les passages de la serveuse qui venait régulièrement remplir la carafe en verre de riesling wissenlander.

Test de Char (-3) : jet caché.
Le maître-tanneur semblait profondément sceptique, et même ennuyé de participer à cette réunion informelle. Bien entendu, il partageait les vues du baron quant à l'augmentation de la taxe imposée par le Décret des Moutons, augmentation qui résulterait invariablement à une hausse du prix de la peau de mouton -l'une de ses principales matières premières- et donc de ses propres produits. Ses clients habituels se montreraient dès lors plus enclins à se diriger vers la concurrence étrangère à travers les commerçants qui faisaient remonter toujours plus de marchandises depuis l'Estalie et la Tilée, dont du cuir de moindre qualité mais sensiblement moins coûteux. En revanche, et malgré le fait que Herr Korb fut un sudenlander patriote dans sa jeunesse, il était désormais relativement insensible à la question de l'indépendance et se contentait de secouer lentement son imposante barbe avec désillusion.

- "Le Sudenland libre est mort et enterré." se contenta-t-il de répondre de sa grosse voix au ton désabusé.

Selon lui, le renforcement global de la pression fiscale, l'influence grandissante que les riches maisons tiléennes exerçaient sur le marché, l'omniprésence des Toppenheimer dans les affaires de l'ancienne province ou encore l'éloignement politique et institutionnel de Nuln découlaient d'une logique implacable résultant de nombreux facteurs trop obscurs pour qu'il daigne y accorder du temps ou de l'énergie. C'était un homme pragmatique, un ancien ouvrier qui s'était hissé au sommet à la force de ses bras et qui entendait bien conserver sa position. Mais ces nombreuses années passées à la tête de la Guilde des Tanneurs -ou peut-être autre chose- l'avaient rendu moins combatif et plus certain de son omnipotence. La concurrence ne lui faisait pas vraiment peur, car ses produits jouissaient d'une remarquable réputation et il était persuadé que les artisans de Pfeildorf n'oseraient pas faire pâlir le cachet qu'ils possédaient jusqu'à ce jour. En outre, il ne semblait pas porter de crédit au Prince Falco, pas plus qu'il ne souhaitait se préoccuper de querelles entre nobles sur des affaires de succession qu'il jugeait aussi vaines qu'inutiles, ou qu'il n'était intéressé par les offres tacites du baron.

- "Et quand bien même cet étranger serai reconnu comme l'héritier d'Eldred par le Conseil des Pairs, quel impact le résultat de ce vote aurait-il ? Le Conseil n'a aucun pouvoir décisionnel, seulement celui de formuler des propositions qui tomberont, vous le savez aussi bien que moi, dans l'oreille d'un sourd. Morr aura embrassé mes arrières petits-enfants que les Toppenheimer feront encore la pluie et le beau temps dans la province." releva-t-il en tirant sur sa pipe, bras croisés sur son large torse.

Il se montra en revanche moins rétif à la proposition de rachat des entrepôts du Solhafen. Il fut hésitant au début, comme si une voix intérieure lui interdisait de se prononcer franchement sur la question mais, l'argumentation d'Anton et le vin blanc aidant, il fini par grommeler quelque chose à propos des commissions exorbitantes de la Guilde des Charretiers et accepta de soutenir cette action à la condition que le baron s'assure que le vote soit unanime de la part des maîtres de guilde. Après cet aveu, Herr Korb se recula contre le dossier de sa chaise et resta silencieux, sa pipe entre les dents, comme s'il rongeait quelque noire pensée.
Test de Char (+1) : jet caché.
Son voisin sembla beaucoup plus réceptif au discours du baron. L’exposé de ce dernier sur la sécurité l’intéressa d’avantage que les digressions économiques ou politiques. Peu importait à Dietrich Eberwald si les marchands tiléens investissaient la ville ou si les biens et les services étaient surtaxés par les institutions financières de la province. Ce qui comptait à ses yeux, c’était le maintien de l’ordre établi, des traditions et des coutumes propres au Sudenland. Ce n’était pas un politicien opportuniste ou un citadin à la loyauté frivole, mais un campagnard dans l’âme, plein de cet honneur et de cette fierté rurale qui caractérisaient les gens de l’arrière-pays et des collines.

Les tondeurs du Sudenland étaient des hommes qui aimaient à revendiquer haut et fort leur indépendance et leur liberté de pensée. C’était des amoureux des grands espaces, des vagabonds taiseux et mystiques, plus habitués à vivre parmi les moutons que parmi les hommes. Les paroles d’Anton avaient éveillé une lueur dans le regard de Dietrich Eberwald, un homme probablement fidèle aux valeurs ancestrales de sa fraternité et qui était désormais coincé en ville entre ses innombrables clients et des piles monstrueuses de paperasse. Peut-être se revoyait-il plus jeune, prenant le sentier des grandes transhumances vers les alpages des Montagnes Noires au son de la cornemuse, ou encore assis face à un feu de camp quelque part dans une pinède sauvage, entouré de ses compagnons et de l’odeur rassurante du troupeau endormis. Toujours est-il que les arguments du baron le touchèrent, comme pouvaient en témoigner ses hochements de tête réguliers.


- "Vous avez raison, Herr Andeldoch. Les routes sont peu sûres, de nos jours. Pas plus tard que le mois dernier, quatre tondeurs ont été volés et assassinés par une bande de coupe-jarrets en revenant de Mendelhof. Cette situation ne fait qu’aggraver l’isolement des communautés du Sud, dont les bourgmestres de cette ville ne semblent pas faire grand cas." dit-il en jetant un regard à Gunther Korb avant de revenir vers Anton. "Vous êtes bien placé pour savoir que les paysans grondent au delà de Pfeildorf, et qu’il faut savoir les écouter. Ils se sentent abandonnés. Pire, méprisés. Les Toppenheimer ne se penchent sur les Collines que quand il s’agit de commercer avec les nains ou de bâtir des comptoirs commerciaux et des relais de trappeurs.  Les fermiers et les éleveurs sont oubliés. Chaque été, ils doivent s’armer de couteaux et de vulgaires pieux pour faire face aux créatures qui dévalent des Montagnes Noires, de plus en plus nombreuses années après années. Non content de s’abstenir d’envoyer des troupes en garnison, le gouvernement se permet de faire grimper les taxes … Les habitants de Pfeildorf devraient se rappeler que sans les paysans, ils mangeraient de la sciure, Rhya m’en soit témoin."

Il y avait du vrai dans ce que disait Dietrich Eberwald : un vent de mécontentement soufflait dans les campagnes du sud de la région depuis plusieurs années déjà. La politique fiscale agressive imposée par Nuln, l’insécurité croissante et une série de mauvaises récoltes avaient quelque peu ravivé les braises du sentiment indépendantiste parmi une population isolée des centres de décision et de la plupart des communautés urbaines. Cependant, le contrôle méticuleux de la police secrète de la Comtesse Electrice Emmanuelle von Liebwitz et l’efficacité des services privés des Toppenheimer s’étaient assurés d’étouffer la moindre velléité, du moins jusqu’à ce jour. Cependant, des rumeurs de relais de coche parlaient de groupes de frondeurs qui se réunissaient dans les bois et les collines du Sud pour comploter en cachette, tandis que le reste de la population se contentait de prier pour des jours meilleurs en attendant que quelque événement miraculeux ne vienne changer la donne.

- "Votre père, Morr veille sur lui, était un homme droit et honorable, et vous me semblez être son digne héritier. Pour peu que cela me concerne, je vous apporterai mon soutien concernant l’affaire des entrepôts du Solhafen, si cela peut vous porter réconfort, et quoi qu’en pense la Martre." Nouveau regard appuyé à Korb. "Mais je ne saurai me résoudre à donner mon consentement à un prince étranger qui vient ici proclamer haut et fort que notre terre lui revient de droit. La cause du Sudenland doit être portée par un fils du Sudenland, aussi pénible cette cause soit-elle à défendre." dit-il d’un ton catégorique.





La prochaine visite dans l’agenda d’Anton le mena au Statuenpark, un remarquable écrin de verdure accroché au sommet de l’Alderhorst. On y accédait par un long escalier taillé à même le roc qui montait depuis la Schlosstrasse ou bien par la Waldstrasse qui longeait un quartier riche et discret avant de s’ouvrir sur la Place du Palais. Des chênes majestueux et des noisetiers aux feuilles dansantes jetaient leurs ombres sur des pelouses et des massifs de rosiers parfaitement entretenus. La Grande-Baronne Etelka Toppenheimer aimait à se promener le long de ces allées de gravier blanc, quand l’automne s’annonçait et que les arbres prenaient des teintes dorées. Aussi, les jardiniers du palais de la Grande-Baronne s’assuraient que le Statuenpark soit dans un état irréprochable, et ce en toute saison. Ce que la Marte aimait le plus, c’était passer de longues minutes silencieuses accrochée au bord du belvédère Sud, une structure couverte à colonnades en bois verni qui se penchait dans le vide, au dessus de l’escalier de la Schlosstrasse. De là haut, la puissante aristocrate pouvait contempler à loisir la ville de Pfeildorf qui s’étendait sous ses yeux. De l’autre côté du parc, un second belvédère offrait une vue imprenable sur la confluence des fleuves et sur la vallée du Reik en contrebas.

Le Statuenpark tirait son nom des nombreuses statues qui le décoraient, pour la plupart élevées en l’honneur des grands hommes du Sudenland. Au détour de chaque sentier blanc, dans le moindre lacet de buis, entre deux lignes d’iris mauves ou derrière un massif d’hortensias, il y avait un piédestal de pierre qui supportait un buste en marbre. En dessous, une petite plaque dorée rappelait le nom de l’illustre. Du côté du belvédère Sud, le visage imaginé du fameux philosophe antique Fidzaat faisait face au regard sévère et à la moustache puissante du baron von Ulmark, qui sauva la région d’une armée d’hommes-bêtes deux cent ans auparavant, en abattant leur chef au cours d’une bataille resté célèbre dans l’histoire. Et il en allait ainsi dans tout le Statuenpark, de telle façon que la plupart des nobles et des membres des anciennes familles bourgeoises de Pfeildorf pouvaient se vanter d’avoir le visage d’un ancêtre ou d’un lointain cousin taillé dans le marbre du parc.

C’était également le cas pour Anton, ou du moins ce le fût de longues années en arrière. En effet, la statue la plus célèbre de ce jardin suspendu était celle d’Eldred von Durbheim, dernier Comte Electeur du Solland. C’était une pièce équestre magnifique montée en bordure de la pelouse principale du parc, s’élevant par dessus les massifs floraux et les murets de buis. L’ancêtre du baron de Terre-Noire avait une posture guerrière et splendide, son Croc Runique en main, le front ceint de la Couronne du Solland, sa longue cape de vison volant derrière lui tandis que les muscles de son puissant étalon roulaient sous l’encolure massive de la bête. Mais après son arrivée au pouvoir, la Grande-Baronne Etelka Toppenheimer eut tôt de faire retirer la statue du Comte Eldred pour la faire remplacer par une statue de Véréna pour un temps, puis par une statue d’elle-même plusieurs années plus tard. Aujourd’hui, c’était donc une Martre de marbre qui surveillait le Statuenpark depuis son piédestal, et Anton von Andeldoch eu l’impression qu’elle le fixait tandis qu’il s’avançait dans les allées, le gravier crissant sous ses bottes.

Des rires cristallins et des éclats métalliques parvinrent aux oreilles du baron et le guidèrent de l’autre côté d’une rangée de cyprès pour rejoindre celui avec qui il avait discrètement pris rendez-vous la veille.

Frédéric von Wrangel était en train de livrer un duel acharné contre l’un de ses valets, aux allures de soldat. Ce n’était qu’un entraînement avant le déjeuner, mais le jeune et fougueux seigneur de Jengen entendait bien impressionner la brochette de filles de bonne famille qui l’observaient en pouffant, assises un peu plus loin sur une nappe blanche. Aussi, l’échange martial se faisait avec violence et dextérité, les coups et les parades pleuvaient, les deux hommes grognaient sous l’effort, pour le plus grand plaisir du groupe de bécasses qui se fendaient régulièrement de bruyants « Ooooh … », « Haaaa …. » impressionnés. Frédéric, beau blond au regard pénétrant et au sourire séducteur, était le champion de ces dames. Comme son père avant lui, il jouissait d’une réputation sulfureuse et toutes les jeunes femmes éduquées de la province ne rêvaient que de l’épouser. Et le jeune homme se plaisait à jouer de cette notoriété, profitant de la moindre occasion pour éblouir ses nombreuses admiratrices. Ce jour là, il portait une chemise blanche au col et aux manchons de dentelle, un ensemble lie-de-vin composé d’un veston court aux épaules bouffantes et de haut-de-chausse en bourse. Il était chaussé de bottes en cuir fines et cirées et il avait une paire de gants en cuir d’agneau. Enfin, il faisait voler une sobre épée d’entraînement en acier fin et à la garde en V.

Lorsqu’il vît arriver Anton du coin de l’œil, il para un énième coup de son adversaire et esquiva avec dextérité un coup de poing avant de s’enrouler sur lui même en saisissant le bras de son valet, lui passant sa lame sous la gorge de l’autre main en un magnifique geste technique sous les hoquets de stupeur émerveillée des spectatrices. Le valet roula des yeux avec un soupir habitué et leva les mains pour montrer qu’il se rendait, laissant tomber son épée dans l’herbe. Frédéric le lâcha avec un sourire, lui envoyant une claque amicale dans l’épaule et fît signe à un serviteur qui attendait non loin de lui amener une serviette et de l’eau. Le jeune noble, en séducteur avertis, prit bien soin de ne pas jeter un regard en direction des demoiselles, ne serait-ce que pour attiser leurs convoitises. Tout le monde savait que les femmes n’aimaient rien plus que les hommes qui les dédaignaient. Frédéric salua Anton en inclinant la tête, un sourire amical sur le visage. Il prit le torchon des mains de son serviteur et s’essuya le front, avant de le lui rendre et de saisir l’outre à laquelle il bu longuement. Désaltéré et rafraichi, il posa sa longue épée sur son épaule en regardant le baron de Terre-Noire.


- "Bien le bonjour, Herr von Adeldoch. Je vous prie de pardonner mes manières mais je trouvais le temps long en vous attendant, et rien de vaut un entraînement matinal, n’est-il pas ?" lança-t-il, espiègle et nonchalant.
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Ils allèrent s’installer de part et d’autre d’une table ronde en pierre, sous une tonnelle envahie par du lierre épais. Là, ils étaient au calme et loin des oreilles indiscrètes, et ne furent dérangés que par le serviteur de Frédéric von Wrangel qui leur apporta le plateau du déjeuner : de la charcuterie, des olives, du pain de seigle, un bol de figues noires et une cruche d’hypocras.

Frédéric était un homme passionné et désinvolte, certes, mais il n’avait pas pour autant oublié le sens du devoir. La mort précoce de son père l’avait jeté très jeune à la tête du marquisat de Jengen et, contre toute attente, il avait su diriger les affaires de son fief avec brio. Energique et audacieux, il avait pris de nombreuses mesures visant à renforcer la sécurité sur ses terres et sur le réseau de routes qui les entouraient, mis en place un système d’entraînement et de conscription qui lui permettait de disposer d’une milice formée et opérationnelle. La mine d’étain des Montagnes Noires qu’il exploitait grâce à d’ardues négociations avec les nains générait suffisamment de revenus pour permettre au jeune marquis d’acheter des armes et des matériaux, et de faire bâtir tours de guet, palissades, moulins, scieries, forges et autres infrastructures. Jengen était désormais un bourg en plein essor que sa richesse montante, son seigneur charismatique et ses quais sur la Staffel rendaient de plus en plus attractif, malgré sa location aux confins Est du Sudenland. En outre, Frédéric avait eu la présence d’esprit de ne pas se marier et de laisser miroiter son patrimoine grandissant aux yeux des nobles du voisinage. Ainsi, ces derniers se pressaient régulièrement à Jengen avec leurs filles les plus belles pour les proposer en mariage au vert-galant. Frédéric éconduisait toujours les prétendantes avec diplomatie mais en profitant généralement pour nouer des alliances opportunes et des contrats juteux avec leurs riches géniteurs. Enfin, le jeune marquis était déjà connu dans toute l’ancienne province pour son charme, ses yeux verts et ses prouesses de duelliste.


La discussion entre Anton et Frédéric se déroula dans une atmosphère calme et amicale, le marquis traitant le baron d'égal à égal malgré leur différence d'âge marquée -Frédéric avait à peine vingt-deux ans- et les deux nobles échangèrent nombre de mondanités convenues avant d'entrer dans le vif de la problématique et d'aborder le sujet du Prince.

- "Depuis ce matin, j'attends parler du Prince Falco où que j'aille, de l'Alttorplatz jusqu'au Reikhafen." minauda le jeune noble en faisant négligemment tourner sa coupe d'argent entre ses mains, adossé contre le banc de pierre. "On prétend qu'il a sauvé une vieillarde des mains de patrouilleurs provinciaux, qu'il a vu toutes les rivières du monde et qu'il parle douze langues ou encore que, à la chasse, il a épargné la vie d'une biche blanche et pure qui n'était autre que l'incarnation de Myrmidia venue le bénir … Il semble très populaire, aussi inattendu et soudain cela puisse paraître."

Par la suite, Frédéric écouta Anton avec attention, hochant régulièrement la tête. Il donnait son opinion de temps à autres, exprimant son mépris pour les marchands et les maîtres de guilde de Pfeildorf qui, selon lui, n'avaient ni honneur, ni fierté, ni loyauté et se contentaient de répondre à l'appel de l'or et aux opportunités commerciales. Il émit également des réserves vis à vis du Grand Lecteur de Sigmar et de son clergé. Loin de lui l'idée de blasphémer, mais il ne pouvait pas faire la sourde oreille aux rumeurs, dont la principale faisait du prélat un pantin corrompu de la Grande-Baronne Etelka Toppenheimer. Cependant, il se déroba plusieurs fois à dessein devant les propositions d'Anton, bottant régulièrement en touche avec un sourire effronté. Cela faisait plusieurs heures maintenant qu'ils discutaient, et le serviteur de Frédéric avait débarrassé les reliefs du repas depuis longtemps lorsque le marquis de Jengen décida qu'il avait suffisamment abusé de la patience du baron.

- "Herr Adeldoch, soyez certain que nous partageons les mêmes inquiétudes et les mêmes aspirations quant à l'avenir et à la condition du Sudenland. La chose politique et économique se doit d'être en possession des nobles seulement qui savent l'exercer de manière naturelle, et non pas entre les mains de commerçants ignares et avides qui ne pourraient que la corrompre pour leur propre profit. Les sudenlanders sont en droit d'exiger des lois propres, une administration locale, une richesse mieux partagée. Je vous rejoins aussi quand vous pointez du doigt les bourgmestres du Wissenland et la politique de Nuln auxquels je ne saurai donner raison. L'indépendance de la province est en effet une solution légitime et profitable à tous … mais je crains, baron, que ce ne soit qu'une douce utopie." dit-il lentement en décollant son dos du banc avant de croiser les mains sur la table, son regard d'émeraude vissé dans celui d'Anton. "Voyez-vous, je doute que la Grande-Baronne ne permette qu'un vent de liberté ne souffle ici bas. Il est vrai, les braises séparatistes sont encore vives et il serai aisé de souffler dessus. Mais prendre cette décision entraînerai invariablement un incendie qui consumerai tout, force est de l'avouer. Dame Etelka aura tôt fait de baigner la province dans le sang, de traquer chaque rebelle et de le faire pendre haut et court en place publique. Ceux qui vous suivront seront décapités, leurs familles assassinées, leurs villages ravagés, et la situation redeviendra celle qu'elle était avant, à ce détail près que la Grande-Baronne régnera sur un tas de cendres fumantes là où, peu avant, il y avait des bourgs prospères et des hommes fidèles à l'Empereur." Il laissa passer quelques secondes, avant de reprendre avec un sourire. "Peut-être ai-je tord, peut-être suis-je en train de me fourvoyer. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? L'ambition d'un homme justifie-t-elle la mort de centaines ? La présente situation, aussi affligeante soit-elle, n'est-elle pas meilleure que celle que je viens de dépeindre ?"

Il poussa un soupir et se releva en s'étirant avant de poser un pied sur le rebord du banc et de tourner la tête vers Anton.

- "Vous êtes libre de me penser lâche, baron, mais vous commettriez une erreur. En tant que seigneurs, notre devoir est de veiller sur les âmes que Sigmar le Grand a placé sous notre protection. Par conséquent, je ne saurai tolérer que les querelles qui se livrent au sommet de ce gouvernement fantôme ne portent atteinte à l'intégrité de mes gens et de mes terres. Je suis un sudenlander fier et loyal, Herr Adeldoch, et c'est précisément pour cette raison que je me refuse à participer à une entreprise qui, selon moi, n'apporterai que ruine et désolation à ce qui reste de mon pays."
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

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La réalité comme toujours était plus complexe. Mais au fond il n'existait guère que deux façons de faire l'indépendance: dans l'Empire ou contre l'Empire. La seconde était exclue parce que bien trop dangereuse et complexe. La question de l'indépendance se ramenait ainsi à une équation à deux inconnues: 1/ pourquoi les grand électeurs accepteraient-ils un Sudenland indépendant et 2/ qui serait en mesure de leur poser la question... La question du qui montrait bien qu'il allait devenir nécessaire de faire émerger un leader auquel le Sudenland soit identifié. Mais la question du comment était la plus intéressante. Car jamais une telle province ne serait en mesure de faire jouer la carotte, c'est-à-dire d'acheter les électeurs, surtout face aux innombrables ressources de Nuln ; ne restait donc qu'une seule option, celle du bâton. La logique et les faits nous conduisaient ainsi d'eux-même à cette conclusion: l'indépendance naîtrait au moment où les grands électeurs deviendraient convaincus que s'opposer à elle serait couteux et dangereux. Il fallait donc à l'indépendance les armes de l'intimidation. Ce qu'on peut tout aussi bien énoncer plus crument: il nous fallait une armée. [...]
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même
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PFEILDORF,
Statuenpark

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Ce garçon ne manquait pas de talent. Jeune, beau, fin bretteur, excellent gestionnaire, et... raisonneur avisé. On était loin des marchands dégoulinants d'intérêt ou des patriotes frileux. Le marquis était un noble selon le cœur du baron. Anton se surprit lui-même à une telle pensée.

"Croyez-moi marquis, j'ai vu mon content de lâches dans cette ville tortueuse. Vous êtes au contraire de la race que j'apprécie, celle qui pense et qui agit."

Le jeune homme, imperturbable, continua de fixer le baron. Il commençait à suffisamment le connaître pour comprendre qu'Anton n'en avait pas encore terminé, et n'avait visiblement garde de se prendre au jeu des louanges, aussi sincères qu'elle semblassent.

"Mais je pense que vous commettez trois erreurs dans votre raisonnement. Et que ce sont ces trois différents qui opposent nos décisions, alors même que nous semblons partager les mêmes constatations et les mêmes convictions."

Le marquis de Jengen s'anima quelques peu, et échangea avec Anton quelques piques sur son assurance et ses trois erreurs, que sans doute il fallait les imputer à sa trop grande jeunesse et à son immaturité politique. Défense de convenance, qui préparait le terrain pour une éventuelle diversion si les choses devenaient par trop sérieuses et trop concrètes dans le discours du baron. Mais ce dernier parvint à retourner l'argument et à triompher sur la joute; ferré, le jeune noble demanda au baron de bien vouloir lui exposer ses lumières.

"La première erreur est de croire que je suis porté par l'ambition. Ce serait me méconnaître entièrement. Et je peux vous prouver sans trop de mal, ne serait-ce que par ma déclaration d'hier au conseil, que mes ambitions pour le Sudenland ne visent en rien à la glorification mesquine et personnelle d'un égo démesuré, mais qu'elles relèvent au contraire du souci constant du bien de l'Empire et de ses gens. Il me semble d'ailleurs que les motifs que je vous ai exposé au cours de cette intéressante discussion que nous avons doivent vous porter à accroire mon désintéressement."

S'arrêtant à cette affirmation, il jeta un regard appuyé à son interlocuteur, qui ne put que convenir de la justesse du propos d'un signe de tête. Il n'aurait guère été poli de faire autrement, et ce point n'était au fond guère important pour le jeune homme, qui accepta donc de céder sur celui-ci pour mieux se battre sur les autres.

"La seconde erreur, est de croire que nous aurons nécessairement besoin de tuer pour l'indépendance. Il existe des précédents historiques célèbres et d'autres moins connus qui appuient cet argument..."

La réponse ne se fit pas attendre. D'un ton vif qui contrastait avec son air las, le marquis entreprit une véritable campagne rhétorique, qui reposait principalement sur une accusation de naïveté du baron, naïveté requalifiée en "utopisme" pour respecter les convenances. Selon lui, pas de victoire sans verser le sang dans un contexte où jamais Nuln ne voudrait renoncer aux avantages d'une domination sur le Sudenland. Mais Anton ne se laissa guère démonter. Cet argumentaire était un terrain de bataille habituel dans les débats pour l'indépendance, et tout von Adeldoch possédait par son éducation le bagage historique et juridique nécessaire pour soutenir les thèses de son choix, quelles qu'elles fussent. C'est donc avec une défense de fer, émaillée de références historiques allant parfaitement dans son sens, que le baron entreprit de mettre fin à l'offensive du marquis: anecdotes sur les principautés frontalières, jurisprudence des cités-états et des villes franches, épisode de Marienbourg, tout y passa tant et si bien que le Marquis du bien, ne serait-ce que par politesse, concéder également ce point.

"Merci de l'admettre marquis. J'ai conscience qu'on ne peut tirer de règle générale de cette somme de cas particuliers; mais enfin, ils nous indiquent que, oui, une indépendance sans bain de sang est possible!"

Battu, mais non convaincu, le marquis -bon joueur- réclama de l'air le plus gracieux du monde le troisième argument.

"Le troisième est un argument de conviction. Il est simple, même s'il est dur à entendre. Il vaut mieux, lorsque l'on a la gangrène, amputer le membre avant qu'il ne nous tue.

Le sourire qui affleura aux lèvres du marquis et la velléité de parole légère qui s'y lisait n'empêchèrent pas Anton de poursuivre. Tous les deux savaient parfaitement à ce moment précis que le jeune homme pouvait par une rapide plaisanterie couper court à la grave conversation qui s'ouvrait. Mais Von Wrangel se contenta de laisser paraître son sourire; il avait le pouvoir de tout arrêter, mais laissait le baron continuer son raisonnement. C'était à la fois un signe de bonne entente, une trace de respect, et une tranquille affirmation de sa position de force. Anton se jeta à corps perdu dans cette ouverture.

Et cette conviction explique qu'à mes yeux en refusant le combat pour l'indépendance vous ne préservez ni vos terres ni vos gens marquis. Vous les condamnez irrémédiablement à la dévastation. Oh, certes, pas dans cinq ans, ni dans dix. Ni peut-être même dans vingt. Mais vous êtes jeune. Vous avez le temps encore, de vieillir, de voir peu à peu la corruption ronger définitivement ce pays, laissant entrer par ses plaies suppurantes la vermine, la haine, la malédiction du Nord. Si nous ne nous ressaisissons pas, nos routes et nos armées se déliteront. Nous n'aurons plus les ressources pour protéger nos gens, pour nous protéger nous-même. Déjà nous n'avons plus d'armée digne de ce nom pilotée depuis Pfeildorf. Et nous n'aurons bientôt plus les moyens de maintenir une troupe régulière sur nos terres.

Vous vivez vous aussi à la frontière marquis. Au sud, vos gens sont aussi exposés que les miens, plus encore. Je ne contesterai pas ce triste avantage au fils de feu Von Wrangel. Vous vous êtes jusqu'ici défendu avec bravoure. Mais je vous pose la question, la question que tous dans le sud nous évitons soigneusement de nous poser. Parce qu'elle fait mal...


Il y eut un échange de regard appuyé. Le souffle du vent, le bruissement des quelques feuilles emportées effleurant le sol. Un rire de femme, au loin.

Qui viendra pour vous si un nouveau Gorbad passe le Col du Feu Noir?

Toujours le même silence, le même souffle de vent. Qui forcissait lentement, chassant les rires des femmes au loin.

Oui qui viendra nous aider marquis ? Les armées de l'Empereur ? La Comtesse qui n'osera pas dégarnir Nuln ? Il y eut un silence, et un rictus désabusé. Les provinces du nord ? Ceux qui ont refusé de nous aider il y a huit cent ans, et qui luttent aujourd'hui pour leur survie ?

Non. On ne pourra compter que sur nos propres ressources.

Or nous sommes les seigneurs d'une province assiégée marquis. Vous et moi le savons. Nos gens le savent. Les pâtres qui scrutent chaque jour le ciel et les orées des bois avec angoisse le savent. Mais les Topenheimer ne le savent pas. L'indépendance n'est pas une question de justice, ou de moral, c'est une question de survie. Chaque décision politique devrait être destinée à nous renforcer militairement et économiquement, à nous préparer à la guerre que nous vivons déjà aujourd'hui. Mais ce n'est pas ce qui se passe, au contraire, parce ceux les décideurs se moquent bien de notre survie. Nos ressources sont dilapidées. La réalité est simple, marquis: aujourd'hui la moitié de la Waaargh! de Gorbag suffirait à raser de la carte la totalité du Sudenland, pour de bon , et nous serions impuissant. Le temps que l'Empereur rapatrie ses troupes du Nord, il ne leur resterait plus que Nuln à sauver des cendres de la destruction. Nous n'avons pas tiré les leçons du passé, au contraire: chaque jour qui passe nous tendons davantage notre cou à la hache du bourreau.


Anton se leva. Le soleil était déjà haut dans le ciel et il lui restait encore bien des choses à accomplir dans la journée.

Vous êtes un homme sensé, Marquis Von Wrangel, et je suis heureux de savoir que si, à l'heure du choix, nos destins s'éloignent, ce sera parce que vous vous souciez d'abord de ce pays et de ces gens. Mais pensez-y. La haine, la terreur et le sang, portés par la ruine et la folie... on ne les arrêtera pas, pas cette fois-ci, si on continue sur cette voie.

Il eut un pauvre sourire.

Je sais que vous y réfléchirez.
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PFEILDORF,
Taverne du vieux Comte

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Anton observa le jeune homme qui lui faisait face, le comparant à celui de ses souvenirs. Lazarus avait grandi et grossi. Installé dans sa chaise qui grinçait à chacun de ses tout petits mouvements, il dégageait une incroyable vitalité. Ses yeux pétillaient toujours, mais sa voix ne tremblait plus tellement en sa présence, plus autant qu'elle ne le faisait encore quelques années plus tôt. Il ne l'avait pas vu depuis un moment et il se demanda quel âge il pouvait maintenant avoir... vingt-quatre, vingt-cinq ans ?

Le baron nota avec intérêt le début de calvitie qui pointait sous la toison rousse du baronnet, et passa sans s'en rendre compte la main sur son propre crâne dégarni. Ainsi le gamin suivait les traces de son défunt père... A son époque, père de Lazarius Von Frack était connu dans toute la cour pour son crâne sans pareil, intégralement chauve depuis ses vingt ans. Aussi stupide que cela puisse paraître, c'était cet immense crâne rond et lisse qui avait valu au jeune Remigius une renommée sans pareil dans toute la province. Amené par ses fonctions à rencontrer tous les officiels qui transitaient par le Wissenland ou presque, le vieil homme avait bâti sur son crâne une légende qui persista bien après sa mort; "Remikopf" était ainsi devenu un nom commun à Pfeildorf pour désigner un homme chauve. Une célébrité qui rejaillit très tôt sur Lazarus, dont la toison rousse excita longuement les potins et les pronostics des notables et du gratin local.

Veille sur le petit. Son père se tuerait pour nous. Son gosse n'est pas brillant. Mais vois son intelligence particulière. Vois comment il se joue des codes, accroche les sourires et les amitiés. A cause de cet imbécile de crâne, tout le monde le connaît. Tu vois ? Il est chez les Topenheimer. Il joue avec les apprentis de la guilde. Les matrones le saluent depuis leurs échoppes. Regarde! N'importe quel autre noble serait méprisé de tous en laissant son gosse vagabonder partout. Mais pas Remigius. Avec son crâne de bouffon, tout lui est permis, et avec son rang de simple baronnet, toutes les classes sociales lui sont ouvertes. "Bah, c'est le fils du Remikopf, il ne compte pas" qu'ils se disent. Tu comprends ça ? Il ne compte pas! Et c'est pour ça que tu dois veiller sur ce petit. Un jour, il sera un instrument terrifiant, ton instrument, comme son père a été le mien. Ne le gâche pas, ne te l'aliène pas, ne le dévoile pas trop tôt! Laisse-le grandir, s'ouvrir, encourage-le simplement.

Et le jour venu, utilise-le.


Utilise-le. Le baron possédait au fond de sa mémoire une liste colossale de griefs contre feu son père. Mais bien peu à dire sur sa clairvoyance à l'égard de ceux qui le servaient.

Élevé dans le fanatisme discret des Adeldoch, le petit Lazarus avait grandi au contact de Pfeildorf. Si personne ne le prenait au sérieux, chacun tenait pour naturel de lui ouvrir sa porte; connu dans toute la ville, des bas quartiers aux plus hautes sphères, on n'invitait jamais le fils du Rémikopf aux soirées et aux réceptions, parce qu'il y était convié par défaut, par habitude. Il faisait partie du paysage, des cercles étudiants, des habitués des guildes, des curiosités de Pfeidorf. Les petites gens considéraient comme un plaisir et un honneur de l'avoir lors de leurs événements et lui promenait partout sa sympathie et son sourire, avec un naturel désarmant. Jamais il ne se mêlait de politique, se contentant encore et encore de commenter l'actualité de Pfeidorf et de demander poliment à ses concitoyens des nouvelles de leur santé. Rien ne l'émouvait, à l'exception de ses rencontres avec le baron von Adeldoch.

Qui jamais n'avaient semblé aussi solennelles que celle-ci.

"Lazarus, j'ai besoin de ton aide."

Le garçon le contempla, désormais immobile. Anton pensa avec un brin de nostalgie qu'aux alentours de ses quinze ans, le petit pleurait quand il lui adressait la parole. Aujourd'hui il en avait simplement les yeux plus pétillants encore.

"Je pense que le Sudenland est à un point où la moindre impulsion peut provoquer un changement politique irrémédiable. Il va me falloir faire preuve d'énormément d'agilité et de répondant, et je ne peux pas y parvenir sans aide ni préparation. Et la Marte ne va certainement pas me laisser faire, il faut donc agir loin de ses yeux et de ses oreilles. C'est pour cela que j'ai besoin de toi, pour m'aider à trouver les bonnes personnes.

Le garçon acquiesça sans un mot. Les bruits assourdis venant de la taverne franchissaient avec peine l'épaisse porte qui les séparaient de la salle principale, et assuraient au baron que nul n'entendrait ce qui se disait ici.

"Je vais entamer la construction d'une armée.

La première chose dont j'ai besoin, c'est d'une liste de dix bourgeois qui sont écœurés de l'insécurité et qui engagent déjà des mercenaires pour la protection de leurs biens. Il faut que ces hommes-là soient a minima sceptique envers les Topenheimer, voire franchement hostile. Et plus ils seront riches et influents, mieux ce sera. Ce sont eux qui nous fourniront le moment venu l'argent nécessaire pour initier notre armée.

Ensuite, il me faut deux ou trois noms de jeunes nobles romantiques prêts à aller se faire tuer pour une cause quelconque. Ils serviront de garde rapprochée au prince; choisis tant que faire se peut des éléments qui présentent bien, et dont on ne pleurera pas trop la perte si quelque chose tournait mal.

Enfin, je vais faire voter lors du prochain Conseil le rachat à prix coutant des entrepôts de Solhafen, en levant un impôt sur le halage des chargements non wissenlandais. J'ai besoin d'un moyen de pression sur Von der Goltz. Quelque chose qui le mette à ma botte. Si tu ne vois rien, on peut se rabattre sur Von Nollendorf.

Mon opinion c'est que si on veut faire du gamin un prétendant crédible, il va falloir jouer la bonne vieille carte du chef de guerre. Une histoire héroïque, l'élu, tout le tintouin. Ma quatrième demande, c'est que tu me mettes avant demain en contact avec un chef de bande des environs.


La moue intriguée de Lazarus ennuya Anton. Il n'avait pas prévu de dévoiler ses plans devant le gamin. Mais il était sans doute le seul sur lequel le baron savait pouvoir compter entièrement. En baissant encore la voix, il entreprit de dérouler son plan.

D'ici trois à quatre jours un certain nombre de reliques de Sigmar exhibées à la procession vont quitter Pfeildorf pour retourner dans les temples où elles se trouvaient. Un certain nombre de dignitaires aussi vont s'en retourner, dont les représentants de la Comtesse, et les Topenheimer vont rentrer de Nuln. Tout ça va exiger beaucoup de la régulière. Elle ne pourra pas tout protéger.

Une des reliques mineures va disparaitre dans une attaque, à l'indignation générale. Le Prince va la récupérer héroïquement, prouvant l'incurie de l'actuel gouvernement. Il ne nous restera plus qu'à faire voter dans la foulée au conseil la création officielle d'une milice du Sudenland, dont le Prince bien sûr sera le capitaine. Avec cette armée... eh bien... il sera toujours le temps de faire dans la chasse aux sorcières ensuite. Toute la caste Topenheimer est corrompue, ça ne devrait pas poser de difficulté. Quand Nuln se réveillera, il sera trop tard, nous aurons mis la main sur les principaux postes de responsabilité. Et les électeurs n'auront d'autre choix que d'accepter le nouveau statut du Solland. La grande guerre a saigné tout le Nord à blanc, jusqu'à Nuln... qui voudra d'une guerre civile ? Certainement pas l'Empereur. Surtout si le Prince lui propose un accès facilité aux crédits de Tilée, et met ses troupes à sa disposition en gage de fidélité; d'autant qu'en affaiblissant la comtesse, il se renforce du même coup... Il ne peut pas refuser une telle offre...

Et ensuite, bah, l'accident. Pour le bien de l'Empire. On n'aura probablement pas besoin de le faire nous-même d'ailleurs. Il y aura forcément une ou deux tentatives qu'on s'arrangera pour ne pas voir venir.

Mais avant tout ça Lazarus, j'ai besoin que le peuple l'aime. J'ai préparé le terrain, mais tu dois aller plus loin. Il faut que tu réussisse à persuader les cinglés qui trainent leurs guêtres et leurs fanatiques en ville que le Prince Blanc viendra bientôt balayer la corruption et faire briller un nouveau soleil. Tu vois le genre. Je veux voir fleurir les prophéties, pour que le jour où il le faudra, les futurs conscrits s'arrachent l'honneur de se battre sous les ordres du Prince Blanc.

Et je vais aussi avoir besoin de deux dernières choses Lazarus. D'abord il me faut une bande de soudards de confiance. Le genre vétérans démilitarisés, avec à leur tête un malin. Les premiers à suivre le Prince Blanc, ce seront eux, les braves citoyens de la ville. Et si un jour j'ai besoin de me débarrasser de lui, ce seront eux aussi qui le liquideront. Cinq, six, pas plus. Je dois rencontrer leur chef. Et nous verrons si nos intérêts peuvent coïncider. Un indépendantiste ce serait mieux bien sûr. Mais ce genre d'âme damnée n'a souvent plus beaucoup d'opinion.

Tu me suis ?"


Lazarius emmagasinait les informations sans rien dire. Anton lui en demandait beaucoup, énormément même, en un laps de temps plus que réduit. Mais il n'avait pas un instant à perdre et il avait une grand confiance dans le garçon. On pouvait voir qu'il commençait déjà à cogiter pour identifier les bonnes personnes. Morr seul savait ce qui en ressortirait. Jusque là le garçon n'avait guère servi que d'informateur. Ce travail-là était nouveau pour lui, mais ne semblait pas le chagriner outre mesure. Il osa d'ailleurs un mot, un seul, prononcé les yeux fixés sur la table, d'une voix enrouée de n'avoir pas parlé jusqu'ici:

"Ensuite ?"

Anton balaya son instant d'hésitation et se lança froidement.

"Il me faut une fille. Silence. Il me la faut jeune, avec un visage et un corps à se damner. Et surtout, du sud. Silence. Anton attendit quelques battements de cœur, puis il reprit.

Je sais parfaitement que tous les navires tiléens qui remontent la Sol embarquent systématiquement au moins deux ou trois courtisanes à destination de ces dégénérés de Nuln ou d'Altdorf. Les vini da letto, les vins de chambre comme ils disent, parce qu'ils les planquent dans leurs barriques pendant les contrôles fluviaux.
Silence, toujours. Le baron ne se démonta pas. Je sais aussi que, grâce à la clique Topenheimer, il y a désormais un certain nombre de ces filles qui restent à Pfeildorf et dans les alentours, et qu'à la place on charge des pauvres filles de la campagne un peu paumées dans les foutues barriques.

C'est une de celles-là qui me faut. La plus maline du lot. Débrouille-toi comme tu l'entends, je sais que tu es plus que capable Lazarus. Je sais que tu ne me décevras jamais.

Aujourd’hui tu es la seule personne sur qui je peux vraiment compter, et tu es le seul à qui j'en ai révélé autant. Tu sais que je mets ma vie entre tes mains."


Le baron se leva, très grave. Lazarus n’eut pas un sourire mais ses yeux pétillaient davantage encore qu’auparavant. D'un geste, il se leva et s'inclina très bas. Le baron lui tendit lentement sa main, que le jeune homme baisa lentement et avec dévotion. ¨Puis se tournant d'un geste, il s'en fut précipitamment par la seconde porte qui donnait sur les celliers de l'auberge et sur une sortie discrète qui lui avait servit à rejoindre le baron.

Pensif, le baron se rassit pour songer à la suite de son plan.


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PFEILDORF,
Office du clerc Uschille

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Le soir tombait, et la rédaction de la proposition d'ordonnance pour le conseil avançait bien. Il était parvenu avec l'aide de deux ou trois clercs débrouillards à dégotter rapidement une ou deux vieilleries que l'on pouvait faire passer en forçant beaucoup le trait pour des "coutumes" du Sudenland, et permettraient d'une part de différencier en toute légalité la taxation des cargaisons en fonctions de la localisation géographique du propriétaire, et d'autre part de justifier une intervention du Conseil sur les entrepôts. Certes la pratique remontait à l'époque des Trois Empereurs, mais il était alors d'usage à l'époque d'autoriser le Comte et son gouvernement de racheter de force une propriété dans l'année qui suivait son acquisition, au prix d'achat initial et en plusieurs versements. Apparemment la famille régnante s'en était servi surtout servi pour punir des vassaux ou se créer de juteux monopoles, ce qui convenait assez bien à l'esprit de l'ordonnance que préparait le baron.

La collecte de la taxe ne posait guère de difficulté. Le conseil bénéficiait déjà d'un revenu, destiné à prouver que la Comtesse lui concédait une véritable autonomie; l'argent provenait d'une taxe minable, quelque chose comme la taxe sur l'élevage de lièvre dans Pfeildorf intra-muros, et n'était là que pour les apparences, mais le trésorier et la caisse permettraient de percevoir les fruits de la nouvelle taxe projetée par le baron.

Les obstacles juridiques applanis, le projet devenait simple. La taxe ciblerait le halage des navires étrangers. Ces navires, tiléens ou bretonniens, revenaient de Nuln avec à bord les prodigieux bénéfices de leur cargaison de vin ainsi qu'une cale pleine à craquer de produits impériaux. Il serait aisé de contrôler et d'immobiliser en aval ceux qui se refuseraient à payer; immobilisation couteuse pour le capitaine, qui préférerait probablement s'acquitter de la taxe. Au vu du temps nécessaire pour traverser les Voutes et joindre la Tilée, la nouvelle ne gagnerait pas les Princes Marchands avant une poignée de semaines, ce qui laisserai amplement le temps au Conseil de se faire une jolie somme avant de faire cesser la taxe aux premières injonctions diplomatiques.

L'argent permettrait de racheter les entrepôts dans le Solhafen au prix initial d'achat gardé secret pour des raisons de confidentialité. On pourrait même s'accorder une légère augmentation de la valeur pour des raisons d'inflation, correspondant judicieusement au montant de la taxe collectée sur les bateaux de la respectueuse Maison Di Saltarelli de Tobaro, afin d'éviter de trop froisser les sensibilités. Dans la mesure où le conseil n'avait pas vocation à gérer de telles structures, la Maison des Guildes pourrait ensuite rendre un service patriotique et se porter acquéreur des bâtiments à un prix raisonnable.

Puisque ce prix de rachat serait sensiblement plus faible que la somme confidentielle versée par les Di Saltarelli à la maison des guildes lors de la vente initiale, et puisque cette marge inopinée serait la résultante d'un sursaut patriotique du Conseil, il serait d'ailleurs plus que naturel qu'une partie de la différence revienne à la faction indépendantiste par le biais de son représentant déclaré. Quelque chose comme 40%, environs.

Dans la mesure où la maison des guildes s'engagerait à offrir aux Guildes locales et naines un prix de stockage avantageux dans lesdits entrepôts pour favoriser la croissance de l'économie Sudenlandaise, il devrait être assez facile de s'allier les votes des guildes sur le sujet. Pour peu qu'un point de contrôle de la taxe soit basé dans un port stratégique, par exemple Wittenhausen, le baron von Bulöw devrait également favoriser la mesure. Otto et Lothar seraient ravi de jouer un sale tour à la Martre et ses copains tiléens. La Maison des Guildes n'aurait qu'à promettre une généreuse donation au temple de Sigmar pour s'attirer le vote du Lecteur. Un nain, trois guilde, une maison des guildes, Bulöw, Adeldoch, Lothar et Otto plus le sigmarite, dix. Avec l'abstention prévisible de Véréna, 2/3 des suffrages exprimés.

Sonder tranquillement Von Nollendorf et Von der Goltz dans le cas où ils auraient une animosité particulière contre les tiléens ne serait pas une mauvaise idée, pour mettre toutes les chances du côté du baron. Le hussard noir resterait tout seul dans son coin, Anton avait décidé qu'il ne s'en approcherait désormais plus que munis d'un char de combat et d'un croc runique.

En se frottant les mains, il se prépara mentalement aux multiples tractations nocturnes qui l'attendaient. La journée avait filé à toute vitesse, mais il lui restait encore beaucoup de travail pour être certain que le lendemain au conseil, chacun saurait parfaitement à quoi s'en tenir sur la Taxe Exceptionnelle de Redressement et d'Affirmation du Sudenland.

Et il lui faudrait bien sûr être en forme pour rencontrer son cousin, pour lequel le baron se donnait tant de mal. Un si grand avenir pour un si petit homme! Les dieux sont parfois joueurs.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 31 mars 2016, 02:22, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Le sommeil était un luxe qu'Anton von Andeldoch ne pouvait se permettre en ces temps troublés. Ses bottes claquaient sur le pavé de la ville endormie tandis qu'il s'enfonçait dans les ruelles étroites du Schwarzwache. Ce quartier tenait son nom d'une ancienne abbaye fondée par l'Ordre des Templiers de Mórr -plus communément appelé Garde Noire- et qui avait été rasée lors de la destruction du Solland par la Waaagh de Gorbad Griff'Eud'Fer. De fait, la tradition voulait que le quartier soit hanté depuis des générations et l'on disait que les esprits des templiers pleuraient de désespoir lorsque Mórrslieb était pleine. Malgré cette morne réputation, le Schwarzwache hébergeait nombre des activités importantes de la ville, dont certaines faisaient figure d'institutions. Situé contre les remparts Sud-Est de Pfeildorf, il était traversé par l'Altmauerstrasse, qui reliait l'Alttorplatz à la Porte Schwarzwache. L'Altmauerstrasse était bordée par de nombreuses boutiques et des sièges de grandes entreprises commerciales, ainsi que d'un certain nombre de tavernes et d'auberges. C'est aussi dans ce quartier que se trouvaient les grandes fonderies Hammel, avec leurs immenses cheminées noires de suie, la maison Alptraum, siège des intérêts averlandais dans la région, ou encore la célèbre brasserie Schwarzbrunn, construite au dessus d'une source naturelle.

Mais à cette heure tardive, les ruelles étaient pratiquement désertes et Anton ne croisa qu'une patrouille de gardes, quelques ivrognes qui venaient de quitter une taverne en chancelant et un ou deux mendiants à l'air louche. Ses pas le menaient vers l'auberge de la Pleine Lune, un établissement connu en ville pour ses prix raisonnables, sa nourriture de qualité et son ancien propriétaire, un quenellois charmant nommé Simon Moncrief. Le bretonnien s'était vu racheter son auberge quelques années auparavant par les Hôtelleries Ecclestein, compagnie commerciale aux mains de Torsten Ecclestein, également propriétaire de la brasserie Schwarzbrunn. En échange du rachat, Ecclestein avait proposé à Moncrief de le garder comme tenancier et cuisinier, ce que ce dernier avait accepté. C'est donc à cette adresse réputée tranquille qu'Anton se rendait pour son premier rendez-vous de la nuit où il allait rencontrer Jan Möbius, le délégué de la Maison des Guildes avec qui il avait déjà négocié la veille.

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La salle commune de l'auberge de la Pleine Lune était pratiquement vide à cette heure tardive, et quelques bougies l'éclairaient ça et là. Un jeune loufiat somnolait derrière le comptoir et seuls deux clients étaient installés, séparés par plusieurs tables vides. Le premier était un type quelconque vêtu d'une tenue de ville austère et dont le regard était plongé dans sa pinte à moitié vide. L'autre n'était autre que Jan Möbius, sans son garde du corps cette fois-ci. Il paraissait nettement plus détendu que lors de leur première entrevue à l'auberge du Chien et du Renard, et adressa un signe à Anton lorsque celui-ci entra. Le serveur se réveilla et vint proposer d'accrocher le manteau du baron de Terre-Noire avant de prendre sa commande et de servir cette dernière rapidement pour regagner son comptoir, les paupières lourdes.

Jan et Anton entamèrent les négociations, et ce dernier exposa son plan au délégué. Après plusieurs verres et une heure à palabrer, ils arrivèrent finalement à un accord. Entre temps, le troisième client s'était éclipsé et le serveur s'était définitivement endormi, les conspirateurs étaient donc tranquilles et pouvaient parler librement.

Selon leur agrément, la Maison des Guildes se chargerait de racheter les entrepôts du Solhafen une fois ces derniers accaparés par le Conseil des Pairs. Le prix de ce rachat serait nettement moins élevé que celui qu'avait payé la Maison Di Saltarelli pour acheter les entrepôts à la Maison des Guildes de Pfeildorf, et cette dernière sortait donc gagnante de l'opération. En contrepartie, Anton von Andeldoch recevrait un certain pourcentage de la différence en guise de "remerciement" pour avoir proposé l'ordonnance au Conseil des Pairs et avoir dirigé le vote. Cette dernière disposition n'était, bien sûr, pas officielle. Jan Möbius s'engagea également à accorder des tarifs préférentiels aux corporations de la ville, avec pour objectif de favoriser et de fortifier les compagnie commerciales de Pfeildorf mais aussi d'encourager les autres Pairs à voter en faveur de la motion.

- "Si mes estimations sont bonnes ... votre commission pourrait s'élever à deux mille cent marks d'or et des poussières." annonça le délégué rondouillard, un grand sourire aux lèvres. "Par Händrich, voilà qui me semble suffisant pour acheter une belle propriété sur les hauteurs de l'Alderhorst, et la bourgeoise qui va avec !"

Il semblait particulièrement enthousiaste par la perspective de cette tractation. En revanche, il montra plus de réserves lorsque vint la question de la pieuse donation au temple de Sigmar.

- "Je doute que cela aboutisse, Herr Von Andeldoch." minauda-t-il en replaçant son béret à aigrette. "Chacun connait la ... loyauté du vénérable Lecteur envers la Grande-Baronne. Vous comprendrez tout à fait que la Maison des Guildes ne puisse se permettre des investissements hasardeux." dit-il avec un sourire. Il suggérait probablement, à mi-mot, que le Grand Lecteur de Sigmar Loïk Birkenfeld était déjà corrompu jusqu'à la moelle et qu'une telle donation déclencherait un conflit d'intérêt en faveur de la Marte. Malgré toutes ces manigances, Jan Möbius et ceux qu'il représentait ne voulaient pas se mettre le gouvernement et le clergé à dos.

C'est après une poignée de main qu'Anton quitta l'auberge de la Pleine Lune pour se rendre à la prochaine entrevue.

Le baron remonta l'Altmauerstrasse en direction de l'Alttorplatz, en bordure de laquelle il avait rendez-vous. La place, déserte à cette heure, était jonchée de détritus laissés là par la foule de pèlerins qui se pressait en ville depuis quelques jours. La grande fontaine qui marquait le cœur de la ville servait de piédestal à la statue du Bogenschütze, l'Archer de Pfeildorf. La légende raconte qu'il sauva la ville en abattant les trois chefs de guerre orques qui assiégeaient la ville tandis que Gorbad Griff'Eud'Fer ravageait le Wissenland. Personne ne connaissait la véritable identité du Bogenschütze, et il disparu dans l'instant qui suivit son fait d'arme. Certain assuraient que c'était un avatar de Taal, d'autres que c'était Sigmar en personne. Quoi qu'il en soit, les habitants de Pfeildorf récupérèrent ces trois flèches sur les corps des chefs ennemis et les gardèrent aussi précieusement que des reliques. La première fût offerte à l'Eglise de Sigmar, la deuxième au clergé de Taal et la dernière fût incrustée dans le dossier du trône du Château Alderhorst. Anton marchait dans l'ombre de cette immense statue en marbre aux épaules couvertes par les fientes de pigeon.

L'entrevue allait se dérouler dans la taverne discrète et huppée du Bec Fin, un établissement rigoureux sur le choix de sa clientèle et aux tarifs réservés à la haute bourgeoisie et à la noblesse. Le propriétaire de cet endroit se prénommait Romain "Jodocus" Kremer et était un épicurien notable, mécène reconnu et grand amateur d'art. C'était un homme étrange, efféminé mais extrêmement influent, et pour cause : de part son activité, il bénéficiait d'un réseau puissant et étendu. Ses clients les plus réguliers n'étaient autres que les maîtres du Conservatoire tout proche, les artistes en vogue, les directeurs des plus grandes compagnies commerciales de la ville, les aristocrates, les gros bonnets de la pègre locale ou encore les intellectuels de passage. Tout ce petit monde se brassait lors de soirées déguisées à la moralité douteuse et la salle commune du Bec Fin était le théâtre de bacchanales débridées tandis que, tout autour, un réseau de couloirs aux dalles bleues permettait d'accéder à une nombre inconnu de petites cellules faisant aussi bien office de boudoir privé que de lupanar occasionnel. Bien entendu, les amitiés de Jodocus avaient su tenir les autorités religieuses à distance de son établissement, et il n'avait ainsi jamais été inquiété, pouvoir compter le Grand Lecteur de Sigmar, le Grand prêtre de Händrich et l'Aruspice de Mórr parmi ses débiteurs aidant certainement.

La porte du Bec Fin était simple et étroite, coincée entre l'Hôtel des Guildes -que l'on appelait aussi Grand Bleu à cause de la couleur de sa façade- et l'Ambassade de Nuln. Anton frappa une série de six coups brefs suivie de deux coups plus marqués, comme le voulait l'usage, et une trappe s'ouvrit pour laisser voir un œil inquisiteur. Le baron déclina rapidement son identité et la raison de sa visite, et la porte s'ouvrit. Une maritorne aussi grosse que laide lui indiqua le chemin et descendit une série d'escaliers qui s'enfonçaient dans des souterrains aménagés. Des éclats de rire et une douce musique parvenaient aux oreilles d'Anton, mais on le guida dans la direction opposé, avant de le faire entrer dans un appartement privé à la décoration luxueuse. C'était là que l'attendaient ceux qu'il avait sollicité : Herman Zedder, maître de la Guilde des Tailleurs et Tisserands, et Orel Stadtmüller, maître de la Guilde des Cordonniers. De part la position qu'ils occupaient, ces deux bourgeois gras et richement accoutrés faisaient partie des personnalités les plus importantes de la ville. Leurs corporations contribuaient à la réputation d'excellence dont jouissaient les produits venant de Pfeildorf dans tout l'Empire, en plus de dégager des revenus considérables.

Les trois hommes engagèrent la discussion autour d'un verre d'aquavit kislévite. Les deux maîtres de guilde semblaient favorable au rachat des entrepôts du Sollhafen, à condition qu'ils puissent bénéficier de tarifs de stockage préférentiels. Cependant, concernant la taxe, Herman Zedder formula une condition.


- "Il me semble naturel que les matières de luxe telles que la soie et la fourrure soient épargnées par cette mesure, sans quoi Pfeildorf sera en pénurie en quelques semaines à peine, et nos amis n'auront plus qu'à se vêtir comme des charretiers." dit-il avec un rire gras.

- "Si une telle ordonnance est décidée par le Conseil des Pairs, les maisons tiléennes de la ville n'attendront pas pour riposter." nota Orel Stadtmüller. "Quelles que soient vos considérations politiques, l'action commerciales des Voûtes est vitale pour l'économie de Pfeildorf. Prenez garde à ne pas trop froisser nos amis du Sud, Herr Andeldoch. Les effets de telles mesures pourraient, si elles s'accumulent, causer bien plus de mal que de bien."

- "Quoi qu'il en soit, nous sommes ravis de converser avec un homme courageux et entreprenant tel que vous, baron." ajouta Zedder avec un sourire, ses doigts bagués croisés sur son ventre bedonnant. "Voilà longtemps que les choses n'ont pas changé en faveur des intérêts impériaux, ici bas."

Stadtmüller acquiesça, et les deux marchands garantirent leurs votes à Anton si l'ordonnance de ce dernier respectait leurs conditions.
Test de Perception (basé sur Int) : 15, échec.
La nuit était déjà bien avancée lorsqu'Anton quitta le Bec Fin. Il traversa à nouveau l'Alttorplatz en sens inverse et descendit la Gerechtfeldstrasse pour se rendre à la porte Neusüden. Une pièce glissée discrètement dans la poche d'un garde lui permit de sortir de la Pfeildorf -dont les portes étaient fermées la nuit- par une poterne excentrée. Là, il emprunta la route de Gerechtfeld à la faveur de l'obscurité. Il longea le campement des pèlerins, vaste taudis provisoire où s'agglutinaient les tentes et les cabanes insalubres de ceux qui n'avaient pas assez d'argent pour se payer une chambre dans l'une des auberges de la ville. Après une petite heure de marche, le baron arriva finalement à l'auberge du Chien et du Renard où il regagna silencieusement sa chambre pour s'accorder un repos bien mérité.



Ce vingt-et-un Sigmarzeit s'annonçait être une longue journée. Le ciel était dégagé et le soleil tapait fort sur Pfeildorf et les environs, échauffant les esprits.

Anton déjeuna à l'auberge du Chien et du Renard en compagnie de ses compagnons, le margrave Otto Ingelfingen et le baron Lothar von Ülmer, ainsi que les deux fils de ce dernier, Karl et Ludwig. Lothar était encore sceptique concernant la manœuvre d'Anton, notamment sa soudaine déclaration d'allégeance au Prince Falco. Il n'avait de cesse de maugréer et de pester contre les bourgeois auxquels Anton était forcé de faire des ronds de jambe. Otto, quant à lui, accepta calmement de présenter la proposition d'ordonnance devant la seconde session du Conseil des Pairs qui devait se tenir en fin d'après-midi. Ils admirent tous les deux que la cause de l'indépendance avait tout d'abord besoin de fonds et que ces tractations douteuses étaient nécessaires. Il fallait bien commencer quelque part.

Suite à ça, le baron de Terre-Noire se rendit en ville où il devait rencontrer le représentant nain, le baron Hans von Bulöw et son dévoué partisan, Lazarus. L'ambiance était lourde à Pfeildorf, dont les artères et les places étaient encore encombrées par des centaines de pèlerins suants qui ne devraient repartir que le lendemain, après les dernières célébrations en l'honneur de Sigmar. La foule se bousculait de toute part et faisait un vacarme impressionnant, avançant de manière aléatoire en un flot absurde d'êtres humains. Des dizaines de marchands itinérants et de voleurs à la tire profitaient de cette affluence, et les gardes, transpirants sous leurs uniformes, avait fort à faire pour maintenir l'ordre au sein de cette cohue fumante.

Anton se fraya tout d'abord un chemin vers l'ambassade des Royaumes Nains, en bordure de l'Alttorplatz. C'était un bâtiment massif à deux niveaux, aux pierres de taille grises et aux fenêtres étroites qui lui donnaient l'aspect d'une forteresse assiégée. Des bannières richement décorées et ornées de runes pendaient des meurtrières et deux gigantesques braseros en fer forgé encadraient une magnifique porte en chêne gravé. La Casemate -c'était son doux surnom- faisait valoir les intérêts des clans de Karak Hirn et Karak Norn, ainsi que ceux des nains expatriés qui vivaient à Pfeildorf. Les forteresse des montagnes étaient des partenaires commerciaux importants de la ville, et les expatriés contribuaient à sa richesse, notamment grâce à leurs activités de forgerons, d'orfèvres et d'ingénieurs. Les ressortissants de l'Empire Souterrain étaient donc particulièrement choyés et l'on prenait garde de ne pas les froisser, eux dont la susceptibilité était légendaire. La Casemate avait ainsi un siège au Conseil des Pairs du Sudenland, occupé par l'ambassadeur Nôrund Noircharbon, membre du clan Drazhkarak et neveu du roi Alrik Ranulfsson de Karak Hirn.

Anton fut accepté à l'intérieur après un contrôle rapide effectué par les marteliers nains qui gardaient l'entrée de la Casemate. L'intérieur du bâtiment évoquait plus une fortification militaire qu'un établissement diplomatique. Les couloirs étaient étroits, la décoration sobre et les gardes nombreux. Si Pfeildorf était attaquée, il ne faisait nuls doutes que les derniers défenseurs seraient retranchés ici. Le baron humain fut escorté jusqu'au bureau de l'ambassadeur, à l'étage. C'était une pièce relativement petite au centre de laquelle trônait une magnifique table taillée dans un unique bloc de marbre blanc veiné, qui tranchait avec la couleur granitique du reste du mobilier. Nôrund Noircharbon était assit derrière cet imposant monolithe, juché sur une chaise en chêne à haut dossier. Il invita Anton à s’asseoir. C'était un nain quelconque pour l’œil humain, petit, ventru et poilu. Sa tenue et ses parures en or massif témoignaient cependant de sa richesse, et sa barbe rousse était propre et nattée.

Le baron de Terre-Noire exposa sa résolution, et l'ambassadeur l'écouta sans l'interrompre, un poing appuyé contre la joue. Lorsqu'Anton eut terminé, le nain lui répondit sans équivoques ou simagrées. Il acceptait de voter en faveur de l'ordonnance à deux conditions : que les produits en provenance ou en destination de Karak Norn et Karak Hirn bénéficient d'une exemption fiscale, et que l'offre publique d'achat émise par le Conseil des Pairs disqualifie les potentiels acheteurs de l'un des trois entrepôts rachetés à la Maison Di Saltarelli. La Casemate avait en effet le souhait de se porter acquéreur de l'un de ces entrepôts. Lorsqu'il était question d'avarice, les nains n'étaient pas bien différents des humains, au final.

Une fois les négociations terminées, Anton quitta l'ambassade naine et emprunta une série de ruelles pour éviter une Alttorplatz bondée. Il rejoignit la Reikstrasse pour se diriger vers le Reikhafen, où il devait retrouver le baron Hans von Bulöw. Le Reikhafen était le pendant du Sollhafen, en plus fréquentable. Tout aussi animé, le quartier ouvrait sur le port du Reik Supérieur, face au village averlandais de Merkelhausen, sur l'autre rive du fleuve. Les rues du Reikhafen étaient pleines de passants, de vendeurs ambulants, de débardeurs, de manœuvriers et de charrettes de marchandises qui revenaient des quais. Anton fendit la foule et resta à distance des quais, s'engageant dans la venelle où se trouvait l'auberge des Aigles Jumeaux. C'était un établissement respectable, tenu par la veuve Solveig Steinmetz et les familles de ses deux filles, Irina et Janna. On y servait un brouet d'anguilles aux poireaux célèbre dans tout le Sudenland. C'est ici que l'attendait le baron Von Bulöw, dans une petite pièce séparée de la salle principale.

Hans von Bulöw était un noble insipide et oisif, archétype parfait de la décrépitude de l'aristocratie impériale. Il ne se souciait ni de ses gens ni de ses terres, pas plus qu'il ne semblait accorder d'importance à la politique ou aux affaires d'Etat. Son discours était assommant au possible et discuter avec lui relevait de l'exercice. Sans être désagréable, il était juste désolant et son ambition semblait s'arrêter au prochain bal mondain ou à la dégustation de moules d'eau douce qui l'attendait après la réunion du Conseil des Pairs. Jouait-il la comédie, ou était-il réellement barbant ? Toujours est-il qu'il essaya plusieurs fois d'esquiver les avances d'Anton en changeant de sujet, jusqu'à ce que le baron de Terre-Noire le prenne de court avec une attaque frontale.

Test de Char : résultat caché.
Von Bulöw se montra décontenancé, visiblement gêné par la situation. Il toussa dans son poing et demanda à Anton quelques instants pour considérer la question. Quelque chose semblait le retenir, et pourtant ... son fief, Wittenhausen, se trouvait sur le cours de la Sol. Installer un péage à cet endroit démultiplierai les bénéfices dégagés par sa bourgade, lui permettant potentiellement d'y mettre encore moins les pieds. Le train de vie d'un noble était élevé, et le maintenir exigeait parfois quelques sacrifices ...

- "Mais il va falloir recruter un collecteur de taxes, des gardes, des scribes ... je vais avoir des comptes à rendre avec la trésorerie de Pfeildorf ... mh ..." minauda-t-il comme si cela justifiait son hésitation. "Veuillez pardonner mon embarras, mais il faut que je réfléchisse. Je ne sais pas si Wittenhausen peut se permettre l'installation de telles infrastructures à l'heure actuelle ... l'été arrive, mes gens doivent rentrer les récoltes ... et .. euh ... je vais considérer votre proposition. Il y a tant de choses à prendre en compte. L'administration d'un domaine ne saurait se faire dans la hâte, n'est-il pas ? Bien, bien. Je vous donnerai ma réponse ce soir, mh ... avant le Conseil." dit-il en s'épongeant rapidement le front avec un sourire mal assuré.


C'est sur ces mots, et après de mièvres formules de politesses, que les deux barons se quittèrent. La journée était déjà bien avancée et le Conseil des Pairs se réunirait dans quelques heures à peine, Anton devait faire vite. Il emprunta à nouveau la Reikstrasse et remonta une une fois encore vers l'Alttorplatz. L'ambiance était étrange en ville, électrique. A mesure qu'il marchait, Anton entendait les discussions autour de lui. La nouvelle de l'augmentation de la taxe imposée par le Décret des Moutons avait déjà fait son chemin et l'on s'en indignait ouvertement. Bien que la taxe touche plus particulièrement les campagnes du Sud, on faisait des pronostiques sur ses répercutions au niveau du commerce à Pfeildorf, et cela ne présageait rien de bon pour les marchands et les artisans. On parlait aussi de ce nouveau prince étranger qui prétendait au titre d'héritier de la couronne du Sudenland. On disait qu'il avait sauvé une vieille femme des griffes de soudards wissenlanders, qu'il parlait à son cheval comme à une confidente ou encore que c'était une supercherie orchestrée par la Grande-Baronne elle-même. Enfin, on pestait contre ces centaines de pèlerins venus du Wissenland proche et qui ne respectaient rien. Anton marchait au milieu des rumeurs, et certains le reconnaissaient et se retournaient sur son chemin. Plusieurs fois, on lui adressa un signe de la tête, la mine grave. Mais alors qu'il arrivait en bordure de la grande place et de son vacarme incessant, le baron de Terre-Noire assista à une altercation pour le moins intéressante.

Un attroupement s'était formé autour de la charrette d'une vendeuse de saucisses aux herbes. Plusieurs personnes, qui semblaient être des pèlerins, accusaient la vendeuse de les voler. La bonne femme, bien en chair et à la poitrine abondante, rétorquait en gueulant comme une charretière, les poings sur les hanches. Le soleil tapait, et de plus en plus de curieux, le front luisant de sueur, venaient observer la scène. Le ton monta. Trois hommes se rangèrent du côté de la vendeuse et invectivèrent les clients mécontents. On s'insulta. Un "ordure du Wissenland" fusa, tandis qu'en face on suggéra à un sudenlander de "retourner auprès de la brebis qui lui tenait lieu de femme." Et on en vint aux mains, sous les yeux de la foule. La mêlée était confuse, il y eu un cri, un pèlerin s'écroula lourdement sur le pavé en se tenant le ventre tandis que les gardes arrivaient en courant, essoufflés, et dispersaient la foule à coup de matraque. Les badauds reculèrent mais ne quittèrent pas la scène pour autant. Les protagonistes furent promptement arrêtés par les autorités tandis que deux soldats se penchaient vers l'homme à terre. Il était mort, l'estomac perforé par une dague. Des cris de contestation montèrent depuis l'assistance tandis qu'un autre contingent de hallebardiers arrivait au pas de course, portant l'uniforme du Wissenland et provenant de la caserne toute proche, dans le quartier de Mórrsfeld. Après quelques instants d'incertitude de la part des gardes, les pèlerins impliqués dans la bagarre furent relâchés tandis que la vendeuse de saucisse et ses camarades furent emmenés par les gardes, poignets liés. Des sifflets indignés et des quolibets fusèrent de toute part. Quelqu'un cria "Sudenland libre !", caché dans la masse. Quelques tomates jurent jetées sur les hommes du guet. La tension monta d'un cran, l'excitation était palpable et la situation menaçait de dégénérer. L'un des officiers fit claquer un ordre et, soudainement, les gardes et les soldats présents se jetèrent sur la foule pour la disperser violemment, frappant indifféremment hommes, femmes et enfants de la hampe de leurs hallebardes ou de leurs matraques. Les spectateurs s'éparpillèrent aussi vite, non sans hurler quelques insultes ordurières, et le calme revint peu à peu tandis que deux brancardiers vêtus de noir emportaient le corps du pèlerin décédé vers le temple de Mórr. Anton venait d'assister à ce qui serai rappelé sous le nom "l'Incident de la Saucisse", et qui marquerai la première étape d'une époque mouvementée pour le Sudenland et ses habitants. Il apprendrait à peine un peu plus tard dans la journée que le pèlerin mort était Viktor Stösser, un cousin éloigné de Vladimir von Schneider, lui-même le beau-frère de la Grande-Baronne Etelka Toppenheimer, et que les protagonistes arrêtés seraient jugés et pendus dès le lendemain.

Mais ce triste spectacle avait encore retardé Anton, et il ne devait plus perdre une minute. Il s'engouffra dans les ruelles pour éviter la foule des grandes allées et se dirigea au plus vite vers la taverne du Vieux Comte pour y retrouver Lazarus, son fidèle suppôt. Le jeune homme l'y attendait, assit au fond, l'air à la fois anxieux et terriblement excité. Aussi flâneur puisse-t-il être, le fils du Remikopf sentait que les choses commençaient lentement à se mettre en place et que c'était maintenant qu'il devait jouer le rôle qu'il avait attendu toute sa vie, pour lequel il était né.

Lazarus fit vite, et donna à Anton toutes les informations qu'il avait pu réunir jusque là.

- "Alors pour les bourgeois mécontent, j'ai pensé à Herr Ecclestein, le propriétaire de la brasserie Schwarzbrunn et de la compagnie des hôtelleries Ecclestein. On dit qu'il s'est fait pas mal d'ennemis en rachetant un certain nombre des tavernes à Pfeildorf et qu'il envisage d'embaucher des gardes du corps pour se protéger contre des sabotages ou des tentatives contre sa personne. Il parait qu'il dit qu'on ne peut pas faire confiance à la garde." dit le jeune homme à toute allure, avec un enthousiasme presque frénétique. "Et puis ..." Il paru soudainement gêné. "Y a le patron de la Caverne, aussi, Bruno Grimm. Sa taverne est en sous-sol du Sollhafen et il y organise des combats. La Marte lui fait payer une rente mensuelle en le menaçant de le faire fermer si il ne paye pas. Je peux vous dire qu'il l'a en travers, Grimm, et pourtant ce n'est pas le genre d'homme à se laisser faire aussi aisément." Il marqua une pause, comme s'il réfléchissait, avant de continuer. "La Compagnie des Ferry des Coureurs du Reik, de Josef Buchner. Elle assure le transport de passagers jusqu'à Nuln depuis Pfeildorf ou plus haut sur le Reik Supérieur et la Soll. Ils ont eu plein de problèmes ces derniers temps, avec des bandits qui rançonnent le passage à certains guets. Pareil pour les lignes de diligence du Cerf Blanc et des Transports de Sigmar. Et puis y'a la Maison Alptraum, aussi, de la Compagnie Commerciale d'Averland. La baronne Susanne von Alptraum recrute des mercenaires pour protéger les troupeaux et les marchandises qu'elle fait venir d'Averheim. Et puis au final, vous avez la plupart des entreprises commerciales de la ville qui font appel à des gardes privés dès qu'elles exercèrent des activités d'import ou d'export. Plus personne n'ose emprunter les routes de nos jours, et même les rivières ne sont plus sûres. J'ai bu un canon avec un membre du guet la dernière fois qui m'a dit que pas plus tard que le mois dernier, ils avaient compté plus de six incidents de la sorte sur le Reik entre Bernau et Ellwagen seulement. Il doit y avoir une bande solide dans les parages, je vous le dis."

Il toussa dans son poing comme pour se rappeler à l'ordre et continua.

- "Pour ce qui est des damoiseaux, je vous recommande de vous adresser à Reiner von Nollendorf et à son ami, Ingo von Foster. Reiner est un ancien étudiant de Nuln, c'est comme ça qu'on s'est rencontré. Lui et Ingo étudie désormais au Conservatoire du Baron Von Hutten et ils y passent tout leur temps, quand ils ne sont pas au cabaret du Coq Rouge ... Ils se disent poètes, libéraux, contestataires ... enfin vous voyez ce que je veux dire. Reiner est le neveu du vicomte Erwin-Kleist Von Nollendorf, qui siège au Conseil des Pairs je crois bien, et Ingo est le fils de Emile von Foster, le célèbre écrivain de la cour de Nuln. Ce sont deux sudenlanders de sang et de cœur et bien qu'ils soient un peu stupides, ils feront probablement l'affaire."

Lazarus leva les yeux au ciel quelques secondes, prenant le temps de remettre les idées en place dans son esprit et de ne rien oublier. Il apprit à Anton que, dans une soirée estudiantine, il avait rencontré le cousin d'une amie de son voisin de chambrée, qui lui-même avait connu un palefrenier qui lui avait dit que, une fois, à la fête d'anniversaire de Madame Isabelle von Der Gross, il avait surpris Herr Alexander von der Goltz en train de faire des choses pas très sigmarites avec un jeune larbin de Madame von Der Gross. Et que Von der Goltz avait payé le palefrenier pour qu'il ne dise rien, mais que ce dernier en avait quand même parlé au cousin de l'amie du voisin de chambrée de Lazarus, et ce parce qu'ils étaient amis. Lazarus regardait Anton en clignant des yeux, sans réellement se rendre compte à quel point son réseau impressionnant était précieux. Le sbire des Von Andeldoch était de ce genre de personnes pour qui ses propres qualités n'en étaient pas, et passait pour lui comme normales, sinon naturelles. Une sorte d'humilité simplette, de modestie pleine de fraîcheur qui tranchait avec le nid de mensonges et de perfidie qu'était Pfeildorf.

- "Pour la fille que vous cherchez, Herr Andeldoch, j'ai peur de pas bien savoir où trouver. Je ne connais que ces gentes damoiselles de Pfeildorf. Il y a bien Suzy, qui est serveuse à la taverne du Marteau noir, dans le Schwarzwache. Elle est arrivée de Ummenbach il y a une semaine à peine, et mes amis ne ne parlent déjà que d'elle."

Ummenbach était une petite bourgade non loin de Terre-Noire. Il ne faisait nuls doutes que cette Suzy était une vraie fille de l'arrière-pays.

- "En ce qui concerne les hommes de main, adressez vous à Bernhard "Döppelganger" Dinkel. C'est un ancien joueur d'épée, et il dit qu'il a servit dans la Bridage des Crânes de l'Ostermark avant d'être démobilisé pour incapacité. Il passe son temps entre la Caverne et la taverne de la Dernière Chance de la Vie, dans le Mórrsfeld. Peut-être bien qu'il pourra vous aider à trouver les hommes qu'il vous faut. Et enfin, si vous cherchez des gens pas recommandables ..." Lazarus toussota et jeta un regard alentours avant de se baisser vers Anton. "... vaut mieux éviter les familles Dornier et Heinkel ces temps-ci. On dit qu'ils sont en guerre ouverte et si vous faites appel à l'une, c'est l'autre que vous aurez sur le dos. Non, le mieux c'est de faire appel aux Luciano-Lansky. Vous les trouverez dans le Mórrsfeld."

Lazarus marqua une pause et écarquilla soudainement les yeux comme s'il venait de se souvenir de quelques chose. Il hésita un instant et sorti une missive cachetée à la cire de la poche de son veston.

- "Euh ... Un homme m'a remit cela, tout à l'heure. Il portait une longue cape grise et une capuche, et il s'est volatilisé avant que je ne puisse le questionner ... Il m'a dit que c'était pour vous .. Ahem ..." Il posa la lettre sur la table avec un air coupable.
Prenez garde, Herr Andeldoch. D'autres que vous espèrent pouvoir tirer leur épingle du jeu. Ne faites confiance à personne. Surveillez le Père Max. Brûlez les greniers de la ville lorsque le Prince sera mort.

A.
Fort de toutes ces informations, Anton quitta Lazarus pour se rendre à sa dernière étape avant le Conseil. En effet, il devait maintenant rejoindre l'auberge du Siège Doré, dans l'Alderhorst, pour y retrouver le Prince Falco. Le baron de Terre-Noire traversa à nouveau la ville, plongé dans cette foule enfiévrée par la chaleur et l'énervement. Il longea une dernière fois l'Alttorplatz et s'engagea dans la Schlosstrasse en passant devant la Grande Eglise de Sigmar. Le Siège Doré se trouvait juste derrière. C'était un établissement s'adressant uniquement à une clientèle de classe élevée, incluant la noblesse, les nouveaux riches et les membres influents du clergé. La patronne ne prénommait Juliane Damrosch et dirigeait cet hôtel immaculé, aidée par des videurs qui s'assuraient que la populace soit maintenue éloignée de ses riches clients. La nourriture y était excellente et le chef halfling Samuel Painson y dirigeait les cuisines. La carte des vins proposait les meilleurs crus sudenlanders, ainsi que d'autres bouteilles plus chères provenant de l'Averland, du Wissenland, du Reikland, de Tilée et d'Estalie et même de Bretonnie. Bien sûr, les tarifs y étaient deux fois plus cher que n'importe où dans Pfeildorf, à part peut-être le Bec Fin. C'est dans cette auberge luxueuse que le Prince avait loué une suite, et c'est là que venait le rencontrer Anton.

Ce dernier arriva devant l'entrée du magnifique bâtiment à colombages dont la porte était cernée par une magnifique glycine. Un garde en tenue sobre et élégante lui demanda de décliner son identité avant de le faire entrer dans un vaste hall où une hôtesse lui demanda à nouveau son nom ainsi que celui à qui il venait rendre visite, et lui demanda de patienter un instant. Elle disparu dans un magnifique escalier en marbre et redescendit après plusieurs minutes pour faire signe à Anton qu'il pouvait monter.

Le baron de Terre-Noire trouva sans problèmes l'entrée de la suite du Prince. En effet, la porte était gardée par deux chevaliers visiblement étrangers. Ils portaient tous les deux le même uniforme, composé d'une magnifique lorica tiléenne faites de plaques de métal assemblées par des charnières et des boucles en bronze, passée par dessus une tunique rouge sang aux bordures dorées. Des courroies en cuir maintenaient également des plaques de protection sous la nuque et la gorge, ainsi que sur les épaules. Cette cuirasse finement travaillée était ornée de phalères circulaires sur lesquels étaient ciselées des figures en relief représentant des scènes de chasse et de combat. En guise de braies, ils portait une jupe en lanières de cuir bouilli teint en noir qui leur descendait jusqu'aux genoux. Des cnémides sculptés leurs protégeaient les tibias et, enfin, ils étaient chaussés de sandales renforcées par des rivets en métal. Leurs casques étaient composés d'une calotte en métal brillant doté de deux paragnathides, d'un couvre-nuque allongé et d'une magnifique crête transversale d'un rouge vif qui leur donnait une hauteur et une allure impressionnante. Un foulard bordeaux était passé sous le casque, qu'ils avaient monté jusqu'au nez, et on ne voyait ainsi que leurs yeux sombres et leur peau tannée. Un long glaive à la garde sculptée pendait à leur ceinture, rangé dans un fourreau blanc ivoire et secondé par plusieurs dagues à lame triangulaire. Ils avaient chacun la main fermée sur la hampe d'une longue lance au bois noir et à la pointe en forme de flamme, dont le centre était creux et les bords tranchants. Mais ce n'était pas le plus impressionnant : par dessus cet attirail exotique, ils portaient tous deux la peau d'une énorme félin sur leurs épaules. La tête de la bête dépecée se trouvait sur l'épaule droite, exposant son imposante crinière, et cette cape fauve était retenue par un nœud sur le torse des chevaliers, fait avec deux des pattes où l'on pouvait encore voir les terribles griffes. Cette parure donnait réellement un aspect terrifiant aux deux chevaliers, qui devaient être des assermentés de l'Ordre de la Sainte Crinière dont Falco avait parlé lors du Conseil des Pairs. Ils posèrent silencieusement les yeux sur Anton avant d'incliner la tête et de s'écarter de part et d'autre sans un bruit, lui cédant le passage vers la porte.

Ce fut le Père Benito Alberico, encapuchonné de bleu, qui lui ouvrit. Il le gratifia du salut myrmidien, tendant sa main droite ouverte en éventail, paume vers l'extérieur devant sa poitrine, avant de l'écarter sur le côté, puis lui sourit.


- "Soyez le bienvenue, Herr Andeldoch." dit-il d'une voix calme. "Le prince va vous recevoir immédiatement."

Anton pénétra dans les appartements, qui étaient d'un luxe rare. Le sol était en tomettes de marbre rose et le mobilier presque exclusivement d'ébène ou de noyer. Un lustre en bronze magnifique pendait du plafond, et de nombreuses plantes luxuriantes étaient disposées ça et là dans de délicates poteries en porcelaine peinte.

Falco attendait patiemment dans la pièce d'à côté, assit sur un siège matelassé aux accoudoirs sculptés en tête de cygne, lisant un livre à la reliure doré. Il était vêtu d'une simple chemise de soie bleue et portait un pantalon blanc et des souliers en cuir fin et à talon en bois. Une jambe croisée sur l'autre, il avait l'attitude princière et détendue de celui qui était né pour régner. Lorsqu'il aperçu Anton qui s'approchait, il le regarda marcher quelques secondes comme s'il l'évaluait, puis referma délicatement son livre et le posa sur la table basse dorée à côté de lui. Nullement pressé, il se releva lentement et s'inclina profondément, une bras plié sur son torse, un autre dans le dos.

- "Bien le bonjour, mon cher cousin. Le Père Benito m'a fait part de votre souhait, ainsi suis-je à présent à votre disposition. Que puis-je faire pour vous ?"

Derrière eux, le prêtre myrmidéen s'était installé sur un siège et et alluma sa pipe et regardant Anton.
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Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

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PFEILDORF,
Taverne du vieux Comte

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Il est temps de faire un point.

On savait qu'Anton von Adeldoch n'avait l'habitude de soliloquer qu'aux instants de doute ou de suprême importance. Or les immenses forces qu'il avait mises en branle, ajoutées à celles auxquelles il n'avait guère fait que prêter un bras aidant ou une oreille attentive qualifiaient certainement les heures à venir de cruciales. Seul dans la loge du Vieux Comte, il entreprit de faire l'inventaire de sa situation. Docilement, Lazarus s'était écarté, le temps pour le baron d'être parfaitement au clair sur les instructions qu'il souhaitait lui donner.

D'abord l'affaire des entrepôts. Mon idée est simple : utiliser le pouvoir du Conseil pour détourner de l’argent au profit d’une caisse noire de l’indépendance. Il va nous falloir réunir deux tiers des voix pour cela.

La maison des guildes marche avec nous ; Jan Möbius son représentant s'aligne avec les conditions prévues. Korb des Tanneurs se rangera à l'avis des autres guildes, or les Tondeurs sont des nôtres, tandis que Zedder le Tisserand et Stadtmüller le Cordonnier sont d'accord sous réserve d'obtenir la dérogation fiscale pour la soie et les fourrures. Avec l'avertissement de ne pas être trop gourmand sur le dos des partenaires commerciaux du Sud. Ces conditions seront aisées à satisfaire. Quant aux nains, ils acceptent à deux conditions : la concession d'un des entrepôts, et une exemption de taxe pour les marchandises de Karak Norn et Karak Hirn. Ce qui fait donc 6 voix avec nous.
Neuf, si l'on ajoute Otto, Lothar et moi-même.

En face, les opposants certains sont Walsinheim, Ernest "Le Noir" et le Grand Lecteur de Sigmar. Visiblement cette lavette de Bulöw est à ranger dans cette catégorie, l'imbécile. Ce qui nous rend à quatre voix "contre". A ce stade, ce sont des mathématiques, plus de la politique ! Continuons.

Alexander von der Goltz est un déchet humain, qui se laisse souffleter par sa femme et va assouvir ses besoins sur des garçons d'écurie. Autant dire qu'il devrait être possible de le retourner à notre avantage. Je le compte pour nous.

Quant à Frédéric, il est imprévisible à ce stade de dire comment il va réagir. Il méprise les marchands, mais notre discussion a pu lui donner l'envie de nous suivre au moins dans un premier temps. Jouons les pessimistes, puisque je suis optimiste pour Goltz : une voix contre de plus. Dix contre cinq.

Restent Von Nollendorf et le père Max. Le saint homme va s'abstenir, il n'y a pas de raison, du moins pour les premiers votes ; tant que nous ne cédons pas la jouissance des entrepôts à perte, il n'y a pas trace de malversation, donc pas besoin que leur sacro-sainte justice s'en mêle. Et puis il a fermé les yeux sur tout cela si longtemps !

Von Nollendorf est donc l'ultime inconnue. Reprenons. »


Le baron s’empara de l’épais portefeuille qui, jeté sur une table, recensait des dizaines de courtes fiches écrites de son hésitante graphie.

Nollendorf
Poète. Noble jusqu’au bout des ongles. Déteste les bourgeois. Grand nostalgique, idéaliste, mais oisif et peu engagé. Cosmopolite : marié à Monica Di Dragone Soirées à son manoir. Cercles d’influence : littérature, arts, argenterie, noblesse ++. Maître d’Hausern : bourgade, production d’argenterie. Cf querelle Meissen-Hausern. Manœuvres en cours pour l’exclusivité des droits à Pfeildorf.


Le baron jura, jeta la fiche sur la table et reprit son monologue.

Un poète ! Et pourtant ! Il faut bien qu’on se l’achète. Or on n'achète pas un poète, du moins pas dans l'urgence. On se les attache, on les subventionne, on les manipule... mais les acheter ? C’est que le temps va nous manquer… Il resta un instant songeur. Oh et puis Morr les emporte tous. On n’a rien sans rien.

Le baron se rassit, très calmement, et traça rapidement à grands-traits deux missives.

La première était libellée assez hâtivement. Elle s’adressait à Otto Ingelfingen, lui communiquait sur Von der Goltz les détails que Lazarius avait mis au jour, en ajoutait un ou deux tirés d’une fiche qu’Anton consulta scrupuleusement. En un mot, il s’agissait pour le délicat d’Otto d’user de tout son tact, et de la force de persuasion de Lothar si nécessaire, pour s’assurer de la fidélité de Von der Goltz dans les semaines à venir. Il signa rapidement, cacheta la missive, et s’attaqua à la suivante.

Elle était bien plus complexe à rédiger, et Anton sembla peiner. A quelques fioritures près, quelques phrases badines de bon ton, d’accroche puis conclusives, elle se résumait à ces quelques paragraphes.

[…] Vicomte, nous nous côtoyons depuis des années et ne nous connaissons finalement que fort mal, parce que nous avons tous les deux choisi deux voies différentes : à vous le rôle du mécène des arts et des lettres, à vous la défense de notre culture et du génie des âmes bien nées et fortifiées par la juste éducation ; à moi le souci politique, la lutte pour la prévalence de ceux pour qui diriger est non seulement un droit, un devoir mais également un sacerdoce, la guerre dans ce qu’elle a de noble et de parfois laid, pour les idées et la victoire des idéaux. Ces deux voies ne se rencontrent guère, mais elles ne s’éloignent pas non plus, et nous avons finalement plus de points communs qu’on ne le croirait ; le goût de l’étranger, la soif du mot juste -qu’il soit au service d’une œuvre ou d’une idée-, l’amour de nos belles contrées, de ses valeurs et de ses mélopées tout comme le mépris de la médiocrité des âmes et des minables intérêts qui semblent partout gouverner notre époque.

Il est d’usage Vicomte dans les cercles où nous évoluons de compliquer à l’envi chaque phrase et chaque mot, de ne pas parler juste de peur de paraître trop simple et fort peu au goût du jour, qui aime les tournures vastes et compliquées, les entrelacs de significations quand une parole simple suffirait. Je crois savoir Vicomte que vous n’êtes pas de ces esprits-là ; quant à moi cela fait longtemps que je ne parviens plus à me forcer à parler leur langue superficielle. On ne crée pas par l’extravagance du vocabulaire mais par la justesse de l’expression, voilà ce en quoi je crois, aussi je vous demande pardon de la franchise avec laquelle je vais m’adresser à vous. Avec un autre j’eu peut-être davantage tournoyé, mais je sais que quelle que soit votre réponse, elle sera franche comme il convient lorsque deux cœurs nobles, qui ne se peuvent appeler ami mais qui, je le pense, se respectent, s’adressent l’un à l’autre.

Monsieur le Vicomte, je vais faire proposer lors de la prochaine session du Conseil le recours à une veille loi destinée à permettre au Conseil de lever des impôts sur le trafic fluvial et sur les biens qui traversent ou entrent en notre province. Cet argent sera destiné au rachat par le Conseil d’entrepôts récemment cédés à la maison Di Saltareli, entrepôts dont le bail sera ensuite cédé aux différents marchands de Pfeildorf. L’objet de cette action est simple : affirmer la prééminence de l’industrie Sudenlandaise, et réaffirmer que le commerce avec nos partenaires est précieux s’il est équitable. Elle est une pierre sur le chemin de l’indépendance que j’appelle de mes vœux. Je souhaiterais savoir si vous vous opposerez à une telle mesure, et dans un tel cas, s’il est quoi que ce soit que je puisse dire ou faire pour vous faire changer d’avis.

Vous voyez Vicomte que je m’adresse à vous en toute clarté, et que sachant combien ces choses comptables sont désagréables à tout bon sang, je vous l’expose sans transiger. Ce faisant, certains diraient que je me mets en votre dépendance, mais je crois qu’en ne vous celant point mes desseins et en me fiant à votre discrétion je lance au contraire entre nos deux chemins un pont dont les fondations ne seront pas branlantes, mais au contraire fiables et authentiques. Qu’importe si ne nous l’empruntons pas pour nous rejoindre : au moins ce sera là un ouvrage digne, ce me semble, de deux gentilshommes.

J’aurais le plaisir d’attendre, Monsieur le Vicomte, votre réponse par retour de courrier. Elle me trouvera sans doute chez le Prince Falco, où je me rends sitôt ma plume déposée. J’espère que nous aurons plaisir d’échanger à ce sujet, qui vous évoque sans doute comme à moi des souvenirs chers qui se rattachent à la Tilée. […]

Avec mes plus respectueuses salutations,
Anton Von Adeldoch, baron de Terre-Noire, etc.


Le baron considéra la lettre d’un air critique, puis haussa les épaules. Nollendorf aurait dû être approché bien plus tôt, et une telle situation préparée bien plus en amont. Mais on ne pouvait pas toujours tout prévoir.

Restait les autres consignes. Anton se plongea un instant dans ses pensées, et consulta à nouveau quelques notes. Puis il rappela Lazarius. Lorsque le jeune homme entra, les yeux du baron divaguaient, tandis qu’il serait dans sa longue main fine et blafarde le mot inquiétant qui lui avait été remis un peu plus tôt. Mais il se reprit vite, se leva, et souri franchement au jeune homme.

Lazarius, je ne peux que te dire merci. Une fois de plus tu t’es montré le plus fidèle de mes amis ! Tu as été d’une incroyable diligence, et tes informations me sont d’un grand secours dans la lutte que je conduis pour l’indépendance…

Devant les yeux brillants du jeune homme, Anton reprit.

Cependant j’ai encore quelques petites choses à te demander, pendant que j’occupe mon après-midi au Conseil et en palabre. Tout d’abord, en ce qui concerne les Luciano-Lanski ; est-ce que - Anton consulta un bout de papier du regard – le chef de gang est toujours un nommé Spengler ? Lazarius opina en silence. En ce cas j’ai besoin que tu m’obtiennes une rencontre avec lui, si cela est dans tes cordes. Je veux jauger un peu l’homme qu’il est, voir si on ne pourrait pas en faire un allié du Prince. Je profiterai de mon passage dans le Mórrsfeld pour rendre visite au traîne-sabre Dinkel.

Voici ensuite deux missives dont je souhaiterais que tu te charges, la hâte étant de mise. Veille à ce que les réponses me trouvent où que je sois dans la journée.

En ce qui concerne cette Suzy, mon opinion n’est pas encore faite, mais je sens bien que je vais avoir besoin d’entrées chez le petit Falco, et que s’il est aussi Tiléen qu’il le prétend, une fille peut m’être d’un grand secours. Si tu peux la prier de se rendre demain à l’Auberge du Renard et du Chien, et de m’y attendre, on paiera ses gages à l’aubergiste…

Enfin il me faut réagir à ce mot. J’ignore qui l’a rédigé, et ce qu’il attend de moi. Mais si je ne vois guère quel crédit accorder à cet inconnu, au moins est-il une partie qu’il est facile de vérifier. Je souhaiterais que tu fasses surveiller le Père Max : que tu me dises qui il voit, et particulièrement dans ses entrevues nocturnes, et si possible ce qu’il s’y dit. Ne prend aucun risque, et veille à ce qu’on ne puisse à aucun moment te soupçonner. Tu m’es bien trop précieux.


Comme à son habitude, Lazarius ne notait rien, retenait tout. Anton observa avec un brin de fascination cette créature qui lui était toute dévouée, au talent fou. Quel incroyable homme était-ce là ! Quel destin aurait pu être le sien, né en d’autres lieux, avec un autre nom… Puis il se reprit. Lui aussi avait du talent, mais d’une autre sorte. Il était fait pour décider et commander. Lazarius, lui, était un exécuteur de génie, et c’est en tant que tel qu’il se tenait debout, silencieux et sérieux, dans les lumières troubles de la taverne.
Anton hocha la tête lentement, pris la main de Lazarius, et rangea ses quelques papiers avant de quitter la pièce, non sans avoir auparavant soigneusement brûlé le petit mot remis par Lazarius. Ils prirent congé sans un mot de plus.
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PFEILDORF,
Dans l'Alderhorst, en route vers l'auberge du Siège Doré

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En arrivant au bas de la Schloss Strasse, les yeux d’Anton ne purent s’empêcher de s’arrêter longuement sur le temple de Véréna. Ses pensées l'occupaient, laissant ses pieds dérouler sous lui le chemin qu'il se proposait de suivre. « Surveillez le Père Max »… L’étrange recommandation ! Comment surveiller pareil homme ? Et pourtant il avait cédé à l’appel. Il allait faire surveiller l’homme le plus intègre de cette ville de voleurs, ne serait-ce que pour connaître la valeur de cet avertissement. Étrange rebondissement d'une affaire d’État, celle de l'indépendance d'un peuple et dont il avait fait, lui, une affaire personnelle...

Il trébucha sans mal sur un des très rares pavés mal ajustés de l'imposante artère, et repris son pas d'automate. « Ne faites confiance à personne ». Celle-là aussi était raide. Qui cela pouvait-il bien désigner ? Les guildes pouvaient-elles avoir trahi ? Et pourquoi en ce cas faire confiance en un encapuchonné de premier ordre ? Quant à la dernière injonction… que le Prince meurt, cela au moins entrait dans ses plans, même si le ton d’urgence du message montrait un extraordinaire mauvais sens du tempo vis-à-vis de la séquence qu’Anton avait en tête. Mais brûler les greniers… à quoi bon par tous les dieux ?

Avec sang-froid, Anton fit le tour de ses positions et de ses engagements. Quand bien même il serait trahi de tous côtés, le pire que l’on puisse lui imputer restait finalement de vagues accusations d’agitation, une préméditation d’abus de biens sociaux, et une bonne dose d’intrigue : la belle affaire ! Tout au plus écoperait-il d’un exil à Terre-Noire, ce qui serait à tout prendre une sentence assez reposante. En revanche, la perspective d’être surveillé en tout instant lui déplaisait souverainement. En dernière analyse, savoir qui lui parlait à travers ce mot était sans doute la clef de la politique à tenir. Il allait falloir redoubler de prudence, et particulièrement lorsqu’il s’agirait de lier langue avec les moins respectables des représentants de Pfeildorf…

Le cours de ses pensées s'arrêta brutalement, le ramenant à des considérations plus immédiates: sa marche mécanique venait de l’amener à son but, et il se tenait à la porte de l’Auberge du Siège Doré. Avec une grande inspiration, il courba la tête et s'engagea sous le portique couvert de glycine.
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PFEILDORF,
Dans les appartements du Prince Falco

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Anton von Adeldoch s’inclina non moins profondément que le prince étranger. Il ressentait au ventre une sorte d’excitation, qui lui semblait être un reliquat de celle qu’il avait ressenti, pas si longtemps avant, au moment de prendre la parole pour jurer fidélité à cet inconnu. Il était temps à présent de prendre la mesure de celui avec qui il comptait bien reprendre la main sur les affaires sudenlandaises.

« Salutation Prince. Je suis enchanté de cette occasion pour nous de parler à cœur ouvert. Le Conseil ne se prête guère à la discussion telle qu’il me semble nécessaire pour nous de tenir.

Le baron esquissa un sourire, et reprit.

Car il me semble que, si nos volontés ont pour ambition de vous restaurer à la dignité de notre commun ancêtre, les obstacles vont se révéler plus que nombreux, et ils demanderont de notre part un mouvement hardi, et communément arrêté.

Je viens donc dans le confort de cet appartement privé à la fois renouveler les engagements prononcés dans la cohue de la scène publique, me placer à votre disposition, mais également sonder un peu vos projets et les actions qu’il convient de mener.

Je viens également, pour vous parler à cœur ouvert, clarifier les termes de notre activité commune. Car vous n’ignorez pas que j’ai tenu longtemps le rôle du prétendant au titre de Comte, et j’allie encore aujourd’hui des ressources intéressantes avec un habileté je crois toujours vive. Cette habileté, je la mets volontiers à votre service, mon cousin, mais sans doute aimerais-je que nous précisions ensemble quelle sera la place dans cette faction que vous créâtes de fait en venant ici réclamer votre dû.


L’œil fier mais la posture détendue, Anton Von Adeldoch attendit donc que son cousin prit la parole à son tour.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 11 déc. 2016, 22:44, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Le prince hocha doucement la tête et invita Anton à le suivre. Ils passèrent devant le Père Benito qui les suivit des yeux et sortirent sur un balcon charmant qui donnait sur le patio de l'auberge. Le jardin et les colonnades étaient inspirés du charme tiléen. De longs cyprès s'élevaient vers le ciel nuageux et le baron de Terre-Noire pouvait apercevoir le clocher de l'église de Sigmar au-dessus des toits couverts d'ardoise. L'agitation de l'Alderhorst ne semblait pas avoir de prise dans cet endroit, et même l'ardeur de cette chaude journée d'été était oubliée grâce au clapotis frais et régulier de la fontaine qui trônait au milieu des buis, au centre de l'atrium. Falco désigna deux sièges à haut dossier qui encadraient une table de séjour en marbre et prit place sur l'un deux. Chacun de ses gestes était lent et mesuré et il était emprunt d'une grâce toute monarchique. Que ses lettres de noblesse soient factices ou non, il avait véritablement l'allure d'un prince de sang. Il saisit une petite clochette en bronze posée sur un piédestal à côté de lui et l'agita. Le tintement ne sembla pas avoir d'effet immédiat, mais Falco reposa néanmoins la clochette et croisa délicatement les jambes en s'appuyant contre le dossier de sa chaise.

- "Je suis fort aise de votre présence ici, cher cousin." dit-il en fixant Anton de ses yeux bleus. "Vos vœux me réconfortent et l'assistance que vous me promettez me remplit de joie."

L'odeur de tabac brûlé qui filtrait à travers les persiennes rappelait à Anton la présence du Père Benito, à l'intérieur de l'appartement. L'ecclésiastique pouvait certainement entendre ce qui se disait sur le balcon.

- "Voyez vous, je conçois parfaitement que mes prétentions, bien que légitimes, soient à même de faire s'élever soupçons et défiance. Je suis étranger en ces terres qui me reviennent de droit. Pire, je suis inconnu de mes gens, pour lesquels je n'aspire pourtant qu'au mieux. Votre connaissance de l'environnement dans lequel je viens à présent m'inscrire me sera immensément précieuse dans ma quête pour retrouver ce qui est mien."

Alors qu'il parlait, Anton entendit une porte s'ouvrir et un serviteur arriva peu après, portant la livrée sobre et élégante de l'auberge du Siège Doré. Il tenait un grand plateau en argent entre les mains et inclina profondément le buste avant de s'avancer. Falco ne lui adressa pas un regard, comme si il n'avait même pas remarqué sa présence. Le serviteur posa sur la table deux verres en cristal, une carafe de zweigelt sudenlander ainsi qu'une coupelle en porcelaine cathayenne remplie de figues confites. Il remplit les verres de vin, se redressa et inclina la tête avant de disparaître.

- "Le Père Benito, avec qui vous avez déjà fait connaissance, m'est d'une aide précieuse. Sa sagesse et ses conseils avisés surent me guider sur la voie de la gloire, en Tilée comme de part mes nombreux voyages à travers le Vieux Monde. Cependant il est ici un étranger, tout comme moi-même. C'est pourquoi j'ai désormais besoin de votre science. Instruisez moi sur la conjoncture politique à Pfeildorf et dans le Sudenland, sur la vie de mes gens, sur leurs espoirs et leurs aspirations. Et aussi, parlez moi de ces "obstacles" que vous mentionniez précédemment." Il se redressa lentement et saisit son verre de vin dans lequel il trempa les lèvres. "Faites ainsi, et votre loyauté sera dûment récompensée. Je n'oublie jamais ceux qui ont su m'aider, et moins encore lorsque ces nobles gens et moi-même partageons le même sang." dit-il, esquissant un sourire froid. "Dites moi ce que vous pensez de ces questions, cousin Anton. Dites moi comment récupérer ce qui m'appartient, et décidons ensemble de l'attitude à adopter pour les temps prochains."

La cloche de l'église toute proche sonna avec force pour annoncer les sextes, faisant s'envoler une multitude de pigeons au dessus des toits. La seconde session du Conseil des Pairs allait débuter dans quelques heures à peine.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Il y avait là bien des choses raisonnables de dites.

Vingt ans et peut-être même dix ans plus tôt Anton von Adeldoch eut regardé son "cousin" avec chaleur, et aurait entamé un de ces exposés, long et passionnés, où le baron se surprenait lui-même en bâtissant au fur et à mesure de son discours une pensée et des thèses qui demeuraient jusqu'ici insoupçonnées, à l'état de songe dans ses rêveries. Il aurait convoqué à la fois son expérience, ses souvenirs, ses lectures et ses rencontres, mais aussi ses pressentiments et ses intuitions pour former d'un bloc nuancé la réponse fournie aux interrogations du Prince, livrant d'un seul trait ondoyant son état d'esprit, ses connaissances et sa vérité.

Bien sûr son interlocuteur n'aurait pas retenu ou même suivi le long fil de son exposé; bien entendu il aurait attaqué les points faibles ou comblé les gouffres béants du raisonnement, contre-point précieux que le baron aurait incorporé immédiatement dans son grand mouvement d'explication, corrigeant le tir dans le mouvement même ou il le façonnait, ajustant la cible au gré des matériaux que l'adhésion ou l'opposition qu'il rencontrerait lui proposeraient. Dressé sur son siège, les yeux en feux et les regards emballés, Anton von Adeldoch aurait discouru sur les espoirs du Sudenland, les astuces de la Comtesse, les jeux des moissons et les peurs des pâtres, son histoire personnelle et puis aussi simplement sur le rôle du climat et des Dieux dans tout ça. D'une phrase il aurait dessiné ses efforts, d'un geste il eût esquissé ses ressources et ouvertement discuté ses faiblesses; son cœur ouvert et emporté aurait tonné à voix franche et grave, dans le clair du jour. Il eût donné franchement son sentiment à ce jeune homme qui, s'il restait un rival, venait de lui demander à lui conseil; et il eût prouvé sans hésitation que lui, le Seigneur de Terre-Noire, était le digne héritier de son ancêtre, un homme des terres du sud, esthète, politique, propriétaire terrien, marchand avisé, diplomate averti, noble d'exception, tout cela à la fois.

Anton von Adeldoch se contenta de hocher la tête, et de gouter lentement du bout des lèvres l'excellent vin qui lui était servi. Il n'était pas là pour se prouver quelque chose. Il n'était pas là non plus pour s'amuser, pour briller, pour faire du Prince son ami ou son maître. Il n'était pas là pour transmettre. Et si la tentation était forte, si toute sa personnalité lui criait de s'emporter, de laisser là toute défiance pour partager franchement tout ce qu'il y avait à partager, le baron écrasa impitoyablement au fond de son âme ces absurdes volitions. Il procéda, méthodiquement, à l'anéantissement de ces idées, prétendant le temps qu'il le fallut apprécier le vin, écouter les cloches et rassembler ses idées alors même qu'il faisait en lui un grand vide, si difficile à réaliser et pourtant si nécessaire.

Puis lorsque son instinct fut laminé, broyé, dispersé sous l'action puissante de sa volonté, lorsqu'il fut bien certain que son âme était vide et sous le contrôle étroit de son esprit, il laissa jaillir en ordre de bataille ses priorités. Il fallait que le Prince le sut indispensable à son succès. Il fallait ensuite que le Prince le crut loyal. Et il fallait enfin gagner prise sur lui. Ce jeune homme, malgré sa superbe, n'était pas son cousin, ou son Prince. C'était un allié au mieux, un outil au pire, un rival dans tous les cas. Un jour viendrait où il lui faudrait le détruire sans un tremblement de cœur. Le sang-froid du courtisant coulait à présent sans heurt dans les veines pourtant impulsives et battantes de l'héritier du Sudenland, et Anton put prendre la parole sans crainte de se trahir. Sa parole commença lentement, comme s'il cherchait ses mots pour aller au plus juste.

Il faut... ma foi il faut toute une vie... pour comprendre le Sudenland, mon cousin, mais vous verrez qu'il faut bien peu de temps pour apprendre à l'aimer. Les gens ici sont rudes, durs à la tâche. Ils sont lents, lents à mettre en mouvement, lents à s'attacher, lents à changer, mais lorsqu'ils bougent enfin, rien ne leur est impossible. Ils dédient leurs misères et leurs joies à leurs Dieux, leur temps et leur argent à leurs bêtes, et leurs sourires à leurs femmes. Ils savent qui ils ont été, et jugent avec mesure qui leur promet ce dont ils ne savent rien. Ils n'aiment pas ceux qu'ils ne connaissent guère, mais défendent à la guerre ceux qu'ils connaissent bien. Ce sont des gens qui méritent qu'on travaillent pour eux; qui ont tous les compliments pour leurs seigneurs quand ils ne les voient pas mais raidissent le col et haussent les épaules quand ils les voient trop; à choisir, ils pendraient volontiers les collecteurs de la gabelle et du dixième, mais ils n'ont pas assez de temps à perdre pour ça. Chaque paysan, chaque artisan, chaque commerçant porte en lui un peu du courage de ceux qui affrontèrent la horde verte, de la fierté de la résistance du Sud face à l'incurie du Nord, de la nostalgie d'avoir survécu au massacre et de la résignation de son souvenir. Voilà quel est ce peuple sur lequel vous projetez de régner; vous connaissez certainement La Complainte ? Elle dit bien assez sur ces gens ce qu'il vous faudra savoir...

Le baron se renfonça dans son fauteuil, et il continua d'un ton détaché, son regard jouant tour à tour avec les belles plantes rassemblées dans le patio, les chapiteaux soigneusement taillées des fines colonnes de l'auberge, et le regard fixe et patient de son hôte.

Car vous aurez bien le temps de comprendre ces gens au cours de votre cheminement vers le pouvoir. Ce ne sera pas facile. La situation du Sudenland est complexe, et Pfeildorf n'en est qu'une petite partie... Ce qui se pense dans les prairies de Pahl n'a que peu de choses à voir avec les jeux d'intrigues de la cour dans lesquels nous allons être plongé, et le paysan des bords de la Soll ne tient pas le même discours que le forestier qui arpente les alentours de la gueule du Col du Feu Noir. Aussi voici mon premier conseil : en présence des nobles, soyez auguste, en présence des marchands soyez ouvert, en présence du peuple soyez franc de cœur. Il n'importe pas de se faire aimer de tous... la majorité nous suffira. Je serai là pour vous indiquer qui doivent être nos amis, et vous les séduirez ; adressez-vous aux mauvaises personnes, ou gâchez les cartes que notre tandem nous met en main, et tout s'effondre.

Car je suppose que vous êtes au fait de la situation du Sudenland. Celle que l'on appelle La Martre, Molly Topenheimer, domine depuis la ville-franche de Pfeildorf toute la région par délégation tacite ou réelle du pouvoir de la Comtesse... Emmanuelle von Leibwitz. Le Sudenland n'est pour la cours de Nuln la Belle qu'un arrière-pays de rustre, qui fournit les hommes, les peaux et l'or pour financer l'armée du Wissenland, les architectures grandioses des grandes rues de Nuln, les fêtes sordides de la première cour de l'Empire et les jeux de corruption qui l'accompagnent. Et ici survient mon second conseil Prince.
Les yeux du baron se durcirent involontairement. Les Topenheimer sont des adversaires sournois, illégitimes et méprisables, au même titre que toute la soi-disant cour de Pfeildorf, qui n'est que l'aggloméré dégénéré des déchets de la caste pourrie qui domine Nuln. Aussi ce sera avec plaisir que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour purifier avec vous mon pays de cette engeance. Mais sachez que la Comtesse, quand bien même elle est ma pire ennemie, a mon respect, et que si j'applaudis des deux mains à tout ce qui pourra la duper du Sudenland, j'ai également la main lourde pour celui qui s'oublierait à la mal considérer...

Anton chercha des yeux non l'adhésion du Prince, mais du moins son absence d'opposition à cette étrange contradiction du baron, qui lui permettait de faire entendre dans le même temps, qu'il restait un esprit libre et non un exécutant. Sans s'appesantir, il reprit plus vivement.

Voici comment je vois les choses. Molly Topenheimer n'a aucun intérêt à l'indépendance du Sudenland, car c'est de la Comtesse qu'elle tire son pouvoir. Seule une autonomisation menée depuis Nuln pourrait la contenter ; on sait que la Comtesse souhaiterait se séparer du Wissenland, qui est pour elle un triste boulet, tout en conservant son droit d’Électrice, par son titre de Comtesse de Nuln. Les Topenheimer pourraient hériter de la province dans sa totalité. Nous ne devons pas accepter cela, car jamais l'Empereur n'acceptera une nouvelle subdivision qui laisserait le Wissenland avec pour seule ville la piteuse Wissenbourg. Notre meilleure chance est une restauration au plus vite de l'ancien Solland sur ses frontières historiques.

La question bien sûr est de savoir comment s'y prendre.


Anton se pencha à nouveau vers l'avant. Il avait la bouche sèche, et ses yeux restaient fixés sur le jeune homme impassible qui lui faisait face. Un bruissement léger d'air lui rappela que, autour d'eux, le temps avançait...

Le seul moyen que nous ayons, est de prouver que l'autonomie du Sudenland sera une bonne opération pour l'Empereur et pour l'ensemble des Électeurs. Votre hérédité est un argument qui fait de vous le meilleur des candidats à l'héritage, mais il ne vous assure pas d'être choisi pour devenir Comte ni n'assure à lui seul l'indépendance. Je ne vois donc qu'une solution: il faut que vous soyez maître de fait du Sudenland, et que l'Empereur n'ait d'autre choix que de valider votre ascension pour s'assurer vos bonnes grâces et garder la face, plutôt que de risquer un blocage de tout le Sud de l'Empire, au moment même où toute son attention et ses efforts le portent vers le nord. Il faut le mettre devant une alternative: votre dévouement et celui d'une Province toute entière ou bien la guerre civile et le blocage commercial d'un des axes commerciaux principaux de l'Empire, alors même que ses troupes sont bloquées dans le Nord et épuisées par une campagne qui n'en finit pas.

Les voies pour y parvenir sont multiples. Il faudra s'assurer du soutien de la noblesse, comme de celui de la populace, des marchands et de leurs partenaires. Il faudra s'appuyer sur les racines de ce pays: les paysans, les prêtres, les pâtres, et la nostalgie d'une gloire passée. Il faut jouer sur la colère contre l'oppression venue du Nord, sur la haine de l'impôt étranger, sur le rejet de ces uniformes blafards du Wissenland qui cognent dans les rues et violent les femmes tout en étant incapable de nous protéger des brigands. Il faut aussi jouer sur une terreur ancestrale: quand la Horde Verte reviendra, qui peut croire que les blanc-becs du Nord défendront les campagnes plutôt que de rapatrier troupes et richesses à Nuln pour la défendre ? Il faut jouer sur la fierté Sudenlandaise. Et le travail est déjà entamé.


Avec un petit sourire, Anton lista tranquillement certains faits. Il n'explicita pas d'où venaient certains de ces faits, ni s'ils étaient tous de la même main. Mais son sourire donnait au Prince toutes les garanties de l'intelligence de son dévouement.

On parle beaucoup à travers la ville d'un Prince Blanc, qui viendrait libérer le Sudenland des bandits, et qui aurait déjà sauvé une pauvre vieille des mains de soudards du nord. Diverses chansons se répandent qui ont trait à un renouveau à venir de la vieille Soll. Aujourd'hui même, la colère bruisse et un pèlerin a trouvé la mort par une foule promptement bastonnée. On m'a rapporté que nombreux étaient ceux qui rêvent toujours d'indépendance mais doute simplement qu'elle puisse se faire, par peur de la répression... la peur... c'est elle qui doit changer de camp.

Je n'ai pas de plan précis Prince, mais voilà ce que je sais. Les bandits qui harcèlent les caravanes sont pour nous un pain béni. Vous gagnerez le cœur des Sudenlandais en les défendant contre cette vermine; quittez l'habit de l'héritier procédurier et ne jurez que par vos faits d'arme. Demain, je sais quatre, dix bourgeois prêts à délier bourse pour engager une compagnie privée dotée d'un chef respectable chargé de faire régner l'ordre que cette vermine de Topenheimer est incapable d'offrir. Je connais également de jeunes nobles romantiques qui pourraient fort bien vous offrir cœur et épée si vous savez leur parler avec les mots qu'ils attendent, et qui attireront à vous toute la jeunesse pur-sang du Sudenland. J'ai également trouvé le moyen pour le Conseil de faire de l'argent sur le dos de la Marte, et être à même de financer ainsi une partie de vos gens d'armes. Vous les vêtirez des antiques tenues du Solland, et vous irez tuer à tout va. Puis vous en appellerez aux derniers bandits, et leur promettrez l'impunité s'ils se joignent à vous, et gagnerez d'un coup 1000 soldats et la paix sociale ; vous aurez le respect des nains, et l'amour du peuple, dont vous implorerez la générosité: hommes, nourriture ou or. Vous serez riches et armé, vous serez dangereux.

Et peu à peu nos hommes gagneront les villages, les villes, en commençant par ceux que je nous sait acquis, et nous dirons que désormais l'impôt collecté passe par nos troupes, pour plus de sécurité, avant de partir vers Nuln. Et nous aurons pour nous la campagne et les villes, car vous achèterez par vos largesses la noblesse qui ne se tient pas par les idées, et que je connais. Et toujours vous vous direz l'envoyé des dieux, et nous aurons l'appui du clergé, par des achats, des promesses ou de pieuses actions. Et quand enfin nous dirons aux soldats du Wissenland de ne plus mettre le pied sur nos terres, et que nous dirons à l'Empereur que nous préférerions lui verser une partie de l'impôt à lui que la totalité de la Comtesse, le temps sera venu de l'indépendance.

Faisons feu de tout bois dans le but visé. Soyons la première force armée du Wissenland, et prélevons dès que possible sur les ressources de nos adversaires les richesses qui alimenteront la notre. Soyons moralement inattaquables, aimés du peuple et porté aux nues par lui, car il sera notre protection. Jouons d'abord au chevalier blanc sans arrière-pensées, au cœur pur qui s'indigne du sort de son pays et s'occupe en jeune homme racé tandis qu'il patiente calmement que les pourparlers administratifs des casuistes aboutissent. Et quand nous aurons grandi sans qu'ils le notent ou s'en inquiètent, nous montrerons notre force, et ils faudra bien qu'il y cèdent !

D'ici là, vous devez rayonner. Constituez une cour de jeunes hommes beaux et intrépides comme vous, et je peux vous indiquer les premiers noms. Ne soyez pas avare en compliments ni en promesses sur un meilleur avenir; trouvez des formules toutes faites qui fassent rêver et qui iront irriguer les discours des moins intelligents. Méfiez-vous de tout le monde, y compris ici dans vos appartements. Par exemple ce serveur nous a vu ensemble, et il est certain que la Martre sait à présent que nous nous sommes entretenus longuement ! Sur ce sujet je peux, si vous le souhaitez, faire venir chez vous une servante de mon pays dont je réponds de la discrétion. Soyez intrépides et montrez votre noble tête autant que possible, sans la corrompre par la bassesse ou les intrigues, que vous laisserez à vos conseillers, à vos hommes de mains, aux sbires qui œuvreront pour vous.

Mais c'est assez de projets. Vous connaissez mon idée Prince. Elle est large et souple, comme il convient à ceux qui veulent changer le monde. Elle demande aussi que nous travaillions tous en parfaite intelligence; car nous allons prendre ensemble des risques colossaux. Aussi il nous faudra déterminer notre façon de progresser de concert, et ôter de notre relation dès à présent deux écueils qui pourraient tout compromettre. Le premier écueil, c'est que mon ego si longtemps sur le devant de la scène supporte mal d'être placé en retrait; pour cela vous devrez Prince m'accorder une disponibilité de tout instant, et une faveur soutenue, tandis que de mon côté je n'oublierais pas que quand bien même j'ai confiance en mon jugement, tout homme est faillible et sur bien des choses vous ou le Père Bénito aurez des idées supérieures aux miennes. Et le second écueil est celui des princes, c'est celui de l'hybris: tant que vous ne serez pas assis dans le trône de Comte et la Marte loin de vos frontière, ne méprisez personne, ne considérez aucune victoire comme sûre, et prêtez une oreille humble et attentive à la voix de vos conseillers, et à la mienne en première instance. Car nous n'aurons pas le temps pour des caprices de prince ou pour l'hypocrisie du courtisan avant que la victoire ne nous soit acquise.


La bouche sèche et la mine grave, le baron s'empara à nouveau de son verre et le termina à longues gorgées.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 13 déc. 2016, 00:29, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 60 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

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