[Anton]Les secrets les mieux gardés sont les plus dangereux

[[MJ] Le Sombre Garde]

Le sourire de Von Preis ne flancha pas d'un millimètre durant tout le temps pendant lequel Anton parla. Quand celui-ci eut fini, il posa son verre de vin et joignit ses mains pour poser son menton dessus.

« Vous ne vénérez pas Ahalt mais un Morr. Mmmm. Cela aurait pu être pire, vous auriez pu être un sectateur de Taal ou Rhya. Et dans ce cas-là j'ai bien peur que je n'aurais rien pu faire pour vous. Mais Morr est après tout le dieu vers qui nous allons tous. Et si vous le tolérez dans vos terres, vous pourriez être amené à faire plus. »

Il s'arrêta quelques instants pour remplir le verre vide d'Anton ainsi que le sien, puis reprit sa position initiale. Lorsque le baron reprit la parole, il prit bien soin de parler lentement, en détachant chaque mot, comme s'il désirait qu'il n'y ait pas d'incompréhension.

« Je vais être franc avec vous : votre position de pair du Sudenland peut beaucoup pour nous. Si jamais vous étiez amené à nous soutenir et à devenir membre de notre culte, nous en serions d'autant plus renforcé que nous n'aurions plus à craindre le pouvoir temporel sur le Sudenland tout entier. Vous pourriez promulguer des lois qui nous seraient favorables. En échange, vous auriez à votre disposition la pleine puissance du culte d'Ahalt. Vos ennemis seront les nôtres, tout comme les nôtres seront les vôtres. Mais tout cela repose sur une chose très importante : désirez vous devenir un servant d'Ahalt ? »

La tension dans la pièce était à son comble. Même les gardes attendaient attentivement la réponse d'Anton. Réponse qui conditionnerait sans doute le fait qu'il sorte vivant de cette pièce.

[Anton]

Intérieurement, Anton poussa un soupire de soulagement, mais il se garda bien de rien laisser paraître. Il était loin d'être sorti d'affaire, et son destin se déciderait probablement à l'aune des mots qui allaient franchir ses lèvres. Ce qu'on lui proposait n'était rien de moins qu'un marché, comme il en avait déjà traversé mille et un. Il s'agissait pour lui d'obtenir brusquement une arme surpuissante, une secte qui le débarrasserai brutalement de ses nombreux ennemis. Mais cette arme était à haut risque. Une épée sans garde, dont rien ne lui garantissait que le tranchant n'irait pas mordre un jour sa propre chair. Cette secte n'était pas anodine: elle était dirigée par des fanatiques.

Evidemment, tout ceci pourrait être extrêmement profitable, si le baron pouvait s'assurer la mainmise de cette organisation. Il ne pouvait pas s'engager aux cotés de quelque chose qui menaçait constamment la sécurité de l'Empire, parceque cela allait contre ses principes, mais aussi parceque tôt ou tard il pourrait être considéré comme un traître. Ne jamais sous-estimer la tenacité des répurgateurs...


Quant à sa conversion, Anton ne se faisait aucun souci; Morr était omniscient, et il saurait pertinemment qu'il n'abjurait sa foi que superficiellement et par intérêt. Et il n'y avait aucune contre-indication quant à l'adoration de plusieurs dieux. Eh, quoi! Pleifdorf valait bien une messe... Il pouvait même parfaitement adorer ce dieu, s'il lui offrait ce qu'il demandait... Non, la vraie difficulté était ailleurs:

Est-ce qu'il arriverait à se servir de la secte, ou est-ce que c'est la secte qui se servirait de lui?

Les prêtres particulièrement l'effrayaient. S'ils étaient des fanatiques incapables d'arriver à entendre raison (et il y avait de fortes chances qu'il le soient), il allait être impossible d'empêcher ces fichues vagues de meurtres, qui étaient une erreur totale: ils attiraient l'attention des puissants, l'hostilité du peuple, et allaient probablement lui donner mauvaise conscience. Il fallait accepter, parcequ'il n'avait que ce choix. Puis changer l'orientation de la secte en la faisant épouser ses buts et en la ralliant au bon coté de l'Empire. Et pour cela, il ne disposait probablement que d'un seul allié potentiel.

"Vous êtes franc, baron, et je le serai aussi, quoique nous sachions tous deux que votre position est plus...confortable que la mienne. Adopter Ahalt comme dieu tutélaire en échange d'une vie sauve et, pourquoi pas, d'une parcelle de son pouvoir est quelque chose que je peux envisager sans difficulté. C'est un dieu ancien, légitime sur ces terres, et qui a toujours été là pour le Sudenland. Alors oui, je peux devenir un servant d'Ahalt. Je peux également devenir un allié de votre ordre, profitant de mon influence pour donner une meilleur visibilité au culte en échange de vos...services. Je suis un homme ambitieux baron. Ce que je veux, c'est le Sudenland. Et une fois que je serais la puissance temporelle, je peux tout a fait accorder la puissance spirituelle à votre dieu, sur tout le Comté; c'est cela après tout que vous voulez."

Il prit une gorgée de vin, voyant que le baron savait bien qu'il suivrait un "mais". Il reprit:

"Mais c'est là que ma franchise va s'exprimer baron. Si nous voulons atteindre ce but, si vous voulez atteindre ce but, votre méthode n'est pas la bonne. Nous ne jouons pas n'importe où, nous ne devons pas jouer n'importe comment; le but est haut, il doit être atteint avec une rigueur et une discipline totale. Baron, vous ne dominerez pas le paysage religieux et nous serons tous tués dans cinq ans si vous continuez à tuer et enlever à tort et à travers."

Anton leva la main avant que von Preis n'ai dit quoi que ce soit, pour lui indiquer qu'il n'avait pas terminé.

"Vous remarquerez que j'ai dit "nous" n'est-ce pas. Votre force est séduisante... Mais mon objection sérieuse. Je sais qu'Ahalt est un dieu qui demande du sang à ses fidèles; je ne vous demande pas ici d’abjurer ses commandements pour des raisons de pitié de petite fille envers des individus sans importance. Je vous parle comme un homme qui a désormais intérêt à ce qu'Il triomphe. Soit nous sommes une religion puissante capable de se discipliner et portés par la force de notre dieu, soit...vous êtes une secte de fanatiques qui se fera trucider par les répurgateurs, et je préfère encore mourir dès maintenant. Je ne vous demande pas d'adoucir ce qui fait la force d'Ahalt, cette puissance brute qui détruit ses ennemis; je vous propose d'en faire un outil au service de sa domination sur ces terres, et au service de notre ascension mutuelle. Les faux dieux ne pourront être tous chassés par la faux, vous le savez comme moi. Ils seront chassés par le pouvoir temporel. Plutôt que de batailler quelques années puis de se faire écraser, pourquoi ne pas remporter contre eux une victoire totale? Il y a mille moyens de trouver des misérables à sacrifier tout en respectant les lois de l'Empire; bandits, traîtres, gibiers de potences, ennemis de la nation... La population de ces terres meurtries à faim de justice: que n'appliquez-vous la puissance d'Ahalt dans cette cause, montrant ainsi sa puissance et convertissant les masses qui comprendront quels dieux faibles ils adoraient? Laissez-nous croître à l'ombre de ces lois, puis au faîte de notre puissance, affirmons notre hégémonie sur la foi du Sudenland, et chassons-les tous! Que sont dix ans pour un dieu millénaire? Que sont dix ans pour la conquête du pouvoir?"

Anton avait mis toute son âme dans ce discours, et pensait chacun de ses mots. Il espérait simplement que von Preis saisissait bien à quel point le destin des sacrifiés lui importait peu, et que seul l'acception d'Ahalt par la population et les élites était ce qui l’intéressait. Il leva les yeux vers lui, en attente de sa réponse:

"Aussi, je vous le demande: pensiez-vous qu'Ahalt soit un dieu destiné à régner, ou sera-t-il défendu par une foi aux basses visées et à la courte vue? Dois-je prêter serment, sûr que le culte saura s'organiser pour que nous nous épaulions mutuellement vers l'hégémonie, ou dois dénuder mon cou? Dois-je prêter serment à la gloire d'Ahalt en sachant que mes frères m'aideront à le tenir, ou faut-il que je le prête à des pratiques de dévouement aveugle qui nous conduiront tous à la mort?"

Il fixa alors von Preis dans les yeux, mettant toute sa franchise dans son regard:

"Baron, dois-je mourir maintenant comme un incompris, dans deux ans des mains de l'inquisition, ou me permettez-vous de mourir au déclin de mes jours, coiffé de la couronne du Sudenland, avec vous à mes cotés et des prêtres d'Ahalt pour bénir mon départ? Le choix est votre, et je m'y soumet...humblement. Dites-moi que le culte ne va pas se couler lui-même en agissant à courte vue, que vous avez le pouvoir de faire d'Ahalt le dieu de ces terres, et je vous offre tout ce que je possède: contacts, influence, ma foi...et ma vie."

Il devait sonder puis convaincre von Preis. Et s'il échouait, mais restait en vie, la suite serait simple: déjouer leur vigilance, puis contacter les inquisiteurs. Dans tous les cas, il n'aurait pas de choix.

Bon, voilà, le suspens est insoutenable. J'ai des compétences de charme, mais surtout diplomatie qui s'applique ici, je crois, parfaitement. Note qu'Anton est franc tout au long, il ne tente absolument pas de mentir pour l'instant. Voilà voilà...

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Von Preis se carra plus confortablement dans son fauteuil. Il semblait accepter le débat sans le moindre problème. Il but une longue gorgée de vin et commença.

« Un point de vu dit franchement et honnêtement. Bien. Vous auriez tort de prendre le culte d'Ahalt pour une secte d'arriérés sans le moindre sens politique. Ou plutôt ses dirigeants pour des fanatiques rétrogrades. Mais nous nous reposons sur une base roturière, principalement rurale, sans compréhension de ce genre de choses. Ils adorent Ahalt avec une simplicité violente. Il leur faut le sang des prêtres de Taal et Rhya. Nous ne pouvons pas les maintenir sans ces sacrifices rituels. Mais n'allez pas croire que nous ignorons toute prudence. Une fois sur deux des « preuves » sont trouvées dans les affaires du prêtre mort qui tendent à montrer qu'il s'agissait d'un hérétique.

Et puis, qui voulez vous qui nous inquiète ? Tous les étrangers sont tenus à l’œil et si l'un d'eux met son nez là où il ne le faut pas ou pose trop de questions … Eh bien je pense que vous savez ce qu'il se passe, vous en avez vous même été victime. Une disparition tragique. Et on retrouve bientôt le cadavre sur quelque route de campagne, pendu. Aussitôt, nous accusons les hors-la-loi et montrons du doigt la mauvaise gouvernance de la comtesse à Nuln qui nous laisse sans défense devant ces bandits. De quoi monter la populace contre les usurpateurs du nord. Nous ne vous avons pas attendu pour mettre la puissance du culte au service de la politique.

Bien sûr, pour rassurer nos fidèles, il faut montrer notre attachement à notre foi. Le mien est sincère, je n'ai donc aucun problème. La question est : est-ce que vous en aurez ? Ce sera assez simple de le montrer. Je vous convie à une chasse. Mais une chasse particulière : le gibier est humain. Je doute que tous les impies qui sont présentement dans mes sous-sols se convertissent à Ahalt. Il va donc falloir se débarrasser des autres. Nous allons les relâcher dans la nature. Et venir à leur trousse. En tant que noble, je pense que vous appréciez la chasse à court ? Je vous en offre une magnifique. »

[Anton]

Le baron se pencha en arrière sur son fauteuil. Il n’avait pas affaire à un imbécile, et cela le réjouissait au plus haut point. Le baron était même ambitieux, et cela lui allait. En revanche, il se croyait malin…et cela était bien la plus dangereuse des attitudes à adopter lorsqu’on avait l’illustre honneur de diriger un culte secret aux fins fonds de l’Empire. Anton écouta son discours jusqu’au bout, sans même tressaillir lors de l’annonce finale de von Preiss. Il s’attendait pertinemment à une chose de ce genre depuis qu’il savait qu’il allait faire cause commune avec ces cinglés. Mieux valait être sur le cheval que dessous. Il toussota, puis prit la parole.

« Alors je crois que nous sommes désormais alliés. Mais soyons clair baron. Vous me rassurez sans aucun doute quant à votre esprit, mais votre confiance en vous m’effraye. Que connaissez-vous de l’Inquisition baron Von Preis ? Que savez-vous de ce qui se dit dans les soubassements des cours, de ce que la Comtesse trame loin des oreilles des paysans qui vous informent et des péquenots de miliciens qu’abusent vos stratagèmes ? J’ai vécu pendant des années en cour. Je sais ce que c’est que le calme avant la tempête. Bien sûr que cela peut tenir cinq ans, dix ans. Et puis quoi ? Un capitaine va écouter vos fausses plaintes, écumer la région, et ramener un rapport vide. Un type de l’Inquisition va se pencher sur le dossier, parce qu’ils espionnent la Comtesse nuit et jours. Peut-être l’ignoriez-vous ? Après quoi il va débarquer dans le coin, torturer au hasard, obtenir des réponses. Et quand bien même vous le tueriez, un autre plus méfiant prendra sa place. Et s’ils interrogent des mages ? Vous savez que maintenant, ils s’y résolvent de plus en plus ? Vous allez lui trafiquer comment, ses visions ? Je crois en la force d’Ahalt, mais excusez-moi, son pouvoir ne s’embarrasse pas de ce genre de subtilités. Demandez son aide, et il fera mourir le sorcier d’une façon si facilement identifiable que vous n’aurez même pas le temps de souffler entre votre jugement et votre exécution. »

« Je ne m’amuse pas à dessein à jouer les Cassandres, Von Preis. Mais puisque je suis avec vous, et les autres dieux me pardonneront volontiers, je le suis, il faut que tout cela soit clair. Comment pouvez-vous être assez faibles pour laisser les considérations et les pulsions d’une horde d’imbéciles dicter votre conduite ? Que font les prêtres ? Réduisez les mises à mort en nombre, mais augmentez l’intensité ! Attrapez un hérétique, ou un voleur, flanquez-lui un procès publique, et condamnez-le dans le sang au vu et au su de votre plèbe. Sachez poser les limites, sans quoi vous entrerez dans une escalade sans fin. Ils ne seront jamais apaisés. Et vous, vous serez mort. Ulric, dieu violent du nord qui a eu l’élégance de rester sur ses terres du nord, a bien cessé les sacrifices. Croyez-vous les anciens ulricans moins assoiffés de sang que vos ouailles ? Vos prêtres si bellement accoutrés n’ont-ils aucune autorité pour canaliser les passions ? »

« Convainquez-moi baron. Convainquez-moi que vous pouvez faire mieux encore que cela. Et alors, je m’autoriserai à rêver de victoire comme jamais. »

« Quant à votre chasse, s’il faut vraiment que je me prête à ce jeu-là, j’en serai bien sûr. Quoiqu’il faudra alors m’expliquer tout le tort que ces animaux-là vous ont fait, un par un. Mon premier dieu, celui auquel je suis corps et âme dévoué, baron, c’est l’Empire ; le votre viendra second. Dites-moi que les proies du second sont les ennemis du premier, ou du moins qu’ils n’étaient pour lui que des bouches inutiles, et je pratiquerai votre danse sans difficulté. Mais sachez que je n’y prendrai aucun plaisir, quoique je puisse le jouer ; j’ai toujours détesté la chasse, et ce quelque soit mon gibier. Enfin, sauf s’il s’agit de mes pires ennemis, ou d’alliés qui m’ont trahis. En ce cas je suis…sans pitié.»

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Le baron remplit encore une fois leurs deux verres et prit son temps pour boire avant de répondre. Il avait mené la conversation avec soin et n'était pas prêt de perdre sa domination si près de la fin. Enfin, von Preis finit son verre et consentit à répondre à Anton.

« Ma confiance en moi et en nos défenses s'appuie sur des faits, très cher baron. Cela fait plus de deux mille ans que nous fonctionnons ainsi. Pourquoi donc changerions nous une combine qui marche ? Nous pouvons bien sûr ralentir le débit de sacrifices, ou mieux camoufler nos actes, mais l'esprit restera le même. Tant que nous payons nos taxes et envoyons nos hommes se faire massacrer dans des guerres idiotes, ils nous laisserons tranquilles. Les étrangers curieux ne sont pas nombreux par ici, vous êtes le premier depuis quoi, quinze ans. Et vous n'êtes pas vraiment un étranger vous-même.

« Concernant le fait d'être mené par la foule, cela se voit que vous n'avez jamais mené de culte. Les gens ont besoin d'actes, surtout dans une religion aussi directe et violente que la notre. Si jamais je m'avisais d'interdire les meurtres rituels des prêtres de Taal et de Rhya, et ce même pour les meilleures raisons du monde, je serais réduis en charpie par mes propres hommes. Le pouvoir se mérite, et il est trop facile de tomber. Depuis maintenant vingt ans que je dirige cette baronnie et douze ans que je mène le culte, je n'ai jamais faillit. Je ne vais sûrement pas le faire maintenant alors que nous sommes proche du succès.

« Ulric a stoppé ses sacrifices dîtes vous ? C'est juste que ses prêtres sont aussi bons que nous à se cacher, de même que ceux de Taal ou de Manaan. Nos dieux sont millénaires, et assoiffés du sang des infidèles. Plus d'un sigmarite a périt, sacrifié par un prêtre ulrican. J'ai voyagé dans ma jeunesse, et assisté à des actes que vous ne voudrez pas croire. Il est aisé de voir la foule des croyants comme un troupeau bêlant, comme voudraient nous le faire croire les Sigmarites. Mais je vois cela plutôt comme une harde de cerfs : bien menés, ils vous suivront jusqu'au bout. Mais avisez vous de vous trompez, et un autre cerf vous affrontera pour le contrôle de la harde.

« Maintenant, si nous en avons fini là, je vous propose de descendre voir quel sera notre gibier de ce soir, et nous préparer pour cette chasse qui promet d'être mémorable. À vous de choisir, Comte. »

L'utilisation du titre dont rêvait Anton était fait à dessein, cela se voyait dans le sourire et les yeux de von Preis.

[Anton]

Le baron plongea, songeur, ses lèvres dans le liquide rubis. Tant de violence couvait sous cette secte...

"Vous connaissez déjà mes opinions, von Preis. Continuez les sacrifices à ce rythme, et nous mourrons. Si vous ne pouvez les stopper, alors il s'agit simplement d'une course de vitesse, implacable, d'une chasse comme vous les aimer: soit nous parvenons à nous imposer par la politique comme acteurs majeurs, soit nous seront détruits avant d'y arriver, condamnés par votre impuissance à juguler le sang. S'il n'y a moyen de détourner ce risque, je l'accepte von Preis; mais souvenez-vous-en: lorsque tout aura été fait pour que nous soyons enfin grands dans ce monde, lorsque nos artéfacts, nos manoeuvres, nos mouvements se seront révélés vains ou trop longs à porter leurs fruits; lorsque, enfin, les griffes froides de l'inquisition cerneront nos gorges, alors vous supplierez votre dieu. Mais moi, je vous enfoncerai un poignard dans votre dos et je leur offrirai vos âmes en pâture, pour survivre encore, toujours, et, diminué, poursuivre ma lutte.

Fiez-vous à moi von Preis: vos intérêts sont devenus les miens; mais n'oubliez jamais que s'il vous arrivait de me trahir et de me condamner à partager un sort que votre soif de sang n'aura pu détourner, vous serez obligés de me tuer avant que je ne le fasse. Et vous le savez comme moi."

Anton posa son verre avec un calme redoutable. Tout désarmais qu'il était, tout dans ses gestes dénotaient une puissance de vivre, une volonté inébranlable et, peut-être, une trace de folie furieuse. Il se leva.

"Dépêchons-nous de trucider vos victimes, s'il n'y a pas d'autre choix. Je vais mépriser chaque instant de cette chasse, mais je m'y appliquerai, soyez tranquille. Nul n'aura la main plus prompte que moi pour terminer cette mascarade, ce gâchis humain. Pauvre Empire que le fanatisme étiole."

[[MJ] Le Sombre Garde]

Le baron se leva et frappa dans ses mains. La menace d'Anton ne lui faisait rien. Douze ans à diriger un culte sanguinaire permettait d'avoir une certaine résistance face aux menaces de mort. Après tout, il en avait proféré son content lui aussi.

« Bien, maintenant que nous avons réglé, ou presque, cette question de méthodes, allons nous amuser un peu. Et même si vous dîtes détester cela, je suis sûr que vous allez apprécier. Le vent dans les cheveux, son cheval entre les jambes et le goût du sang qui monte en soit tandis que la proie fuit devant nous. Une expérience propre à changer un homme. Suivez moi. »

Les deux hommes, suivis des gardes, redescendirent dans la grande salle souterraine où se trouvaient les captifs. Ceux-ci n'étaient plus que deux : le vieil homme baignait dans son sang la gorge ouverte par la serpe que nettoyait le bourreau. Il avait été un prêtre de Taal et rien ne préservait ceux-ci de la colère du culte d'Ahalt. Hans et le jeune homme regardaient fixement le sang qui formait une nappe, appréhendant la suite des choses.

Von Preis se tourna vers Anton.

« Il semblerait que ce soit votre ancien serviteur ou ce jeune homme. Lequel a votre préférence ? Aussi, désirez vous des chiens ? Ou juste des rabatteurs humains ? Nous avons récupérer votre cheval, je pense que vous le prendrez. Et désirez vous une lance, une épée, un arc, une pique ? Demandez, nous avons tout l'attirail nécessaire à une bonne chasse. Sauf peut-être des faucons si c'est ce que vous aimez, malheureusement ils ne sont pas très efficaces lors des chasses à l'homme. »

[Anton]

Les yeux d’Anton se firent plus fixes encore alors que les mots glacés de Von Preis résonnaient dans la pièce. Une expérience à changer un homme, hein ? Voilà bien quelque chose qui ne serait pas. Ce dieu était fou, fou de douleur, fou de vengeance, empli de haine, et cela se lisait dans chacun des mots de ses adorateurs ; si jamais il avait pu aimer les hommes, cela était passé depuis longtemps. Anhalt était devenu un dieu de haine et de destruction, et il était hors de question qu’Anton laisse ses pratiques d’un autre âge avoir le moindre effet sur lui. Du moins, il allait essayer. Esquissant brièvement une prière intérieure, le baron suivit son hôte hors du salon.

Les gardes leur emboîtant le pas, il ne put réprimer un certain frisson en s’enfonçant à nouveau dans les niveaux inférieurs de la place forte de Von Preis. Il haïssait ce lieu, ses geôliers et ce fanatique de baron. Le vin, couplé aux rapides mouvements qui le conduisaient toujours plus avant vers la sinistre pièce qu’il avait quitté une éternité plus tôt, encore misérable de son emprisonnement, achevèrent de lui rendre à lui-même son corps toujours un peu meurtri. L’air de rien, il modifia légèrement sa démarche et fit jouer ses doigts, le bras jeté négligemment le long de ses hanches : l’énergie lui revenait et la dextérité avec elle. Il se sentait volontaire, décidé à se sortir de ce bourbier : sa chance ne l’avait pas abandonné, et les dieux non plus.

Anton von Adeldoch se sentait un avenir plus brillant que jamais.

Ils entrèrent dans la salle souterraine, et le noble réprima rapidement une grimace. L’odeur sourde du sang, qui imprégnait la salle lors de son départ, était présente, à présent fraîche et agressive. Le baron n’eut pas un regard pour le cadavre, mais fixa son attention toute entière sur le chef du culte, et sur ses paroles. Et il se mit à réfléchir à toute vitesse. Il y avait peut-être un coup à jouer, pendant cette maudite chasse. Il faudrait étudier cela, plus tard et au calme. En attendant, il y avait à parer au plus pressé…et à mettre au point certaines choses avec son interlocuteur, qui décidemment n’était pas tout à fait en harmonie avec sa conception personnelle de la noblesse…

Dites-moi, Von Preis, quelle espèce de noble au juste accepte que ses serviteurs meurent de la main d’un autre ? Vous n’auriez pas l’affront de me prendre pour un de ces lâches emparfumés qui prennent leur honneur à la légère, par hasard ? Ce médiocre à beau avoir été incapable d’assurer ma sécurité, il n’en demeure pas moins à mon service ; et, si j’accepte bien volontiers de livrer son incompétence et sa vie, qui m’appartiennent, à votre dieu, il est hors de question qu’un autre que moi se charge de les lui ôter. J’imaginais que ce serait pour vous une évidence.

Quant à l’aspect matériel de l’affaire, ma foi, vous vous rattrapez bien ; j’accepte de bonne grâce le retour de ma monture, et si vous pouviez y adjoindre ma lame et mes effets, y ajouter un poignard ou deux –j’ai une sainte horreur de répéter mes coups au corps à corps, je préfère mille fois laisser mon arme dans le flanc adverse- et quelques flèches à mon carquois, je serai comblé. Pour vos chiens, je dois vous avouer que n’ai pas l’usage d’un tel attirail. Lorsque nous chassons le lynx sur mes terres, cela se passe entre hommes de confiance, au coude à coude. Je n’ai donc pas plus l’habitude d’user de rabatteurs, surtout lorsque je ne les connais pas. Il est vrai que je n’ai encore jamais pratiqué de …chasse à l’homme. »

Les derniers mots tombèrent de la bouche du baron avec un total détachement, comme s’il les considérait lui-même comme totalement étrangers. Sans attendre la réponse du baron, il enchaîna :

« Et à présent, si vous voulez bien me m’indiquer mes quartiers, je suis absolument las de ces histoires sanglantes. Les dieux me pardonnent, a-t-on idée d’ensanglanter ainsi l’atmosphère au moindre propos…Et puis, il faut que je sois demain au meilleur de ma forme. Demain, il faudra tuer, et cela demande une certaine disposition d’esprit pour être accompli au mieux, disposition que je n’ai jamais vraiment eue qu’après une bonne nuit de sommeil. Aussi, si vous n’avez plus besoin de mes services… »

Toujours sans un regard pour les condamnés, il ne restait plus qu’à Anton, enfin sorti de la pièce maudite, à réfléchir, s’apprêter et dormir. Une nuit de sommeil, voilà qui lui semblait la plus réjouissante des perspectives. Et il avait une infinité de plans à considérer. Un nouveau pouvoir lui était accordé, et avec lui, de nouveaux risques. La vie d’un noble était décidemment faite de bien des surprises.

[[MJ] Le Sombre Garde]

Von Preis se rembrunit sensiblement devant la diatribe d'Anton. Le noble n'aimait pas trop qu'on lui parle sur ce ton, quelque soit l'interlocuteur. Il s’efforça toutefois de faire bonne figure devant son hôte. Viendrait le temps de récolter les dettes, soit en honneurs, soit de façon plus directe.

« Veuillez me pardonner, je ne tenais pas à vous insulter. Après tout, je ne vous connais pas, et je ne sais pas comment fonctionnent les nobles à Nuln. On entend de ces choses des fois... Mais c'est noté, votre serviteur sera tout à vous, sans rabatteurs ni chiens. Vous avez bien entendu total accès à mon armurerie, je donnerai des consignes pour que ce que vous désirez soit prêt demain matin à la première heure. »

Il fit signe à deux gardes qui embarquèrent les prisonniers. Puis un serviteur se présenta, vêtu de la livrée de Von Preis. Il s'inclina devant son seigneur et devant Anton.

« Kurt va vous montrer vos quartiers et se tiendra à votre disposition pour toute demande. Je vous souhaite une bonne nuit, cher ami, et reposez vous bien. Demain, nous chassons à l'aube. »

Le serviteur le mena dans une suite assez luxueuse : il disposait d'une petite pièce pour faire ses ablutions, ainsi que d'une chambre de belle taille, où se trouvaient un lit à baldaquin, un fauteuil bien confortable à côté d'une petite table de lecture. Une bibliothèque de petite taille se trouvait dans un coin, ainsi qu'un service de deux bouteilles de vin tiléen. Les quartiers étaient chauds, même s'il n'y avait pas de cheminée visible. Ses affaires avaient été récupérées à l'auberge et se tenaient à sa disposition.

« Si vous avez besoin de quoi que ce soit, sonnez la cloche messire. »

Sur ces mots et une inclination du buste, Kurt se retira, laissant le noble seul avec ses pensées.

[Anton]

Anton inspecta soigneusement les quartiers qu’on lui avait décernés. Von Preis avait beau être un imbécile sanguinaire (et, visiblement, orgueilleux. N’y avait-il pas eu comme un éclair de haine dans son regard, tout à l’heure ?), il connaissait son affaire. Lavabo, livres, fauteuil, vin… Un coup d’œil sur les étiquettes lui précisa la provenance. Où donc ce péquenaud avait-il dégotté du vin de Tilée ? La grande rivière souterraine n’était certes pas loin, mais de là à avoir les moyens de s’en payer…

Anton se servit un verre en toute confiance et le but à petites gorgées en s’approchant de la bibliothèque. Elle avait beau être de petite taille, le fait qu’elle existe dans une pièce pourtant privée de cheminé était sans aucun doute surprenant. Luxe, et pourtant…Sans doute tout cela était idéalement pensé pour un prisonnier dans son genre. Ou alors, Von Preis ne savait pas lire et avait remisé ces volumes ici, ne sachant qu’en faire. Le baron se mordit la lèvre, un instant tenté d’en appeler au dévoué Kurt pour lever les doutes sur cette hypothèse somme toute charmante. Le baron ne portait décidemment pas celui qu’il nommait déjà à part lui « le fanatique » dans son cœur. Il prit un volume au hasard et s’assit dans le fauteuil sans l’ouvrir, méditatif.

"Allons mon cher Anton, il est peut-être temps de se mettre à penser un peu à demain. La question est simple : dois-je…"

Anton s’arrêta in extremis ; Sa fichue habitude de penser à haute voix avait failli lui jouer un tour. Concluant d’une voix distraite (« me resservir du vin ? »), il se mit à réfléchir à la véritable question qu’il se posait : fallait-il profiter de la chasse pour abattre von Preis, qui décidemment ne lui revenait pas ?Le baron tapota sur le livre, indécis. Le protocole était relativement simple ; il lui suffisait d’armer Hanz, profitant des aléas de la chasse, en lui faisant accroire que tout ceci n’était qu’un stratagème, le placer en embuscade, puis détourner l’attention de von Preis pour s’assurer que le mercenaire ne manque pas son coup. Il lui faudrait ensuite tuer le vieux mercenaire, bien sûr. Peu importait, il était d’or et déjà condamné après tout. Tout le reste n’était que question de circonstances et d’assurance. Une seule question subsistait : cela servirait-il le baron ?

A vrai dire, si Anton avait été enthousiaste à l’idée du partenariat avec von Preis, cela le séduisait de moins en moins. Il n’avait absolument aucune idée précise de l’utilité intrinsèque d’avoir des fous sanguinaires à son service, alors qu’il voyait parfaitement les inconvénients d’être l’obligé desdits fous. Un inconvénient inquisitorial, pour commencer. D’après les connaissances historiques du baron –et Morr seul connaissait les limites de la science d’Anton à ce sujet- aucun Comte Electeur n’avait jamais commencé de brillante et durable carrière sur un bûché inquisitorial. Alors quoi ?Assassiner von Preis avait le double avantage de le débarrasser d’un ambitieux qui n’hésiterait pas à faire appel à lui, et à désorganiser un culte, qui aurait alors certainement d’autres chats à fouetter que de s’occuper de lui.

Bien sûr, les risques étaient importants. On pouvait certainement douter que les prêtres le laisse filer sans broncher après ça ; il était même parfaitement probable qu’un sacrifice de noble corresponde plus ou moins exactement aux recommandations du brave Anhalt lors des funérailles d’un chef de culte, comme de par hasard. Anton s’était toujours méfié des prêtres ; les événements de ces derniers temps n’avaient pas arrangé les choses. Il s’étira. Le jour avait du tomber depuis bien longtemps, et le fanatique avait bien précisé que la chasse devait se faire à l’aube…Il leva la tête et chercha des yeux son fleuret.

Sa lame était avec ses autres affaires, sur une fourrure épaisse ; Anton tomba à genoux, tête baissée, mains sur la garde, et entreprit sans bruit une prière à Morr.

Morr
Ma foi est constante, mon âme est forte
Et nul ne saurait contester ton pouvoir
Demain est jour funeste
Demain est jour de Mort
Demain des âmes viendront vers toi
Marquées de ma lame
Humblement je te prie d’accueillir ceux
Dont la vie sera prise en murmurant ton nom
Car je reste ton serviteur sur cette terre
En attendant de te servir dans ton royaume
Et nul autre que toi n’a de droit
Sur ceux dont j’ôte les vies en ton nom

Ces vies sont dédiées
A d’autres qui les acceptent
C’est à toi qu’ appartient leur mort
Ô Morr
Tu es le Père des Sombres Rivages
Et tous nous nous destinons à gagner tes berges
Ecoute ma prière, reçoit ce don
Guide demain ma lame et ma foi
Pour que te revienne ce qui est tien de droit

En signe d’humilité, le baron resta longtemps sur les genoux, ne doutant pas que son Dieu ne l’entende ; après tout, toutes les âmes in fine revenaient à lui, il n’y avait rien d’extravagant à lui demander de priver un dieu mineur et abruti de sang de ses cadeaux du lendemain…Anton connaissait le prix à payer lorsque l’on versait le sang au nom d’un Dieu de colère, et il n’était certainement pas prêt à l’accepter.

Enfilant une vague chemise de lin fripée, le baron se saisit de son fleuret ; il fît un ou deux mouvements dans le vide, enchaîna silencieusement les appuis, puis termina pointe à fleur d’un des piliers du lit. Main ferme, gestes sereins ; Anton ricana, puis glissa dans le lit, sa lame au côté. Si Von Preis commettait l’erreur d’orgueil d’imiter le baron et de chasser seul, demain pourrait bien être pour lui jour funeste. Pour la plus grande gloire de l’Empire, bien entendu.

J’ignore s’il faut que je dépense des points de foi pour que ma prière soit exaucée et que le sang versé soi-disant pour Anhalt par moi ne le concerne pas. Si oui, faisons. Par ailleurs, j’en dépense volontiers cinq à dix pour qu’il veille vaguement sur moi demain, qu’il « guide ma lâme et ma foi » (ie, présage pendant la chasse, cette nuit, ou n’importe quel coup de pouce divin, you’re ze MJ after all) =D
Et je prendrait volontiers 5pv avec toute cette histoire,vu ma forme et mon xp…(le tir ce serait abusé, me souvient pas d’avoir tiré une seule flèche jusqu’ici. Ca viendra). Merciiiii