[Anton] La Complainte du Solland

Modérateur : Equipe MJ

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

[Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Image



"Le soleil lui-même point ne brille
La lande s'est tue sous la lune
Dans les collines profondes et les villes
Frappa une bien terrible infortune

Du Reik aux Montagnes Noires
Mon pays est semé d'os fumants
Oubliées les antiques victoires
Dispersées les cendres dans le vent

Les ruines sont dévorées par les lierres
Au fond de l'âtre le feu est froid
Seul je chante les vieilles pierres
Et la couronne d'un défunt roi

L'écho lointain d'une beauté fanée
Qui me rappelle à mon fier pays
Résonnera encore dans tes vallées
Faites que je l'entende, Solland chéri !

Le soleil lui-même point ne brille
La lande s'est tue sous la lune."


La Complainte du Solland




En ce dix-huit Sigmarzeit de l'an 2532, la foule de l'Alttorplatz ressemblait à une marée mouvante et sans cesse changeante. Cette place, où se tenait d'ordinaire le marché de Pfeildorf, était noire du monde qui s'était accumulé dans la ville depuis les derniers jours à l'approche des festivités qui allaient se dérouler dans la journée. En effet, le premier jour de l'été était une date révérée au sein de l'Empire car c'était celle où l'on célébrait le couronnement de Sigmar mais aussi son abdication, lorsqu'il renonça au monde mortel pour agrandir le royaume des Dieux. A cette occasion, des centaines de personnes avaient afflué depuis les villages alentours en direction de l'ancienne capitale du Sudenland pour prendre part aux commémorations et aux messes qui allaient avoir lieu. En fin de soirée, les fidèles allumeraient des flambeaux et suivraient le Grand Lecteur du temple de Sigmar le temps d'une procession le long des murs de la cité. Mais pour l'heure, la grande majorité des pèlerins étaient réunis sur cette immense place pavée au milieu des marchands ambulants et de leurs charrettes à bras remplies de miches de pain doré et décorées de chapelets de saucisse de mouton, des vendeurs de parchemins de prière -à agrafer sur ses habits- et d'amulettes douteuses, des jongleurs, des cracheurs de feu, des comédiens itinérants, des montreurs d'ours et autres saltimbanques, des patrouilles de gardes sur les nerfs et de voleurs à la tire aussi véloces que des renards. L'ambiance était survoltée tandis que les rayons du soleil perçaient les nuages fins et échauffaient les esprits. Certains habitants s'amusaient à observer cette multitude grouillante depuis les balcons des grands bâtiments à colombages qui surplombaient l'Alttorplatz.

C'est à travers cette masse consistante et bouillonnante d'êtres humains qu'Anton, le baron Lothar von Ülmer et les deux fils de ce dernier essayaient de se frayer un passage. Juchés sur leurs chevaux -dont ils tenaient les rennes courtes à l'extrême- ils tâchaient de traverser la place pour prendre la Schloss Strasse et remonter vers le quartier riche de l'Alderhorst, ville dans la ville bâtie sur la crête qui surplombait la confluence de la Sol et du Reik supérieur. Les cavaliers, l'un derrière l'autre, étaient obligés de faire avancer leurs montures d'un pas lent pour éviter de bousculer un pèlerin trop violemment ou d'écraser un enfant chahutant et inattentif, tant est si bien qu'ils durent s'arrêter plusieurs fois pour laisser passer chariots et cortèges et qu'ils mirent une bonne heure à traverser l'Alttorplatz. Lothar von Ülmer, robuste vieillard à la barbe grisonnante approchant les soixante-cinq ans, jurait et pestait à mesure qu'ils progressaient lentement à travers la foule. Il maudissait les manants et les zélotes qui se pressaient en vagues compactes devant son cheval, chantant et psalmodiant sans faire attention à ce qui les entourait. Plusieurs fois, il se baissa contre l'encolure de son cheval en poussant un grognement et saisi un importun distrait de sa poigne puissante pour l'écarter de son chemin, qualifiant l'ahuri de canaille en lui jetant un regard courroucé.

Anton, qui chevauchait derrière le baron exaspéré, n'était guère surpris par les imprécations de ce dernier. Il connaissait bien Lothar, puisque celui-ci était une figure de son enfance. En effet, il était l'un des proches amis de feu son père, un seigneur dévoué à sa famille, sa terre, ses gens et ses dieux. Pour le maître de Terre-Noire, le rire puissant de Lothar qui emplissait la grande salle de la forteresse de ses aïeux était un souvenir vivace. Le caractériel baron de Kroppenleben et le père d'Anton étaient souvent partis chasser le sanglier, le lynx ou le cerf dans les Collines Sauvages. Les fils de Lothar, Karl -trente-neuf ans- et Ludwig -trente-six ans- avaient hérité de la carrure puissante de leur père. Comme lui, ils portaient la barbe et les cheveux nattés. Leurs lourdes capes de fourrure tombaient sur la croupe de leurs chevaux. Enfants, ils avaient été des compagnons de jeu pour Anton. En grandissant, c'était une rivalité bourrue qui avait remplacé l'amitié juvénile entre les rejetons des deux familles, ce qui ne les empêchait pas cependant de se traiter avec respect et considération depuis toutes ces années. Mais ce qui importait probablement le plus au baron de Terre-Noire, c'était la certitude que les Von Ülmer étaient des défenseurs fidèles du Sudenland, des partisans loyaux de celui qu'ils reconnaissaient comme le successeur légitime du Comte Électeur Eldred von Durbheim. Les éclats colériques de Lothar qui émaillaient le Conseil des Pairs du Sudenland depuis aussi longtemps qu'Anton y siégeait en étaient certainement la preuve. A chaque session de ce cénacle inutile, le vieil orageux ne manquait pas une occasion de tempêter contre les impôts provinciaux imposés aux seigneurs de l'Est de la Sol, contre la hausse des taxes sur les marchandises exportée à Pfeildorf depuis le Sud ou encore contre la prépondérance du rôle des guildes marchandes au sein des affaires du Conseil. Il fustigeait constamment l'autorité qu'exerçait Nuln sur ce qu'il considérait être une province impériale reconnue de droit. Il contestait ouvertement ce qu'il jugeait être une véritable occupation de la part des Wissenlandais et en venait parfois, lorsque il avait un peu bu et que les esprits commençaient à s'échauffer, à prendre à parti la Grande-Comtesse Emmanuelle von Liebwitz elle-même, ce qui lui valu des réprimandes officielles à plusieurs reprises ainsi que la menace d'être déchu de sa dignité de Pair du Sudenland de manière irrémédiable.

C'est précisément au Conseil des Pairs qu'ils se rendaient en ce jour saint. Cette assemblée de façade était composée des dirigeants des principales familles aristocratiques du Sudenland, mais aussi des représentants des guildes les plus influentes de la région telles que celles des Tondeurs, Tailleurs et Tisserands, Tanneurs, et Cordonniers qui se trouvaient aussi êtres celles qui étaient le plus impliquées dans la majeure partie des activités d'exportation de la région. Un délégué de la Maison des Guildes occupait également un siège du Conseil pour défendre les intérêts confondus des corporations plus modestes, telles que les guildes des Artisans, Fabriquants d'Arcs et Fléchiers, Charpentiers, Bateliers, Forgerons, Manouvriers, Charretiers et Vignerons. Deux sièges étaient réservés au Grand Lecteur de Sigmar et au Prêtre de Véréna -le culte de Taal et Rhya ayant refusé d'être représenté comme à son habitude- et un siège était pour le Secrétaire Privé, un homme nommé Franz Walsinheim qui représentait officiellement la bureaucratie gouvernementale mais qui, officieusement, n'était là que pour assurer les intérêts de la famille Toppenheimer qui régnait sur la ville-franche de Pfeildorf. Enfin, un dernier siège était destiné au représentant de la communauté naine de la ville qui était modeste mais bien implantée du fait de la proximité de forteresses telles que Karak Hirn et Karak Norn. Le Conseil des Pairs avait des prérogatives légales, comme celle de publicité des actes administratifs pris à Wissenburg ou des ordonnances, déclarations et décrets émanant du fantomatique Grand Conseil de Nuln. En outre, le Conseil des Pairs était également chargé de pointer du doigt les irrégularités et les incompatibilités entre les lois en vigueurs et les coutumes observées dans ce qui était encore, il y a peu, la Grande-Baronnie du Sudenland. Enfin, le Conseil se réunissait pour servir de scène aux différentes doléances des seigneurs locaux à qui l'ont souhaitait donner l'illusion qu'ils bénéficiaient encore d'une quelconque influence sur la manière dont les affaires étaient conduites dans cette partie reculée de l'Empire. Mais en réalité, chaque session était entièrement chapeautée par Etelka Toppenheimer, la baronne de Pfeildorf, à travers Franz Walsinheim. Les pots-de-vin étaient monnaie courante et assuraient que les représentants des guildes, qui agissaient de toute façon de concert dans un soucis d'intérêts communs, suivent les motions ou les sanctions proposées par le Secrétaire Privé, traditionnellement soutenu par le Grand Lecteur également. Chaque proposition n'était acceptée que si elle rassemblait les deux tiers des voix et le pouvoir en place s'assurait ainsi d'une immobilisme constant qui laissait les seigneurs impuissants, d'autant plus que même parmi ces derniers, peu n'étaient pas corrompus par l'or du Nord et ils n'étaient que trois ou quatre Pairs à se placer sans équivoques sur l'échiquier politique factice qui leur avait été offert. En outre, chaque session était surveillée par le Geheimwächter, un officier de la police secrète de la Grande-Comtesse qui y était officiellement "convié" sans qu'il n'ai de droit de vote ou d'intervention.

C'était pour cette raison que, maintes fois, Lothar von Ülmer avait juré devant les dieux et les hommes de ne plus "foutre les pieds dans ce nid de vipères borgnes et de pédérastes unijambistes." Pourtant, il était venu à Terre-Noire accompagné de ses deux fils pour trouver Anton avant de se rendre ensemble à un énième et insipide Conseil car cette fois, ce congrès-leurre promettait quelques rebondissements. En effet, l'un des informateurs de Lothar à Pfeildorf avait informé le vieux baron d'une rumeur qui courrait dans la ville : on disait que l'héritier de la couronne du Solland était revenu et qu'il allait réclamer son dû au prochain Conseil des Pairs. Cette nouvelle s'était avérée aussi précieuse qu'alarmante et Lothar avait donc décidé d'affronter une nouvelle fois les quolibets et les regards paresseux des bourgeois corrompus pour éclaircir ce mystère et vérifier ces murmures aux côtés de celui qu'il considérait jusqu'alors comme le véritable et légitime successeur d'Eldred von Durbheim. L'arrivée impromptue de ce qui ne pouvait être qu'un imposteur représentait cependant une menace pour la revendication des Von Andeldoch bien que, en l'état actuel des choses, il était discutable que l'irruption d'un autre héritier potentiel ne changea rien à l'impasse politique dans laquelle se trouvait le Sudenland.


C'est donc animés autant par curiosité que par scepticisme que les cavaliers se frayaient tant bien que mal un chemin dans la foule compacte et enfiévrée par le mauvais vin et la fournaise de la promiscuité. Après bien des peines, ils parvinrent finalement à s'extraire de cette gangue humaine et grouillante et à s'engager dans la Schloss Strasse. C'était la principale artère de l'Alderhorst et elle remontait lentement le quartier jusqu'au sommet de la colline où trônait le Château Adlerhorst. La voie pavée était assez large pour que deux chariots puissent s'y croiser sans heurt et était bordé de hauts bâtiments à colombages et aux toits d'ardoises bleutées qui abritaient des boutiques cossues et leurs riches propriétaires. Anton et ses compagnons de route remontèrent la rue en passant entre les groupes d'habitants et de pèlerins qui s'étaient quelque peu clairsemés. Ils arrivèrent en vue de la Tempelplatz où se faisaient face la Grande Eglise de Sigmar et le temple à colonnades de Véréna mais ils bifurquèrent juste avant dans une rue de taille plus modeste qui s'engouffrait dans les pâtés de maisons hautes bordées d'échoppes. Une petite rigole passait en milieu du passage affaissé et permettait aux eaux usées de s'écouler vers les égouts du quartier, bâtis sur le modèle de ceux de Nuln. Ici en revanche, ils ne desservaient que la riche population de l'Adlerhorst et le reste de la ville était tout aussi nauséabond que les autres bourgs de l'Empire. Les deux barons et les fils Von Ülmer avançaient dans l'ombre des façades, les sabots de leurs chevaux claquant contre le pavé poli. Bientôt, ils tournèrent à nouveau pour s'engouffrer sous une arche en pierre par-dessus laquelle des étages étaient bâtis. Ils pénétrèrent dans une grande cour intérieure au centre de laquelle trônait un magnifique chêne dont les racines puissantes déchaussaient les dalles de pierre les plus proches. Les bruits incessants de la ville étaient étouffés dans cet endroit que l'on appelait la Maison du Chêne, un complexe de bâtiments administratifs et de dépendances organisées autour de la cour et dont les Toppenheimer étaient propriétaires. C'est ici que se réunissait le Conseil des Pairs du Sudenland depuis plusieurs années déjà.

Les voyageurs mirent pied à terre et deux pages vinrent se charger de leurs montures pour les amener à l'écurie qui occupait tout un côté de la cour et où de nombreux chevaux se trouvaient déjà, à l'abri du soleil et des essaims de mouches. Lothar réhaussa son pourpoint de cuir décoré d'une chaînette en argent, vérifia la boucle de la rapière qui pendait contre sa cuisse puis se tourna vers ses fils.

- "Karl, Ludwig, restez ici et attendez nous." leur ordonna-t-il simplement.

Les frères acquiescèrent docilement et allèrent s'installer à l'ombre du grand chêne tandis que Lothar poussait un long soupir.


- "Et nous voilà à nouveau sur le seuil de ce trou à pleutres." grommela-t-il à l'adresse d'Anton. "Crois moi petit, si ton père était encore de ce monde, ça fait longtemps qu'il leur aurai tous cloué le bec avant de rentrer à Terre-Noire pour lever une armée." lâcha-t-il. Peut-être avait-il raison, ou peut-être sublimait-il, dans sa mémoire de vétéran, l'image de celui qui fut l'héritier des Comtes Électeurs du Solland. Le vieux baron soupira à nouveau en jetant un regard vers le grand portail à double battants devant lequel étaient postés deux hallebardiers aux uniformes blancs et gris. "Allons-y."
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Anton
PJ
Messages : 124
Profil : Venez découvrir mon livre de recette http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 177&t=3179

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

L'héritage du Solland a fait couler bien de l'encre et excité bien des convoitises depuis la Grande Invasion; que l'on juge les acrobaties juridiques remarquables exercées par le Wissenland puis par Nuln au cours des siècles passés, et on en sera convaincu. Rarement bout de terre aura eut une histoire si complexe et si manipulée; et je crois bien que cette province si fière avait pour son malheur connu tous les états successifs d'une lente agonie: invasion, mise sous tutelle, statut bâtard, patronage d'une Cité-Etat, oubli total, dictature bourgeoise et puis, ce que je combattais alors de toute ma volonté, être réduite au simple pourvoyeur d'or pour les caisses d'une diabolique satrapesse. Aussi, lorsqu'au tournant de l'an 2532 des bruits se mirent à courir sur le renouveau du Sudenland et sur un mystérieux héritier au titre comtal, ne leur prêtais-je alors qu'une attention fort médiocre. Il faut bien se dire qu'à cette époque nul n'aurait su prédire les bouleversements qui s’apprêtaient à fondre sur cet échiquier politique dont tous nous nous croyions les joueurs; et ce n'est que bien plus tard que nous devions découvrir pour notre malheur que certains d'entre nous n'étaient en réalité plus que les pions d'une partie bien plus vaste et déjà bien engagée[...]
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même.

___
TERRE-NOIRE
___



La politique est une histoire de leviers, de poids et de points d'appuis. Voilà la pensée qui régnait depuis quelques jours dans l'esprit d'Anton von Adeldoch. Et comme à chaque fois qu'une idée nouvelle le prenait, il ne pouvait s'en défaire, la tourner en tous les sens, tâchait sans cesse de l'appliquer à de nouveaux objets, rêvait d'en faire un essai, s'imaginait la discuter devant un groupe d'académiciens. Un allié, c'est un point d'appuis, se disait- il. A moins que ce ne fut un levier ? L’argent était certainement un poids. Se pourrait-il que cela s'applique si bien à ses plans de se faire comte ?

Voyons, raisonnons. Le plus gros levier, c’est le conseil du Sudenland. Le point d’appui ? Mes prétentions à la couronne comtale. Reste à savoir quoi jeter dans la balance pour faire bouger le mécanisme dans la bonne direction. Plusieurs poids sont déjà dans la balance ; les quelques alliés que je possède, dont Lothar et ses fils penchent du bon côté. Les taxes de Nuln aussi.

En face, qu'avons-nous ? Toppenheimer bien sûr, et ses séides. Ils pèsent de tout leur poids, et vient s'ajouter l'argent de la corruption, qui compense ce me semble à peu près le poids des taxes qui joue en ma faveur. Le grand Lecteur, qui profite lui aussi des largesses des Topenheimer -et donc de la Comtesse. Il a un poids moral très important.

Puis viennent les neutres. C'est-à-dire qu'ils se laissent porter du côté où penche la balance; les nobles qui ne veulent guère que se laisser pousser par la marée montante. Les petites guildes, qui ne sont guère là que pour s'assurer que nos agitations aristocratiques ne gênent en rien le petit commerce intérieur. Les grosses guildes, et là c'est différent: elles dépendent de l'étranger pour le commerce, et ne veulent donc aucune barrière, aucune agitation, aucune limite aux frontières. Et puis Véréna. Que veut Véréna ?

En ce matin, en haut de la plus haute tour de son domaine, le baron s'agitait dans l'attente du départ imminent pour Nuln. Impossible de chevaucher de nuit sans encourir la colère de sa cousine. Et puis lui-même n'avait plus tout à fait vingt ans. Ce qui ne l'empêchait pas d'aligner les nuits blanches, comme il l'avait toujours fait; et, se levant dans le jour qui pointait à l'horizon pour se rendre aux semailles, les paysans du domaines et levant la tête et voyant une étoile rougeâtre et tremblotante scintiller au faîte de la montagne, se disait entre eux: "voilà le baron qui se donne encore du souci".

Véréna. Grand Prêtre Manfred Archibald, grande Prêtresse Marieka van der Perssen. Bénédiction de l'Année Nouvelle. Juste décision, équilibre, philosophie, justice guerrière, éducation. «La Parole triomphe du Glaive, Préservez la connaissance car elle constitue le fondement de toute civilisation. Tous les savoirs ont une égale importance». Prêtre de Véréna: être juste et impartial, ne rien oublier, suspendre le jugement avant d'agir. Une voix au Conseil. Nommés par consensus. Se reporter à seconde note. Anton agita quelques papiers dans le porte-document qu'il avait ouvert sur sa table de travail, en grognant contre le piètre état de ses notes. Que veut Véréna ?

Courants.Porteurs de la Balance: Véréna = juge. Gardiens des Lois : Véréna = gardienne de connaissance. Quelle dominance à Pfeildorf ? Anton jura de plus belle. Ca n'était pas des notes ça, c'était des questions supplémentaires.

Une fois encore, il refit son raisonnement. Il suffisait d'ajouter du poids dans sa balance pour, avec un point d'appui suffisamment solide, faire tomber les neutres dans son escarcelle et soulever des montagnes. Oui, oui, oui. Véréna, les petites guildes, c'étaient des alliés naturels.

Et les nains? Que veulent les nains ?

Ces questions qu'Anton s'était posé cent fois, il se les reposait à présent avec plus d’acuité. Il ne fallait pas se demander ce qui pourrait transformer les nains en alliés. Il fallait se demander comment les faire pousser dans la bonne direction! Et c'était tout à fait différent. Il ouvrit un nouveau document.

Nains en Empire. Conseil des Anciens. Famille noble ? Venus des clans. Organisent le cô avec Forteresses (bois, import-export laine + peau. Poudre et salpêtre ?? Houblon revient des montagnes cf fiche eco). Le baron écarta d'un geste la fiche détaillant ses propres réflexions sur l'économie naine. Il en avait assez en tête. Les nains voulaient de la prospérité, de la tolérance et la sécurité sur les routes.

Il voyait plus clair à présent. Il avait toujours pensé que sortir les Topenheimer du jeu politique serait suffisant pour dominer le Conseil. Il concevait à présent son erreur: avec une telle force mécanique appliquée contre lui, un autre opposant aux ordres de la Comtesse apparaîtrait dans l'instant. Les individus ne comptaient pas, seule la mécanique historique et sociale, politique en somme, décidait de leur destin à tous. Il suffisait de dévier un peu de cette force formidable pour qu'elle le porte aux sommets. Grisé par cette idée, il marchait à présent en rond le long de la pièce, s'arrêtant ça et là pour plonger son regard dans le jour naissant au loin, derrière ses montagnes. Tout cela était à sa portée.

Au point du jour Anton, fin prêt pour son voyage, les yeux encore brillants de l'avenir qu'il devinait pour lui-même, se hissait sur le dos d'une monture, et quittait dans le claquement sec des sabots le sol de sa demeure natale.



___
PFEILDORF
___


Quelle cohue. Le baron et ses compagnons de routes se frayaient tant bien que mal un chemin dans le charivari général qui avait envahi la veille cité. Banderoles, torchères, vivats et cris, mouvements de foules et commerçants opportunistes: le jour de Sigmar consistait surtout en la plupart des villes de l'Empire à transformer l'honnête vie de tous les jours en vaste tohu-bohu, festival finalement assez peu glorieux pour la très sérieuse divinité.

Du point de vue d'Anton bien sûr, ce jour saint était une plaie. D'ordinaire déjà les fanatiques l'épuisaient, quand ils ne l'inquiétaient pas. Mais que toute la population de son pays se change en agités mentaux et, pis encore, l'empêche d'avancer pour le simple plaisir d'aller traîner dans la rue sans autre occupation de de crier aux quatre vents joie et bénédiction, cela l'indisposait assez largement. Il n'était d'ailleurs pas le seul et le terrible Lothar, toujours aussi expressif, l'apprenait aux marauds qui encombraient la chaussée à leur dépend.

Bien sûr, la stupidité congénitale de cette population était compréhensible. D'abord, il s'agissait de manants violents, sous-éduqués et sous-nourris. Ensuite, c'était des sujets des Topenheimer, ce dont certes on ne pouvait les blâmer, mais qui pouvait par ailleurs expliquer bien des choses. Et enfin, leur bêtise restait tout à fait excusable en comparaison de celle du fonctionnaire de génie qui avait convoqué le Conseil un jour pareil. Comme Anton avait une idée assez précise de l'identité du fonctionnaire en question, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer la réaction de Lothar lorsqu’il l’aurait face à lui, et les noms d’oiseaux envoyés sans aucune gêne à la face de cet infâme personnage.

On remontait à présent les rues de Pfeildorf qui menaient jusqu'à la fameuse salle du conseil. Ça et là divers ménestriers et baladins entamaient leurs sciantes ritournelles; la plupart avaient trait à la gloire de Sigmar et se révélaient aussi insipides qu'intéressantes. Un homme, pourtant, les voyant passer, entama la fameuse Complainte du Solland, air certes peu à la mode en ces terres dévouées à la Comtesse. Une complainte bien trop défaitistes aux oreilles du baron mais qui lui donna une fière idée: pourquoi ne pas en faire chanter sur la richesse et la grandeur du Solland ? On pourrait souligner en creux les inconvénients de l'indépendance perdue et la possible grandeur à faire renaître... Cela, c'était de la politique, et de la subtile encore, à laquelle ces imbéciles du Conseil ne comprendraient certes rien.

Se promettant de faire convoquer des ménestrels sitôt le soir venu, le baron mit pied à terre au côté de ses camarades: ils étaient arrivés. Devant eux se tenait la maison du conseil, propriété des Topenheimer qui soulignaient ainsi en creux leur mainmise sur l'institution...comme si cela était nécessaire. Quoi qu'il en fut, il était temps de tirer au clair ces simagrées de "nouvel espoir" et autres balivernes, menaces fantômes qui ne pouvait guère exciter que ce sympathique Lothar mais que lui ne craignait guère.

Bien malin qui pourrait non seulement mettre en branle l'immobilisme politique de la région, mais encore davantage s'imposer comme héritier d'un titre pour lequel Anton avait, lui des siècles de préséance.

"Mon cher, mon père était d'un tempérament qui n'aurait guère supporté la politique qui se fait de nos jours. Mais je crois en vérité que si j'avais les moyens de me payer une force suffisante, je n'hésiterais pas. Après vous."

Ils franchirent le portail, agitant devant les deux gardes le petit médaillon en forme de soleil qui signifiait leur appartenance au conseil, et s'avancèrent dans le bâtiment en direction des salles de réunion.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 06 août 2015, 11:57, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 6 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Les soldats se mirent au garde à vous lorsque les barons passèrent entre eux, bras le long du corps et hallebarde plaquée contre le creux de l'épaule, et Anton et Lothar pénétrèrent dans la belle Maison du Chêne. Le hall d'entrée était une vaste pièce à plafonds hauts d'où pendait un grand lustre en bois laqué. Le carrelage en tomettes carrées était luisant et les murs alternaient briques de terre cuite d'un rouge minéral et veines de galets gris. La chaleur qui régnait à l'extérieur ne semblait pas avoir de prise ici où les matériaux utilisés avaient été pensés pour maintenir la fraîcheur pendant les longues journées d'été. On était bien loin de la rudesse des contreforts des Montagnes Noires, où les hivers étaient longs et rigoureux et les périodes estivales souvent douces et pluvieuses. Il régnait dans cette enceinte un certain luxe estival propre à la plaine qui bordait la confluence de la Sol et du Reik Supérieur. La débauche architecturale de Nuln ne semblait pas avoir d'emprise significative ici-bas, mais Pfeildorf disposait tout de même d'un confort et d'un charme cossu qui lui était propre. Sa position avantageuse et son commerce florissant joint à sa charte de ville-franche impériale en faisaient une étape attractive pour les marchands en provenance du Sud, humains comme nains. Ses produits s'exportaient dans tout l'Empire depuis le Reik et les vêtements de laine qui sortaient de ses ateliers de tailleurs étaient largement réputés, à tel point qu'ils habillaient, disait-on, la garde personnelle du Graf de Middenheim. Ainsi, de grandes quantités d'argent et de biens transitaient par l'ancienne capitale du Sudenland et ce pour le plus grand plaisir de la famille Toppenheimer.

Des portraits de la famille décoraient d'ailleurs les murs du long couloir qu'Anton et Lothar remontaient maintenant pour se rendre dans la Salle des Entiers, où se déroulait le Conseil. Les profils des ancêtres de la baronne Etelka s'alignaient les uns après les autres, séparés par des bougeoirs en cuivre fixés à la cloison. C'était un festival de couleurs défraîchies, de modes passées et de regards vitreux. Les poses qu'avaient pris les modèles étaient austères, les visages fermés. Cette famille, originaire de Nuln, était l'une des plus puissantes et influentes du Sud-Ouest de l'Empire. Ses membres avaient su gagner la confiance des Von Liebwitz grâce à des décennies de bons et loyaux services et administraient désormais, en guise de récompense, la quasi-totalité du Wissenland. Etelka Toppenheimer se vit ainsi accorder la Grande-Baronnie du Sudenland après l'abdication brutale du Grand-Baron Johann Von Mecklenburg en 2510, acquérant par la même occasion la distinction électorale, symbole de puissance et d'influence reconnu dans tout l'Empire !

Les Toppenheimer était au faîte de leur gloire et de leur richesse, mais de sombres histoires non corroborées commencèrent à circuler sur les activités immorales du Baron Sektliebe, l'héritier désigné de la Grande-Baronne. Ces activités allaient de la débauche dépravée à la vénération de dieux interdits, et de la trahison à la sorcellerie. Ces rumeurs finirent par atteindre la cour de Nuln et causèrent beaucoup de remous en sein de la cour de la Comtesse Electrice Emmanuelle si bien que cette dernière fut forcée d'agir. Elle présenta l’affaire devant l’assemblée des Electeurs. Après beaucoup de débats et de présentations de preuves, la Grande Baronne Toppenheimer accepta de renoncer au statut de province électorale du Sudenland et à l’indépendance de la province pour conserver ses terres et titres. Comme condition à l’accord, une charte impériale fut instaurée afin de garantir à Pfeildorf le statut de ville-franche ainsi que la création d'un Conseil des Pairs du Sudenland présidé par la baronne, avec l’obligation pour la ville de payer un tribut annuel précisé par Nuln, ainsi que de fournir des troupes sur décision de la Comtesse Emmanuelle. Ce scandale avait soulevé un tollé dans l'ancienne province et quelques seigneurs avaient même tenté de pousser la population à la révolte, mais les troupes du Wissenland étaient venus calmer les ardeurs des fauteurs de trouble et tout était rentré dans l'ordre. Les paysans et les nobles de campagne acceptèrent finalement la réunification avec le Wissenland, préférant de façon pragmatique minimiser les perturbations dans leurs existences. Ces évènements étaient bien connus d'Anton, puisqu'ils avaient laissé un goût amer dans la bouche des seigneurs de l'ancien Solland. Les portraits qui le fixaient à présent semblaient le juger pour ses velléités et ses ambitions, le mettant en garde contre leurs rejetons dévoyés qui n'hésiteraient certainement par à mettre le baron Von Adeldoch en pièce si ce dernier se mettait en travers de leur route.

Anton et Lothar, qui connaissaient les lieux, quittèrent les aïeux de la baronne et bifurquèrent dans un couloir adjacent pour pénétrer dans l'antichambre de la Salle des Entiers. Les deux barons étaient visiblement les derniers arrivés puisque leurs pairs étaient déjà présents et que la petite pièce cossue éclairée par de grandes vitres résonnait de leurs discussions animées. Il y avait là les représentants des guildes, pour la plupart de gros bourgeois au style tapageurs des riches arrivistes. L'un d'un d'eux était en train de palabrer avec le délégué de la communauté naine, dont la barbe rousse était si longue qu'elle lui arrivait aux genoux.

Il y avait aussi le vicomte Erwin-Kleist Von Nollendorf, avec sa moustache en crocs huilée et sa canne à pommeau d'argent, et le margrave Otto Ingelfingen, célèbre dans tout le Sudenland pour son amour de la chasse et sa meute de molosses de Remas. C'était également un partisan modéré de l'indépendance, et un ami de Lothar et de feu le père d'Anton. Venaient ensuite Hans von Bulöw et Alexander von der Goltz qui étaient d'insipides nobliaux probablement désignés au Conseil des Pairs pour leur manque d'ambition et de témérité. Le premier était le châtelain de Wittenhausen, une bourgade disposant d'un port fluvial sur la Sol et le second, baron de Steingart, était la risée de la province depuis qu'il s'était fait gifler en public par sa femme lors du tournoi annuel de Wissenburg. Plus loin, sur les banquettes en cuir matelassé, le jeune marquis Frédéric Von Wrangel avait une discussion animée avec le Père Max, le prêtre de Véréna. Le vieillard portait une simple tunique blanche sur laquelle était passée une toge grise retenue par une broche dorée en forme de balance. Ses favoris grisonnants encadraient son visage fatigué, et ses yeux cernés se levaient vers le plafond peint, plein d'exaspération face aux propos de Frédéric. Ce dernier est un homme vigoureux et plein d'énergie. Il avait hérité très jeune du marquisat de son père qui avait perdu la vie contre des brigands dans les Montagnes Noires mais, selon les commérages des colporteurs, il menait fort bien ses affaires et ses gens l'adoraient. Son fief se trouvait à Jengen, sur la rivière Staffel dans les marches Est du Sudenland. Cette région était connue pour être infestées par les bandits et les tribus de gobelins en vadrouille mais le jeune Frédéric avait fait édifier une série de tour de guet et instauré un système élaboré de patrouilles armées qui permettaient d'alerter les villages alentours en quelques heures en cas de menace. En outre, il avait mené de juteuses négociations avec les communautés naines de la Montagne et exploitait désormais une mine d'étain qui s'avérait extrêmement lucrative, comme en témoignait sa tenue flamboyante et sa collerette en dentelle argentée. De telles extravagances vestimentaires n'étaient pas courantes dans les rudes tréfonds du Sudenland, mais le caractère sympathique et l'entrain que dégageait le marquis lui attiraient bien des indulgences. Cependant, son flot ininterrompu de paroles semblait ennuyer le Père Max qui ne l'écoutait maintenant plus que d'une oreille, regardant par la fenêtre.

Non loin, le baron Ernest de Lippe regardait lui aussi le grand chêne de la cour à travers la vitre, lissant sa moustache de grognard, l'air fermé. Certains l'appelaient "le Noir" car il était toujours vêtu des tenues les plus sombres et que la légende disait que jamais on ne l'avait vu sourire. Il portait de hautes bottes de cavaleries, des chausses bouffantes couleur d'ébène et un pourpoint brun brûlé sur une chemise noire de jais aux manches cousues de motifs floraux obscurs. Seule une étoile en argent épinglée sur son coeur apportait une touche de lumière sur cette morne personne, une distinction qui le récompensait pour ses faits d'arme à la bataille des Trois-Ponts, pendant la Tempête du Chaos. Une épée glissée dans un fourreau gris et une dague sertie d'un saphir alourdissaient sa ceinture, lui donnant un air strict et militaire rehaussé par le cache-oeil qui lui couvrait l'orbite gauche. Issu de l'une des plus anciennes familles du Sudenland, il ne s'était jamais placé publiquement contre ou en faveur d'une quelconque politique. Désabusé par les intrigues et les manigances, il se contentait de régir ses terres de Pähl et Söchtenau, ne se déplaçant à Pfeildorf que pour assister à l'inutile Conseil des Pairs.

Enfin, près de la grande porte à double battants de la Salle des Entiers, le Secrétaire Privé Franz Walsinheim discutait avec le Grand Lecteur de Sigmar Loïk Birkenfeld. Franz était un homme grand et mince, au port altier. Sa barbe grisonnante était parfaitement taillée et un monocle surplombait son nez aquilin. Ses traits étaient fins, son regard vif, et son sourire poli semblaient dissimuler une sévérité et une rigueur consommées. Il portait une redingote sombre et une écharpe blanche et discrète, une petite broche reprenant l'emblème des Toppenheimer, une flèche et une serpe croisées sur une arbre dépourvu de feuilles, et une grande serviette sous le bras qui semblait remplie de parchemins et de missives. Le Grand Lecteur, lui, était un vieillard bedonnant au visage rond et aux joues tombantes. Sa calvitie était prononcée et ses mains ridées décorées de bagues étaient croisées sur son ventre. Il avait de petits yeux enfoncés dans son visage ridé et une bouche rieuse. Il ressemblait, somme toute, à un ancien sympathique et inoffensif. Mais il fallait se méfier de cet air, car on le disait colérique et sans pitié envers les hérétiques. Trois ans auparavant, il avait ordonné l'édification d'un bûcher sur lequel il avait fait brûler dix membres de la jeunesse dorée de Pfeildorf accusés de s'acoquiner avec le Prince du Plaisir. Le prélat portait un mitre dorée décorée de crânes et de comètes à double queue, ainsi qu'une longue robe de cérémonies aux bords richement ornementés et liserés de fils d'or. L'Eglise de Sigmar était un culte opulent et encore influent, et le Grand Lecteur entendait bien le démontrer.

Tout ce beau monde était regroupé dans la petite antichambre, discutant et palabrant, tandis que des serviteurs passaient entre les nantis avec des plateaux de collations, en offrant régulièrement aux mains goulues. De deux gardes semblables à ceux de la cour gardaient l'entrée de la Salle des Entiers. Anton et Lothar s'avancèrent parmi les membres du Conseil des Pairs. La plupart d'entre eux se retournèrent sur leur passage pour les saluer en inclinant la tête ou le buste. Les sourires protocolaires et les formules de politesse ampoulées étaient de mise, bien que Lothar n'y réponde généralement que par un grognement. Franz Walsinheim nota leur présence et frappa dans ses mains, demandant le silence.


- "Bien, messires et gentilshommes ! Maintenant que nous sommes tous présents, je vous invite à entrer et à prendre place." lança-t-il à l'assistance d'un ton détendu.

Mais alors que les gardes ouvraient les grandes portes de la salle de réunion, Anton nota trois individus qu'il n'avait auparavant pas remarqué parmi les autres. Il y avait là ce qui semblaient être deux prêtres encadrant un jeune homme. Le premier vénérable semblait d'un âge canonique. Il était courbé en deux sur une petite canne en bois. Ses cheveux blancs étaient clairsemés et il portait de petites lunettes cuivrées sur le nez. Sa tenue se résumait à une longue robe de bure brune et à une grande sacoche remplie qui devait peser autant que lui et qui battait contre son flanc. L'autre, plus jeune mais tout de même âgé, portait une belle toge d'un blanc immaculé et liserée d'une bande rouge, de même que sa large capuche. Ses mains étaient jointes dans ses manches évasées et son regard bleu pétillait d'intelligence. Un aigle d'or était agrafé sur son coeur et un chapelet aux billes d'argent dépassait de sa ceinture. Les deux sages parlaient à voix basse au jeune homme assit entre eux, sur un siège.

Ce qui frappa tout d'abord Anton, c'était ce regard plein d'une fierté insolente et d'un ennui princier. Ce regard qui fixait le baron Von Adeldoch sans broncher avec un flegme affligé, comme si les paroles que lui susurraient ses deux maîtres semblaient le barber infiniment. Ce grand et mince jeune homme avait une allure singulièrement militaire. Son veston blanc à boutons d'or était zébré d'une bande écarlate, couleur que l'on retrouvait sur son col et ses épaulettes d'officier. Des cordelettes dorées pendaient ça et là de cette tenue d'apparat d'une sobriété fastueuse. Ses jambes, enfermées dans des bottes en cuir parfaitement lustrées, étaient croisées et une magnifique rapière à la coque ciselée pendait à sa ceinture marquetée. Ses cheveux blonds tombaient sur son regard azur, et une perle d'obsidienne décorait son lobe d'oreille, pratique inconnue chez les hommes l'Empire. Son visage d'enfant était appuyé sur son poing ganté de noir et il continuait de regarder Anton, ou peut-être à travers Anton, jusqu'au moment où il se leva d'un geste lent et calculé pour suivre le reste des Pairs d'une démarche de roi à l'intérieur de la Salle des Entiers, ses deux prêtres sur les talons.

Image
Les Pairs entrèrent dans la salle de réunion. C'était une vaste pièce lumineuse et en longueur au centre de laquelle trônait une table brillante en chêne massif entourée de sièges à dossiers en cuir noir. La table était garnie de carafes de vin en verre clair et de corbeilles en bronze remplies de pêches de vigne et de mirabelles. De grandes vitres en arcs brisés surplombaient les ruelles cossues et les escaliers de pierre de l'Alderhorst que l'on pouvait apercevoir à travers les carreaux opaques en verre bullé. Un grand lustre en cristal pendait du plafond haut et les rayons du soleil se réverbéraient sur ses larmes tombantes. La Salle des Entiers étaient ainsi nommée de part les nombreux portraits équins qui en décoraient les murs. De magnifiques chevaux se cabraient ou caracolaient sur les toiles dont certaines étaient signées de maîtres reconnus tels que Otto Shäfer de Nuln ou Pedro Don Blasco de Bilbali. Les Toppenheimer, grands amateurs d'étalons, avaient visiblement à cœur de faire passer à la postérité certains de leurs plus précieux coursiers arabiens ou selles averlandais.

Plusieurs personnes étaient déjà présentes dans la salle. Il y avait tout d'abord un scribe derrière son pupitre, non loin d'un bout de la table. Visiblement à l'étroit dans sa tunique bleue, il portait un béret plat piqué d'une petite plume rouge. Il était en train de préparer calmement ses vélins, ses plumes et ses encriers en vue de la prise de note qui ne tarderait pas. Ensuite, il y avait un laquais aux couleurs des Toppenheimer qui portait un plateau d'argent sur lequel trônait de nombreuses coupes vides que le bougre aurait probablement la charge de remplir avant de servir les membres du Conseil. Enfin, derrière un bureau encombré disposé dans un angle de la salle, le Geheimwächter attendait patiemment, les mains croisées. C'était un homme austère au crâne rasé et au visage imberbe et impassible qui portait une veste à lacet noire, laissant dépasser ses manchettes de dentelle blanche au niveau des poignets. Il observait calmement les Pairs entrer un à un et prendre place.

Le Secrétaire Privé s'assit en bout de table, entre le Grand Lecteur et le Père Max. Les représentants des guildes et le nain s'installèrent de part et d'autre et les aristocrates s'attablèrent naturellement les uns à côté des autres, Anton se retrouvant entre Lothar et Otto Ingelfingen. Enfin les trois mystérieux invités prirent place à l'autre bout, le jeune homme se plaçant silencieusement entre le vieillards à lunette et le prêtre à l'aigle d'or. Après une prière protocolaire dédiée à Sigmar et menée par le Grand Lecteur, Franz Walsinheim déclara le Conseil ouvert tandis que le laquais entrait en action et s'avançait pour remplir les coupes de vin. Comme d'habitude, il fut question d'insipides modifications de taxes ou de droit de douane, de déclarations concernant l'avancée de certains travaux de voirie ou d'écluses à la charge des propriétaires terriens et d'autres préoccupations pécuniaires. Les rares débats furent mous, les querelles des guildes furent promptement réglées, les revendications furent notée pour être certainement classées sans suite et les votes à main levée furent expédiés sans délais. Les voix des marchands et des ecclésiastiques gardaient la même constance affligeante, se ralliant invariablement à la proposition du Secrétaire Général qui relevait souvent du compromis fade, suintant d'une volonté d'immobilisme consternante. Dans cette mécanique altérée à dessein, les voix des nobles comptaient peu et ne suffisaient jamais à faire pencher la balance en faveur des prétentions d'Anton et de ses rares soutiens. Le baron de Terre-Noire pouvait sentir Lothar von Ülmer bouillir, échauffé par toutes ces insanités à peine voilées.

Vint la question polémique de l'amendement de ce que l'on appelait alors le Décret des Moutons. Cet acte avait été promulgué plusieurs années auparavant par le Grand Conseil de Nuln et imposait une taxe de huit sous par tête d'ovin. Ce nouvel impôt était prélevé dans toute la province du Wissenland et serait probablement passé inaperçu parmi le flot de dîmes et de charges qui existaient déjà. Cependant, la promulgation du décret rencontra une féroce opposition dans le Sudenland dont la plupart des habitants vivaient de l'élevage de mouton et de ses produits. Les protestations les plus vives montèrent notamment des campagnes où les nobles et les propriétaires de troupeaux se sentaient injustement visés par une taxe qui, estimaient-ils, n'existait que pour les accabler encore un peu plus. C'était en outre une indignation légitime lorsqu'on considérait que le reste de la province, principalement lovée dans la vallée du Reik, vivait principalement des cultures céréalières ou des vignes et ne pratiquait que peu l'élevage. Mais le temps et les pots-de-vin aidant, les esprits échauffés se calmèrent et la vie repris son cours tandis que les sudenlanders digéraient en silence ce nouvel affront. Mais aujourd'hui, Franz Walsinheim essaya d'annoncer avec le plus de diplomatie possible que le gouvernement de la province se voyait dans l'obligation d'envisager une légère hausse d'impôts pour soutenir un certain nombre de projets coûteux et que la taxe imposée par le Décret des Moutons passait désormais à douze sous par tête. D'un coup, les protestations montèrent du côté des aristocrates qui se mirent presque tous à manifester leur mécontentement avec force tandis que les maîtres de guilde restaient silencieux, les doigts croisés sur leurs bedaines.


- "C'est une honte ! Vous voulez étouffer le Sudenland !" s'écria le jeune et sanguin Frédéric Von Wrangel en sautant sur ses talons, un doigt pointé vers le Secrétaire Privé.

- "Soyez prévenus messieurs, que le prix de la laine doublera dans les semaines qui viennent, et ce à vos dépends." lança d'un ton acide le vicomte Erwin-Kleist von Nollendorf aux bourgeois qui faisaient mine de ne pas se mêler de tout cela.

Franz Walsinheim leva les mains pour appeler au calme, visiblement excédé par la situation, tandis que les protestations et les récriminations emplissaient la salle.

- "Messires, messires, je vous en prie. Reprenez votre calme." tenta-t-il avec diplomatie tandis que ses paroles se perdaient dans le tumulte indigné.

Lothar grommela quelque chose dans sa barbe qu'Anton ne su comprendre puis se leva d'un coup, dominant la tablée de sa carrure et de son manteau à fourrure noire.


- "ASSEZ !" beugla-t-il en frappant de son gros poing sur la table, faisant tressauter les coupes de vin. Un silence pesant retomba sur l'assemblée alors que toute l'attention était reportée sur lui. Le baron au tempérament houleux posa son regard lourd sur chaque personne assise, débordant de colère froide. "Regardez vous ... Pairs du Sudenland ! Par Ulric, la belle affaire ! Vous me faites plus l'impression d'une flopée de bécasses en train de se battre pour un ver !" tempêta-t-il sans que personne n'ose l'interrompre. "Vous criez au loup, vous soulevant contre cette taxe qui nous sera imposée quoi que nous en pensions et dont les fruits iront remplir les caisses des Toppenheimer et de Nuln avant d'être dépensé en vin, en banquets et en spectacles pour les beaux yeux de la Grande-Comtesse !"

- "Baron von Ülmer, vous allez trop loin, une fois encore." l'avertis Franz Walsinheim avant d'encaisser un regard meurtrier de Lothar.

- "Vous vous apitoyez sur votre sort, vous pleurnichez sans conviction. Faisons en sorte que, pour une fois, cette assemblée serve à quelque chose. Nous avons trois invités qui doivent nous croire bien sots et que nous ferions bien d'écouter, à présent." continua le baron avant de se rasseoir avec un grognement d'ours.

Aussi provocants furent ses propos, ils firent leur effet. Le calme retomba pour de bon et tous les regards se portèrent sur le trio au fond de la salle qui était resté silencieux jusque là. Le jeune homme en uniforme blanc se contenta de hausser le menton en toisant les personnes présentes tandis que le prêtre à capuche bleue se leva lentement. Il retira sa capuche, dévoilant ses cheveux blancs coupés courts, et tendit sa main droite ouverte en éventail, paume vers l'extérieur devant sa poitrine, avant de l'écarter sur le côté, exécutant ainsi un salut qui n'était pas inconnu d'Anton. Il replaça sa main dans ses manches amples et inclina lentement la tête.

- "Salutations, Pairs du Sudenland. Je me nomme Benito Alberico, Grand Prêtre de Myrmidia officiant au Temple de la Victoire, à Nuln." dit-il d'un ton doux et calme teinté d'un accent chantant. Le Grand Lecteur de Sigmar fronça les sourcils. "Je viens à vous aujourd'hui car j'ai une grande nouvelle à annoncer à votre estimée assemblée. L'héritier légitime d'Eldred von Durbheim, dernier Comte-Electeur du Solland, est parmi nous aujourd'hui en la personne de Falco II De Barnadi."

Un murmure parcouru la pièce, et quelques regards furent jetés à Anton. Le jeune homme en uniforme se leva lentement, impérial, et posa son regard sur chaque personne présente, une moue monarchique sur le visage. Otto Ingelfingen, à côté d'Anton, jura.

- "Foutaises. Le Comte Eldred est mort sans laisser de descendance de pure lignée. Anton von Andeldoch, ici présent, est son seul descendant avéré." lança-t-il, agressif.

Benito n'en prit nullement ombrage et se contenta de sourire aimablement.

- "Je crains que vous ne vous fourvoyiez, noble seigneur. Père Christoph ?" demanda-t-il en direction du viellard à lunette. Celui-ci sembla se réveiller et s'activa fébrilement en plongeant les mains dans sa sacoche tandis que Benito se tournait à nouveau vers l'assemblée. "Père Christoph est prêtre de Véréna au temple de Nuln."

Le Père en question sortit un énorme volume enluminé de son sac et le posa sur la table. Il rehaussa ses petites lunettes à la monture cuivrée et ouvrit l'imposant ouvrage, avant de tourner quelques pages et de suivre les lignes du doigt.

- "Falco II de Barnadi descend en ligne directe de Lukas von Durbheim, fils légitime d'Eldred von Durbheim et tombé aux champ d'honneur aux côtés de son père à la Bataille de la Couronne du Sölland en l'an 1707." dit-il d'une voix chevrotante.

- "Comment savoir que ce tome ne contiennent pas que balivernes et mensonges ?" demanda Erwin-Kleist von Nollendorf en caressant le pommeau d'argent de sa canne.

- "Cet ouvrage relate la généalogie des grandes familles de Miragliano, en Tilée, et provient des bibliothèques du temple de Véréna. Après la Bataille de la Couronne du Sölland, d'autres familles influentes du Wissenland ont voulu profiter de l'anarchie qui régnait alors pour s'emparer du pouvoir. Pour s'assurer toute légitimité, certains individus peu scrupuleux donnèrent la chasse aux héritiers de la famille von Durbheim afin de les éliminer et de prétendre au titre d'Electeur. Ces ambitions furent réduites à néant par l'annexion du Sölland au Wissenland, cependant le petit-fils du Comte Eldred fut emmené en sécurité à Miragliano par des fidèles partisans de la famille. Son nom fût changé en De Barnadi pour assurer sa sécurité et il bénéficia des meilleurs précepteurs. Il enfanta ainsi une nouvelle Maison dont Falco II est le noble représentant en ce jour. Il est donc légitime de le considérer comme l'ayant cause de l'héritage de la famille Von Durbheim dans son intégralité." annonça calmement Benito tandis que Falco restait silencieux, toisant l'auditoire.

Un nouveau murmure s'éleva et chacun le nourri de ses remarques, tandis que Lothar poussait un juron.


- "Voilà qui va s'avérer intéressant ..." minauda le vicomte Erwin-Kleist en lissant sa belle moustache poivre-sel, coulant un regard vers Anton.

En effet, l'attention des Pairs se porta peu à peu sur le baron de Terre-Noire alors que le silence retombait. Tous attendaient à présent sa réaction et le noble sudenlander put sentir peser sur lui le regard perçant du Secrétaire Privé qui guettait probablement son prochain mouvement.

Image
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Anton
PJ
Messages : 124
Profil : Venez découvrir mon livre de recette http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 177&t=3179

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Il y a des silences que l'on craint, des silences qui menacent, des silences qui indisposent. Il y a des silences pesants, des silences qui ressassent le passé en vagues nauséabondes, ou qui étouffent l'avenir dans un voile d'inconnu. Il y a malheureusement des silences d'horreur, de stupéfaction, de douleur. Mais il y a aussi ces silences d'or, qui disent le respect, qui laissent planer la tension, le désir, les regrets, la nostalgie, qui prolongent l'instant qui s'efface, qui appellent celui qui va venir. Et puis, bien sûr, il y a les silences dont on jouit.

Pour le baron, le silence qui régnait enfin dans la salle des Entiers faisait parti de ces silences-là. Contemplant ces visages interrogateurs, faussement décontractés ou bien franchement tendus aux yeux fixés sur lui, il jouissait du silence.

Dans ce temps long, absurdement étiré, il goûtait la précipitation du destin suspendu à ses prochains gestes. Il goûtait les visions d'avenir qui s’aplanissaient et se figeaient, inutiles, aveugles, dans l'expectative; quelle densité dans ces instants! Et quels enjeux n'étaient pas suspendus à sa réaction! Son existence entière, toute la lutte politique, les errements d'un homme, les levers, les couchers, tous ces cheminements pour en arriver , précisément, à ce silence pavé d'inconnus! Ces moments-là seuls faisaient que la vie valait la peine d'être vécue.

C'était une sensation particulière, un peu de celle que l'on ressent au moment de se battre en duel, juste avant de se laisser submerger par le feu du combat choisi et accepté. On se plaçait alors d'une perspective ou plus rien ne comptait sinon soi-même. Centre de l'univers, et se sentant digne d'y être.

Anton n'avait pas réfléchi à l'attitude à adopter face au soi-disant héritier. Avant son arrivée à Pfeildorf, il avait jugé inutile d'y consacrer du temps, manquant des informations nécessaires pour prendre une quelconque décision. Une fois arrivé, les absurdités de la comtesse sur le décret des moutons l'avait tenu suffisamment occupé pour se dispenser d'étudier plus en détail les rumeurs qui courraient sur le jeune homme; et la situation n'avait guère changé lorsque, pendant la première partie de cette fallacieuse réunion, on l'avait bombardé de détails administratifs ou politicards absurdes qui le faisaient intérieurement bouillir. Fidèles à la ligne adoptée depuis longtemps déjà, par feu Anton père en réalité, Lothar tempêtait et Anton se taisait; bon pair, mauvais pair: le numéro des deux nobles était finement rodé; mais même s'il ne disait rien, impossible pour le baron Adeldoch de songer sérieusement aux trois épouvantails invités à leur tablée de déblatérations absconses. Tout au plus quelques regards jetés à a dérobée, qu'il avait soin de dissimuler derrière le plus marqué désintérêt.

Le vieux à lunette était certainement le moins intéressant des trois. Un bibelot quelconque, mais qui devait donner de la crédibilité à la démarche. Anton ne fut pas excessivement surpris d'apprendre qu'il officiait pour Véréna. Un rapide coup d’œil à Père Max ne lui apprit rien de plus qu'il ne savait déjà: "Père Christophe" était une vieille mule accrochée à la vérité de ses bouquins comme une bernicle à son rocher. Se rappelant des détails de sa fiche, Anton manqua de sourire en reconnaissant un probable "Gardien des Lois" dans toute sa splendeur.

Le second prêtre quant à lui était d'une autre trempe. Aigle d'or de Myrmidia, dont il avait vu quelques exemplaires à Luccini, en Tilée; toge impeccable, sourire intérieur tellement évident qu'il débordait par les yeux. Jeune dans sa tête, témoin sa tenue; ambitieux, témoin son sourire et ses chuchotements continus. Voix posée, sûre de son droit, comme un homme qui sait. Or ce qu'Antoine savait de source sûre, lui, c'est que si un prêtre a toujours l'air de savoir (car, après tout, c'était là leur office), il était rare de rencontrer un prêtre qui s'occupe de politique et qui sourît tout de bon sans que cela n'augure du vilain. Instantanément le baron décida qu'il s'agissait d'un individu dangereux, et qu'il ne l'aimerai pas. Et puis qu'avait Myrmidia à voir là-dedans?!

Le troisième larron était très différent de l'imposteur cradingue que le baron s'était laissé aller à se figurer. Élégant, martial, princier même. Jeune, certes, mais possédant déjà les mines et les gestes d'un rejeton de grande famille. Il portait sa tenue avec naturel, ce qui signifiait qu'il avait l'habitude de se vêtir ainsi et donc qu'il vivait dans un environnement aisé; de style certainement impérial car il ne paraissait pas le moins du monde perdu dans les salons des Topenheimer, on pouvait donc affirmer qu'il possédait suffisamment de caractère pour avoir adopté une mode étrangère et percé son oreille. Pourtant il laissait les prêtres lui causer alors qu'ils le lassaient très visiblement: il avait donc besoin d'eux, et était suffisamment arrogant pour laisser paraître son ennui. Le fait qu'on ne le laisse pas parler était révélateur. Etait-il seulement fier, orgueilleux et un peu puéril ou était-il déjà gagné par la suffisance et l'hybris ? Voilà ce qu'il manquait pour connaître un peu plus le personnage: différence certes subtile mais ô combien d'importance!

A ce stade du Conseil, Anton avait déjà décidé qu'aucune décision ne saurait être prise sans avoir entendu parler le jeune homme pour juger de ce point.

Mais au-delà de cela, nulle décision prise encore; un pressentiment, qui courrait le long de sa colonne vertébrale et agitait de délicieux frissons sa peau et ses os. Quelques idées, des lignes qui se dessinaient, et pour lui seul tant tout se suspendait à sa prochaine action; pourtant, il ne pouvait encore ni décider ni agir. Il fallait qu'il confirme la suggestion que son esprit, aiguisé par la veille, le voyage, mais surtout par la méditation physico-politique de ces derniers jours lui avait fait scintiller dès l'annonce du pédigrée de l'héritier.

EN réalité, il est hors de doute que s'il avait abordé ce Conseil comme il avait abordé les précédents Anton von Adeldoch aurait agit tout à fait différemment. Il aurait considéré le jeune homme comme une menace pour ses positions et ses ambitions, point final, et aurait tempêté sang et eau pour le faire virer du conseil manu militari le gringalet, prêtres et pédigrée ou non. Mais une profonde mutation s'était faite dans sa façon d'approcher le problème Sudenlandais et cette phrase: "Les individus ne comptent pas, seule la mécanique historique et sociale, politique en somme, décide", lancée sur le papier la veille du départ, continuait de façonner dans sa tête bien des pistes et bien des perspectives. Il ne s'agissait pas d'une guerre, de stratégie ou d'un jeu. Il s'agissait d'une mécanique sociale et politique qui lui échappait complétement, mais sur laquelle il pouvait agir, à la marge. Suffisamment pour qu'elle le serve en la servant.

Non, ce qu'avait le noble devant lui était un poids suffisamment lourd pour en entrainer bien d'autres dans son sillage. La seule question qui restait à préciser était en fait la suivante: s'agissait-il d'un poids suffisamment malléable pour que le baron le fasse porter sur le bon levier, et suffisamment intelligent pour ne pas stupidement le briser ? La seule façon de le savoir était au fond de le laisser le dire lui-même.

Il était temps de briser le silence. Non sans regret, bien sûr. Mais le faire durer davantage eût été presque obscène. Et Anton comptait bien qu'un autre silence de ce genre reviendrait bientôt, très bientôt. Il fallut se lever, et regarder le gamin dans les yeux, en faisant danser une attente et de l'espoir dans les yeux, un espoir que seul "Falco" serait à même de discerner s'il le souhaitait. Et puis de laisser la sérénité née du précipité de silence glisser de son âme dans sa voix, voulue directe et sobre.

"Monsieur, vous l'avez constaté comme moi, les palabres inutiles sont reines dans cette salle. Aussi souhaiterais-je l'entendre maintenant, de votre propre voix.

Qui êtes-vous et que désirez-vous ?"
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 11 août 2015, 17:20, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 12 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Pas un murmure n'échappa de l'assemblée complètement captivée par la cette confrontation aussi brève qu'intense et par l'échange qui s'annonçait. Bien conscient de ce fait, le Père Benito Alberico essaya de rester maître de la situation. Il fronça presque imperceptiblement les sourcils avant de se fendre d'un sourire aimable et d'écarte légèrement les bras.

- "Comme je l'ai dit à l'instant, noble seigneur, sire Falco est ..."

Le jeune homme l’interrompu d'un geste sec, levant un index ganté de noir pour ordonner le silence sans même accorder un regard au prêtre de Véréna, qui se tut en gardant un air serein. Les yeux bleus de Falcon étaient semblables à deux lances de glace prêtes à transpercer Anton de part en part. Il laissa planer quelques secondes en le fixant ainsi tandis que tous étaient désormais pendu à ses lèvres. D'un geste lent, il se releva de son siège, se retrouvant désormais à la hauteur du baron Von Adeldoch. Son corps était svelte, son torse bombé, son menton haut. Il s'exprima les bras le long du corps, dans une posture rigide et austère, sans quitter Anton des yeux.

- "Je suis Falco Ansgar Ewald Piro Temistocle de Barnadi, prince de Mazara del Vallo et Scandicci, mécène et protecteur des Arts et des Lettres, Grande Maresciallo de l'Ordre de la Sainte Crinière et héritier légitime du Sudenland, injustement dérobé à mes glorieux ancêtres il y a huit siècles. Et je ne désire rien d'autre que récupérer ce qui est mien de droit." dit-il dans un reikspiel parfait et sans accent d'un ton plat mais pour le moins incisif. Il conclu sa réponse en relevant le menton plus encore si cela était possible, et en posant une main nonchalante sur la magnifique coque dorée de sa rapière, prenant ainsi une pose digne d'un roi aussi arrogant que puissant.

Un nouveau silence suivi la réponse du jeune homme et tous les regards se tournèrent une fois de plus vers Anton, comme si les membres du Conseil des Pairs étaient soudain relayés au rang de simple spectateurs d'une scène dantesque et pleine de rebondissements lors d'une représentation théâtrale. Le Secrétaire Privé, qui incarnait la maîtresse des lieux et pour ainsi dire l'autorité souveraine, se força à interrompre le magnifique duel qui allait peut-être avoir lieu. Il se releva et s'apprêta à calmer les esprits, essayant de rallier les regards à lui. Anton garderait-il le monopole de l'attention, ou laisserait-il Franz Wilsenheim reprendre la main ?
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Anton
PJ
Messages : 124
Profil : Venez découvrir mon livre de recette http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 177&t=3179

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Anton jeta un regard en coin au Secrétaire, qui ne goûtait visiblement pas à la tournure qu’avait pris la réunion. S’il voulait agir, il s’agissait d’être prompt et de ne pas se laisser couper l’herbe sous le pied : le temps du doute et de l’inconnu s’achevait pour amorcer une autre ère : celle de l’action.

Ce gamin était un imposteur, de cela Anton était persuadé ; les ouvrages compulsés des années durant par son père et son propre père avant avaient révélé en quelques décennies tous les secrets généalogiques de la lignée de feu Eldred. Sans doute existait-il des individus qui pouvaient prétendre à l'héritage comtal, au même titre que les von Adeldoch; mais il était absolument hors de doute qu’aucun parmi eux ne ressemblait à ce guignol exotique. Il s'agissait d'un coup monté, et mal monté encore; de telles histoires de fils caché infestaient les légendes et les fabliaux du Sudenland, les sombres personnages qui pilotaient le gamin en sous-main ne s’étaient guère montrés imaginatifs pour leur subterfuge.

Bien sûr, l'idéal pour le baron aurait été de savoir qui étaient ces mystérieux commanditaires. Il n'était pas encore exclus que ce gosse tombé de la lune en plein marigot politique ne fût une machination de la Comtesse pour conclure le jeu à son avantage. Il pouvait tout aussi bien être issu des sombres complots des ennemis de l'Empire, ou tout simplement de ses propres adversaires politiques. Mais finalement, cela importait assez peu au baron.

Ce qui importait, c'est qu'il allait changer son levier de point d'appui.

Il allait même le changer tellement vite que cela lui laisserait le champ libre pour appuyer dessus de toutes ses forces. Le temps que ses adversaires modifient la direction de leur poussée, le jeu aurait déjà bougé à son avantage.

Changer le point d'appui. Le pari que faisait Anton, guidé par son intuition et la voix sèche du jeune Falco, c'est que ce point en question aurait les reins assez solide pour le supporter.

"Ce que vous dites me suffit amplement Monsieur."

Il avait parlé d'une voix forte et claire, tout en suspendant la fin de sa phrase pour que le trop obséquieux Franz n'eut pas l'affront de l'interrompre en un tel moment. Se dégageant de son siège d'une main sûre, geste qui lui laissa le loisir de proposer un rapide regard d'intelligence avec Lothar et Otto, il sentit s'alourdir encore davantage le silence et au moins un des membres de l'Assemblée interrompre dans un borborygme un début d'interjection. Il s'avança rapidement vers le jeune homme, en bout de table, et n'écoutant pas les bruits étouffés et les crissements des gants sur les armes au moment où il posa la main sur son fleuret; il écarta même doucement du point le vieux prêtre qui encombrait sa route. Puis déclara:

"Votre parole, qui sent pourtant son gentilhomme, pourrait ne pas suffire à cette assemble procédurieuse; mais celle de la déesse Véréna est indiscutable, et je n'imagine guère de mystification possible en une semblable affaire: c'est bien plutôt là sa façon de mettre une bonne fois pour toute l'ordre et la justice dans les affaires de cette province.

Ces derniers mots avaient été lancés à la ronde, en tournant la tête vers l'Assemblée, de manière à jeter à nouveau un regard à Lothar, regard qui aurait pu sembler de loin neutre et concentré sur les paroles, tandis que pour le vieil homme seul il avait ce sens terriblement important "Vois, mon œil est clair, je suis sérieux, sain d'esprit et en pleine possession de mes moyens: le jeu n'a pas changé de nature!".

Il dégaina son arme et s’agenouilla dans le mouvement, criant presque pour couvrir le brouhaha qui s'éleva soudain autour de la table, courbant la tête mais non l'échine.

"Falco de Barnadi, prince de Mazara del Vallo et Scandicci, je vous reconnais comme mon cousin, Comte légitime du Sudenland et mon Souverrain sous la volonté de l'Empereur et de Sigmar. Je vous offre ma lame en signe de mon dévouement, et m'engage à vous servir de toutes mes forces pour que cette province redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être: une province fière, prospère, un rempart contre l'ennemi orque, un peuple qui reprend sa place au sein de l'Empire! Vous pouvez compter sur moi!"

Il avait presque hurlé ces derniers mots, conscient de son effet, de l'agitation totale de la salle, et des évènements qui allaient se déchainer désormais, pour son bonheur ou son malheur. A ce stade, les possibilités restaient grandes, et la plupart se résoudraient dans les prochaines secondes: Lothar comprendrait-il et se rangerait-il à ses côtés, lui faisant confiance sur cette opération ? Otto également, comprenant la chance qui s'ouvrait ? Y aurait-il même un mouvement général, porté par l'exceptionnelle journée, le climat d'agitation dans lequel baignait la ville et l'alcool qui servait d'habitude à entretenir la torpeur des membres du Conseil mais saurait peut-être cette fois-ci les plonger dans l'euphorie ? Comment allait réagir le jeune Barnadi, saurait-il profiter de l'aubaine ?

Ce qui était certain, c'était que le pauvre Franz allait devoir pour la première fois depuis longtemps user de son pouvoir de de suspension de séance, et qu'il n'hésiterait surement pas à hurler à son tour pour le faire savoir...

Quel chaos.

Que d'histoires pour un point d'appui!

Et tandis que la cohésion molle de la noble assemblée se dispersait par sa faute, les yeux fixés sur son "souverain et cousin", Anton ne savait pas vraiment ce qu'il faudrait souhaiter au gosse lorsque son subterfuge serait percé à jour: Ludwig Schwarzhelm, l'Inquisition, ou une visite nocturne du bon Lothar.

Mais l'égoïste mégalomane qui sommeillait en Anton lui souffla que si ce mioche avait le culot de jamais poser ses mains de raclure sur son Croc Runique, Lothar et ses deux fils ne seraient pas de trop.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 17 août 2015, 16:49, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 18 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Face à ce serment d'allégeance aussi inentendu qu'abrupt, l'assemblée resta pantoise. Tous regardèrent Anton avec des yeux de merlan frit à l'exception de Falco qui posa un regard satisfait sur le baron de Terre-Noire comme s'il jugeait son initiative normale sinon naturelle. Quelques secondes d'incertitude planèrent à nouveau sur le Conseil des Pairs pendant lesquelles le Geheimwächter, silencieux derrière son bureau au fond de la salle, ausculta Anton du regard. Puis Ernest "le Noir" de Lippe se leva lentement et tous les regards se tournèrent vers lui. Il n'intervenait pour ainsi dire jamais au sein du Conseil, se bornant visiblement à faire acte de présente. Mais il se redressa de toute sa stature d'ancien soldat, vêtu d'ébène de la tête aux pieds, et fixa Falco de son œil unique.

- "Moi vivant", commença-t-il de sa grosse voix, calme mais pourtant terrible, "jamais un étranger, et moins encore un tiléen, ne pourra prétendre à la Couronne du Sölland. Je préfère encore être dirigé par les chiens des Toppheimer et les sangsues bourgeoises qui leurs tiennent lieu de courtisanes que par un individu de votre espèce." articula-t-il.

Et soudain, brisant le néant du silence, la salle explosa. Les marchands, piqués, se levèrent en cœur, rapidement suivis par les nobles, et tous commencèrent à s'injurier comme des charretiers ou à se lancer grossièretés et reproches à la figure. Les délégués des guildes étaient indignés d'être traités de la sorte, les nobles étaient plein de colère et laissaient leur frustration éclater au grand jour, le Grand Lecteur criait au blasphème et le Prêtre de Véréna exhortait vainement au calme et au respect. Même le représentant nain fût pris à parti alors qu'on l'accusait soudainement avec violence. Les cris emplissaient l'air, on s'invectivait de toute part et l'éclat d'Anton fut vite remplacé par les querelles privées et les attaques personnelles. La situation semblait prête à dégénérer quand on menaça d'en venir aux mains. Dans cette tempête, seuls Falco et ses acolytes semblaient rester cois. Le jeune prince tiléen fixait Ernest le Noir comme s'il allait ordonner à son armée de serviteurs de le mettre à mort dans l'instant, tandis que les prêtres de Myrmidia et de Véréna observaient ce capharnaüm, silencieux. Le baron de Terre-Noire nota également que Lothar, toujours assis, se contentait de le regarder, interdis.

Le Secrétaire Privé, le dos plaqué contre le haut-dossier de sa chaise, essayait d'apaiser les esprits et de désamorcer le conflit. Quand il admit enfin que la situation lui échappait totalement, il jeta un regard meurtrier à Anton et se releva en levant les mains, criant pour essayer de se faire entendre par ces nantis en furie.


- "LA SÉANCE EST SUSPENDUE !"

Image
- "Par les valseuses d'Ulric, mais qu'est-ce qui t'as prit ?!" lança Lothar en se penchant vers Anton, mi-vociférant mi-murmurant.

Les Von Ülmer, Otto Ingelfingen et Anton von Adeldoch étaient assis sur des tabourets à l'une des tables rondes du Renard et du Chien. Après la l'abrupte suspension du Conseil des Pairs, les partisans d'Anton avaient enfourché leurs montures et s'étaient rendu sans tarder dans cette auberge dont ils étaient des habitués et dans laquelle ils créchaient chaque fois qu'ils se rendaient à Pfeildorf pour le Conseil. L'auberge était le batîment principal de Gerechtfeld, un petit faubourg de Pfeildorf accroché à la Sol à une demi-lieue à peine au sud des murs de la ville. Le village était constitué de l'auberge, des abattoirs Schimdtfeld -fermés à cette heure tardive-, d'enclos à bétail dégageant une odeur forte, de quelques maisons à colombages et d'une petit entrepôt disposant de quais en bois sur la rivière. Il régnait ici une douce quiétude bien éloignée de l'agitation étouffante de la ville et qui convenait beaucoup plus aux compagnons d'Anton, plus habitué des collines boisées et des champs que des successions interminables de ruelles encombrées. La nuit tombait doucement sur les champs de blé encore vert qui s'étendaient à l'Est de Gerechtfeld et on pouvait voir, au loin, un serpent lumineux et continu qui longeait les remparts de Pfeildorf et qui n'était autre que la procession du Sigmarzeit dirigée par le Grand Lecteur en personne.

La pièce centrale de l'auberge était relativement calme, certainement en raison de la présence de la plupart habitués aux célébrations données en l'honneur de Sigmar et qui battaient leur plein dans l'enceinte de la ville. Ingo, l'imposant tavernier, essuyait mollement quelques chopes qu'il tirait d'un bac rempli d'eau posé sur le comptoir central. Sa femme Yvette, une bretonienne bien en chair, passait prendre les commandes auprès des rares clients attablés ça et là. La plupart étaient des ouvriers de l'abattoir voisin et leurs tabliers étaient encore souillés de sang séché tandis qu'ils brisaient leur pain de leurs mains sales. Les grandes fenêtres laissaient déjà filtrer la lueur pâle des Lunes et le feu crépitait dans l'âtre au fond de la salle. Non loin, un barde adossé à une poutre faisait glisser ses doigts sur les cordes de sa mandoline d'un air évasif, les yeux plongés dans les flammes voraces. Il tirait de son instrument une mélodie populaire et fredonnait plus qu'il ne chantait des histoires de dragons, de damoiselles en détresses et de princes charmants.


Lothar n'avait pas prononcé une parole depuis qu'ils avaient quitté la Salle des Entiers et s'était empressé de commander un pichet de bière et trois poulets rôtis sitôt arrivés à l'auberge tandis que Otto expliquait aux fils Von Ülmer le déroulement du Conseil et l'intervention d'Anton. Les deux frères, peu finauds, se contentaient dès lors de jeter des regards suspicieux au baron de Terre-Noire sans vraiment comprendre de quoi il en retournait.

- "Tu peux me dire ce qu'il t'est passé par l'esprit quand ce j'en-foutre s'est permis de te parler comme ça ? Le reconnaître comme ton cousin, cette tête de blatte ?! Il est plus efféminé qu'un reiklander !" continua Lothar à voix basse, outré. Sa barbe poivre-sel frémissait d'indignation tandis qu'Otto Ingelfingen, plus mesuré, se contentait d'observer rudement Anton, les bras croisés sur sa veste ocre, caressant l'un de ses favoris épais terminés par une grosse moustache.

La colère parlait pour Lothar, mais Anton connaissait bien ses alliés. Von Ülmer et Ingelfingen savaient certainement qu'Anton ne renoncerait pas aussi facilement à ses revendications, mais le vieil ami de son père avait visiblement le plus grand des mal à dévier de sa stratégie habituelle et à faire confiance aux prises de risques de celui qu'il considérait probablement encore comme un jeune garçon sans l'expérience et la clarté d'esprit qu'octroyaient l'âge.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Anton
PJ
Messages : 124
Profil : Venez découvrir mon livre de recette http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 177&t=3179

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

En toute chose laisse deux tiers de raison et un tiers de hasard! C'était là une phrase de mon grand-père restée célèbre dans la famille. Pourtant ne l'avons pas tous reconnue à sa juste valeur; Monsieur mon père croyait que la raison seule triomphait de tout, et mon frère Thomas laissa bien tôt sa vie aux Dieux et au hasard. Moi seul ai pleinement senti ce que cette sagesse recelait de vérité, et n'ai depuis dévié de cette ligne: deux parts à la raison, et la dernière laissée au destin. Il ne sera pas fat je crois d'envisager que c'est cet équilibre seul qui permit à mes efforts constants pour l'indépendance du Sudenland d'acquérir la résonance que l'on connaît, et que c'est de cette combinaison d'une préparation minutieuse et d'un esprit toujours attentif aux circonvolutions des aléas politiques que sont nés mes plus grands succès.[...] Bien sûr, le balancier ne fut jamais aisé à placer; et si le lecteur daigne se souvenir des circonstances dans lesquelles s'ouvrirent les fameux événements de l'année 2532 lors de la nébuleuse "affaire de l'Héritier", il comprendra aisément qu'en confiant ma destinée entre les mains d'un prince étranger, j'avais sans doute laissé à la Providence davantage que la part du tiers qu'elle méritait. Ou du moins, je le crus longtemps[...]
Extrait du volume 5 des Mémoires du Sieur d'Adeldoch par Lui-même
___
PFEILDORF,
Salle du Conseil

___


Morr lui en soit témoin, Anton pensait avoir cogné suffisamment fort pour faire exploser la salle des Entiers et même Pfeildorf avec. Ayant soigneusement considéré la bande de mollusques délicats qui lui servaient de "Pairs" le baron s'attendait que son geste à la porté éminemment politique et polémique crée un chaos de toute beauté. Or ce n'était pas ce qui s'était passé. Pas du tout. Ce qui s'était passé, c'était un immense silence de mort, assez indélicat. Puis le corbac-briscard d'élite qu'Anton avait toujours cru muet ou même demeuré du fait de ses héroïques charges dans le Nord avait lâché dans la salle des Entiers l'équivalent d'une demi-tonne de poudre Nulnienne premier choix avant de tranquillement écraser son cigare dessus. Sans avoir particulièrement l'air de trouver ça choquant.

Boum.

Un chaos de qualité.

Bien sûr, ne pas avoir envisagé l'idée que le paralytique du coupe-chou était capable d'articuler autre chose que ses grognements habituels était une faute. Mais heureusement, comme prévu même si ce n'était pas pour les bonnes raisons, l'autre andouille de fonctionnaire avait suspendu la séance. Le levier avait bougé et changé de point d'appui: il était temps d'appuyer très fort dessus, et vite!

"Si mon cousin voulait m'accorder l'honneur d'une entrevue nocturne ? Je crains que ce Conseil ne se prête plus guère aux discussions sereines sur l'avenir du Sudenland, et il va nous falloir agir vite avant que Ses ennemis ne se ressaisissent."

Les mots rapidement jetés au plus fort de l'agitation, tandis qu'il se relevait et que les noms d'oiseaux échangés entre les bourgeois et les médiocres concentraient l'attention générale. Il attendit la réponse en un souffle de son illustrissime cousin. La nuit allait être longue.

Au milieu des cris et des hurlements, le baron tentait de manœuvrer pour jouer au mieux du chaos qu'il avait participé à créer. Tant que les esprits s'attardaient au tumulte, ils ne pensaient plus guère aux manigances d'Adeldoch.

"Comme si les Topenheimer s'étaient jamais souciés d'autonomie! Ce qu'ils veulent, c'est remplir leurs coffres, admettez-le !"

Remous généraux, tandis qu'un noble offusqué prenait Anton à parti, et que Lothar l'interceptait. De tels cris fusaient en tous points, il y avait même un imbécile d'une des guildes pour prendre le nain à parti! Un festival de venin et d'agression en tous genre comme ce Conseil feutré n'en avait pas souvent connu. Sans en avoir l'air, le baron s'activait, une plume à la main. Un représentant se leva brusquement, ce qui lui permit de tendre tranquillement à Frédéric une note ainsi libellée:

Je serais assez curieux de connaître votre opinion de la situation. Mon camp est choisi, et je me demande à quoi elle ressemble d'un point de vue moins engagé. Serez-vous demain à l'auberge de l'Alcove pour en discuter avant de nous rendre au Conseil ?
A. V. A.


Grâce à l'intervention toute en douceur du corbac local, le Conseil était devenu un champ de bataille, dans lequel on ne savait trop qui l'emportait et qui pleurait ses blessures. Une seconde note se retrouva donc sans trop éveiller l'attention dans les mains du délégué de la Maison des Guildes.

"Voilà, bien sûr! Et le pont sur la Soll, c'était aussi du patriotisme peut-être ? 8000 têtes monsieur, 8000 têtes!"

A ce stade, le baron alimentait la conversation délicate avec tout ce qui lui tombait sous la main. Il était à vrai dire incapable de dire ce que c'était que cette histoire de pont, qui pouvait à vrai dire aussi bien dater du siècle dernier. Mais à chaque fois que le pont revenait sur le tapis, une demi-douzaine de membres du Conseil se mettaient à hurler. Le représentant lui jeta un œil interrogateur, tout en hachant la tête; assentiment, signe d'intelligence ? Il faudrait attendre le soir pour le savoir.

J'ai une proposition pour vous, qui ne se représentera pas. Ce soir, crépuscule, Gerechtfeld, vous verrez la lumière de la taverne. A bon entendeur,
A.V.A.


"Mon Père, je crains d'avoir agi un peu hâtivement tout à l'heure en décelant la volonté de Véréna dans cette affaire. Je ne regrette pas, mais je crois bien que je serai soulagé d'en parler avec vous ce soir, du moins si vous acceptiez de me prêter votre conseil..."

La séance suspendue, les participants regagnaient en hâte l'extérieur du beau bâtiment, parfois en chuchotant à voix basse. Lothar avait les dents serrées qui ne présageaient rien de bon. Le Père Max, lui, semblait un peu perdu. Mais il y avait de fortes chances pour que ce ne soit qu'une façade. Il faudrait s'en rendre compte ce soir; il était de notoriété publique que le Père ne dormait pour ainsi dire pas, et que ses entrevues les plus intéressantes se tenaient dans le cœur de la nuit... Anton commençait à se dire qu'il allait être difficile de tenir un tel emploi du temps. Pourtant, en voyant le Lecteur s'approcher des représentants des Guildes, il n'hésita plus. Il était hors de question que ceux-là lui échappent. Sitôt le prêtre disparu, probablement une promesse d'offrande en poche, le baron se signala à l'un d'entre eux, en particulier.

"Helmut ? Je crois que vous et moi avons quelques petites choses à discuter, à propos d'une certaine taxe sur le têtes d'ovins... Nous déjeunons ensemble au lapin qui dort ? A l'aube ? Nous ferrons envoyer la note au Secrétaire. Votre ami Alric des Tanneurs est lui aussi le bienvenu."

Le représentant des Tondeurs eut un regard entendu et glissa quelques mots au baron. Qui aperçut Lothar déjà en selle et s'en fut le plis rapidement possible le rejoindre. Il restait à espérer que personne n'avait perçu son manège, au milieu du chaos et des intrigues de chacun; des années de diplomatie et d'intrigues de cours avaient de ce point de vue été formatrices pour Anton. Baste, on verrait bien le résultat de tout demain, au Conseil: le plus dur restait encore à venir.
___
GERECHTFELD,
Auberge du Renard et du Chien

___

"Ne soyez pas ridicule. Lorsque je serai Comte, je me chargerai moi-même de lui tailler un costume plus viril à grands coups de martinet."

Assis tous les cinq dans l'auberge qu'Anton avait choisi comme quartier général à la mort de son père et lors de sa reprise en main des affaires de la famille, les alliés des Adeldoch dévisageaient d'un air curieux, méfiant ou attentif le baron. Cependant, en réaffirmant sa volonté de devenir Comte, Anton pu constater le soulagement pointer dans un certain nombre de regards. Il était temps de préciser un peu sa pensée.

"Ce type est sans doute un imposteur. Nous savons tous ici ce qu'il en a été des fils d'Eldred. Il est ridicule de croire qu'un seul ait réchappé; ceci est une cabale quelconque. La question est celle-ci: qu'allons-nous faire entre le moment où ce gosse apparaît et le moment où l'Inquisition se charge de lui ?"

Question ouverte, à laquelle les regards encourageants d'Otto le poussèrent à répondre lui-même.

"Nous allons nous en servir pour obtenir l'indépendance du Sudenland et le retrait des Topenheimer. Ensuite, nous aurons le champ libre pour nous avancer. Il faut faire en sorte que le Sudenland soit une évidence, une nécessité politique; puis il nous suffira d'en ôter la tête pour nous y retrouver propulsés. Ce gosse va nous y aider"

Et de compter les avantages, levant les doigts pour figurer ses arguments:

"Il est jeune. Il est beau. Il a une voix ferme. Il est soutenu par le clergé. Il a des revendications a priori légitimes. Et il n'a pas encore fait de promesse ni pris d'allié, ce qui veut dire qu'il sera aisé d'en acheter en échange de faveurs politiques que le camp des Topenheimer a toujours refusé..."

Lueurs de compréhension, et chuchotement:

"Les représentants des guildes, je les vois ce soir puis demain. Il faut que le gosse obtienne une majorité des deux-tiers au Conseil, pour pouvoir peser face à la Comtesse. Nous pouvons déclarer l'indépendance et en appeler à l'Empereur. Nous nous y sommes préparés toutes ces années.

Je n'abandonne pas le combat Lothar, je ne fuis pas, je ne m'attache pas à un cuistre. Je propose de s'en servir de bélier pour enfoncer par surprise la poterne mal protégée plutôt que de continuer comme on le fait depuis dix ans à faire le siège de la grande porte en attendant une occasion comme celle-ci. J'ai vu une occasion et j'ai agi. Cela ne m'engage pas à grand-chose, et surtout ne vous lie en rien. Il n'y a guère que des avantages possibles, surtout si je fait passer ça comme une crise de foi en Véréna.

Sans compter que juste pour le regard de cet imbécile de Franz ou la déclaration du "Noiraud" je crois que je le referais sans hésiter une fois par semaine..."


Anton souriait mais il observait la réaction de ses alliés avec attention. Il était crucial qu'ils se rangent à son avis, mais pouvaient également voir dans ses plans un défaut que seules leurs plus longues années de pratique de la cour pouvaient déceler. Les prochains coups à jouer seraient cruciaux! Mécaniquement, la plume d'Anton traçait en grandes arabesques sur une tablette de cire les rimes qui l’obnubilaient depuis le début de l'après midi.
En Empire où coule la Soll bénie
Des Dieux on trouve un comté maudit
Des Dieux où poussent herbe et brebis
En Empire où la Soll a sa patrie

Solland, ô Solland! Tu étais bien fort
Ton herbe douce et tes fourures d'or
Sollander tu sais les joies d'alors
Quand un Comte régnait sans peur, sans tort

Tu payes et tu trimes Sollander
Les richesses s'enfuient, ta demeure
Est seule qui ne ruine, cette heure
L'Empire à l’abri de tes fils qui meurent

Mais un espoir en la Justice des Dieux
Car lors qu'un jour de Sigmar tes chants pieux
T'offriront un héros, un Comte, un preux
Tes ans noirs s'oublieront au coin du feu

Oui Solland! Ton fleuve et tes pâturages
Vigoureux dans les mains des hommes sages
Sauront repeupler, rebâtir. Courage!
Un âge d'or t'est promis en partage
Modifié en dernier par [MJ] Mestre Pongo le 02 sept. 2015, 17:17, modifié 3 fois.
Raison : 6 xps / Total : 24 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Avatar du membre
[MJ] Le Grand Duc
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Warfo Award 2019 du meilleur MJ - RP
Messages : 1600

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Lothar se contenta de pousser un grognement. C'était un vétéran rigide, un indépendantiste de la première heure qui avait voué sa vie et sa fortune à agir pour ce qu'il appelait le "Sudenland libre". Dans ses jeunes années, il avait même tenté de fomenter une révolte contre l'hégémonie des Toppenheimer mais ses ambitions guerrières et pour le moins directes s'étaient vues contrariées par l'art des intrigues politiques et de la corruption dans lesquelles la baronne Etelka était passée maître. Le colérique baron avait échappé de peu à une condamnation pour trahison et s'était depuis lors plié à la marche imposée par Pfeildorf, forcé de se soumettre aux ronds de jambe et aux assemblées fades auxquels les Toppenheimer et leurs sbires excellaient. Mais Lothar commençait à se faire vieux et son jugement était souvent gâté par ses velléités farouches et par son caractère entêté. Ces années de docilité forcée l'avaient rendu amer et acerbe. Les engrenages qui l'avaient jadis poussé corps et âme pour la cause étaient aujourd'hui rouillés et, désillusionné, il se contentait de considérer le moindre sursaut politique comme une pierre de plus dans les poches des sudenlanders afin qu'ils ne coulent que plus vite.

- "Imposteur ou pas, ton petit manège t'a placé sous son autorité aux yeux du Conseil. Tu as tord de penser que ta reconnaissance ne t'engage à rien. Tu seras jugé responsable de ses actes autant que lui ! Et si demain il lui prenait d'aller voir la Martre pour lui promettre ses faveurs ? Ou mieux, tiens, s'il va la voir et qu'il lui plante son cure-dent dans l'estomac ? Après ton coup d'éclat, tu auras toute les batteries de Nuln sur le dos, si ce n'est le Croc Runique de Kurt Hellborg lui-même. Ah, la belle affaire !" pesta-t-il à voix basse.

"La Martre" était l'un des surnoms de la baronne Etelka, répandu parmi ses détracteurs. Il faisait références aux parures de fourrure extravagantes dont la femme la plus puissante du Sudenland s'accoutrait souvent.


- "Et vous avez bien vu la réaction du Noir. Nous ne pourrons jamais nous attirer le soutien du peuple en manœuvrant dans l'ombre d'un tiléen arriviste poussé par un myrmidien. J'ai entendu le Grand Lecteur quand il est sorti dans la cour après le Conseil et je peux vous affirmer qu'il n'avait pas l'air satisfait par la tournure prise par les événements." lança Karl, l'aîné des frères Von Ülmer avant de baisser la voix au moment où la grosse Yvette leur amenait quatre pintes de bière et trois poulets dorés et graisseux. "Vous pouvez être sûr que Birkenfeld fera tout pour lui mettre des bâtons dans les roues, ainsi qu'à nous par la même occasion. Enfin maintenant, nous n'avons plus vraiment le choix, semble-t-il." continua-t-il une fois la serveuse repartie. Son ton mêlait reproche et résignation, comme s'il essayait de faire comprendre à Anton que son action les avait tous mit dans l'embarras.

Otto Ingelfingen, qui jusqu'alors se contentait d'écouter l'échange un coude sur la table et deux doigts sur la tempe, se redressa et croisa les mains devant lui.

- "Vous avez raison, l'engagement de sire Anton envers cet étranger nous lie désormais à ses propres desseins et nous prierons pour que les conséquences de ses actes ne soient pas néfastes à notre cause. En revanche, il serai bien inutile de continuer à se plaindre de la sorte. Une telle opportunité ne s'est pas présentée depuis des années, comme cela a été souligné. Nous avons peut-être enfin la chance d'agir pour le Sudenland au lieu de se contenter d'assister à ces assemblées insensées. Avec la bénédiction de Sigmar, nous avons là une occasion de couper l'herbe sous le pied des Toppenheimer, et soyons-nous maudits si nous n'en profitons pas." Il se tut un instant et jeta un regard en direction des quelques clients encore attablés ça et là. "Je suggère désormais que nous parlions de ces événements demain, à tête reposée. Et aussi passionnés soyez vous, tâchez de rester discrets. Les rumeurs nocturnes ont tôt fait de remonter aux oreilles de la baronne."

En effet, il était de notoriété publique que la baronne Etelka avait à sa solde de nombreux agents informels et d'hommes de main douteux disposés de part et d'autre de la province, depuis les salons privés de Wissenburg jusqu'aux tavernes mal famées de certains bourgs frontaliers. Ces auxiliaires peu scrupuleux faisaient office de messagers, d'informateurs ou encore, d'après les rumeurs, de tueurs occasionnels.

Suivant le conseil avisé d'Otto, les patriotes changèrent de conversation, comme contraints. Les lunes montaient doucement dans le ciel pour venir se refléter sur les eaux calmes de la Sol et les derniers clients quittaient l'auberge par petits groupes, sans un mot, transis par la fatigue d'une longue journée de labeur. Peu nombreux étaient les ouvriers ou les paysans qui profitaient des célébrations données en l'honneur de Sigmar lors de cette journée sainte. Cette fête semblait réservée aux ecclésiastiques qui haranguaient les foules, aux nobles et aux guildes qui faisaient des dons de vin et de pain pour améliorer leur réputation, et enfin aux centaines de pèlerins exaltés et plasmodiants qui se pressaient dans les rues le temps d'une prière enfiévrée avant de regagner leurs pénates, la bourse vide et l'esprit serein. Autour d'Anton, on ne parla guère du Couronnement ou de l'Exode du champion divin de l'Empire, mais plutôt de chasse au sanglier dans les collines boisées ou de rumeurs concernant une troupe de marchands attaquée sur la route de Eigenhof plusieurs jours auparavant. L'été était une saison à problème pour les villages du Sud du Wissenland, non pas à cause du soleil qui tirait faiblement ses traits sur cette contrée brumeuse, mais plutôt à cause de la hausse significative des températures. Ces dernières entraînaient la fonte des neiges au sommet des montagnes et engendraient des lacets, puis des ruisseaux qui venaient grossir la Sol, la Hornberg et la Aulen ou encore la Oggel et la Staffel plus au Nord, à tel point que ce phénomène naturel provoquait des crues dévastatrices lors d'années particulièrement chaudes. Tous se rappelaient comment, en l'an 2524, les corbeaux noircissaient les cieux tant les rivières charriaient de cadavres de bétail gonflés d'eau. Mais les habitants des hautes-terres se souciaient peu des rivières qui débordaient dans la plaine. Ils craignaient cependant tout autant cette soudaine profusion d'eau, mais pour une tout autre raison. En cette partie de l'Empire, les contreforts des Montagnes Noires étaient en grande partie composés d'une roche poreuse et calcaire, une sorte de marne gris-foncé que le temps avait percé de cavités et d'alvéoles de tailles variables. Seulement, la fonte des des neiges liée aux pluies estivales provoquait l'affaissement ou l'inondation de dizaines de ces puits naturels ... et en chassait les occupants. La plupart du temps, il ne s'agissait que de renards ou de couples de loups que les chasseurs avaient tôt fait de prélever pour protéger les troupeaux et vendre leur fourrure, mais parfois les ruissellements poussaient des créatures bien plus terrifiantes à quitter leur tanière. Il était parfois question de trolls, de gobelins ou d'autres bêtes peu recommandables qui se mettaient à errer dans les collines et dans les brumes, chassés de leurs repaires, en quête de nourriture ou d'une nouvelle antre. Certains, insaisissables, revenaient chaque année perpétrer leurs crimes avant de disparaître à nouveau dans les montagnes à l'approche de l'hiver. C'était le cas de Verschlinger, que tous les sudenlanders connaissaient aussi sous le nom de la Terreur des Bergers : une immense vouivre dont le nid se trouvait quelque part sous les pics au Sud de Khazid Hafak et que l'été chassait de son repaire. Elle passait deux mois à dévorer des moutons et quelques paysans avant de regagner son gîte, rassasiée pour la saison. C'est ainsi que pour beaucoup d'habitants des collines, le dix-huit Sigmarzeit signifiait moins la célébration en l'honneur de la gloire du Saint Sigmar que la date à partir de laquelle il fallait garder les yeux rivés vers le ciel, à l'affût d'une ombre à travers les nuages.

Ils parlèrent également de tout cela jusqu'à ce que les effets de la bière et de la digestion du poulet rôti se fassent sentir. Une heure passa puis Lothar et Otto partir se coucher à l'étage, rapidement suivis par les frères Von Ülmer. Ils laissèrent Anton attablé seul, traçant quelques vers du bout de sa plume. La salle était désormais entièrement vide, à l'exception du barde qui n'avait pas bougé d'un pouce et qui continuait de faire couler doucement ses notes près du feu ronflant. Ingo le tavernier, supposé assurer le service de nuit alors que sa femme était partie dormir, était avachi sur le comptoir et ronflait comme un bœuf.

C'est à cette instant que Jan Möbius, délégué de la Maison des Guildes et négociant en vin, poussa la porte du Renard et du Chien. C'était un homme relativement petit et mince. Il portait un manteau ample bordé d'une fourrure beige et épaisse ainsi qu'un béret large et rond piqué d'une plume de cygne blanc retenue par une pierre bleue polie. Une chemise à col relevé, une petite veste à bouton finement brodée et des chausses en laine bleues claires complétaient le portrait classique d'un bourgeois de province. Sa moustache cirée semblait insister sur son air soucieux et ses yeux cernés arpentaient la grande salle de l'auberge, visiblement à la recherche de quelqu'un. Lorsqu'il identifia enfin Anton, il traversa rapidement la pièce en jetant un regard vif au tavernier assoupis et au barde qui jouait face au feu. Le commerçant tira une chaise et s'assit prestement face au baron de Terre-Noire, comme s'il était pressé.


- "Bonsoir, baron." dit-il d'un ton bas et rapide en se penchant vers son interlocuteur, visiblement nerveux. "Vous vouliez me parler d'une ... proposition. Je vous écoute, mais faites vite." continua-t-il en regardant la salle vide par dessus l'épaule d'Anton, l'air de ne pas vouloir être vu en train de parler avec l'un des héritiers du Sudenland.
Image
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

Avatar du membre
Anton
PJ
Messages : 124
Profil : Venez découvrir mon livre de recette http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 177&t=3179

Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Sans doute s'agissait-il de son chef-d’œuvre. Il y avait bien une chose ou deux à redire sur la façon dont il avait formé quelques lettres, qui ne faisaient pas assez paysanne à son goût. Mais sans doute que le fond valait bien les petites imperfections de forme.

Placet pour Sa Majesté le Très Grand
et Très Sage Empereör Karl Franz

Sir,

En ces temps que troubloient forts et la guerre et la tres-profonde misère du bon peuple de l'Empire, je trouvay en une injustice bien particulière la foy et le devoyment de vous escrire ce placet qui j'ose accroire trouvera des argumens bien dignes de vostre sapiens pour vous mouvoir. Car je say que face à la justesse de mon propos votre oeil bienveillant ne s'arrestera point à la maigreur de ma condition, moy qui suy veuve et tres-honneste paysanne.

Il est mal-aisé de ramener les choses divines à nostre balance, pourtant Sire je demande publiquement qu'une reconnoissance soiyt fayte de caractere proprement myraculeux d'une anventure que m'estoit arrivée en ce jour tres-beny de nostre Dieu Sigmar.

J'estoit au sortir de l'aube en maraude dans nos frenais pour y recuyllir force bois, car le jour n'est guere propyce à de tels actes tant la chaleur accable les vieu comme je suy. Or la brume dissimuloit si parfaitement les envyrons que je me trouvois bientôt face à forte party de soldats deserteurs à l'uniforme de blanc et de grisaille, qui me repoussoit jusqu'à ma cahute et qui vouloit mes provisions et même me trousser (car je ne suy pas si vieille encor que je ne cesçe d'estre desirable pour ce type-là de soudards). Je voyais déjà les jardins de Morr, car il n'y a en de tels estres nulle pytiee, et je regrettois fort de les atteindre de cette voy-la moi qui avait toujours estois tres-pieuse, lors qu'un bras vint promptement fendre la teste du plus gros des gaillards.

C'estoit un beau damoiseau en tenue guerriere, et concevez cela Sire que mit en déroute à luy seul le party de brigand!

Or nos raisons et nos discours humains c'est comme la matiere lourde et sterile : la grace de Dieu en est la forme. Aussy vous montres-je cette verite, que seule la grasçe du Dieu eust pus vouloir que j'estoit sauvée alors mesme que j'estois desja perdue, pour que mes discours seuls ne fassent pas accroire que cecy est une action de l'homme et non divine. L'homme estoit son instrument, par lesquel il enten nous sauver tous encor.

Considerons donq pour ceste heure, cet homme seul, sans secours estranger, armé seulement de ses armes, mais certes non despourveu de la grace et cognoissance divine, qui est tout son honneur, sa force, et le fondement de son estre. Je voy cela evidemment, qu'il est fort bien fayt de sa personne, tandis qu'il ne manque ny de force ny d'hardieté, et qu'il est tres-pyeux et tres-beni des Dieux.

Et lors qu'il me parloit, je sentois bien qu'il estoit de la race des nobles et des heros.

Deux vieillards le suivaient qui me dyrent que c'estoit la l'heritier des Comtes de jadis qui ne pouvoit chasser les brigands par la loi, alors le fasoit de son propre bras! Et en verite il avoit quelque chose d'oriental dans son maintiens, duquel je sçay qu'il tiroit toutefois une forte allure, et un regard tres-pur. Et comme je m'enquerrais de pourquoi on ne le laissoit les chasser par la loi et la force du guet & des milices, on me dist que c'estoit en Nuln qu'estoit un tel pouvoir, duquel je ne compris point que la chasse aux brigands ne fut alors desja lancee depuis des decades, duquel on me dit qu'il y avoit la affayre de Haite Politique!

Aussy je comprenois fort bien que quelque un vouloit establir la securite dans mes bois et que d'austres ne le vouloit point, ce a quoi je trouvois cela fort idyot.

Concevez vous Sire qu'un tel homme fût simple nobliot quand son sang estoit celui du tres grand Comte son ayïeul qui donna sa vie pour le vostre, et qu'il est revenu par le vouloir des Dieux que pour restablir un peu d'ordre et de pax ?

Il n'est besoing d'aller triant des rares exemples : la corruption de nos moeurs estoit bien implantée tandis que le Comte regnoit, mais jamais oncques ne vit tant de devergondage qu'aujourd'hui. Et c'est parce que je sçay cela, qu'il estoit grandement difficile & ardu de changer icy les regulations ny les maistres que j'ai recours à votre illustre grandeur.

Car baste soyt ce qu'on en dict, il n'en est rien, nostre police impériale tout entyere n'est pas si difforme et desreglée. Aussi je veux accroire qu'avec ce placet Sire vous trouviez tout bien estably pour le fondement de la cause que j'agytte, et dressé à cette fin, plusieurs belles apparences du faict: que c'estoit un gentilhomme et tres-capable de chasser audacement la vermine de nos plaisnes et champs. Aussi je vous supplions : agissez de bon escient et fassiez d'iceluy qui le meritoit le tres-veritable maistre de nostre comte, pour en finir avec les pendards et les croquemitaines qui harassoient le commerce et la vie de vos loyaux subjects, dont je suis la tres-devouee

Frau Ava


Il la relut en s'autorisant un petit sourire satisfait. "Jamais oncques ne vit tant de devergondage qu'aujourd'hui" était tout simplement à se tordre, la Martre allait en manger son chapeau de rage. Quand aux soudards "en uniformes de blanc et de grisaile", n'importe quel idiot dans un rayon de cent lieues reconnaîtrait immédiatement le Wissenland et ses comiques troupiers rançonneurs et chapardeurs. Un vrai bonheur. Mais ce qu'il préférait c'était le Frau Ava. Tout le monde savait qu'il s'agissait d'une mystérieuse poétesse de l'Empire, née sans doute du même temps que Sigmar. Un pseudonyme parfait donc, dont l'évidence historique dissimulerait ici très simplement ses initiales...

Anton roula le rouleau de peau grossier sur lequel il avait rédigé sa belle historiette, avant de le sceller d'un ruban d'étoffe demandé à Ingo, qui le lui fournit comme à l'habitude sans poser de question. Une nouvelle peau plus tendre de la même écriture, signée du "Père Franz", expliquait les circonstances dans lesquelles la femme était venue durant l'office lui raconter son miracle et lui faire coucher par écrit, et vint se rajouter à l'autre rouleau. Le tout formait un fort beau lot, qui n'aurait aucun mal à alimenter les gazettes locales. Ce lot fut scellé dans un petit coffret, et adressé à "Izimir", un homme de lettre de la connaissance d'Anton à Pfeifdorf. La lettre pleine d’amabilités contenait les instructions suivantes:

Tu trouveras ci-joint une histoire vraie de nature à intéresser les gazettes. Tu l'as reçue de tes correspondants du sud; fais monter les enchères et jette-la au plus offrant. Pour les aguicher, tu peux leur révéler qu'un descendant d'Eldred s'est présenté aujourd'hui au Conseil, le jour de Sigmar, et qu'il a demandé le retour de son héritage pour pouvoir restaurer la paix et la prospérité. Le Conseil a fait bloc derrière lui mais "quelques nobles" ont suspendus la séances, ils comprendront bien qui. Cette information est confidentielle bien sûr: divulgue-là à loisir, et assure-toi de faire bon usage de la rançon de cette histoire que je t'envoie. Avec mes amitiés.

Il se garda bien de signer, et s'assura que le fils d'Ingo ferait la commission cette nuit-même. Là encore, c'était un service habituel, qui lui coûtait de l'an quelques poignées de cuivre, et surtout l'assurance pour l'aubergiste que tout problème avec les autorités locales ou le fisc entraîneraient l'action virulente d'un "puissant" baron. Une sorte d'assurance en somme.

Au même titre figuraient le libre accès à la salle plus réduite qui s'ouvrait au fond de la salle commune, petit endroit discret qu'on pouvait clore d'un rideau et où nul ne le dérangeait jamais. C'est là qu'en réponse au sourire crispé de Jan Möbius le baron lui fit signe de l'attendre. Il n'en avait gure pour longtemps, et signifier son pouvoir en faisant attendre le marchand ne pouvait qu'alimenter en sa faveur la négociation.

"Dis-moi ménestrel, tu as, je gage, l'oreille des femmes et la rime facile ?"

Était-ce la fierté ou le discret bruit de piécette clinquant dans la bourse du baron qui déclenchèrent les bien peu modestes déclarations enthousiastes du musicien? Anton n'y prêta guère attention.

"J'ai une histoire à te raconter. Un vieille femme a rencontré le jour de Sigmar un jeune noble en habits d'étrangers. Il a la jambe bien faite d'une femme et le bras d'un héros. Il porte à l'oreille un clou porte-bonheur que sa mère y a planté. Il a la voix de celui qui commande. Il dit qu'il vient pour aider le Sudenland, et qu'il veut en pourchasser ses ennemis. Quand on lui demande pourquoi, il dit: parce que ses habitantes le valent bien. Il a fait le tour du monde, entends-tu, et pourtant les plus belles femmes pour lui, loin des fards mais soignées et rouges et fraîches, elles sont ici.

L'homme levait un sourcil interloqué à présent. Visiblement il ne voyait guère où le baron comptait en venir.

"Maintenant, moi si j'avais une telle histoire, j'en ferais des chansonnettes. Et j'irais ensuite pourquoi pas trouver un ou deux compères, et demain j'irais les chanter aux grands lavoirs de Pfeildorf, et puis au marché couvert. Ça serait une bonne idée, comme ça le public serait content d'apprendre une bonne histoire facile à raconter. Et puis ça me donnerait soif alors je reviendrais prendre un verre dans cette taverne, et il se pourrait bien que j'y trouve de quoi boire un ou deux coups".

Une pistole d'argent sonna sur la table, devant les yeux intéressés du ménestrel.

"Bien sûr, si on me demandais où j'ai trouvé cette histoire, je répondrais que je la tiens d'un voyageur inconnu. Et puis je la chanterai encore le matin au lavoir, et puis je reviendrais le soir boire un coup ici, ou manger un morceau. Et il se pourrait qu'on me fasse un prix."

La pistole disparut dans la main du ménestrel.

"Mais bon, ce n'est qu'une idée, et ce n'est qu'une histoire après tout. Mais j'ai des amis au lavoir. Ils aiment la musique, ils me diront bien ce qu'on y chante."

Et il poussa le rideau de l’alcôve qui servait de salon particulier, luxe pour une auberge de ce type qui avait valu, doublé par l'intelligence discrète d'Ingo, à l'établissement de devenir le quartier général des indépendantistes.

Le représentant était assis, assez digne, devant une choppe que le décidément irremplaçable tenancier mettrait certainement sur la note du baron. Anton s'approcha, et s’assit franchement en face de lui.

"Merci d'avoir fait le déplacement Jan. J'ai en effet une proposition."

Au lieu d'attaquer tout de suite pourtant, Anton se leva et commanda une choppe d'hydromel, qu'il entama lentement tout en reprenant lentement la parole.

"C'est une sale époque pour les affaires Jan. Deux caravanes ont été attaquées, dans lesquelles j'avais des intérêts, sur la route de la Sol. J'ai entendu dire que les vignes de Lothar étaient touchées par un commencement de mildiou, et qu'il avait fallu arracher les pieds sur sur un hectare. De toute façon Nuln et Pfeildorf ne boivent plus que du vin Tiléen ou Bretonnien. Même le fer que je fais venir à grand-frais depuis les forteresses naines commence à se raréfier, parce qu'ils se préparent pour la guerre et qu'ils sont las de perdre des chargements sur nos routes mal famées."

Les yeux du représentants montraient clairement que, même si ce qu'avançait Anton était exact, ce préambule ne justifiait guère un trajet nocturne jusqu'au bled contestable qui servait de repère au noble. Mais le représentant Möbius n'était pas arrivé là où il était en l'ouvrant à tort et à travers. Il attendit qu'Anton en vienne au coeur du sujet.

"L'argent qui part vers les coffres de Nuln pourrait parfaitement servir à sécuriser nos routes Jan, vous connaissez les chiffres mieux encore que moi. Et l'importation est une mode qu'il serait aisé de combattre par des mesures judicieuses. Mais les Topenheimer ne le feront pas."

Introduction. Début de la pression. Des mots-clefs résonnaient dans la tête d'Anton tandis que son discours déviait peu à peu sous le coup de l'émotion de celui qu'il s'était répété dans sa tête. Peu importait, le message restait le même.

"Je ne pense pas qu'au rythme actuel mes descendants auront une meilleure situation que celle que j'ai en ce moment. Et je ne pense pas que vos descendants non plus Jan, si la situation ne s'améliore pas rapidement; il va devenir de plus en plus difficile de rétablir un contexte favorable aux affaires, une fois les infrastructures détruites, nos ressources dilapidées en mercenaires et la confiance envolée.

Si nous avions un homme fort à la tête de l'état, cette crise pourrait être réglée avantageusement, avant que nous perdions tous des milles et des cents. Bientôt il sera trop tard. Et c'est la seule chance que nous avons, car le statut quo ne nous aidera pas. Le nouvel héritier est un homme intéressant; nous avons discuté longuement, il est très intéressé par les questions de sécurité..."


Le représentant avait sans nul doute vu depuis longtemps où le baron voulait en venir; aussi s’apprêtait-il à présent à prendre la parole lorsque d'un geste esquissé et d'une légère inflexion de la voix, Anton repris la parole pour affirmer:

"Oui, je crois savoir ce que vous allez dire. Il est jeune, étranger, sans attaches, il n'entend probablement rien au commerce. Mais justement. Dans son gouvernement, il aura besoin d'hommes sur qui compter, des figures locales qui inspirent la confiance, qui connaissent comme personne les arcanes du commerce Sudenlandais. Il aura besoin d'un ministre du commerce qui sache s'entendre avec les différents acteurs, un homme raisonnable qui ait un don pour la synthèse et la conciliation. La guilde des Tondeurs pourraient fournir de tels hommes; Otto est très proche d'eux. Personnellement je préfère avoir votre avis d'abord; vous connaissez après tout quasiment tous les membres des guildes de la Province..."

La négociation commençait. Restait à voir si le finaud Jan Möbius offrirait une contre-proposition, et si oui, comment il la formulerait. Anton avait suffisamment de diplomatie, et d'expérience en intrigues de cours et corruptions diverses pour saisir les doubles langages à la perfection.
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 07 sept. 2015, 19:14, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 30 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

Répondre

Retourner vers « Régions de l'ancien Suddenland »