[Anton] La Complainte du Solland

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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Retranscription des points discutés sur Discord

1 – Sur la question des prisonniers tiléens , auprès desquels le Père Benito fait office d'interprète
Ils s'engagent sur l'honneur qu'ils retournent en Tilée, qu'ils ne se battront plus contre l'Armée de l'Indépendance et qu'ils ne parleront pas de ce qu'ils ont vu. Ils sont donc libérés.

2 – Sur la demande de Ludwig von Ülmer d'être nommé Maréchal et second de l'Armée de l'Indépendance
Sa demande est entendue et il est nommé Maréchal et Commandant en chef des forces directement après Anton. Il obtient ainsi une place au conseil. En échange, il jure sa loyauté sans faille à Anton.

3 – Sur le rapport du Döppelganger concernant le manque de discipline dans les rangs
Aucune mesure n'est prise pour l'heure mais Anton répond qu'il entend améliorer la situation.

4 – Voici la liste des mesures prises par Anton pendant sa halte à Kroppenleben
Publication de cent pages grâce à la Macchina, la presse offerte par l'Aigle du Nord, comportant les informations suivantes : massacres et trahisons par les wissenlanders, emprisonnement et impôts, victoire de l'indépendance, ralliement de Ludwig et constitution d'une Armée du Sudenland, pendaison des archers pour torture, appel à toutes les bonnes volontés à se tenir prêt, et se joindre à la résistance, exhortations à copier ce papier, à le répéter et à le diffuser.
Diffusion de ces pages dans le Sudenland grâce à dix Tondeurs.
Planification de la construction d'un camp retranché pour se préparer à l'hiver et s’entraîner. Idéalement dans un village perdu dans les montagnes avec un accès à l'eau potable, ainsi qu'un accès à un chemin escarpé facile à défendre qui pourra permettre une évacuation rapide. Dans ce camp doivent être construits des baraquements, un réfectoire, une salle d'arme. Il faut y accumuler du bois, de la nourriture et démarrer l'entrainement des troupes. Ludwig et Karl von Ülmer, Ernest de Lippe et le Père Benito doivent y être stationnés pour l'hiver.
Le reste des troupes doit se constituer en escouades mixtes de vingt personnes dont l'objectif est d'écumer le Sudenland et de viser les collecteurs de taxe. Les redevances récupérées doivent être réparties ainsi : 10% sont reservées à l'Empereur, 40% reviennent aux contribuables qui les ont payées et les 50% restant sont pour les caisses de l'Indépendance. Pour chaque escouade : deux sergent et un lieutenant. Un capitaine pour deux escouades qu'il répartit comme il le souhaite dans son périmètre. Les Tondeurs font agent de liaison et de renseignement pour identifier les collecteurs d'impôt. Doctrine classique : embuscade et techniques d'intimidation pour pour récupérer les redevances sans causer de pertes. Si des convois de collecteurs plus importants sont identifiés, les troupes régulières seront envoyées pour s'en occuper.
Cinq Tondeurs restent auprès d'Anton pour s'occuper de sa correspondance.

7 Kaldezeit, année 2532, Kroppenleben 

Un grand feu crépitait dans l'âtre du séjour au modeste château de la famille Von Ülmer. De château cette large bâtisse n'avait que le nom car elle n'était guère plus qu'une ferme fortifiée en pierre de taille, dont la cour était fermée par un mur de deux mètres et où une tour crenelée coiffait le toit d'ardoise. Des trophées de chasse et des tapisseries aux couleurs fanées décoraient cette pièce où la présence de feu Lothar von Ülmer se faisait encore sentir. Anton von Adeldoch pouvait les revoir, lui et son propre père, assit devant cette même cheminée, à écluser un tonnelet de bière en riant fort. Les éclats de voix autour de lui le tirèrent rapidement de ses pensées.

- "Se terrer tout l'hiver dans la montagne ? Pendant que cette grande putain de Holtzendorff attend tranquillement de recevoir des renforts à Jatsnick ?! Deux cent hommes vont traverser le pont de Meissen dans les prochains jours. Par Ulric, vous êtes tombés sur la tête !" beugla Ludwig von Ülmer, le nouveau maréchal de l'Armée du Sudenland Libre, ne manquant pas d'invoquer le saint patron de sa famille.
- "Je me range à l'avis de Monsieur le Maréchal." dit calmement le Père Benito dans son reikspiel impeccable. "Nous venons de remporter une victoire. C'est le moment de frapper et de consolider notre avantage."

Ludwig lui jeta un regard d'abord réprobateur, goûtant peu de l'avis de celui qu'il appelait le "cul-bénit", mais expira nerveusement par le nez et retint le mot d'humeur qui allait lâcher, car Benito soutenait sa position.

L'état-major de l'Indépendance était presque au complet pour ce conseil de guerre. Autour de la grosse table en chêne, debouts, on trouvait les frères Ludwig et Karl, Ernest de Lippe, Theobald von Bethmann-Hollweg le fringuant officier d'ordonnance, Vilnius von Wirth, Bernhard Dinkel le Döppelganger et le prêtre myrmidéen Benito Alberico. Oswald le Vieux, ovate de Taal, était quelque part dans les bois en cette nuit sainte pour son culte, Dietrich Eberwald, le Chef des Renseignements, tenait conférence avec ses Tondeurs au village et Cornelius Klein, le Chef de la Propagande, était parti le matin même pour le hameau du Massif des Sources afin de superviser la mise en route de la Macchina. Il était venu voir le baron juste avant son départ pour lui présenter ses derniers jets de chansons patriotiques, ainsi que pour lui soumettre l'idée de faire forger des médailles et des distinctions afin de récompenser les meilleurs éléments de la troupe, et pousser les autres à l'émulation. La veille, c'est Ernest le Noir, en sa qualité de maître-fourrier, qui avait informé Anton que le matériel prit aux mercenaires tiléens avait permis d'équiper une compagnie entière d'arbalétriers, et qu'autant de montagnards avaient rejoint les forces de la Cause au cours des deux derniers jours, galvanisés par la victoire récente et la promesse de liberté. Le Noir les avait affectés aux rangs des miliciens. Il avait également réquisitionné le vieux canon qui trônait dans la cour du château et était en train de faire vérifier si la pièce était encore en état de fonctionner. Du reste, Viviane et Kristoff Geber, le prêtre de Sigmar, étaient en mission loin du théâtre d'opération.

Il était ce soir là question de la marche à suivre maintenant que l'hiver approchait. Les nuits, qui étaient déjà glaciales, raccourcissaient à vue d'oeil et les sentiers forestiers disparaissaient presque sous la masse de feuilles mortes. L'annonce du baron de se retrancher pour la saison à venir divisait ses officiers.


- "Nous prenons l'initiative de l'attaque, très bien." fulmina Ernest, une main coincée dans son gilet noir, l'autre nonchalamment posée sur la poignée à coque de son épée. "Mettons que nous arrivons à vaincre le Feld-Major, ce qui est loin d'être acquis vu le ramassis de soudards indiscplinés que nous trainons avec nous. Et après ? Les hommes seront épuisés et nos forces réduites. Notre pauvre troupe ne sera pas en état de recevoir les renforts ennemis qui arrivent de Meissen. Si nous nous retirons pour l'hiver, nous aurons le temps d'entraîner les gueux sous nos ordres pour en faire de vrais soldats, tout en restant loin de l'ennemi. Le printemps venu, nous pourrons alors livrer une bataille digne de ce nom."

- "Attention qui vous appelez "soudards" et "gueux", Herr von Lippe." rétorqua le jeune Theobald. "Ce sont les fiers partisans de l'indépendance dont vous parlez."
- "Je ne prendrai pas de leçons d'un blanc-bec comme vous, aide de camp." grogna le vieux briscard en se tournant vers l'impudent, la mine outrée.

- "Alors expliquez moi comment vous comptez affronter quatre cent soldats lorsque vous en fuyez deux cent ?" demanda Ludwig, bras croisés.

- "Je gage que Von Holtzendorff essayera d'occuper les cols et les guets par lesquels passent les routes de montagne en espérant nous y cueillir lorsque nous en sortirons au printemps." avança Vilnius von Wirth, caressant son menton glabre à mesure qu'il parlait. "Ce qui implique, pour lui, d'étirer et de diviser ses forces. Il ne connait pas la région, et les Archers non plus. Cela ne peut jouer qu'en notre faveur."

Karl, en retrait face à ces considérations stratégiques, caressait distraitement la tête d'un haut chien de chasse au poil hirsute tout en observant distraitement Anton.

- "Si bataille il y a, vous voudrez peut-être montrer aux hommes que vous aussi, vous êtes prêt à risquer votre vie pour le Sudenland. Je préconise que vous commandiez une armure à Meerbeck, le forgeron du village. Ce n'est pas le meilleur artisan de l'Empire, mais votre harnois sera prêt en moins de deux mois." glissa innocemment le gonfalonier du baron.

Ignorant cette petite discussion privée, les autres officiers se tournèrent vers Anton von Adeldoch comme pour lui sommer de trancher la question en vrai chef de guerre.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

« C’était il y a longtemps, bien longtemps... si longtemps que le soleil était jeune ; les étoiles brillaient encore d’un éclat particulier, une lueur d’espoir aujourd’hui voilée, on le prétend, par tous les malheurs du monde.

En ces temps-là, aux confins du Solland, là où le pays rencontre l’ombre des montagnes et l’épouse, là où la terre et le ciel viennent se rencontrer et vivre leur magie vivait un berger au nom ancien porteur d’un grand pouvoir. Son nom était Nivaèl.

Ecoutez bien, car peu connaissent entièrement cette légende et c’est moi Nana, fille de Lanec l’Ancienne, petite-fille de la grande Sylvania, qui vais vous conter son histoire. Nivaèl est aujourd’hui un nom oublié de tous hormis les plus sages mais il était dans les temps anciens bien connu, et tout le malheur des temps vient de ce qu’on a oublié le respect que l’on doit aux anciens noms comme Nivaèl. Celui qui le portait passait pour le meilleur berger de tout le Sud du Reik, c’est-à-dire du monde. Les anciens disent que c’était un berger tel que nul depuis n’a jamais retrouvé son pareil ; et je prédis que jamais il ne s’en trouvera de tel ! Car dans ces temps immémoriaux les hommes maîtrisaient l’art de soigner les bêtes qui est aujourd’hui perdu ; et le plus heureux de nos Princes n’est pas aujourd’hui mieux servi que l’était alors la dernière des brebis.

“Grande-Marche” était son surnom, car il était grand, plus grand que tous ses pairs, et il marchait d’un pas égal quel que fût le temps, l’heure du jour ou de la nuit, infatigable au crêt des montagnes comme au fond de la vallée. Dans son sillage, ses bêtes allaient, heureuses, sans jamais troubler l’ordre et l’harmonie de sa marche, une coulée blanche de plusieurs centaines de têtes au port altier dont l’image réchauffait les cœurs des vieillards de la vallée. Jeune, immense, vêtu d’un long manteau dans lequel le vent venait s’engouffrer et qui claquait à chacun de ses pas, ainsi marchait le meilleur berger qui ait foulé notre vieille terre. Il était précédé d’un long bâton de cèdre noir qu’il avait taillé lui-même, et tel était le renom de Nivaèl que depuis sa disparition chaque pâtre reçoit pour ses seize printemps un coutelas et une branche de cèdre. Vous avez dû je pense assister à cette coutume qui ne s’est pas encore complètement perdue dans nos vallées, les Dieux en soient loués, même si les cèdres se font rares aujourd’hui. Et il est dit que lorsque le dernier cèdre s’éteindra des Vallées du Solland, les troupeaux dépériront et l’horreur Verte ensanglantera à nouveau notre terre.

Or certaines histoires sont parvenues sur Nivaèl et son habileté hors norme de berger. Il est dit que jamais il n’eût recours au chien. Que quelque fut le nombre de têtes du troupeau, au cœur de la tempête, au plus noir de la nuit, face au loup ou pire encore, si le besoin se faisait sentir, il se retournait, simplement, et sifflait. Un long sifflement qui jaillissait de sa langue contre ses lèvres, et allait danser en se réverbérant contre les murailles de pierre des hautes falaises, plonger dans les bois les plus profonds, ricocher contre les galets des rivières…Les légendes disent que l’entendre, c’était se sentir traversé d’un étrange frisson, et être immédiatement attiré à lui. En réponse, en hâte, les brebis s’ébrouaient et se rassemblaient à sa suite, le trouvant dussent-elles affronter la nuit et longer les pires précipices. Mille fois de sa vie de pâtre Nivaèl siffla, et mille fois, sans exception, ses bêtes répondirent, même le plus combatif des béliers, même le plus peureux des agneaux, même la plus fatiguée des vieilles brebis. Et c’était merveille que de voir cela. C’est ainsi, disent les légendes, que jamais sous sa garde une seule bête ne fut égarée ou tuée par les bêtes sauvages.

C’est ainsi qu’en sifflant un air connu de lui seul, il partait au petit jour. Sans chien, sans acolyte, il quittait le village accompagné de ses bêtes à la recherche des meilleurs pâturages, dans des endroits où nul hormis le soleil et les bêtes aux sabots aguerris ne s'aventuraient d’ordinaire. Il disparaissait, pour plusieurs lunes, au creux des collines puis dans les plus escarpés des chemins, vers ces lieux que lui seul connaissait et où poussait une herbe si grasse et coulait l’eau si pure qu’après une saison passée avec ce berger les brebis revenaient méconnaissables, la toison épaisse et la taille élargie. Son pas sûr, sa main ferme, sa voix forte guidaient les troupeaux à travers les errements des saisons, et ainsi ils prospéraient comme jamais. Voici en vérité ce que pouvait le meilleur berger du Solland, à cette époque que vous n’avez pas connue, où les étoiles étaient jeunes et les hommes de vrais hommes.

Or on rapporte que dans la Vallée il se trouva bien des pâtres jaloux de Nivaèl. L’un après l’autre, de toute leur science, ils tentèrent de le suivre dans le plus grand secret pour savoir où il entraînait ses bêtes et connaître eux aussi ses fameux pâturages. Longtemps ils se préparaient, rassemblant provisions et cartes de la région, se camouflant sous d’épaisse peaux et alliant leurs forces pour organiser une traque plus discrète. Mais « Grand-Marche » filait jour et nuit dans les chemins les plus dangereux et finissait toujours par disparaître avec son troupeau dans la torpeur du petit matin, sans que les bergers ne puissent l’apercevoir ni pister son troupeau sur la dure rocaille. Furieux et humiliés, ils devaient rentrer au village bredouilles et, à la longue, ils se firent à l’idée qu’il était le meilleur d’entre eux et se prirent de fierté à l’idée qu’ils étaient de la même vallée. Et ainsi, tandis que la renommée de Nivaèl allait croissante, les autres bergers turent leur jalousie, et commencèrent à fêter ses retours, à l’admirer et à se tailler eux aussi de longs bâtons de marche en cèdre. Il devenait un héros, et sa réputation allait s’étendant à travers les montagnes.

Or donc année après année, les habitants de la vallée honorèrent davantage le berger. Pourtant, il leur demeurait étranger. Il continuait à faire paître les bêtes, apparaissant au bourg le moins possible, et rarement quittait-il son sourire distant pour énoncer quelques mots. Jamais on ne le voyait à la taverne du village, moins encore lors des bals de l’Equinoxe où les belles l’attendaient pourtant de pied ferme ; c’est que sa réputation le précédait, et toutes les filles de la Vallée, sans l’avouer, guettaient avec un pincement au cœur la petite mélodie qu’il sifflait à chaque saison en ramenant les bêtes pour la tonte. On disait que parmi les bergers qui avaient tenté de le suivre dans les montagnes, plus d’un était en réalité une jeune fille déguisée en pâtre à qui l’idée de rejoindre le mystérieux Nivaèl au cœur de la solitude ne déplaisait pas.

Mais il était dit que leurs efforts seraient vains, et que nulle ne devrait emporter le cœur de Nivaèl. Car depuis bien des années, ce que tous ignoraient, c’est que le jeune pâtre pleurait en son for intérieur une grande perte, celle d’un ami très cher, et c’était cette perte qui le rendait si insensible aux louanges des bergers et aux yeux doux des jeunes filles. Les récits divergent sur le nom de celui que le berger considérait comme son frère, son ami ; la plupart des récits le nomme Nadàr, car c’est un vieux nom chargé de tristesse dans l’ancienne langue, et les Garde-Mémoire des Vallées du Sud disent Nadan, car c’est un prénom que l’on porte encore aujourd’hui dans certains villages reculés ; mais je dis moi Nanìn, car c’est là le nom tel que je l’ai entendu de la bouche même de Sylvania la Conteuse, qui tenait ce nom de la mère de sa mère avant elle. Vous saurez que ce nom est aussi porté en langue des anciens par une belle roche qui ne se trouve que rarement, et toujours auprès des filons d’or, et c’est ainsi que la fille de ma fille racontera cette histoire quand son tour sera venue de conter le destin de Nivaèl pour l’enseignement des plus jeunes.

Nanìn le berger n’était pas de la Vallée, mais venait d’un proche territoire, et on dit que lui aussi était un meneur de bêtes remarquable ; et en vérité il fallait qu’il le fût pour s’attacher ainsi l’amitié de Nivaèl. Les Dieux seuls savent sur quel à-pic leurs troupeaux s’étaient rencontrés, lors de quel automne difficile l’un avait rejoint l’autre au creux d’une falaise pour s’abriter du vent, mais ils avaient passé ensemble toutes leurs années de jeunes pâtres, à explorer les vallées et les pâturages les plus isolés, à discuter de la beauté du jour et de la course des étoiles. Ô Nanìn ! Avec lui il faisait si bon se taire au milieu des bêtes et de l’immense nature et une profonde amitié - comme il en naît parfois entre les plus grands hommes lorsqu’ils se rencontrent très jeunes - était née là à l’ombre des Montagnes Noires. Cependant il était dit qu’elle ne durerait pas, comme toutes les choses qui sont belles et qui se fanent aux gels précoces du printemps.

Or qui sait ce qui avait causé la perte de cet ami précieux venu d’un autre village ? Une mauvaise chute, lui qui avait le pied si sûr ? L’attaque d’une créature sortie d’une sombre caverne ? Ou bien la traitrise d’une maladie ? Cela, les légendes ne le disent pas. Mais un jour comme les Dieux en font temps, Nivaèl se trouva seul au point de rendez-vous. Longtemps devait-il chercher son ami dans les lieux qu’ils connurent ensemble ! Chaque roche, chaque herbe, chaque cours d’eau fut scruté, et vibra du désespoir du jeune berger. Mais peu à peu, la neige recouvrait les plus hauts sommets et descendit vers les alpages ; alors la mort dans l’âme Nivaèl se mit en marche vers la vallée, et le monde se voila pour le berger d’un sombre linceul.

Vous. Vous qui contemplez ce malheur, veillez sur vos amis, puissiez-vous ne jamais connaître le chagrin que connu Nivaèl le Berger au cœur des Montagnes. Ô Nivaèl ! Ô toi presque enfant encore ! Qui aura le talent de chanter ton désespoir durant ce funeste hiver ? Les sages ont raison de dire qu’il n’y a pas de plus grand chagrin que la disparition de l’ami parfait, celui qui est notre second cœur. Et certains disent même qu’il vaut mieux ne jamais l’avoir rencontré, car tôt ou tard l’un des deux disparaît toujours et la souffrance de celui qui s’en reste est alors l’ultime épreuve qui se puisse concevoir par les Dieux dans leurs obscures desseins… Moi-même, Nana fille de Lanec, je sais bien des amitiés qui se conclurent de funeste façon, alors qu’incapable de supporter la perte d’un ami tombé, l’autre a préféré affronter le même destin… »


« Comme Thorfingel ! Et Aeris le Jeune ! »

Rompant le charme, brutalement, le murmure s’était échappé presque inconsciemment d’une des trois petites têtes qui dépassaient de la grande couverture.

Aussitôt une main d’enfant alla se plaquer contre la bouche, horrifiée de sa propre audace.

Mais il était trop tard

« ...

J’ai entendu évoquer deux noms ici ce soir. Deux grands héros.

Thorfingel le Juste, qui a préféré se jeter à la mer plutôt que de rentrer aux havres elfiques après la mort de son ami.

Et Aeris le Jeune, le trouvère dont les chants charmèrent jusqu’aux Dieux.

Deux noms dont l’amitié fut si forte qu’elle a amplement mérité notre respect et leur légende.

Mais était-il ce soir judicieux de convoquer leur mémoire ? »


Des secondes parurent des heures, dans le silence de Nana et le crépitement du feu.

« Ce soir est le temps de l’histoire du plus grand berger qui ait foulé la terre. Un modèle pour les hommes, et qui devrait inspirer un grand respect face à son souvenir.

Aussi vais-je poursuivre sa légende. Sans plus d’interruption. »


Le silence à nouveau sembla donner raison à Nana, fille de Lanec. Et ainsi la légende fut poursuivie.

« Or donc tel était Nivaèl, brisé, et il allait de par les Montagnes, soignant son chagrin dans la compagnie des bêtes, le silence des pierres et la vue du vert resplendissant des pâturages inondés de soleil au pied des névés. Cent fois, il songea à s’abîmer au plus noir des scialets mais à chaque fois l’amour de son troupeau et l’espoir insensé de revoir Nanìn le remettait sur les sentiers des montagnes.

Or voici qu’un soir, emmitouflé dans sa couverture de laine, il sombra dans le plus profond des sommeils. Lui qui d’ordinaire s’éveillait au moindre crissement d’un sabot sur une pierre, voilà qu’il se trouva aux prises avec un songe des plus réalistes, comme jamais son sommeil léger ne lui en avait fait connaître. Il s’étonna car le paysage lui était familier, au point qu’il ne savait plus guère s’il était réellement plongé dans un rêve : il se trouvait debout devant une gorge sinistre, qu’il n’avait encore jamais cru bon d’emprunter car elle ne menait vers aucun pâturage d’intérêt. Et son étonnement s’accrut encore, car il entendit au-devant de lui les pas d’une bête isolée.

Grande était sa surprise car dans son trouble il savait néanmoins confusément que son troupeau était resté derrière lui ; or jamais il n'eût imaginé croiser un autre berger dans cette région isolée. Pourtant le pas était celui d’un mouton, et même d’une bête d’une taille importante, probablement un bélier… On dit que les claquements des sabots traversaient la brume qui s’extirpait lentement de la brèche dans la falaise, et semblaient se multiplier sur les parois de pierre dressées de part et d’autre. Une oreille moins exercée eût pu croire qu’un troupeau entier s’apprêtait à déboucher du défilé, mais il fallait bien plus d’artifices pour tromper « Grand-Marche » sur ses terres. Le berger planta son bâton à l’orée de la gorge et attendit.

Courte fut l’attente, car bientôt deux silhouettes émergèrent de la brume. La première était un bélier, immense, le plus gros que jamais le berger n’avait vu, entièrement noir de la tête aux sabots. Il posait sur Nivaèl un œil étrangement vif ; et pourtant on dit qu’il avait l’air ancien, plus ancien que la plus vieille des bêtes du village. Ce noir bélier avançait sans regarder les alentours comme s’il savait pertinemment ce qu’il était venu chercher ici. Il n’avait qu’une seule corne, tordue, ébréchée, effilée et pointue, étrange, au point qu’un frisson prit le jeune homme simplement à la contempler et il chercha à en détourner les yeux en contemplant l’homme que par réflexe de berger il avait délaissé au profit de la bête.

C’était un homme au visage passé, d’une taille moyenne, couvert d’un capuchon usé. Ses yeux fixés eux aussi sur le berger brillaient d’une lueur pâle. Il portait une longue barbe poivre et sel tombante sur sa tenue entièrement noire, et s’avançait sans nulle hésitation, ses grandes mains ridées balançant le long du corps. Contrairement à son animal dont chaque pas déclenchait une cascade d’échos sur les parois, l’homme se mouvait sans bruit ; à son approche, le berger senti intimement son troupeau s'agiter nerveusement au loin, et tenter de reculer.

A cet instant en vérité Nivaèl se prit à soupçonner une sorcellerie. Mais fier était son cœur, et pur son esprit. Aussi planta-t-il sans hâte son bâton, et les pieds bien ancrés dans le sol, salua-t-il comme de coutume l’arrivée de l’homme et de son animal.

« Salut à toi étranger. »

L’homme ralenti et leva la longue main en guise de salut, selon l’usage des montagnes. Sa voix portait loin, sans qu’il parlât fort, et elle était grave, plus grave encore que celle de Nivaèl qui était pourtant grand et chantait juste. Et voici ce qu’ils se dirent :

« Salutation berger. Je ne suis pas étranger ici. Ma bête se morfondait chez moi alors je suis venu jusqu’à toi. »

« La Montagne est à tous, sois le bienvenu. C’est pourtant une belle bête qui ne semble guère indolente. »

« Elle porte en elle bien des troupeaux. »

« Je n’en doute pas. Elle a l’air d’un puissant mâle apte à se reproduire. »

A ces mots le vieil homme laissa échapper un gémissement qui pouvait passer pour un rire. Jamais son ne sonna plus incongru aux oreilles de Nivaèl, et il lui semblait en vérité que l’homme ne savait pas comment rire. Longtemps les échos de ce bruit étrange résonnèrent dans la faille, s’éteignant peu à peu dans les volutes de brume.

« Rarement ai-je fait pareille rencontre berger. Accepteras-tu de garder ma bête dans tes pâturages pour moi ? »

« Une bête supplémentaire ce n’est guère de travail étranger. Même si ce n’est guère dans les usages de procéder ainsi. Combien de temps devrai-je la garder ? Je dois être redescendu dans la vallée pour le solstice. »

« N’ai crainte, je reviendrai chercher ma bête passé une lune, ici même. Et je te donnerai une récompense que tu attends. »

« Je n’ai besoin de rien étranger, et je ne crains rien hormis les mauvais sorts. Me certifies-tu que ta bête noire n’est pas un bélier maudit ? Car je t’avoue qu’il m’effraie, bien que je ne sois guère peureux. »

Et Nivaèl trouva extraordinaire de s’entendre dire toutes ces choses-là, alors qu’il était dans un rêve, et qu’il n’aurait jamais prononcé de telles paroles devant quiconque hormis en songe.

L’homme tenta à nouveau de rire, à son étrange façon, puis poussa son bélier vers Nivaèl.

« Sois sans crainte berger, mon troupeau est bien trop vieux pour accepter les malédictions. Nous nous reverrons bientôt, lorsqu’une lune sera morte et née à nouveau. »

Sur ces mots, il tourna le dos et disparu rapidement dans les brumes. Comme un spectateur venu de loin, Nivaèl observa avec détachement son rêve se désagréger, et se perdre lentement dans d’étranges et d’obscures errements. De ce qui suivi de son rêve, aucun souvenir ne devait lui demeurer ; mais cela il ne le saurait qu’au matin.

Or donc Nivaèl finit par s’éveiller. Et c’était déjà l’aube, qui rosissait les flancs des montagnes ; mais cela le berger ne l’aperçut pas tout d’abord, tant le réalisme de son songe lui donnait matière à réflexion. Aussi prenait-il son pas le plus lent pour atteindre l’endroit que son troupeau avait choisi pour commencer la journée, un coin d’alpage déjà baigné du soleil timide du matin. Or tandis qu’il embrassait les deux cent têtes du regard, son cœur se serra soudain car il aperçut à l’écart du troupeau un bélier énorme et noir, et il comprit à l’instant que l’engagement pris dans ses songes lui serait compté dans la réalité.

Mais « Grand-Marche » avait depuis longtemps arpenté la Montagne et il n’ignorait plus rien de ses desseins secrets ; et la pureté de son cœur l’avait maintes fois protégé des pièges tendus par les ennemis de l’homme qui rode dans ces régions. Aussi ne prit-il pas peur, mais au contraire sans hâte s’approcha-t-il du Bélier pour la reconnaître. Et en vérité elle était telle que ses rêves l’avait fait connaître, et en particulier il reconnut son unique corne tordue ; mais l’œil de la bête n’avait pas de malice, seulement comme une ancienne tristesse au fond du regard et Nivaèl sut alors qu’elle était très proche de lui par bien des aspects, et il l’intégra tout à fait au troupeau.

Durant sept jours, Nivaèl resta en paix parmi les bêtes ; aussi la surveillance qu’il exerçait sur cet étrange bélier se relâcha bientôt et il reprit comme avant sa triste mélancolie, ses chants et ses mélodies. Et bien qu’il surveillât ses rêves avec soin, ses songes demeuraient inconstants et ne l’amenèrent plus auprès de la grande faille.

Or au cœur de la septième nuit voici qu’un pressentiment éveilla le berger. Sans qu’il ne sût pourquoi, il savait que quelque chose de mauvais s’approchait du troupeau et jamais par le passé son cœur ne l’avait trompé sur ces choses-là. Aussi promptement se saisit-il de son bâton de cèdre et du long coutelas qu’il gardait par devers lui -bien qu’il lui servi d’ordinaire davantage pour la cueillette des simples que pour le combat – et il tenta de percer l’obscurité de ses yeux exercés. Et en vérité il y parvint car Mannslieb brillait toujours haut dans le ciel, n’ayant commencé à décroître que depuis sept nuits. Et il vit qu’un grand loup était là à l’affut, et qu’il guettait son troupeau sous le vent de manière à ne pas affoler les bêtes qui se reposaient. Mais voici que ce loup lui sembla un maître-loup comme jamais il n’en avait connu, et en vérité la sombre créature était immense, avec des dents redoutables qui dépassaient hideusement de ses babines et ses yeux rouges brillaient dans l’obscurité comme deux fanaux démoniaques. Et Nivaèl, qui avait affronté bien des loups par le passé, sentir malgré son courage un long frisson courir le long de son dos, et il invoqua l’aide de ses ancêtres avant de s’avancer à son tour sous le vent, espérant arriver avant l’attaque du démon.

Or tandis que le berger approchait ses yeux décelèrent une masse sombre qui s’interposait entre le troupeau endormi et son ennemi nocturne, et voici que le bélier noir de Jais s’était dressé, son unique corne pointée contre le loup. Et bien que le bélier fût d’une taille énorme, c’était là un acte de folle bravoure car le loup était si haut qu’il eût pu arracher sa tête d’un seul coup de gueule. Telles deux statues dressées l'une contre l'autre sur les abords désolés du plateau herbeux, ces deux formidables animaux s’apprêtaient à se battre à mort, et à cet instant Nivaèl ne put qu’admirer le bélier dont la toison sombre se fondait dans la nuit, tandis que le loup lui semblait d’un pelage plus sale, et rougeâtre, et il craint un instant que la bête n’ait déjà dévoré une partie du troupeau et soit badigeonnée de son sang.

Or donc le bélier baissa la tête et s’apprêta à charger le loup, mais voici que Nivaèl soudain surgit et se jeta sur le dos de la bête, plantant son long couteau dans l’encolure et s’accrochant au pelage de sa main libre – car il avait laissé là son bâton, le sachant trop faible pour un tel adversaire. Et le loup poussa un cri terrible, qui n’avait rien d’animal ni rien d’humain, et tenta de se renverser sur le dos pour écraser Nivaèl, lorsque le Bélier s’élança et planta sa corne profondément dans la poitrine de la bête. Alors Nivaèl fut projeté loin du loup, et roula sur l’herbe, et il observa que le loup bien qu’éventré par la terrible corne griffait encore le bélier mais que la plupart des coups se perdaient dans l’épaisse fourrure, et que peu à peu il perdait en force. Mais les blessures que reçurent le bélier étaient profondes et sanglantes, quoi qu’il dût guérir plus rapidement qu’une bête ordinaire par la suite. Et Nivaèl et le bélier allièrent leurs forces et achevèrent la bête, et ce fut une heureuse victoire au cœur de la nuit, car séparément jamais ils n’auraient pu abattre une bête si formidable.

Aussitôt ils se séparèrent, car Nivaèl était épuisé et s’effondra après le dernier râle de la bête. Or quelle ne fut pas sa surprise au matin de constater qu’alors que les traces du combat étaient bien visibles, rien ne subsistait plus de la carcasse du loup ! Or Nivaèl se dit que c’était là une bonne chose, car jamais l’herbe sur laquelle aurait pourri une telle bête n’aurait pu nourrir une autre bête, et la fourrure couleur sang lui semblait un si mauvais présage que jamais il n’aurait pu la dépecer et l’utiliser.

Or donc Nivaèl dû demeurer en repos tout le jour pour récupérer des chocs qu’il avait reçu, et il appliqua aussi des herbes sur les blessures du bélier, mais il dû siffler dans bien des directions et utiliser des paroles douces portées par le vent pour ramener à lui les brebis que les cris de la bête avaient dispersées au loin. Et c’était un prodige qu’aucune des bêtes n’ait été se rompre le coup lors de leur fuite, tant le pâturage était entouré de falaises escarpées.

Or donc sept nouvelles journées passèrent ainsi, et Nivaèl était désormais tout à fait familier du grand bélier, mais il ne l’avait pas encore nommé, n’ayant pas demandé le nom à son propriétaire et n’osant pas encore choisir à lui seul quelque nom paysan qui pourrait déplaire au bélier, car il lui semblait que les noms habituels aux ovins seraient bien pauvres pour un aussi formidable animal.

Mais la septième nuit après le septième jour qui suivit l’attaque du loup, voici que Nivaèl se réveilla à nouveau. Et c’était là le cœur de la nuit car Mannslieb n’était plus pleine depuis quatorze jours ; pourtant les yeux perçants du berger se dirigèrent tout de suite vers l’endroit où il avait vu le bélier noir pour la dernière fois, comprenant instinctivement que c’était là probablement un autre tour des Dieux.

Et bien que le bélier fût noir comme la nuit, en vérité les yeux de Nivaèl l’aperçurent, tant perçant était son regard et fine sa connaissance des bêtes et du terrain. Aussi il s’approcha lentement et sa frayeur fut plus immense encore que lorsqu’il avait aperçu le loup, car il régnait autour du bélier une odeur pestilentielle et Nivaèl se prit à craindre l’épidémie pour le troupeau. Pourtant il invoqua l’aide de ses ancêtres et s’approcha ; le vieux bélier poussait de longs râles, et une des blessures du loup s’était réouverte et suintait de pus verdâtre comme jamais Nivaèl n’en avait vu.

Mais grande était la science des hommes en ces temps-là, et plus grande encore était celle de Nivaèl « Grand-Marcheur », le meilleur berger qui fut d’histoire d’homme. Car il connaissait l’usage des simples, et des pierres de lunes, et plus d’une nuit avait-il couru dans la montagne à la recherche des graines d’Ererbor, ou du suc de Vilain pour soigner une épidémie avant qu’elle ne décime le troupeau. Et pourtant jamais il n’eut d’aussi dure course dans la montagne, car la nuit était complétement noire hormis la lueur traîtresse de Morrslieb, et pourtant on dit que c’est cette lune qui l’aida à trouver les plantes qui sauvent au bord des pires précipices ; et en vérité n’eût été cette lune, jamais Nivaèl n’aurait pu réaliser cet exploit. Or il parvint à collecter les simples pour nettoyer et panser la plaie, et il réunit le bois et les plantes d’une décoction dont le secret est aujourd’hui perdu, et toute la nuit il prit le bélier dans ses bras, ignorant l’odeur et les risques, pour le faire boire chaque heure trois potions différentes. Et il advient qu’au matin, lorsque le soleil se leva, le bélier reposait paisiblement, et il était sauvé, et cela seulement grâce à la science et l’habileté de Nivaèl. Mais lui-même était pris de fatigue et il sombra, si longuement que lorsqu’il s’éveilla le plus gros de la journée était passé déjà.

Or donc pendant encore sept jours le troupeau pu paître en paix. Et il semblait à Nivaèl que les bêtes semblaient adopter le grand bélier, quoiqu’il fût heureux qu’il n’eût pas d’autre bélier dans les parages car avec sa grande corne tout affrontement se fut terminé de façon fatale. Et il s’émerveilla de voir que le bélier avait tout à fait guéri de ses blessures, si bien qu’on ne distinguait pas même de cicatrice, et en cela il comprit que le bélier n’était pas une bête ordinaire.

Mais voici que lors de la septième nuit, il s’éveilla à nouveau, et sans même réfléchir, il s’en fut à nouveau auprès du bélier noir. Quoique la lune eut repris son cycle et que la nuit soit plus claire, il ne trouvait pas trace du bélier noir. Aussi siffla-t-il quelques fois, tout en entamant une longue course sur le plateau car il était pris d’un sinistre pressentiment. Et voici qu’il trouva ce qu’il cherchait : une trace dans la boue d’un sabot qui ne pouvait appartenir qu’au grand bélier. Aussi suivit-il la direction en toute hâte, car il avait reconnu la route d’un des pires à-pics du plateau, et longtemps il avait redouté en s’établissant ici qu’une de ses brebis aille se rompre le cou sur ces roches redoutables.

Or donc Nivaèl s’approcha de la falaise, et il était écrit qu’il devait retrouver là le bélier noir dans la position exacte qu’il avait si longtemps redouté pour ses propres brebis ; car le noir animal s’était avancé sur un promontoire escarpé, et il côtoyait le vide de tous les côtés. Mais Nivaèl savait que le pire était encore possible, car dû le bélier s’engager davantage sur la roche, il se condamnerait à coup sûr, car il n’aurait alors plus jamais la place de faire volte-face. Aussi Nivaèl appela le bélier, l’appelant doucement ; « noir-bélier » lui dit-il, et « puissante bête », et aussi « roi des troupeaux », mais jamais le bélier ne tourna même la tête, captivé par son objectif. Or donc Nivaèl s’approcha et voici qu’au bout du promontoire, là où la roche se conjuguait en vide vertigineux, se tenait une brebis aux étranges couleurs mauves et changeantes. Elle avait un pelage immense et frisé, et ses grands yeux fixés sur le bélier l’encourageaient dans son approche. Or la masse du bélier était telle que jamais il n’eût pu tenir sur un tel escarpement sans chuter !

Mais Nivaèl comprit que c’était là un piège tendu par les ennemis du bélier, et il entreprit de lui parler de toute son éloquence, comme à un humain, et il entrecoupait ses mots de sifflements et de claquements de langue qui composaient la langue qu’il avait inventé pour parler à ses moutons et c’était pour des oreilles ovines la plus douce et chaleureuse musique qui se pût concevoir. Aussi le bélier noir hésita-t-il, allant jusqu’à s’immobiliser, mais la brebis bêla alors doucement et c’était là aussi du miel pour les oreilles, si bien que même Nivaèl se laissa prendre de pitié et d’amour pour cet étrange animal.

Mais un berger du Solland ne se laissait pas dicter ses vœux par des bêtes, et il ne tarda pas à reprendre ses esprits et ses sollicitations. Alors s’engagea le plus étrange des affrontements ; d’un côté « Grand-Marche » et ses suppliques, de l’autre la brebis et ses promesses fourbes aux accents divins ; et les chroniques racontent que le bélier restait immobile, tantôt tenté de revenir en arrière et tantôt de partir vers l’avant, au parfait point d’équilibre où le moindre basculement pouvait tout décider. Et Nivaèl s’approcha le plus près qu’il put, mais quoiqu’il fût leste et agile, c’eut été un suicide que de s’avancer de nuit sur une corniche si traître. Aussi il continua ses suppliques, et ne céda pas, tant et tant qu’on dit qu’au matin, lorsque le soleil se leva, il continuait à appeler Grand Bélier. Or donc au matin, il pu enfin s’approcher jusqu’au bélier et sitôt qu’il le toucha le charme fut rompu et le bélier noir s’en pu retourner auprès du berger. Et Nivaèl ne fut pas surpris lorsqu’il constata en revenant l’aider que la brebis mystérieuse avait totalement disparue.

Ainsi le bélier fut sauvé malgré lui par Nivaèl. Mais ce ne devait pas être la dernière épreuve, car huit jours séparaient encore le berger de la date fatidique où il lui faudrait rendre le bélier, et il savait que le septième soir de bien grands événements pouvaient encore advenir.

Or donc voici qu’au septième jour depuis l’apparition de l’étrange brebis Nivaèl décida de veiller, et s’établit non loin du bélier noir, son coutelas et son bâton de cèdre à portée de main. Et tandis que le troupeau s’assoupissait, lui parcourait la nuit du regard, et en vérité la lumière de Mannslieb était si crue qu’on voyait distinctement le sommet des montagnes et le souffle des moutons.

Mais voici soudain que se détacha d’un des pics une ombre chatoyante, et Nivaèl dut plisser les yeux pour reconnaitre le vol d’un immense vautour. Jamais il n’avait vu de tel oiseau et son cœur se réjouit malgré ses préventions car il était grand amoureux des oiseaux, et nul mieux que lui ne savait imiter leur sifflement, reconnaître leur vol, ou traquer leurs plumes pour en orner sa ceinture ou son chapeau. Or donc le grand condor s’en vint en cercles concentriques jusqu’à lui, et Nivaèl fut frappé de ses couleurs vives sur lesquelles jouaient les rayons de lune et il sourit car il ne concevait pas comment d’aussi belles couleurs eussent pu échoir à une bête mauvaise.

Or donc le condor se posa face à lui, et Nivaèl découvrit ses yeux, et voici qu’ils lui semblèrent plein d’intelligence et de bonté, aussi il n’hésita pas à lui parler franchement, comme il le faisait avec les plus vieilles des corneilles sur les roches, car en ce temps-là elles étaient encore douées d’une forte intelligence et s’intéressaient aux affaires des hommes, ce qui faisait qu’on pouvait parfois leur parler sans qu’elles ne s’en offusquent.

« Salut à toi bel oiseau. Jamais n’ai-je vu d’aussi belles couleurs ! »

« Salut à toi, berger. Je suis heureux de notre rencontre. »

La voix de l’oiseau était étrange, chaude, multiple, et plaisante à l’oreille, et elle sembla un baume au cœur de Nivaèl après ces jours si difficiles, aussi reprit-il la conversation avec d’autant plus d’allant :

« Je me réjouis moi aussi de cette rencontre Condor. J’ai eu bien des troubles récemment et je m’attendais à affronter cette nuit encore bien des tourments. »

« J’ai suivi tes combats berger. Est-ce bien toi qui a sauvé par trois fois l’étrange bélier qui t’accompagne ? »

« Par trois fois Condor. Une fois à ses côtés, une fois seul, une fois malgré lui, voilà quels furent mes combats pour le bélier. Les Dieux soient loués le troupeau n’en a pas encore souffert. »

« Allons, tes adversaires n’ont pas été à la hauteur c’est heureux. Peut-être aussi n’auraient-ils pas dû s’attaquer au bélier mais au berger... »

« C’est certain Ô Condor. Le Bélier est bien plus endurant que moi, les Dieux sont témoins que j’ai eu une grande chance dans mes actions. »

« J’en suis heureux car ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un être tel que toi. Il est écrit que tu mérites une récompense pour avoir si bien gardé le bélier. Car une récompense te fut promise, n’est-il pas vrai ? Aussi voici ta récompense : je vais t’accorder l’honneur d’observer les montagnes depuis mon dos, et nous volerons ensemble sous les nuages. »

Terriblement douces étaient ces paroles, et pourtant l’oiseau était un être vil, aussi vil que le loup avant lui. Mais voici ce qui s’était passé : avec patience et mépris avait-il observé l’échec des trois attaques sur le bélier, et par lui-même il entendait bien éliminer le berger avant de s’attaquer au bélier. Aussi concentrait-il à présent tout son pouvoir sur Nivaèl, et le berger avait bien du mal à raisonner entièrement. Les plumes, la lune, la récompense promise, tout cela se mêlait dans sa tête et bientôt il allait céder à la proposition du grand condor.

Mais il était écrit que cela ne serait pas. Car alors même que Nivaèl tendait la main vers le Condor, le grand bélier paru, et empala de son unique corne l’oiseau. Jamais il n’aurait pu en temps ordinaire vaincre si facilement le Grand Condor, mais tout le pouvoir de cet être maléfique était concentré sur le berger, et c’est ainsi que le Bélier avait pu s’approcher sans risque et décidé d’agir.

Or sitôt qu’il fut transpercé de la corne, le Condor poussa un hurlement glaçant, ignoble, et aussitôt le voile sur les yeux de Nivaèl se leva et il sut à quel danger mortel il venait d’échapper. Car sans l’aide du bélier, le Grand Condor aurait suivi son plan et précipité Nivaèl dans le plus noir des gouffres, et cela le berger le comprit instantanément. Et c’est ainsi qu’à son tour le bélier sauva le berger d’un grand péril, et Nivaèl devait lui en être éternellement reconnaissant.

Or donc voici qu’un nouveau jour se levait, puis se coucha, et Nivaèl et le Bélier passèrent cette journée ensemble, car ils savaient tous deux que c’était leur dernier jour ensemble; en quoi ils ne se trompaient pas tout à fait, même s’ils devaient être amenés à se revoir en d’autres temps et d’autres lieux qui ne concernent pas les mortels.

Nivaèl pourtant s’adossa un instant à un rocher tandis que le soir tombait, et il se senti soudainement harassé et sitôt eut-il fermé les yeux, que son rêve commençait.

Or voici qu’en rêve il se trouvait à nouveau au pied de la falaise, devant la faille. Et le Grand Bélier Noir était à son côté, et face à lui était l’homme entre deux âges, et il lui semblait que sous sa barbe l’homme lui souriait. Et voici ce qu'il dit :

« Berger, je te remercie des soins que tu as porté à mon troupeau. Il est superbe. »

Mais Nivaèl était simple, et toujours il parlait en franchise.

« Hélas étranger, je te dois la vérité : par trois fois il failli mourir, une fois par le loup, une fois parce que je n’ai pas su soigner ses blessures, et une fois parce qu’il échappait à ma garde. Je ne méritais guère ta confiance. »

Et voici que l’étranger fit à nouveau entendre son rire, et à présent qu’il le connaissait, Nivaèl n’en concevait plus de crainte. Mais voici ce que répondit l’homme :

« Au contraire berger. Tu as agi mieux encore que je ne l’espérais. Je te dois à présent une récompense. »

« Je ne demande rien étranger. Ton bélier m’a tiré d’un bien mauvais pas. »

« Ce qui est écrit est écrit berger. Tu auras ton cadeau. Puisse-t-il t’apporter du bonheur. Il me semble que si quelqu’un peut s’en servir justement, ce serait bien toi. »

Et voici qu’à ces mots le songe se termina brutalement. Et Nivaèl n’eut que le temps de s’étonner de la justesse de ces rêves, et de tout ce qui lui était arrivé depuis près d’un mois.

Aussi au matin ne fut-il pas surpris de constater la disparition du bélier noir, car il s’y attendait ayant désormais pris ses songes très au sérieux. Mais il prit garde de regarder aux alentours si quelque chose y était dissimulé et en vérité voici qu’un étui de peau était déposé au creux d’un buisson. Et dedans, une longue flûte, qui semblait taillée dans l’os d’un animal que Nivaèl ne pouvait reconnaitre. C’était là certainement le cadeau de l’Etranger, aussi prit-il grand soin de cette flûte, et il décida de ne l’essayer qu’au soleil de midi dans un espace bien dégagé pour fêter ce cadeau.

Or donc Nivaèl le berger souffla dans cette flûte quand le soleil était au zénith. Doux et clair était le son de la flûte d’os, et non caverneux comme il s’y serait attendu, et il prit grand plaisir à jouer, et bientôt ses doigts comprirent comment façonner les plus exquises mélodies. Et voici que peu à peu tombèrent sous ses doigts la mélodie qu’il avait composé en mémoire de son ami Nanìn, et qu’il aimait siffler les longs soirs de solitude ; mais comme il jouait en songeant comme son ami aurait aimé le son de cette flûte, l’air à ses côtés commença de se troubler et voici que peu à peu il prenait épaisseur et se dessina une heureuse figure. Et les bêtes du troupeau levèrent la tête et poussèrent de longs cris car elles reconnaissaient que quelque chose d’extraordinaire était en cours, et les corneilles descendirent de leurs vieilles pierres pour voir ce à quoi même la plus ancienne des corneilles n’avait jamais assisté. Or Nivaèl ne cessa pas de jouer, bien au contraire, car il reconnaissait déjà les traits de son ami et son cœur débordait d’une joie sincère et d’étonnement. Et tandis que la mélodie se terminait, près de Nivaèl « Grand-Marche » au sommet des Montagnes se tenait Nanìn le berger, et heureuse en effet était la rencontre de ces deux êtres qu’une mort brutale avait séparés, et qui ne pensaient plus jamais se revoir.

Grande fut leur joie, et puissantes leurs discussions, tant le chagrin avait nourri la vie de Nivaèl de mille et une paroles qu’il aurait voulu dire à son ami. Et ce fut là une époque heureuse car ils vécurent ensemble au milieu des bêtes et Nivaèl s’émerveilla car son ami Nanìn n’avait besoin ni de dormir, ni de manger, mais il voyait lui aussi la douce lueur des étoiles et pouvait sentir sous le pied la caresse de l’herbe drue, et il riait de ces sensations qu’il pensait avoir laissé derrière lui.

De sa disparition, et de l’époque qui suivi, pourtant, ils ne parlèrent jamais, car Nanìn lui-même semblait troublé et n’évoquait guère le sujet qu’à contre-cœur. Aussi Nivaèl ne chercha pas à en connaître davantage, et c’est ainsi que les légendes ne disent rien du séjour de Nanìn aux Royaumes de Morr, ni de ce qui causa sa chute.

Or donc Nivaèl et Nanìn jouissaient ensemble d’une vie heureuse dans les montagnes, mais le temps de l’Equinoxe était bientôt venu, et il était temps pour le troupeau de reprendre la route du village. Aussi se mirent-ils en route, Nanìn au pied léger et Nivaèl Grand-Marche, tous deux dans une parure de pâtre et suivis de deux cent têtes et en vérité ils avaient fière allure en marchant ainsi et surtout Nivaèl car désormais il riait et souriait volontiers, ce que jamais il n’avait fait du temps de son grand chagrin.

Au village Nivaèl fut fêté en héros à l’accoutumé, et même si peu accordèrent d’attention au pâtre qui l’accompagnait, tous remarquèrent qu’il avait l’humeur fort gai, et on le vit sourire aux belles ce qui n’était jamais arrivé de mémoire de villageois. Et en vérité Nanìn et lui participèrent au bal de l’Equinoxe, et ce fut un bal mémorable dont on parla pendant bien des années car les récoltes avaient été bonnes, les troupeaux se multipliaient, et nul orque n’avait franchi les montagnes depuis bien longtemps.

Mais il était écrit que cette félicité ne durerait pas. Car plus il se mêlait aux villageois, plus Nivaèl prenait conscience des milles et uns chagrins que ce peuple de la Vallée connaissait, et il lui semblait qu’il pouvait les aider à leur tour pour leur faire naître le sourire. Et d’abord celui d’Anaëlle aux longs cheveux auburn, qui était la fille du meunier, avec laquelle il avait beaucoup dansé lors de l’Equinoxe, et dont il sentait qu’il commençait à s’éprendre car le cœur va vite lorsque l’on n’a que vingt printemps. Et cet amour qui naissait, Nanìn l’encourageait lui aussi, car même s’il était de retour il sentait qu’il lui serait impossible d’aimer et pour son ami ne voulait-il que le meilleur ; aussi l’enjoignait-il de passer du temps avec sa belle, tandis que lui-même retournait aux troupeaux et à de longues promenades au couvert des arbres.

Or Anaëlle avait un chagrin, qui était sa petite sœur, morte de la fièvre lors de ses douze printemps, et Nivaèl eut envie d’apaiser sa peine, et voici qu’il se faisait raconter un à un tous les souvenirs d’Anaëlle, et qu’il composait dans le plus grand secret une mélodie qui devrait faire revenir la sœur de celle à laquelle il avait donné son cœur. Et bientôt elle fut prête, et il la joua sous le zénith d’un beau jour à la flûte d’os, accompagné d’Anaëlle et de Nanìn, qui pourtant avait désapprouvé l’idée, car il lui semblait que ce n’était pas là l’usage qu’il convenait de faire de la flûte. Mais même cet ami n’avait pas le pouvoir de lutter contre l’amour qu’il avait lui-même contribué à faire naître, et il dut assister impuissant à la renaissance d’une jeune fille de douze ans sous la mélodie de son ami. Et on dit que dans les premiers temps, il se réjouit néanmoins d’avoir un compagnon pour l’accompagner dans ses promenades nocturnes, car ni lui ni la jeune fille n’avaient besoin de sommeil et ils voyaient parfaitement dans la nuit.

Mais quoiqu’ils fissent tout pour le cacher, le retour de la jeune fille ne passa pas inaperçu, et Anaëlle présenta bien des personnes à Nivaèl pour qu’il compose pour eux une mélodie, car à cette époque les temps étaient difficiles et rares étaient ceux qui ne portaient pas dans leur cœur le fardeau d’un décès. Or il semblait à Nivaèl qu’il pouvait tous les guérir et tandis que les troupeaux remontaient pour les meilleurs pâturages, lui demeura dans la vallée avec Anaëlle pour composer des mélodies et jouir de la douce vie hors des montagnes. Et Nanìn s’attrista car il brûlait lui de retourner avec les bêtes, et qu’il ne croyait que rien de bon puisse advenir d’une telle situation.

Ainsi saisons passèrent. Mais vint le jour où Nivaèl avait composé et joué tant de mélodies que les habitants du village ne purent plus ignorer ceux qui étaient revenus, et les acceptèrent pleinement au village. Tous cependant n’étaient pas heureux de cela, car certains avaient peur des réanimés ; mais ils avaient confiance en Nivaèl et tous caressaient le secret espoir d’être réanimé si un malheur devait leur advenir, et en particulier les Anciens. Et voilà pourquoi le village acceptait les réanimés, d’autant qu’ils apportaient des bras pour les travaux du sol et de la maison. Pourtant Nanìn s’inquiétait de la situation et certains des plus sages avec lui, mais aucun argument ne pouvait rien contre les larmes de ceux qui avaient perdu un être cher et leur espoir de le revoir.

C’est ainsi que de plus en plus de demandes arrivaient à Nivaèl sans qu’il y prit garde, et bientôt des gens venus des autres vallées virent avec leurs demandes. Et il y avait tant de gens qui voulaient se faire aider qu’il partit se cacher dans la forêt et qu’il chargea Anaëlle d’écarter les nouveaux arrivants pour avoir le temps de composer de nouvelles mélodies.

Mais Anaëlle aimait les belles choses, et elle comprenait que le don de Nivaèl était un don divin qu’il convenait de ne pas gâcher. Et longtemps avait-elle plaidé pour le convaincre d’étendre ses bienfaits à d’autres villageois et à présent c’est elle qui organisait les demandes, et elle commença à exiger de ceux qui venaient des cadeaux, des fourrures, des broches et des pierres précieuses pour l’aide de Nivaèl. Or celui-ci s’était retiré dans une cabane isolée de la vallée, et ne se doutait de rien, mais il travaillait inlassablement pour résoudre les chagrins de ceux qu’Anaëlle laissait venir jusqu’à lui.

Pourtant il lui semblait qu’il devenait de plus en plus dur de composer des mélodies. Et bientôt il réalisa qu’il incorporait dans chacune des bribes de la mélodie de Nanìn, qui était retourné dans la montagne avec les troupeaux, mais aussi certaines des phrases qu’il sifflait dans les temps où il n’était qu’un simple pâtre. Et aussi il ne put trouver son bâton de cèdre, et cela le rendit triste car il n’avait plus le temps d’en tailler un nouveau, et il ignorait qu’Anaëlle l’avait échangé à un colporteur contre six pièces de cuivre et l’eût-il su que peut-être il eût ouvert les yeux et échappé à son terrible destin.

Or un soir vint où ayant terminé une mélodie pour une mère qui avait perdu son fils à la guerre, il décida de se lever tôt le lendemain et de marcher jusqu’à une distante colline pour s’y trouver au zénith du soleil et y jouer là la mélodie. Et cela venait de ce qu’il jouait toujours ces mélodies sur sa flûte d’os lorsque le soleil était au zénith, et qu’il ne commençait jamais à travailler sur une mélodie avant d’en avoir terminé avec la précédente, de peur de s’emmêler dans les souvenirs. Or au matin il se réjouit de sa décision car cela faisait bien des semaines qu’il n’avait marché de la longue foulée qui lui avait valu son surnom, et le ciel était beau et bleu, et il lui sembla que la journée était de celle qui valait le coup d’être vécue. Aussi marcha-t-il de son pas vif, au point qu’il fut surpris d’arriver si rapidement au fait de la colline ; aussi s’assit-il, et se prit à contempler le paysage. Et voilà qu’un rayon de soleil éclaira les sommets des monts, et descendit en cascade jusqu’aux pâturages lointains où paissaient les bêtes, et Nivaèl sentit que c’était la les endroits que son cœur appelait de ses vœux.

Aussi lorsqu’il prit la flûte en main, il se surprit à jouer un tout autre air que celui qu’il avait prévu ; et c’était un air qui parlait des hauts herbages dans les Montagnes qu’il aimait, des cris des bêtes et du gris des roches, mais aussi de Nanìn qu’il n’avait pas vu depuis des semaines ; et bien qu’il culpabilisa de ne pas jouer pour cette mère qui attendait son fils, cela lui sembla si extraordinaire de jouer pour lui et pour ce qu’il aimait, qu’il ne put s’empêcher de poursuivre. Et la mélodie s’envola, depuis la vallée jusqu’aux plateaux lointains, jusqu’aux herbes, aux bêtes et aux roches, jusqu’aux sommets tranchants où le soleil s’épinglait parfois et que les veilles corneilles avaient choisies comme refuge. Elle parcouru des milles et des milles, et là-bas Nanìn au milieu des bêtes tendit l’oreille car il lui semblait entendre la voix d’un ami ; et tous ceux qu’il avait ranimé aussi, dans leur famille, dans les champs, dans les bois, tendirent l’oreille. Et c’était une mélodie très belle en vérité, elle parlait de joie et d’amitié, de beauté et d’abondance, et on dit que les plus anciens des réanimés pleurèrent en l’entendant des larmes qui ne séchèrent jamais. Mais Anaëlle ne l’entendit pas, pas plus que les villageois occupés à leurs récoltes et leurs travaux ; et quant aux moutons, peut-être qu’ils comprirent mais cela les légendes ne le disent pas.

Ce qu’elles disent, c’est que lorsque la musique s’arrêta, tous les réanimés avaient disparu. Et qu’à l’endroit où se tenait Nivaèl, se trouvait désormais un grand cèdre, d’une taille que l’on n’a jamais vu depuis dans nos terres et celles d’ailleurs.

...

Tel fut le destin du porteur de la flûte d’os.

On dit que lorsque le ciel est dégagé au-dessus des montagnes et que le vent souffle, en tendant l’oreille, on peut encore entendre sous les branches des grands cèdres la dernière mélodie de Nivaèl Grand-Marche, le plus grand berger que la Terre n’ait jamais porté. Et que quiconque l’entend pleure et rit en même temps, car tel est son héritage, tant que demeure la mémoire des hommes. »






Anton von Adeldoch regarda intensément le foyer qui brulait dans la salle du Conseil. Il se rappelait très bien d’un autre temps où Karl, Ludwig et lui-même avaient appris leurs plus chères leçons, blottis auprès de ce feu.

« Messieurs.

J’ai entendu vos conseils.

La tentation est forte pour nous de poursuivre nos assauts. Mais la victoire est un don des Dieux, traitons-là comme telle, avec prudence.

Ma décision est prise.

L’Armée du Sudenland prendra ses quartiers d’hivers dès demain. Et au printemps, si Morr le veut, nous libérerons le Sudenland.

Messieurs, à demain. L’Empereur bénisse le Sudenland, et nous avec. »


Dans une volte-face élégante, le baron salua et quitta la salle du conseil, suivi précipitamment par son aide de camp. Dans sa poche, il tripotait sans y penser un bout de bois de la taille d’une phalange qui ne le quittait jamais.

Un observateur attentif aurait reconnu du bois de cèdre.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
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FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

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armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
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Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

La baron Anton von Adeldoch trancha. L'Armée du Sudenland Libre allait passer l'hiver dans les montagnes. Les préparatifs commencèrent dès le lendemain, notamment orchestrés par Ernest "le Noir" de Lippe en sa qualité de maître-fourrier. Bientôt, les vivres et le matériel s'empilèrent dans l'écurie de l'auberge de Kroppenleben, reconvertie en entrepôt de campagne : sacs de farine, barils de poisson fumé, tonneaux de lager, ballots de laine pour le rembourrage des habits et des chaussures, fagots de bois, chutes de cuir tanné et beaucoup d'autres articles glanés dans les maisons du village ou dans les hameaux proches. La majorité des habitants du coin collaborèrent sans rouspéter et il suffit de quelques visites de la part du Döppelganger, accompagné d'une bande de miliciens, pour convaincre les locaux récalcitrants. Les femmes de la commune furent mises à contribution et reçurent la tâche de confectionner des dizaines de tentes en cousant entre eux du linge de maison et de grands morceaux de toile récupérés sur les ailes du moulin voisin. Le Noir donna l'ordre de réquisitionner tous les ânes, mulets, et bardots des environs. Ce n'était pas une mince affaire que d'organiser le train de bagages et l'approvisionnement d'une armée forte de bientôt trois cent têtes. Certains grincèrent des dents lorsque qu'ils virent les soldats de l'Indépendance piller leur poulailler ou saisir toutes les marmites de la maisonnée, et la question des dédommagements arriva bientôt aux oreilles du baron. Le maréchal Ludwig von Ülmer, sur les terres duquel avaient lieu cette vaste opération d'intendance, écartait la question d'un geste agacé.

- "C'est le prix à payer pour la liberté de notre pays, et les vrais sudenlanders sont prêts à faire tous les sacrifices nécessaire pour la réussite de notre glorieuse ambition." disait-il avec fermeté.

Fallait-il se rallier à cette vérité absolue ou ménager les habitants de Kroppenleben en leur proposant quelques avantages en compensation de leur participation à l’effort de guerre ? C'était à Anton d'en décider.







C'est au matin du 11 Kaldezeit de l'année 2532 que la colonne des rebelles se mit en branle. Les officiers firent de leur mieux pour organiser les hommes en colonnes propres entrecoupées de muletiers mais, rapidement, une discipline approximative transforma ce cortège martial en une longue foule de randonneurs goguenards. Seuls quelques escadrons portaient le jaune et le blanc de l'uniforme de l'Ancien Sudenland. L'amas des autres, rudes montagnards et miliciens bourrus, portait gilets en peau de mouton, espadrilles et chemises rapiécées. Ils ressemblaient plus aux rebus d'une franche-compagnie qu'aux fiers héros de la Liberté. Là, certains qui avaient pris de l'avance se décidaient à faire une pause, assis sur des rochers en bord de route, saucisson et outre de vin en main. Ici, un arbalétrier brisait les rangs et s'arrêtait pour discuter avec un berger dont le chemin avait croisé celui de l'armée, et qui s'avérait être son cousin. Malheur aux cabochards tire-au-flanc sur lesquels tombaient Ludwig, Karl, Ernest, Vilnius ou même Anton lui-même ! Mais la troupe s'étendait désormais bien plus que prévu et il était impossible pour l'état-major d'en contrôler chaque élément. Il fallu donc faire avec et aller de l'avant en espérant que l'arrière-garde ne prenne pas trop de retard.

Du reste, l'Armée du Sudenland Libre était composée de solides gaillards, pour beaucoup natifs des contreforts dans lesquels le baron guidait désormais ses fidèles. Ils ne craignaient ni le froid ni les courbatures et, galvanisés par leur récente victoire à Kroppenleben et la perspective de quelques mois sans combats, ils avançaient de bon coeur, le visage rouge et le souffle chaud. Lorsqu'Anton remontait les rangs pour une raison ou une autre, il était acceuilli par les vivats des grappes de soldats qu'il croisait. Eux, qui étaient la veille encore étaient bergers et fermiers, avaient frabriqué des bannières sommaires qu'ils brandissaient avec bonheur. Ces drapeaux de fortune, parfois rapiécés ou troués, étaient à l'image des différentes compagnies, arborant les symboles de telle divinité ou le nom de tel village. Ils étaient décorés de franges jaunâtres, de queues de renards ou encore de parchemins de prière. Mais aussi hétéroclites soient-ils, ils faisaient tous, sans exception, claquer au vent le soleil fédérateur du Sudenland.

Des bandes de joyeux lurons, pendant qu'ils marchaient d'un bon pas, entonnaient un air désormais célèbre parmi eux. Ce refain paillard était sorti de l'esprit malin de Cornelius Klein, le Chef de la Propagande, et rendait honneur à Francine, la bergère au vilain minois mais à l'âme farouche qui avait ouvert la porte de sa grange de Bad Endorf aux rebelles pour qu'ils en chassent les Archers. Cornelius avait habilement changé le prénom de l'égérie en Fanchon. "Pour la rime" avait-il dit. Fanchon, puisqu'elle s'appelait désormais ainsi pour les hommes de la troupe, incarnait pour ces derniers l'esprit revêche et combattif des sudenlanders, pour qui un coeur courageux et une santé solide valaient mieux qu'une jolie figure.


Voilà à peu près comment cela sonnait :

Amis il faut faire une pause 
J'aperçois l'ombre d'un bouchon 
Buvons a l'aimable Fanchon 
Chantons pour elle quelque chose 

Ah c'que son entretien est doux 
Qu'elle a de mérite et de gloire 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 

Fanchon quoique bonne morrienne 
Fut baptisée avec du vin 
Un averlander fut son parrain 
Une gasconnaise sa marraine

Ah c'que son entretien est doux 
Qu'elle a de mérite et de gloire 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 

Fanchon préfère la grillade 
A d'autres mets plus délicats 
Son teint prend un nouvel éclat 
Lorsqu'on lui verse une rasade 

Ah c'que son entretien est doux 
Qu'elle a de mérite et de gloire 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 

Un jour le copain la grenade 
Lui mit la main dans le corset 
Elle répondit par un soufflet 
Sur le museau du camarade 

Ah c'que son entretien est doux 
Qu'elle a de mérite et de gloire 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 
Elle aime a rire elle aime a boire 
Elle aime a chanter comme nous 

Fanchon ne se montre cruelle 
Que lorsqu'on lui parle d'amour 
Mais moi je ne lui fais la cour 
que pour m'enivrer avec elle


A peine plus loin, c'est le son criard du bignou traditionnel qui dirigeait le pas des Piques de Herring. Le musicien, un Tondeur affublé d'un crâne de daguet, ouvrait la marche du contingent blanc et or en jouant un air familier du pays. Les lanciers suivaient, arme sur l'épaule et bouclier dans le dos, tapant sur leurs cuirasses en rythme tandis que Joseph Herring, leur capitaine, fumait sa pipe en saluant le baron qui passait.



Image




C'est dans cet esprit de fleur au fusil que l'Armée du Sudenland Libre avançait parmi les collines inhospitalières de l'arrière-pays, avec les pics enneigés des Montagnes Noires en toile de fond.







4 Nachenxen, année 2533, quelque part dans les Montagnes Noires.


- "Tu connais pas la dernière. La Fanchon ..."
- "Ouais, quoi, la Fanchon !"
- "Beh ..."
- "Quoi "beh" t'es un putain d'mouton ou quoi. Allez crache le morceau !"
- "Beh elle est morte. Ils l'ont pendue y'a un mois. Pour "connivence avec l'ennemi". C'est l'Gros Gill qui m'l'a dit, il l'tient d'un Tondeur qu'est rev'nu hier."

La funeste nouvelle jeta un froid autour du feu de camp. Les quelques sentinelles restèrent silencieuses, emmitouflées dans leurs couvertures de fortune tandis qu'un vent glacé faisait vaciller les flammes.

- "Merde ... J'le savais que c'était une connerie, c'te chanson." lâcha l'un d'eux.


La retraite stratégique décidée par Anton avait été plus rude que prévu. L'hiver dans les montagnes avait été mauvais et les tempêtes de neige nombreuses. Sur les conseils d'Oswald le Vieux et de son cartographe, l'armée s'était établie dans l'un des derniers hameaux habités avant les terres sauvages, un bien misérable refuge en réalité, composé de quelques maisons en pierre sèche. Un village de tentes s'était établi tout autour, sur cette lande désolée et sans arbres qui s'était rapidement changée en cloaque boueux quand les averses avaient commencé à tomber. Les hommes avaient bâti des abris à la hâte, chapardant des toiles et des planches ça et là. Le bois le plus proche s'était révélé à peine suffisant pour monter un semblant de caserne, un grand chalet dans lequel logeait l'état-major. Le quartier-général de l'Armée du Sudenland Libre ressemblait à un camp de réfugiés.

Trois mois étaient passés et les vivres commençaient à manquer, désormais. On avait épuisé les réserves de moutons, on abattait désormais les mulets pour en faire des ragoûts fumants. Les barbes poussaient sur les visages, les puces pullulaient dans les couches de paille. Pendant ces trois mois, Ludwig et Karl von Ülmer ainsi que Vilnius von Wirth organisaient des entraînements quotidiens, faisant leur possible pour transformer ces civils en soldats. Ce n'était pas une mince affaire que de leur apprendre la discipline, d'autant plus que le froid et la fatigue faisait gronder ces hommes fourbus et farouchement rétifs. Il fallut souvent durcir le ton, et un milicien fut même exécuté pour avoir osé lever la main sur le maréchal Ludwig dans un moment de fureur. Mais, peu à peu, les manoeuvres répétées et les exercices commencèrent à porter leurs fruits. L'obéissance aux ordres devenait instective, automatique. Vilnius leur faisait réitérer, encore et encore, les déploiements et les combinaisons, les signes et les appels. Le Père Benito, lui, assurait le soutien moral et spirituel. Il passait chaque soir dans une compagnie différente, écoutant les hommes et répondant à leurs interrogations. Aux plus jeunes, il lisait de longs passages du Bellona Myrmidia. Les officiers battaient les soldats comme le fer pour en faire des armes. Benito était le ciment qui les liait entre eux. C'était une combinaison redoutable.

Les hommes eurent bientôt l'occasion de tester leurs nouvelles compétences martiales. Dans ces vallées reculées, au pied des plus hauts pics des Montagnes Noires, les peaux-vertes en maraude étaient nombreux. Affamés en cette période de disette, ces abjectes créatures écumaient les cols et les frontière du domaine des humains pour y faire rapine. Karl von Ülmer et Vilnius von Wirth emmenait régulièrement une compagnie en patrouille dans les environs et il n'était pas rare qu'ils accrochent une bande de gobelins, les massacrant s'ils ne fuyaient pas avant. Ces escarmouches sans difficultés donnèrent le goût du combat aux sudenlanders, qui voulaient maintenant en découdre après trois mois passés dans le froid mordant de la montagne. Oswald le Vieux et son assistant accompagnaient les hommes lors de ces incursions pour faire le relevé des sentiers et des cols de la région. Pendant ce temps, une troupe d'artilleurs autodidactes s'entraînaient à manœuvrer et à utiliser le Loup Grondant, vieux canon de 18 livres récupéré à Kroppenleben. Vu la réserve limitée de boulets et de poudre noire, Ernest de Lippe avait ordonné que les tirs d'essais soient limités. L'un des miliciens, qui était tailleur de pierre avant de rejoindre la rébellion, se mit alors à façonner des boulets avec les pierres rondes qui jonchaient le plateau. De grosses détonations faisaient trembler le camp plusieurs fois par semaine et déclenchèrent même, un matin, une avalanche qui faillit emporter une patrouille sur le retour. La scène où un Ludwig von Ülmer fulminant revint couvert de poudreuse pour passer un méchant savon aux artilleurs resta gravée dans les mémoires.

Lorsqu'ils ne s'entraînaient ou ne patrouillaient pas, les soldats étaient au camp, essayant de s'occuper comme ils pouvaient. On palabrait, attendait fébrilement les allées et venues des Tondeurs qui apportaient des nouvelles du pays. On disait que le Feld-Major Von Holtzendorff avait reçu des renforts, qu'il s'installait confortablement en attendant que les rebelles descendent de leur cachette. Lorsque l'un de ces messagers habillé en peau de mouton arrivait au camp, les sentinelles lui sautaient dessus. Des nouvelles de Plossig ? De Kroppenleben ? De Hornfurt ? Et de Bad Endorf ? Est-ce que c'était vrai, ce qu'on disait sur la Fanchon ? Les rumeurs allaient bon train, les hommes s'agitaient. Le printemps pointait déjà son nez et il était temps de partir. Un matin, un lointain rugissement se répercuta sur les pics qui encerclaient la lande.


- "Par le marteau d'Ulric, c'était quoi ça ?!" s'alarma un épéiste en fouillant des yeux le flanc de l'escarpement d'en face.
- "C'est le Verschlinger." lui répondit laconiquement un Tondeur non loin, sans lever le regard de son bol de râgout au mulet. "La nouvelle saison arrive, et la vouivre a faim. Si tu vas pisser, fais gaffe de pas trop t'éloigner ... On appelle pas c'te bête "la Terreur des bergers" pour rien."

Du reste, les forces d'Anton n'étaient pas restées inactives dans le Sudenland pendant ce long hiver. Des escouades détachées de l'armée principale y sévissaient, coordonnées par Dietrich Eberwald et son réseau de Tondeurs. Les embuscades contre les collecteurs de taxe s'étaient succédées avec plus ou moins de succès, et le Chef des Renseignements s'était assuré le soutien de quelques locaux pour aménager des caches et des refuges afin d'entreposer le magot volé et d'échapper aux patrouilles insistantes ordonnées par Von Holtzendorff.





Les neiges commençaient à fronde et de nombreux ruisseaux se formaient sur le plateau pour descendre jusqu'aux vallées en contrebas. Il était temps de partir.

L'état-major de l'Armée du Sudenland Libre était réuni dans la grande salle du chalet pour discuter des prochaines manoeuvres. D'après les derniers rapports des Tondeurs, le Feld-Major était installé à Kroppenleben avec ses troupes. Depuis cette position adossée à la rivière Aulen, il contrôlait une large zone englobant toute la portion Sud-Ouest de l'ancienne province ainsi que les collines alentours et la gorge escarpée qui permettait de monter dans les montagnes.

Ludwig suggérait de passer à l'attaque. Pour lui, il fallait profiter de l'isolement du Feld-Major malgré sa supériorité tactique. En effet, si les troupes wissenlanders étaient à peu près égales à celles des rebelles en terme d'effectifs, elles pouvaient compter sur un grand nombre de régiments entraînés, ainsi que d'escadrons de cavalerie et d'une meilleure puissance de feu. Mais pour le Maréchal et Commandant en chef de la Première Armée, il suffisait de ruser et d'amoindrir les forces ennemies petit à petit avant de frapper un coup puissant une fois qu'elles étaient suffisamment affaiblies. Il ne manqua pas, par ailleurs, de rappeler que ses gens de Kroppenleben et des hameaux des environs avaient donné leurs vivres, leurs biens et leurs fils à la Cause, et qu'il n'était que justice d'aller les libérer de l'occupant le plus rapidement possible.

Vilnius von Wirth, le Père Benito et Ernest "le Noir" de Lippe, quant à eux, étaient d'avis de contourner la menace que représentait l'armée du Feld-Major en descendant des montagnes par un col situé plus au Nord, cartographié par Oswald le Vieux et ses assistants. Cette piste impliquait de marcher plusieurs jours au fond des vallées cachées des Montagnes Noires et de déboucher sur les contreforts non loin du bourg d'Ummenbach, sur la rivière Oggel. Loin des troupes wissenlanders, il serait alors aisé de marcher à travers le pays directement sur Pfeildorf.

Quant à Dietrich Eberwald, le maître des Tondeurs et Chef des Renseignements, il arriva en cours de conseil après une longue période dans l'arrière-pays. Rapidement instruit de la situation, il se contenta de signaler que de nouvelles troupes ennemies se mobilisaient de l'autre côté de la Söll, à Meissen, et qu'elles seraient prêts à entrer dans le Sudenland d'ici deux semaines au plus. Si les rebelles attaquaient le Feld-Major Von Holtzendorff et mettaient trop de temps à le défaire, ils prenaient le risque de se faire prendre à revers par ces nouveaux renforts. A l'inverse, si ils prenaient la tangente par le Nord, ils permettaient au Feld-Major de se renforcer plus encore et de devenir un adversaire bien trop dangereux. Au chapitre des bonnes nouvelles, Dietrich porta cependant un mot de la part de Kristoff Geber, le prêtre de Sigmar, qui apprenait à Anton qu'il avait réussi à rallier plusieurs bandes de brigands contre la promesse d'une belle solde. Cette franche-compagnie -puisqu'il convenait de l'appeler ainsi dans un conseil militaire- comptait une cinquentaine d'hommes et attendait les ordres dans les bois au sud de Waldbach.

La réunion entre les dirigeants de la rébéllion allaient bon train lorsqu'un Tondeur entra en trombe dans le chalet, crotté de la tête aux pieds et le souffle court. Le Döppelganger fut si surpris qu'il manqua de le couper en deux avant de se raviser, reconnaissant là l'un des agents du baron.


- "M'sieur l'baron ! On a repéré du raffut, sur la corniche à trois lieux d'ici, plus bas sur la vallée. Y'a un convoi d'nains qu'est attaqué par des peaux-vertes. Y sont à peine une trentaine cont' plus d'une centaine d'ces charognes. Y tiennent bon pour l'moment et z'ont formé une barricade avec l'matériel qu'y transportaient mais ça risque d'pas durer. Ca fait plusieurs heures qu'la pétarade a commencé et ils z'auront bientôt pu d'munitions. Z'ont essayé d'envoyer l'un des leurs chercher d'l'aide mais j'l'ai vu s'faire rattraper et dépecer d'mes propres yeux."
- "Les affaires des nains ne sont pas celles du Sudenland." grogna Ernest de Lippe.
- "Herr de Lippe, avez-vous donc oublié l'alliance éternelle scellée entre les Hommes et les Nains par Saint Sigmar Heldenhammer ?" demanda Karl von Ülmer, le gonfalonnier de la Cause.
- "Le Noir a raison. Si nous voulons botter le cul du Feld-Major, nous ne pouvons nous permettre de perdre des hommes dans une escarmouche étrangère à notre mission." rétorqua Ludwig à son jeune frère.
- "Cependant, n'oublions pas que nos amis nains tiennent en haute estime leur honneur et leurs serments, et qu'ils payent toujours leurs dettes." rappela le Père Benito en se caressant la barbe. "Si nous les aidons, nous y laisserons peut-être des nôtres, mais nous pourrons peut-être aussi gagner leur soutien. Au vu de notre position, ils doivent appartenir à l'un des clans de Karak Hirn ou Karak Gantuk. Ces forteresses sont suffisamment proches pour nous apporter un avantage ... si leurs propriétaires y consentent."


A toi de décider pour les réparations demandée à Kroppenleben avant l'hivernage et pour la question de savoir si oui ou non vous allez aider les nains avant de quitter la montagne.

Considère que tu as des nouvelles de Viviane par l'intermédiaire de tes messagers Tondeurs.
Si tu as perdu le fil sur la situation actuelle à Pfeildorf, fais moi signe sur Discord pour un récap.

Quant aux Verschlinger il est mentionné page 1.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Hiver


Les rafales de vent emportent des arbres les paquets de neige mal attachés qui gisent là depuis la grande tombée de la nuit dernière. Les mugissements du vent, les craquements du bois et les bruits sourds de ces grandes mottes blanches qui s’écrasent au sol et enfoncent la couche épaisse de la neige glacée sont les seuls bruits vivants du camp de l’Indépendance.

Au milieu du silence humain, recroquevillé sur lui-même, les seules traces de vie sont les colonnes de fumées hésitantes qui s’élèvent des quelques foyers, timides tourelles qui se désagrègent sous les coups de butoir des rafales. Le fragile édifice de civilisation n’a jamais été aussi visible sa faiblesse que là, au cœur de l’hiver, petite poche de vie chaque jour plus réduite, chaque jour moins certaine de son destin, courbée sous le joug des basses températures et du gel.

La vie de camp s’est pratiquement figée désormais ; la tête rentrée dans les épaules, elle attend que les jours meilleurs reviennent. Quelques silhouettes timides viennent trancher le blanc qui règne en maître du noir effacé de leur mouvement ; gestes rapides pour briser la couche de glace qui rend l’eau inaccessible ; rapide percée vers un arbre pour se vider la vessie, latrines de fortunes que la baisse du thermomètre a rapproché chaque jour inexorablement du camp, sans que les insultes des habitants des tentes les plus proches n’y changent grand-chose.

Dans un camp cerné par la neige, la chaleur est tout, le reste n’est rien. Le feu a pris dans les pensées une place démesurée, couvert chaque autre préoccupation. La chaleur, c’est l’eau, le repas, le repos, la vie. La neige, son élégante blancheur, les sommets enivrants qu’elle couvre uniformément, les jeux de trace qui se dessinent sur elle et par elle, ses ballets virevoltants qui donnent corps aux vents qui la traverse, la neige, elle, est blanche comme le vide. Elle signifie la mort.

Malgré les ordres, les feux brûlent pratiquement partout où ils peuvent s’installer sans que la fumée n’empêche tout à fait de respirer. Dans certaines parties du camp, les braséros de fortune crachent des nuages noirs, épais, qui dégoulinent au sol sans porter avec eux ni chaleur ni lumière, signifiant que leurs propriétaires ont déjà amputé tout le bois sec et se rabattent sur les branchages encore humides glanés en hâte dans les premières pluies.

On pourrait lire à la fumée qui s’élève à chaque endroit le caractère de ceux qui se rassemblent autour, comme on le ferait dans les lignes de leur main ; l’économe, le flambeur, le généreux, l’indécis, le prévoyant, le frileux… Autant de personnalités, autant d’hommes, autant de héros qui rongent leur frein, repliés sur quelques poches de vie, et qui esquissent sans le savoir en signaux de fumée des messages pour les dieux de l’hiver et qui saura les lire.

A cet instant toutefois aux yeux d’Anton Von Adeldoch chaque colonnette de fumée dessine le reproche silencieux de son manque d’anticipation. Les reproches du froid, des engelures, de la faim, des privations, de l’ennui, du doute.

Mais qui aurait pu prédire un tel hiver ?

Automne


« L’hiver va être une sacrée chienlit cette année. On a intérêt à se prévoir un bon petit coin au chaud si on ne veut pas se geler le cul. Et des belles réserves de bière. »

Tristes Noces ponctue sa phrase d’un rot qui lui vaut les regards amusés ou dégoûtés d’une partie de ses camarades. Dans la quiétude de la salle où la fragrance d’alcool prend peu à peu le pas sur l’odeur de chien mouillé qui émane des membres de l’expédition son sourire aux dents parfaites tranche avec les gueules balafrées qui l’entourent.

Ils sont une dizaine à avoir envahi l’auberge, leurs bottes crottées dégoulinantes au sol, leur armement hétéroclite jeté pêlemêle sur la table. Au milieu de ce chaos de cuir, de bois et d’acier surnagent les pointes des longs coutelas qui font la fierté de la jeune femme et qui rappellent les deux pendants triangulaires qui balancent à ses oreilles.

Pas d’uniforme pour ces guerriers de l’Indépendance mais quelque chose qui passe de visage en visage, un air, une allure, qui dit en creux qu’ils sont de la même bande, de la même espèce. Un relent de violence et de camaraderie, les regards bravaches qui s’attachent impudiquement aux corsages et détournent les yeux des hommes. La posture faussement détendue et les gestes négligents qui disent qu’ici, comme partout ailleurs, ils sont chez eux, et qu’ils attendent qu’on le sache.

Ils sont là, tous, la bande du gros Oswald. Il y a Tristes Noces, Double Coup, la Fouine, Albertus, Kharir et puis Konrad. Il y a les deux Ludwig, Tueur-d’Archer et puis Paulo, que tous appellent Pils, sans trop savoir pourquoi. Ils font les braves, et les surnoms terribles roulent dans les conversations et éclatent dans les voix, sur cet accent rocailleux du grand sud qu’affectionnent ceux qui se revendiquent de l’indépendance.

Mais on sent aussi que tout n’est pas encore mûr dans leur attitude. Le contraste saute aux yeux entre ceux qui conversent à voix basse pour se donner l’air important comme Konrad, et ceux qui, comme Tristes Noces, gueulent pour se donner eux aussi l’air important. Les tenants de chaque stratégie, gênés de la posture choisie par les autres, sentent bien que ce manque d’accord dessert la prestance du groupe, mais il leur semble impossible de renoncer à cet affichage de façade.

Le reste des clients s’aperçoit sans doute de ce trouble mais personne ne semble s’en formaliser. Tous tentent plus ou moins d’ignorer la petite troupe, certains par antipathie envers la cause, d’autres pour ne pas trahir leur sympathie, la plupart par crainte ou indifférence. Quelques colosses, montagnards, paysans, bergers, risquent un crochet vers le groupe, un pichet à la main, pour glaner en échange d’un discret signe de soutien un sourire ou un clin d’œil ; mais la plupart des soiffards de l’Auberge du Cerf de Baumdorf ont le nez plongé dans leur choppe et tentent de diluer dans l’alcool toute la flotte que le ciel a craché sur leurs pauvres vies au cours des dernières heures d’orage.

Ici, comme ailleurs, il ne fait pas bon d’afficher son soutien à la Cause.

Hiver


« Faudra m’expliquer ce que je gagne, moi, à trimballer ces foutus prospectus. Avec les macaques de la Martre qui baladent à tous les coins de rue. Tu les as vu ces gorilles par équipe qui partagent un cerveau pour deux, oui ? Tu as vu la taille de leurs poings ? Vas-y redis moi pourquoi je dois me coltiner c’te foutue paperasse au lieu de rester peinard dans mon atelier ? »

Soupir.

A chaque mission, la même rengaine. Les mêmes questions.

« L’Indépendance je dirais. C’est une bonne raison non ? »

« Indépendance mon cul. Où ils sont les autres pendant qu’on fait tout le sale boulot ? Au chaud, tranquille dans leurs montagnes de mes burnes, à se palucher à longueur de journée, oui ! Voilà ce qu’elle fout, l’indépendance. Et sur qui ils se paluchent d’ailleurs ? Sur leurs moutons ? Ou sur leur Fanchon ? Ou Myrmydia ? C’est ça l’Indépendance pour laquelle je me casse le cul ? Des zoophiles, des obsédés et des blasphémateurs, oui ! Ils se paluchent je te dis ! ».

Dans le flot de paroles Viviane hausse les épaules, amusée par la réplique, guère surprise par la vindicte de Pieter ; en guise de réponse elle se contente de lui mettre dans les mains un nouveau paquet de tracts. Offusqué, il stoppe sa diatribe et roule de grands yeux. C’est toujours ça de gagné.

D’après les informations lapidaires qui lui remontent du sud, Viviane n’est pas aussi certaine que Pieter que
« se palucher au chaud » soit exactement l’occupation principale de l’Armée du Baron. Aussi amusante que soit l’idée. Elle est pourtant bien placée pour savoir que le camp est désormais totalement privé de femmes… mais le vieux caractériel n’a pas tort sur tout ; depuis plusieurs semaines les choses deviennent véritablement difficiles à Pfeidorf, et Viviane commence à penser elle aussi que les rigueurs de l’hiver dans les montagnes sont peut-être à tout prendre moins terribles que celles qui règnent sur l’ancienne capitale du Solland.

Il faut dire que depuis peu la situation s’est lourdement dégradée ; l’agitation couvait depuis la fuite du Baron, mais le choix de la Martre de mettre en place un couvre-feu autoritaire et jugé inique a mis le feu aux poudres. Depuis des semaines désormais des bandes issues des quartiers les plus populeux de Pfeidorf se réunissent chaque soir pour casser du garde, piller des entrepôts étrangers -surtout tiléens, accusés de tous les maux- et déclencher des bagarres ; les rixes dégénèrent au point que les cadavres s’empilent doucement dans les ruelles où la garde ne passe plus. La colère gronde chez les bourgeois, le commerce est au point mort, les délégations inutiles auprès de la baronne empilant les doléances et les demandes de compensations financières. La colère ambiante, les filles de Viviane la voient tous les jours au bordel, au point qu’il a fallu recourir à un service de gros bras pour dégager les nerveux qui s’en prenaient à plus faible qu’eux…

Mais si les quartiers prospères souffrent, ce n’est rien à côté de l’ébullition des quartiers les plus pauvres. L’ère est propice aux agités du bocal. Un peu partout dans les tavernes de grandes gueules apparaissent et galvanisent la foule en promettant la fin de la tyrannie. A force, bien sûr, ils se font arrêter, mais en créant à chaque fois une mini-émeute qui frôle le bain de sang. Les prisons sont pleines de martyrs auto-désignés à cette Cause Sociale, l’idéologie alimentée par le Père Max, ce vieux prêtre qui prétend avoir reçu une vision de Véréna et croupit à St Quitus sans que la Martre n’ose le faire exécuter.

Le fait qu’une baronne soit incapable de faire décapiter un pauvre vioque fait doucement rigoler Viviane, mais c’est un fait. La simple rumeur d’un transfert du Père vers une autre prison a déjà ameuté aux abords de la prison la moitié des traînes-la-faim de Pfeidorf ; la loi martiale, décrétée dans la foulée pour empêcher les rassemblements n’y a pas changé grand-chose. Une exécution du Père tournerait instantanément en émeute… Ce qui n’arrangerait personne.

« Y paraît qu'une péniche a commencé à cramer hier sur les docks. Les mecs sont tellement deter qu’ils arrivent à foutre le feu à une péniche couverte de neige. Va falloir qu’on m’explique, oui. »

Pieter ne reste jamais muet très longtemps. Sauf quand il croise la garde. Enfin la vraie, pas ceux qu’il appelle
« les gorilles », ses pires ennemis. Depuis plusieurs semaines la régulière Wissenlandaise est tellement en sous-effectif, en partie du fait de la traque à l’homme entamée contre le Baron Von Adeldoch au sud, que la Martre recrute en masse et sur ses deniers personnels la lie des tavernes. Toute brute qui tient suffisamment debout pour recevoir un ordre et un gourdin est jugée apte à rejoindre ces milices. Avec des résultats contestables.

L’irruption dans les rues de ces loubards lamentables chargés de rétablir l’ordre et surtout d’assurer le recouvrement de l’impôt dans les quartiers les plus sensibles n’a rien fait pour améliorer l’image des Topenheimer dans la ville franche. Les affrontements n’ont pas diminué pour autant ; à la brutalité des miliciens, et à leurs pillages, a vite répondu la violence de gangs criminels qui ont pris certains districts sous leur protection – chère payée, réalisant de facto une scission d’une partie de la ville. Les forces Wissenlandaises quant à elles ne savent guère comment se comporter vis-à-vis de ces auxiliaires honteux qui jouent les champions de la justice ; une ou deux rixes sanglantes ont suffi pour que les deux bras armés de la Martre s’évitent désormais soigneusement, et chacun semble vouloir faire régner l’ordre à sa façon, doublant l’arbitraire d’une bonne dose de confusion.

Au milieu de ce chaos, depuis le petit bordel qui lui a été confié, Viviane navigue à vue. Arrivée du Sud en terrain inconnu mais ami, elle a dû prendre ses marques et temporiser ses envies d’action. Il lui faut le temps de se construire un réseau, des fidélités, des attaches. Les clients – principalement des petits bourgeois ou des artisans - comme les filles – une poignée de nanas de fraîcheur diverses mais dont elle s’est assurée de la loyauté sans faille – sont son premier cercle, celui où elle vient recruter ses fidèles. Et au-delà, qui se construit pièce après pièce, le second cercle, celui qui compte, les informateurs, les agents. Et parmi ces agents, les livreurs, comme Pieter.

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise Pieter au juste ? »

« Tu as vu le bordel -pardon pour l’expression- que c’est dehors, oui ? Ce que je dis, moi, c’est que peut-être qu’ils pourraient se bouger un peu le cul le patron et les autres. Parce que chauds comme ils sont les mecs de Pfeidorf, la révolution ils vont la faire sans nous, oui. Et le reste du Sudenland ils pourront se le carrer où je pense... »

Viviane force un sourire qu’elle veut léger, face à ce qu’elle sait être la pure vérité. Sa dernière lettre au Baron, sous couvert d’optimisme, revêtait strictement les mêmes craintes. Mais il était hors de question de les exprimer devant Pieter.

« Tu exagères toujours… »

« Nan. Nan. Nan. Crois-moi. T’es pas d’ici toi. Moi oui. Les mecs qui crament tout dehors, ils veulent pas le changement, ce qu’ils veulent, c’est le bordel -façon de parler hein. Juste foutre le chaos. C’est atavique, ils sont cons comme mes pieds. Ils voient rien, rien d’autre que leur gueule. Ils veulent dégager la Martre, les Wissenlanders, les Tiléens, et après ? Après, ils s’en foutent. Ils veulent juste dégager tout le monde !

Voilà qui c’est dehors, oui. Et du coup explique. Oui, tu m’expliques comment on va faire pour les convaincre que c’est nous la solution de leur problème ? Tes putains d’enculeurs de moutons, c’est la solution pour eux tu crois ? Jamais ils vont comprendre ça Viviane. Nan. Ils sont cons comme mes pieds. C’est la vérité. On devrait pas risquer notre peau pour ces macaques. »


Tout en grognant, Pieter replie sur les tracts un vieux linge, l’emballe dans un baluchon sommaire, et se dirige vers la sortie. Sans cesser de sourire, Viviane le regarde ouvrir la porte et jeter un regard en coin au couloir avec un air hargneux, comme si l’angle du mur était responsable de tous les maux qui s’abattaient sur Pfeidorf. Et se retourner vers elle.

« Franchement tu es sûr qu’il sait ce qu’il fait ton baron là ? Redis-moi ça. »

Depuis tout à l’heure elle attend cette phrase. Elle fait partie du rituel de Pieter, celui qui fait de lui un fidèle parmi les fidèles. Et qui compense largement son langage fleuri. Elle lui répond.

« Le baron sait ce qu’il fait Pieter. Au printemps, on dégage la Martre, c’est promis. »

La grimace de Pieter se change en sourire l’espace d’un instant. Puis avec un vague salut militaire et il disparait dans le couloir avec son balluchon. Laissant derrière lui un vague grommellement.

Le sourire de Viviane s’efface aussitôt, et elle s’assoit lourdement sur le lit.

« Ça, j’espère qu’il sait ce qu’il fait, oui. »

Elle préfère ne pas imaginer ce qui arriverait sinon.

Printemps


Anton se redresse et soulève un lourd maroquin en peau de mouton. A l’intérieur une correspondance à l’écriture nerveuse, celle de Viviane, se déploie en multiples feuillets souvent recouverts d’un jargon chiffré dont ils ont convenu ensemble avant son départ. Cà et là quelques paragraphes plus explicites détaillent en quelques phrases détaillées l’avancée de ses travaux ; dans ces messages plus libres, probablement expédiés par un passeur sûr, pour qui sait lire entre les lignes Viviane glisse ses doutes et ses craintes, dans l’ombre de ses rapports factuels et optimistes.

Le baron n’a pas besoin de les relire. Il les connaît par cœur. Il a d’ailleurs longtemps pesé le pour et le contre avant de décider de les garder plutôt que les détruire, mais il lui semble important si quelque chose lui arrive que son successeur ait à sa disposition de quoi utiliser au mieux les talents de sa jeune générale.

L’hypothèse de sa propre mort n’est pourtant pas une considération habituelle au baron. Mais l’hiver a été dur, très dur, tant physiquement que moralement ; et pendant les nuits de blizzard, plongé dans le doute sur l’avenir, le baron n’a pas pu s’empêcher de céder à ces considérations morbides qui peuvent, si elles se font trop fréquentes, miner un esprit et une armée en quelques mois.

Mais le printemps est là, et avec la neige les pensées morbides ont reflué vers des régions moins accessibles. Le sang circule à nouveau, vif et éprouvé par les rayons du soleil, et avec lui l’excitation et l’impatience renaissent, ne laissant plus guère la place au doute. Désormais, le temps est à l’action. Et l’action commence tout à l’heure, avec la réunion du Conseil. Après ce Conseil, l’Armée se mettra en marche, Anton l’a déjà décidé dans le fort de son être. Tous ses hommes le demandent. Ils ne veulent plus attendre. Et lui non plus.

Aussi, en prévision de l’imminent départ, le baron met un dernier ordre à ses affaires : il rédige des courriers indispensables qui ne pourront être faits dans l’effort de la marche ; il brûle les documents qui ne doivent jamais tomber dans d’autres mains que les siennes ; il consigne, enfin, ses instructions sur ces feuillets volants paraphés de ses initiales, AVA, dont il a presque fait un sigle, un nom de guerre, et qui dans quelques heures mettront en mouvement des hommes et des femmes, vers le péril ou vers la gloire.

A ce moment, pourtant, tout n’est pas encore clair pour le baron. Au cours de ce terrible hiver, sa parole a essaimé avec difficulté par des parcours sinueux, au creux des besaces de courageux marcheurs, en direction de mystérieux interlocuteurs, à une cadence que nulle au sein du Conseil ne semble soupçonner, au point même qu’en dépit de son sérieux rationnement, la réserve d’encre et de feuille s’est plus d’une fois approchée du point de rupture. Mais certaines choses n’ont pour autant jamais été tranchées ; et au milieu de ses dossiers, des cadavres de sa pensée et des reliefs de décisions passées, Anton fixe non sans malaise les quelques feuillets empilés qui sont autant d’arbitrages restés en suspens et que l’imminence du départ rend désormais nécessaires.

Non sans soupir, il s’empare de quelques billets mystérieux auquel il n’a jamais voulu accorder l’attention nécessaire. Quand le Prince sera mort, brûlez les Silos à grain. Par Morr. Qui ? Qui ? Qui pouvait savoir ? Qui pouvait lui faire porter ce billet dans sa tente même ? La question, lancinante, lui renvoie à nouveau son impuissance en pleine face, et il ressent immédiatement le besoin de défausser ce billet et les autres. Mais cette fois-ci, il résiste. Il ne peut pas se le permettre. Il faut prendre une décision.

Mais il est surpris de la facilité qu’il éprouve soudain à la prendre. Il n’a pas les moyens d’atteindre pour l’instant les greniers, sans mettre Viviane en danger. Ce n’est pas encore le moment. Mais lorsqu’il sera prêt, les greniers brûleront, oui, c’est certain. C’est un maître atout, qu’il faudra jouer au bon moment, mais il sera décisif. Et si Viviane fait bien son travail, ce sera avant que les forêts ne jaunissent à nouveau.

Rasséréné.

Avec un air carnassier, il jette dans un braséro les billets du mystérieux inconnu.

Pas d’instruction, personne. Pas à lui. Son tempo. Son plan. Ses choix. Et Morr jugera de ce qu’il en sortira de bon.

Il ne reste devant lui que quelques missives et notes arrivées ce matin.

Un mot de Ludwig, à propos de la décision à venir lors du conseil. Anton la rejette, sans la lire. Il connait par cœur les arguments de chacun, ressassés au sein de l’hiver. Sa décision est prise. L’Armée d’Indépendance n’affrontera pas le Major, son adversaire, en pleine campagne. Sa guerre n’est pas une guerre noble, c’est une guerre sale, une guerre d’usure. Battre le major à ce stade avec des troupes sous-entraînées sera un miracle qui ne rapporterait rien ; perdre, ce serait signer la fin de l’Indépendance. L’Armée sera là où le Major ne sera pas, voilà sa ligne de conduite, voilà ce qui sera dit au Conseil.

La pensée de devoir se battre à nouveau pour imposer ses vues à une partie du Conseil enflamme soudain l’esprit d’Anton ; il anticipe le combat, et cela l’excite ; il anticipe le dépit et les contre-arguments cent fois entendus, et cela l’exaspère ; il anticipe sa victoire, et il bout d’impatience et de satisfaction. La perspective du départ après cette longue station le rend à son tour hystérique.

Son regard trouble plongé dans un avenir proche déchiffre avec peine la lettre suivante. Viviane semble une fois de plus avoir fait un excellent travail, et l’idée de Viviane, de sa compétence, de sa silhouette aussi, achèvent de porter à bout de nerf l’esprit du baron. Il relit avec peine les conclusions, puis laisse éclater sa satisfaction d’un grand rire, un rire de victoire et de joie. Jamais il n'avait douté d'elle mais ce succès si rapide l'enchante. Sans attendre, il classe, il classe et passe au document suivant, d’un geste nerveux, hâtif.

Pour la première fois depuis que leur correspondance débute, Anton range dans le petit marocain de cuir de mouton un compte-rendu de Viviane sans avoir lu entre les lignes ce que son agent le plus dévoué ne voulait pas tout à fait lui cacher.

Hiver


« Faire engager auprès de la Martre un de nos agents ? Mais il est fou ? Comment est-ce que je suis sensé faire ça moi ? »

Viviane contemple par la fenêtre étroite le déluge qui s’abat sans discontinuer depuis quelques jours sur les quartiers grisâtres de Pfeidorf. Les trombes d’eau crépitent sur le toit, et masquent presque les halètements rauques et les gémissements qui transpirent régulièrement d’un mur ou de l’autre de sa chambre, au premier étage de la maison de passe.

Elle tient à la main un des mots incisifs du baron, remis à l’instant par un gros paysan à l’air faussement benêt, qu’elle soupçonne d’être à l’origine des
« ahan » puissants qui proviennent du plafond, et qui couvrent les petits cris aigrelets de Lara, la fausse rousse de la bande. Au bas du mot les initiales, AVA, ne permettent aucun doute, pas plus que les instructions explicites dès lors que l’on maîtrise le code employé.

« Un petit soleil doit intégrer l’orbite du Gros Rat ; on pourra observer les autres planètes de l’orbite avant le printemps. AVA. »

Le Gros Rat, c’est la Martre, l’orbite, son premier cercle. Les autres planètes, de l’orbite c’est donc les familiers de la Topenheimer. Le baron exige quelqu’un dans le premier cercle pour pouvoir connaître ceux qui sont le plus cher à son ennemi. Une liste qui trouvera toute son utilité au printemps, lors de l’offensive sur Pfeidorf que Viviane pense certaine. Mais en attendant, comment faire ?

Peut-être qu’il y a quelque chose à tenter du côté des valets. Il paraît que la Martre a fait renvoyer une demi-douzaine d’entre eux parce que leur accent du Sud lui est devenu insupportable. Le fils de Lara ferait parfaitement l’affaire. Mais de là à le faire engager, surtout en cette période de paranoïa aigüe ? Impossible !

Sauf peut-être en passant par ces brutes de la milice. Leur brutalité et leur bêtise les ont fait monter rapidement assez haut dans l’estime de Molly Topenheimer, et leur chef, Gerardt Strömel, est réputé avoir son oreille depuis que ses hommes sont devenus clefs dans la collecte de l’impôt. En dépit de sa récente célébrité, il reste plus facile à approcher que les cercles habituels de la noblesse locale.

Viviane se mordille la lèvre, pensive.

Un des capitaines de la milice a ses habitudes au bordel. Un type frustre, mais pourquoi ne pas tenter par là. Par lui, il est possible de gagner Strömel, et par Strömel d’atteindre la Martre…

Le chemin se dessine. Il ne reste plus qu’à passer aux actes. Mais elle sent au fond d’elle-même une espèce de poids, un instinct qu’elle n’a pas l’habitude d’ignorer, qui lui hurle de faire attention. Elle sait que cette demande du baron va lui coûter cher.

Pourvu que ça ne soit qu’une question d’argent.

Printemps

L’argent, encore l’argent, toujours l’argent ! N’ont-ils donc que ce mot-là à la bouche ?

Toute sa vie, Anton a veillé à ne pas en avoir besoin. Noble provincial élevé dans le culte des économies, il n’a guère connu que les excès à Nuln, alors étudiant. Depuis qu’il est baron, son plus grand soin a été de ne rien dépenser que le strict nécessaire.

Et aujourd’hui, il observe avec hargne la feuille épaisse devant lui qui détaille les ressources de l’Indépendance, et les coûts de l’Armée. Faire les comptes l’épuise mentalement. Chaque nouvelle entrée soigneusement inscrite est vécue comme une humiliation, la soumission de son génie politique à la platitude des chiffres.

Il sait pourtant que sans argent il n’est de politique ni d’armée victorieuse. Et c’est pourquoi, malgré lui, il met la tête dans les comptes, une dernière fois avant que l’Armée ne se mette en route. Secrètement, il espère ne plus avoir à s’en charger avant le prochain hiver. Il rêve d’action, de discours, d’énergie donnée et reçue, d’une série d’événements prenants, excitants, qui ramèneraient les histoires comptables à leur place, c’est-à-dire au fond d’un maroquin en cuir de mouton, dûment scellé.

En soupirant, il prend la liasse suivante. Il s’agit de la liste des biens prélevés par les Indépendantistes à Kropenleben, avant le départ pour les quartiers d’hiver. Poulets, bois de chauffe, couvertures… les braves gens du lieu avaient donné de plus ou moins bon grès de quoi passer un hiver supportable à leurs libérateurs. Soigneusement, les hommes du baron avaient réalisé l’inventaire des dons faits à l’indépendance, et rédigé de petites reconnaissances de dettes, qui étaient allées consoler les paysans dont le garde-manger paraissait bien vide désormais. Bien sûr, personne là-bas ne savait lire, mais enfin tous avaient vu le baron apposer lui-même sa grande signature sur les morceaux de parchemins, à côté de leurs propres croix maladroites tracées à l’encre, et on leur avait lu ligne par ligne le décompte des
« emprunts » ; évidemment, le remboursement n’aurait lieu que lorsque le Sudenland serait à nouveau indépendant et le Baron aux affaires, mais c’était tout de même rassurant de savoir que les Indépendantistes étaient des gens « d’honneurs et qui respectaient la loi et la propriété », comme l’avait rappelé non sans astuce le bourgmestre.

Mais enfin, la liste reste tout de même conséquente. Le nombre de poulet que dévore à la journée une armée en campagne ne se lasse pas d’impressionner le baron, qui conçoit semaine après semaine un respect de plus en plus mortifié pour le travail de Erst de Lippe et ses équipes de fourrageurs. Leur efficacité s’est faite redoutable, et l’hiver, bien que difficile, aurait pu être fatal à toute l’entreprise si les quartiers d’hiver avaient été pris plus tard, ou moins bien préparés.

En vivant sur la campagne locale, et avec l’aide judicieuse de ces reconnaissances de dettes, ils ont finalement réussi à passer cette période difficile sans toucher aux fonds de l’Indépendance, résultats heureux des malversations de Pfeidorf. A cette pensée, Anton s’accorde un sourire. Il sait que l’Indépendance demanderait bien plus qu’une victoire armée. Convaincre la noblesse, s’acheter des alliés, s’équiper… tout ça s’avérera très vite très couteux. Et ces fonds secrets-là s’épuiseront très vite, il le sait.

C’est bien pour cela d’ailleurs qu’avant de prendre les quartiers d’hiver, il a mis sur pied les équipes de collecteurs. Se financer sur ses amis, c’est la base. Mais rien de tel que de prendre sur l’ennemi…

Automne


Le gros homme sort une tête apeurée du chariot, puis la rentre bien vite après avoir aboyé quelque chose. Le cocher nous a vu, et il a ralenti, mais son patron a l’air décidé à nous passer dessus, il lance son attelage à pleine vitesse. C’est un peu ridicule. Oswald siffle et un arbre s’abat à travers la route. A posteriori, le timing était plutôt bon.

Le cocher le voit et cette fois-ci il tente de s’arrêter complètement mais c’est un peu tard, et sur la route humide les jarrets s’arquent en vain ; avec l’inertie les chevaux vont donner du train avant sur le lourd tronc et se fracassent les pattes. Un d’entre eux saute par-dessus péniblement, mais l’autre est percuté dans un bruit horrible par le corps du chariot, tandis que tout l’attelage se renverse. Le cocher a pu sauter à temps, il se relève en boitant et part sans demander son reste.

Nous nous rapprochons lentement. Il n’y a pas besoin de dire quoi que ce soit, et pourtant le gros Oswald se sent obligé de nous présenter.

Pour toute réponse une portière s’ouvre et un type tout petit avec une énorme épée descend. Il a l’arcade sourcilière défoncée, et je me demande un peu comment il peut voir avec tout le sang qu’il a dans les yeux. Depuis l’autre portière, la tête entraperçue nous guette avec des yeux horrifiés. Je laisse Ludwig s’occuper de lui, perso je suis plus intéressée par le petit gars.

Il a pris son arme en main, et s’avance vers moi en m’insultant. J’avoue qu’il a l’air de savoir un peu ce qu’il fait, sa garde est bonne, et l’épée a l’air d’avoir fait un tour chez le forgeron récemment. Prudemment, je recule d’un pas ou deux, et je tente de négocier. Il n’a pas l’air d’en avoir envie.

Derrière nous un coup de feu claque, suivi d’un juron. Putain. Je jette un œil, c’est la lopette dans le chariot qui n’est pas si froussard que ça apparemment, mais si Ludwig est encore en état de jurer c’est que le coup l’a manqué. Je vois que mon adversaire lui aussi se demande s’il ne devrait pas intervenir plutôt que de s’occuper de moi. Mais c’est un peu tard. Ludwig défonce la portière, il jette le mec au sol, il le plante plusieurs fois assez violemment. Il a dû avoir peur avec le coup de feu.

Le spectacle n’est pas très beau, alors mon petit gars s’est décidé, il hurle et fonce vers eux en me tournant le dos, j’en profite pour lui enfoncer mes deux coutelas à la base de la nuque.

Il s’effondre lui aussi.

Putain.

Cette fois-ci faut quand même dire que ça ne s’est pas très bien passé. Deux cadavres, c’est assez pour que la région grouille de wissenlandais dans les prochaines semaines. Encore un raté du gros Oswald, décidément c’est pas le mojo ces temps-ci.

L’autre Ludwig est déjà en train de farfouiller dans le véhicule. Il ressort avec un sourire satisfait et une grosse caissette aux armes de la Comtesse. Visiblement les renseignements étaient bons. Je me rapproche pour voir. Les registres qui l’accompagnent sont épais. On va avoir du boulot pour rendre l’argent à tous ceux à qui ces rats du Wissenland l’ont pris.

J’ai beau avoir plus de cerveau que les deux Ludwig réunis, je ne comprends toujours pas très bien pourquoi on se casse le cul à piller les collecteurs de taxe si c’est pour garder que les deux tiers de leur pognon. Franchement la tentation de tout garder est assez forte. Mais je sais que les mecs de l’Indépendance vont demander les registres à la fin, je ne préfère pas avoir les ennuis. J’ai vu une fois Doppelgänger décapiter un mec en pleine conversation, ça vous fait passer le goût de l’initiative pour un moment.

A tout compter l’Indépendance c’est pas mal comme situation ; je bosse en équipe, on a toutes les infos des passages de collecteurs, je fais plein de pognon et quand je me pose dans une taverne les ploucs me payent des coups. A part la frustration de filer 30% aux villageois et 50% à l’Armée du Sudenland, franchement je vois pas pourquoi il y a encore des mecs qui continuent à bosser en solo…

Tiens je vais demander à Double Coup ce qu’il en pense…

« Eh Double-Coup, tu sais toi… »

La voix de Tristes Noces s’éteint dans sa gorge.

Un groupe d’Archers vient d’entrer dans la taverne.

Printemps


Claquement de porte et ruée à l’intérieur. Un homme portant la tenue reconnaissable entre toutes des Tondeurs fait irruption et se met à gueuler sans respect du protocole.

La discipline fond comme neige au soleil au sein de cette Armée, songe Anton tandis que l’énergumène reprend son souffle et que les braves conseillers entament leurs petites oppositions mesquines habituelles.

Le baron observe posément le débat s’enflammer ; c’est à se demander si un seul des conseillers n’a jamais été d’accord avec un seul autre. En toute situation, à chaque prise de décision, deux camps se forment systématiquement, dans un mouvement d’une harmonie remarquable. Sitôt le problème posé, Ernst de Lippe a son opinion, Ludwig a la sienne, et si par hasard extraordinaire ils sont d’accord, alors on peut être certain que tous les autres seront contre.

Il y a certainement là une loi universelle dans le monde des conseillers. Finalement, je n’existe que parce que je suis en désaccord. Si tous les conseillers sont toujours du même avis, il suffit de n’en garder qu’un, aussi, j’ai tout intérêt à être contre l’idée du voisin. Phénomène fascinant, et probablement inconscient et contre-productif.

Est-ce que les conseillers de Magnus le Pieux l’avaient lui aussi abreuvé de conseils contradictoires pendant des heures avant qu’il ne décide de marcher vers le nord pour les faire taire une bonne fois pour toute ?

« Messieurs, messieurs !

Nous sommes l’Armée légitime du Sudenland, et en tant que tels nous sommes bien évidemment soumis au respect des engagements pris envers nos alliés. Ce n’est pas une bande d’orque qui va nous empêcher de secourir ceux qui demain peuvent nous aider dans notre quête légitime.

Maréchal von Ülmer ? »


Le ton d’Anton claque désormais. Ludwig se redresse malgré lui, à l’appel du titre. Contrastant avec l’atmosphère chaotique de l’irruption du tondeur, l’ambiance se fait désormais solennelle, et tous les yeux se tournent vers Anton et le Commandant en chef de la Première Armée du Sudenland. Le tondeur lui-même, le souffle toujours court et inconscient de l'incongru de sa présence incongrue à cet instant décisif de la vie de l’Armée, se redresse et ouvre de grands yeux ronds.

« Je suis à vos ordres barons. »

« Retrouvez-moi dans quinze minutes avec tous ceux que vous avez pu réunir pour un départ immédiat.

Von Wirth ? »


« Baron. »

« Vous et De Lippe êtes responsables de la bonne levée du camp. Nous esquiverons le Feld-Major et filons par les cols dès cette affaire d’orque résolue.

Gonfalonier, je vous laisse moins d’une heure pour rassembler une troupe pour nous porter soutien dans le cas où la menace orque s’annoncerait trop coriace pour notre avant-garde. »


Von Ülmer se lève, dans un grincement de chaise, comme l’ensemble des conseillers.

« Messieurs, il est temps de passer à l’action. »

Un instant plus tard, des cris résonnent dans le camp de l’Indépendance, et les bruits de pas précipités emplissent le plateau.

Émue et hâtive comme une amante qui s’apprête pour son fiancé, l’Armée de l’Indépendance se prépare à la guerre.

Hiver


Elle étale sur ses joues désespérément pâles la poudre qui doit leur rendre leur généreux coloris. Les nuages de poussière carmin envahissent les abords du lourd miroir gothique qui lui fait face, dans l’inquiétant faisceau de lumière d’une demi-douzaine de belles chandelles.

Viviane se prépare.

Ses cheveux teints ont pris une étrange couleur rouge. Ses lèvres sang tranchent sur ses dents superbes. Ses ongles longuement travaillés ont la longueur idéale pour laisser sur l’épaule d’un homme cinq trainées de passion, fruits de l’étreinte, profonds comme le désir mais juste assez pour ne pas aller jusqu’au sang.

Elle ajuste une robe dans laquelle elle se sait irrésistible. Elle a toujours été non belle mais désirable, et sa voix rauque y est pour beaucoup ; mais les fonds de l’indépendance et sa volonté de monter le standing de son bordel lui ont amené des tenues et des soins qui la transforment en femme auquel peu d’hommes peuvent refuser quoi que ce soit.

Viviane se prépare à rencontrer Strömel, le chef des miliciens.

Elle sait que c’est le sens du marché qu’elle a passé indirectement avec le capitaine de la milice qui baise Lana toutes les semaines ici. Elle sait que pour Strömel, elle est une femme qui cherche à caser son fils auprès de Etelka Topenheimer, pour garantir son avenir. Elle sait qu’il est persuadé que le petit est le fils d’un noble et d'une putain - elle.

Elle sait aussi ce qu’a répondu Strömel. Que si son cul vaut la peine, l’affaire est pliée.

Viviane sait que son cul vaut la peine. Et même si depuis qu’elle a rejoint l‘indépendance elle a arrêté de coucher avec des types pour de l’argent, elle sait qu'elle ne peut pas envoyer une autre fille qu'elle. Elle connait son devoir.

Alors elle se prépare à rejoindre Strömel. Elle connaît l’auberge miteuse où le capitaine lui a dit de se trouver ce soir. Et le poids dans son ventre qui est là depuis le début de l’hiver dernier ne s’est toujours pas enlevé.

Automne


Prête à en découdre. La tension est montée d’un coup. Il n’y a pas eu besoin de se parler. Les Archers ont tout de suite compris à qui ils avaient à faire. Les premiers sont rentrés, les ont vu, se sont tus, les autres sont rentrés en les bousculant en grognant puis se sont tus à leur tour.

Dans cette atmosphère surréaliste, Oswald a enlevé ses pieds de la table, la Fouine qui se balançait sur sa chaise a fait atterrir les quatre pieds au sol, Albertus a posément laissé sa pipe s’éteindre. Le tenancier de la taverne regarde horrifié la scène, sans oser émettre un son.

Tristes Noces pose les mains sur ses genoux, à proximité de la table et de ses coutelas. Il ne lui faudra pas plus d’une seconde pour s’en saisir.

Les clients se massent à l’arrière de la salle, les habitués contournent le comptoir pour atteindre la porte qui mène à la cave et probablement à une sortie par une trappe sur le côté de l’établissement, là où sont livrés puis stockés les fûts.

Ce petit mouvement continu marque le passage du temps. Ils sont bien une dizaine, avec leurs gueules bouffies d’arrogance et de bêtise. Dix, c’est compliqué mais ça n’est pas impossible. Ce qu’il ne faudrait pas, ce serait qu’ils aillent en chercher d’autres, la Régulière ou des Archers comme eux.

Le mieux reste encore de s’assurer que pas un ne quitte l’Auberge. Pour ça le plus efficace reste encore de les énerver suffisamment pour qu’ils y restent tous.

« Fils de putes. »

Hiver


Je ne suis pas une pute.

C’est ce que se répète Viviane.

Je ne suis pas une pute.

Je suis une guerrière de l’Indépendance, et mon corps est mon arme.

Je ne suis pas une pute.

La porte de la chambre miteuse de l’auberge s’ouvre.

L’énorme silhouette de Strömel, qu’elle a entre-aperçu tout à l’heure dans la salle en train de boire avec ses lieutenants s’encadre dans la porte.

Il a le sourire d’un homme qui a trop bu.

Viviane se force à ne pas se recroqueviller sur le lit où elle a étendue sa longue cape qui a masqué son arrivée.

Elle espère qu'il n'est pas trop saoul. Elle n'y croit guère.

La brute avance en ricanant.

Puis une autre s’encadre dans la porte.

Puis une autre.

Il n’est pas monté seul.

Viviane sent son sang se glacer.

Automne


Ils prennent leurs armes à la main, lentement, sans gestes brusques.

L’insulte résonne encore, et plus personne ne bouge dans l’auberge.

C’est insensé que l’immobilisme tienne si longtemps.

Tristes Noces se surprend à fixer un peu stupidement le type en face d’elle. Il est blond, l’air un peu idiot, avec une barbe imparfaite qui ne se dessine pas très bien sur la mâchoire.

Elle fixe avec une étrange intensité le grain de beauté sur sa joue gauche ; ses étranges couleurs, son long poil qui dépasse, la forme irrégulière sur le grain de la peau…

« Bâtards. »

Ils se ruent les uns sur les autres. Dans le feu de l'action, elle perd de vue le grain de beauté.

Printemps


La marche rapide les emmène au bout de quelques heures à une corniche qui domine le champ de bataille. Depuis plusieurs minutes déjà les clameurs et les coups de feu résonnent à leurs oreilles, et il n’est pas très difficile de saisir que la fréquence des détonations diminue progressivement. Les nains ne doivent pas en mener large.

Le Tondeur les guide judicieusement, et le paysage qui s’ouvre sous leurs yeux est des plus désespérant. Les nains sont acculés, une petite barricade protège les survivants des reflux de la marée verte qui s’abat sur eux. Orques, gobs, et même sangliers vont et viennent, épuisant les défenseurs qui tiennent encore bon pour l’instant. Impossible vu d'ici de chiffrer les forces en présences, mais les peaux-vertes sont dans une position plus que confortable.

L’assaut fait rage, et au milieu de la brutalité des combats la survie des nains est une question de minutes.

Automne


Tristes Noces éclate de rire en parant d’un large coup de coutelas la lame de son adversaire. Le goût du combat est en elle comme jamais. Les coups et les grognements de ses camarades à ses côtés l’enchantent. Elle aime le sol glissant de bière et de sang, le regard apeuré de l’Archer qui lui fait face lorsqu’elle lui ouvre une longue estafilade dans le bras. Elle ne pense plus à rien, à rien d’autre qu’à son combat, l’esprit concentré entièrement sur ses mouvements et ceux de son adversaire, elle l’accule encore et encore, dessine une nouvelle ligne de sang sur sa cuisse, et lorsque les yeux du pauvre type baissent par réflexe pour comprendre sa douleur, elle se rapproche de lui brutalement, sous sa garde, et l’enlace en lui enfonçant dans l’abdomen son long coutelas.

Obscène rapprochement, contact physique si fort entre ce corps où elle sent que la vie pulse en jets de sang le long de sa lame, tandis que les yeux se voilent ; elle sait que le ventre est ce qui fait le plus mal, et elle tourne la lame amoureusement, en tenant fort cet homme, très fort, pour l’empêcher de la quitter, de s’éloigner d’elle. Il meurt comme ça contre elle, et elle est trempée de son sang, et d’excitation, et elle lui lèche l’oreille avant de le dégager brutalement et de hurler, hurler avant de sauter sur sa prochaine victime.

Hiver


Elle ne parle pas, dit pas un mot, elle n’a rien dit mais gémi de temps en temps, comme si elle aimait ça, elle leur dit des mots excitants pour qu’ils se sentent en contrôle, elle se dégoûte d’y parvenir, elle n’y pense pas, un peu quand même. Elle s’étouffe avec l’un, caresse l'autre, elle essaye de les toucher tous assez, elle ne veut surtout pas qu’ils prennent trop l’initiative, qu’ils soient sur elle, elle ne veut pas ces porcs saouls sur elle qui pourraient la tuer sans s’en apercevoir. Elle leur fait du bien, elle les hait, elle se hait, elle crie et elle casse le bassin au moment où un la tire par les cheveux et elle fait mal à celui qu’elle chevauche, il la frappe, elle rampe, elle supplie, elle le prend dans la bouche, il est content, un autre la tire à elle. Et ça recommence.

Elle sent qu’elle pleure et elle cache ça sous ses cheveux rouges, dans la salive, le sperme et même le sang qu’elle a autour de la bouche. Elle a recours à tout son art pour qu’ils jouissent vite, vite, qu’ils la délivrent. Mais ils sont saouls, ils bandent mal, et ils pensent que c’est sa faute, ils la cognent. Ils n'assument pas leurs sexes mous devant leur chef.

Printemps


« Le gros là, c’est leur chef. Pour sûr. »

L’homme a des meilleurs yeux qu’Anton. La bête ignoble est effectivement bien en évidence. Elle attend la curée, à bonne distance des arquebuses naines. Probablement moins stupide que ses congénères. Et un peu plus gros aussi.

D’un geste, le chasseur désigne le chemin le plus court pour rejoindre la caravane naine. Elle passe par l’emplacement du chef orque. Anton se retourne et demande confirmation du regard ; Ludwig hoche la tête, mâchoire contractée. Doppelgänger frotte pensivement sa lame. L’occasion est belle, trop belle.

Ils quittent la corniche sans bruit.

Hiver


Chuchotement.

« La prochaine fois je te garde que pour moi. »

Elle est prostrée sur le lit, les soudards se sont endormis par terre, dégagés par le gros Strömel. Viviane a les yeux secs. Elle ne répond rien. Le gros porc le sent, sent qu’elle est précieuse. Il hésite.

Il croit savoir qu’elle a baisé un noble, elle a peut-être encore des relations, et ça l’excite, et ça l’effraie.

« T’inquiète pas. Ton marmot demain il est au service de Etelka, le cul au chaud. Qu’est-ce que tu en dis ? »

Elle le hait. Mais elle doit se forcer. Elle n’arrive pas à parler, elle ne pourra pas sans lui cracher dessus. Elle se love contre lui et l’embrasse contre le cou.

« C’est bien. Et puis si tu veux qu’il y reste, on va se revoir. »

Il sait qu’elle ne veut pas, il attend qu’elle se crispe, c'est un jeu vicieux qu'il joue, à tester son pouvoir. Mais elle respire lentement, elle l’embrasse encore dans le cou, il bande un peu, mais l’alcool le pousse à dormir.

« J’adore les putes comme toi qui aiment le sexe. »

Viviane compte les ronflements. Elle quitte la taverne. Elle n’a pas réussi à récupérer sa cape sur laquelle un des deux porcs s’est endormi.

Elle l’a reconnu. Il vient parfois au bordel. Lui ne l’a pas reconnue, déguisée en pute de son boss aux cheveux rouges. Coup de chance.

Elle n’a plus qu’une seule peur, c’est que dans la nuit et cette tenue elle se fasse agresser à nouveau.

Automne


Elle n’a pas peur. Elle se sait invincible. Les Archers sont en difficulté, parce que trois des mecs de la taverne se sont joint aux indépendantistes et bloquent la sortie. La petite troupe est désormais dos au mur, et plusieurs ont rejoint le sol.

De leur côté, un des Ludwig a le bras qui pend curieusement, et le gros Oswald est allongé dans un coin ; rien de grave, parce que Tristes Noces l’a vu ramper pour se mettre un peu à l’écart de la mêlée. Ils s’en sortent bien, mais l’affaire n’est pas finie.

Elle a horreur des pauses. L’adrénaline qui retombe, c’est le pire. Elle prend un tabouret, le jette en direction d’un des Archers, et s’élance à sa suite.

Hiver


Strömel monte d’un pas lourd les escaliers qui mène aux chambres de l’auberge. Il monte seul cette fois. Il a vu la cape monter les escaliers un peu plus tôt, il sait que la femme aux cheveux rouge est là pour lui. Il sait qu’elle sera bonne, très bonne avec lui, parce que son gosse a intégré les valets des Topenheimer, d'Etelka comme il l'appelle comme pour se prouver son nouveau pouvoir.

A l’idée d'Etelka, comme à l’idée de la cape, il bande. Il bande non sur les femmes, mais sur le pouvoir, son pouvoir, celui qu’il va exercer jusqu’à plus soif sur cette fille aux cheveux rouges qui vient jusqu’ici pour se faire baiser par lui capitaine Strömel, et il bande sur le pouvoir des Topenheimer qu’il sent glisser peu à peu vers lui. Il bande sur tous ces nobliaux sur lesquels il prend l'ascendant. Il bande aussi quelque part à l’idée de baiser Etelka Topenheimer, mais même son cerveau pourri par l’alcool n’ose pas aller jusqu’à formuler ouvertement ce fantasme. Cela viendra plus tard.

Son pas l’amène jusqu’à la porte. Il l’ouvre. Les volets sont fermés, mais il voit une forme sur le lit. Il va devoir la punir pour avoir éteint la bougie.

Automne


C’est un visage connu. C’est l’homme au grain de beauté. Entre deux voltes et une passe d’arme, Tristes Noces cherche à retrouver sur sa peau cette trace étrange.

Ils se tournent autour quelques secondes parce que le sol est glissant, que c’est le chaos, et qu’elle n’a pas envie tout de suite de lui ouvrir le ventre. Il y a longtemps elle a connu un homme avec un grain de beauté sur la joue.

C'était il y a si longtemps.

L’homme s’élance vers elle.

Printemps


Autour d’Anton les hommes courent. Ils connaissent les risques. Devant eux les nains meurent. Il faut parvenir à leur camp retranché en attendant les renforts. Et si on peut tuer le chef orque au passage, on le fera avec plaisir.

Les hommes se déploient autour de Von Adeldoch.

Le baron dégaine lame au clair.

Hiver


La forme bouge, intrigue Strömel. Ça n’est pas une forme de femme. Ses yeux s’ouvrent démesurément.

Bruit feutré.

Il se plie en deux, stupéfait, les mains autour d'un carreau d’arbalète qui lui sort du ventre.

La forme se rapproche rapidement. Un homme lui saisit doucement les cheveux et ouvre la gorge du capitaine.

Il s'écroule, incrédule.

Automne


Triste Noces s’effondre, surprise. Elle a un couteau dans le ventre. L’homme au grain de beauté ne la regarde même pas dans les yeux.

Il n’a pas vraiment le temps. Il la rejoint au sol, le crâne fracassé. Quelle connerie.

Elle va mourir dans cette taverne.

Printemps


Anton hurle et éclate le crâne du premier peau-verte surpris.

Ses ordres sont clairs et ses hommes hurlent tout autant. Ils chargent et les premières flèches quittent la corniche pour tomber dans les rangs des peaux-vertes stupéfaites.

L’adrénaline, celle que tous les soldats de l’Armée ont mise de côté pendant les soirs d’hiver, coule dans leurs veines et enflamment leur sang.

Pour l’Empire !

Hiver


Les cris d’horreur des passants qui s’enfuient créent des vagues ondulantes autour de deux cadavres chauds sur la chaussée. Une paire de miliciens, un carreau d’arbalète chacun planté dans le dos, perdent leur sang par deux balafres sanglantes à la base du cou.

Penchée à la fenêtre de sa chambre, Viviane esquisse à peine un sourire. Elle regarde le sang couler dans le caniveau, puis la garde régulière arriver. Enfin prise d’un frisson, elle se replie dans la chambre et ferme le volet de sa fenêtre. Sur son bureau, elle reprend sa plume, et entame une lettre qui mettra les dernières semaines de l’hiver à rejoindre son destinataire.

Mon cher Baron,

Un petit soleil a rejoint l’orbite du Gros Rat.

Cela m’a couté quelque peu, et je prie pour que ça en vaille la peine.

J’attends vos instructions.

Votre dévouée

Bluthaar
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 08 déc. 2019, 01:49, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Jets d'Att d'Anton (+1, Arme de prédilection) : 3, 7, 18.
Jets d'Att de l'orc : 7, 3, 15.
Jets de Par d'Anton : 8, 13, 10.
Anton perd 33 points de vie dans l'affrontement.
Il lui reste 42 points de vie.

Jets des chasseurs (+1 Tir, ennemis groupés) : 7, 16, 18.
Jets des épéistes : 8, 3, 10.
Jets des miliciens : 14, 15, 11.
Jets des orcs : 19, 18, 1, 3, 5, 16.
Jets des gobelins : 14, 18, 6.

Les flèches tirées par les chasseurs de l'Armée Libre du Sudenland fusaient depuis les hauteurs pour se ficher dans le dos de la horde des peaux-vertes. Des brutes s'écroulèrent tandis que leurs congénèrent poussaient des grognements rauques et s'envoyaient des mandales en essayant de comprendre de quoi il en retournait. C'est à cette instant que le tambour des Sigmar Deus, la compagnie d'épéistes, se mit à rouler. Le baron Anton von Adeldoch chargea à la tête de ses troupes, le maréchal Ludwig von Ülmer, les soldats, une compagnie de miliciens et le drapeau au soleil à sa suite. Les orcs et les gobelins massés au pied de la corniche rugirent en coeur et se retournèrent pour faire face à ce nouvel adversaire et les deux groupes se percutèrent avec violence. La discipline inculquée aux troupes au cours des derniers mois s'avéra salvatrice et les soldats opposèrent un mur de boucliers solide aux assauts rageurs des peaux-vertes pendant que les miliciens serraient les rangs. Les flèches continuaient de tomber depuis l'arrière, couchant les orcs isolés et les archers gobelins, tandis que le combat faisait rage sur la ligne au dessus de laquelle s'agitaient les étendards blanc et or des régiments. Profitant de la confusion générée par cette attaque surprise, les nains jusqu'ici acculé sur la corniche poussèrent une clameur et quittèrent leurs barricades de fortunes pour charger et prendre la horde en tenaille.

Le combat dura. Une fois la surprise passée, l'assaut des peaux-vertes se fit plus rageur et les hommes durent reculer peu à peu derrière leurs boucliers. Anton se retrouva rapidement aux prises avec un orc imposant qui agitait son kikoup comme un forcené. Le baron pouvait sentir le souffle de ses hommes derrière lui, et il se porta au combat. Ce n'est qu'après un affrontement brutal qu'il pu enfin planter sa rapière dans la gorge de son ennemi, tandis qu'il reçut une profonde entaille à l'épaule gauche, qui fut démise. Voyant leur chef blessé, deux épéistes se portèrent à son soutien pour le mettre à l'abri derrière la ligne. De l'autre côté de la corniche, les nains se battaient comme des beaux diables et la lutte était y plus acharnée encore. Puis un nouveau tambour se mit à battre, signalant l'arrivée de Karl von Ülmer, qui s'élança dans la mêlée à la tête des Piques de Herring et d'une nouvelle compagnie de miliciens. L'arrivée du gonfalonier et de ses hommes fit basculer le rapport de force et les hommes chargèrent en choeur pour faire reculer les peaux-vertes, qui étaient de plus en plus nombreux à mordre la poussière. C'est Joseph Herring, le capitaine des lanciers, qui donna le coup de grâce au chef de guerre orc acculé en lui enfonçant sa lance dans le buffet si fort qu'il en cassa la hampe. Bientôt, les derniers maraudeurs furent mis en déroute et dévalèrent la pente rocheuse sous les flèches des chasseurs et les insultes de la troupe.

Il ne restait plus qu'une poignée de nains qui s'avança au milieu des cadavres pour demander à voir le chef de leurs sauveurs. Anton se présenta alors, l'épaule en sang et bandée, et le bras en écharpe. Autour d'eux, les soldats faisaient le décompte des morts et des blessés et achevaient les peaux-vertes qui agonisaient encore. Un nain se détacha des siens et marcha vers le baron. Il portait une grosse armure tâchée de sang sombre, une barbe nattée et diadème sur le front au centre duquel brillait un gros rubis taillé.



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- "Je vous remercie de nous avoir porté assistance. Votre bravoure fait honneur aux umgis." dit-il avec l'accent rocailleux du peuple des montagnes. "Je suis Bremban Brarursson, fils du roi de Karak Gantuk et prince du clan Drungbaraz, et Grungni seul sait si nous aurions survécu sans votre aide." La mauvaise foi des nains était aussi légendaire que leur sens du devoir. "Considérez moi désormais comme votre obligé au nom de mon clan. Dites moi, umgi, comment puis-je m'acquitter de ma dette envers vous."

Tandis que les dépouilles des peaux-vertes étaient empilées les unes sur les autres pour être passées par les flammes, Bremban s'éloigna en compagnie d'Anton et l'avisa sur la situation dans les Montagnes Noires.

- "Les urks nous ont tendu une embuscade alors que nous rentrions de Karak Angazhar où je représentais mon père auprès du roi Gramrik Tête-de-Tonnerre." lui apprit le prince. "Les peaux-vertes s'agitent dans les montagnes depuis plusieurs saisons, maintenant. Les crues successives des années passées n'y sont pas étrangères, car la montée des eaux inonde les trous puants qui leurs servent de tanières et les pousse à l'extérieur où ils se livrent au pillage et aux rapines pour assurer leur subsistance. Jusqu'à présent les patrouilles de nos montagnards étaient suffisantes pour les tenir en respect, mais ils se montrent chaque jour plus audacieux. Le mois dernier, ce sont deux de nos fermes des basses terres qui ont été attaquées, et une bande en maraude a été interceptée près du barrage sur le Gudrugfluss, que vous umgi appelez l'Oggel. Des ouvrages de fortification sont en cours sur le barrage, mais doit-il être endommagé et ce sera toute la vallée en contrebas qui en pâtira. Du reste, les urks se rassemblent et leurs bandes grossissent, peut-être sous l'impulsion d'un chef un peu moins stupide que les autres. Quoi qu'il en soit, nous défendrons nos domaines des montagnes. Quant à vous, umgi, préparez-vous à protéger vos villages, car les urks viendront chercher plus bas ce qu'ils ne sauront prendre ici."

Le seigneur nain observa longuement Anton, assit sur une rocher. Derrière eux, les hommes du barons alignaient côte à côte les corps de ceux tombés au combat avant de leur offrir une sépulture, tandis que les nains récupéraient les leurs et les emmenaient vers ce qu'il restait de leur convoi.

- "Votre nom de m'est pas étranger, et nous savons que les affaires des hommes de la vallée sont au plus mal. Cette situation ne sied guère à nos marchands, dont j'entends les plaintes jusque dans nos halls. Vos routes ne sont plus sûres, les bandits pullulent et la guerre appauvrit votre cher pays. L'ambassadeur de notre peuple à Pfeildorf, Nôrund Noircharbon, a fait savoir aux rois des Montagnes Grises et des Montagnes Noires que c'est vous, Anton du clan Adeldoch, qui étiez à l'origine de ces perturbations. Aujourd'hui, nous sommes alliés et je vous suis redevable. Mais prenez gare à ne pas provoquer l'ire des nains, car une rancune doit être payée, qu'elle émane d'un guerrier ou d'un marchand. Et n'oubliez pas que pendant que votre peuple s'entre-tue, les urks se renforcent. Vous êtes l'un des héritiers de la terre qui s'appelait un jour Solland. Vous savez mieux que quiconque le sort qui attend ceux sur qui déferle la Marée Verte."
Tu perds une demi-compagnie de miliciens (25 hommes) et les Sigmar Deus sont suffisamment amochés pour ne plus pouvoir participer aux opérations pendant 1d2 = 2 semaines.

Afin de payer la dette des nains à ton égard, le prince Bremban peut t'offrir (au choix) :
Une armure complète avec heaume, cuirasse, spallières, gantelets et jambières, 15 points de protection, -1 Ini, -2 Att, Par et Hab
1 mortier avec barils de poudre et boulets explosifs
25 arquebuses
500 marks d'or
... (tu peux demander autre chose, à savoir que si cette demande est jugée avoir une valeur trop importante elle sera refusée.)


L'Armée Libre du Sudenland se mit en route dès le lendemain, quelque peu ralentie par les blessés de l'escarmouche contre les peaux-vertes et les difficultés qu'éprouvaient les servants du Loup Grondant à manœuvrer le vieux canon sur les pistes accidentées de la montagne. Puisque la majorité des mules de bât avaient servi de soupet en cours de l'hiver, le Maître-Fourrier Ernest de Lippe ordonna que chaque homme porte un paquetage de vivres, de matériel, de tentes roulées et de couvertures. Certains maugréèrent quelque peu, et ce poids supplémentaire contribua à alourdir le cortège tandis que tout ce qui ne pouvait pas être chargé sur le dos de la troupe fut abandonné sur place. Une fois prête, la longue colonne se mit en branle à la suite d'Oswald le Vieux, le prêtre de Taal qui avait passé ces trois longs mois à cartographier les sentiers et les cols de la région.

La marche fut longue et ardue, faite de dénivelés éprouvants et de nuits glaciales. L'hiver n'avait pas totalement quitté les Montagnes Noires et il était fréquent que les ruisseaux soient couverts d'une mince couche de gel le matin venu. Les soldats de l'Indépendance traversaient des cols torturés et des vallées magnifiques où la présence des hommes était presque invisible. Ils ne croisèrent que quelques bergeries et des hameaux épars, où les rudes montagnards les regardaient passer avec des yeux ronds. Pour ceux qui vivaient aux pieds des cimes, les passions qui agitaient le Sudenland n'étaient que de vagues rumeurs qui ne les concernaient pas. De la Martre, du Décret des Moutons, des collecteurs de taxe et des barons ils n'avaient cure, et ils observaient cette soldatesque bourrue et crottée avec circonspection. Mais les vivres commençaient à manquer au sein de la colonne et le Maître-Fourrier n'eut d'autre choix que d'ordonner qu'on saisisse moutons et sacs de grain dans ces villages miséreux afin de nourrir les soldats. Les montagnards farouches ne résistèrent pas, eux dont la vie était faite de privations et d'esprit de résistance. Ils se contentaient de maugréer en patois, invoquant probablement les dieux de l'Ancienne Foi pour maudire ceux qu'ils voyaient comme des étrangers et des pillards. La seule halte prolongée que ces derniers firent fut dans une ferme en pierre au pied d'une magnifique cascade de montagne, où vivait une rebouteuse locale. Il fut demandé à la vieille femme de soigner l'épaule du baron, ce qu'elle fit avec une purée verdâtre qu'elle mâcha préalablement entre les trois dents qu'il lui restait. Sous les regards méfiants d'Oswald le Vieux et du Père Benito, la guérisseuse colla ce cataplasme sur la plaie ouverte d'Anton et recousu le tout avec une aiguille en os et du crin de cheval. Son patois était presque incompréhensible mais elle semblait conseiller au baron de garder le bras en écharpe s'il voulait que son épaule se rétablisse rapidement.

Après sept jours d'une marche éreintante, les indépendantistes arrivèrent enfin dans les gorges de l'Oggel, où un sentier plus praticable suivait les méandres de la rivière entre les montagnes pour descendre jusqu'aux collines de l'arrière-pays sudenlander. Anton et ses troupes contournèrent le bourg d'Ummenbach et laissèrent les Montagnes Noires derrière eux pour rejoindre une région de plateaux clairsemés couverts de moutons. Les villages des bergers, avec leurs maisons en pierre et aux toits d'ardoises, ressemblaient à des amas de cailloux gris qui ponctuaient un paysage de praries et de bosquets de gênets aux fleurs d'un jaune vif -qui avait donné l'une de ses couleurs au blason de l'ancienne province- où il n'était pas rare de croiser l'un de ces braves chiens en train de conduire un troupeau sur les routes. Les habitants que les soldats croisèrent chemin faisant leurs étaient le plus souvent sympathiques, et la troupe connu un regain de moral après l'éprouvante semaine qu'elle venait de traverser. Elle était de retour dans son Sudenland, la terre pour laquelle elle se battait aujourd'hui.



Image



Il fut décidé de dresser le camp au pied de l'une des collines boisées qui surplombait ce paysage bucolique. Ernest "le Noir" de Lippe vint trouver Anton tandis que des hommes montaient la tente du baron et des officiers, à l'abri d'un chaos granitique qui dominait la petite éminence. Le Maître-Fourrier indiqua à son supérieur que les réserves de l'armée étaient au plus bas et qu'il était nécessaire de rester sur place trois jours au plus le temps de les renflouer. Comme à Kroppenleben, la collecte des provisions nécessaires allait devoir se faire au détriment des habitants de la région. Le Noir suspecta que le baron ordonne la rédaction de nouvelles reconnaissances de dette mais le lui demanda tout de même, en l'avertissant qu'il fallait s'assurer d'être capable, un jour proche, de verser les réparations que promettaient ces bouts de parchemin. Dietrich Eberwald, le Maître de la Guilde des Tondeurs, fut le suivant à se présenter face au baron. Le soir commençait alors à tomber et les hommes allumaient des feux de camp entre les tentes qui encerclaient la colline, enlevant leurs espadrilles usées pour la première fois en une semaine et prenant un peu de repos. Le Chef des Renseignements signala que ses agents avaient fait la liaison entre l'Armée Libre et Kristoff Geber, le prêtre de Sigmar envoyé par Anton pour fédérer et recruter les bandits du coin. La franche-compagnie ainsi formée attendait les ordres dans une forêt quelques part aux abords de Waldbach et pouvait opérer la jonction avec le gros des forces sous deux jours, trois s'il s'agissait de se faire discret. Les Tondeurs d'Eberwald connaissaient les pistes secrètes des transhumances et les chemins de traverse, mais ces sentiers éloignés des axes majeurs étaient généralement tortueux et peu praticables.



12 Nachenxen, année 2533, premier jour de bivouac.

Une pluie drue et froide tombait sur le camp des indépendantistes, douchant l'allégresse de ceux qui venaient de retrouver leur cher pays de collines et de moutons. Les hommes patientaient sous leurs abris en jouant aux dés ou en fumant la pipe tandis que certains malchanceux montaient la garde sous la maigre couverture d'un noisetier ou battaient la campagne pour amasser des provisions. Anton von Adeldoch était attablé sous la tente de commandement, occupé à trier ses innombrables feuillets, comme à son habitude.

L'héritier du Comte-Electeur Eldred von Durbheim n'était pas seul, au demeurant. Outre Bernhard "Döppelganger" Dinkel qui montait la garde à l'entrée et Ernest de Lippe qui tenait les comptes de l'Indépendance sur un autre bureau, le Père Benito et Oswald le Vieux étaient assis face à face de chaque côté d'une table basse dans un coin de la tente. Tout semblait opposer ces deux hommes. Benito Alberico, d'une part, était un myrmidéen moderne et progressiste, à l'allure soignée, désireux de propager les préceptes avisés de la Sainte Vierge au plus grand nombre. C'était, de son propre aveu, un envoyé de Lorenzo di Marco, qu'on appelait l'Aigle du Nord, un homme ambitieux résidant à Nuln et qui représentait les intérêts du clergé de Myrmidia dans l'Empire. Il ne faisait nulle doute que dans le conflit feutré qui animait les religions impériales, l'Aigle du Nord ambitionnait de profiter du chaos généré par la guerre civile pour étoffer son influence dans le Sud et faire entrer l'Immaculée dans le cœur de ces âmes confuses. Peut-être ces considérations étaient-elles en lien avec l'apparition soudaine du Prince Falco, qui ressemblait à une marionnette malgré son allure de monarque. Mais que le Père Benito soit un imposteur, un espion ou un simple missionnaire chargé de répandre la bonne parole, il ne faisait nul doute que son engagement pour la Cause était profitable. Les hommes le respectaient et l'écoutaient, et ils étaient de plus en plus nombreux à ajouter Myrmidia aux rangs des divinités auxquels ils accordaient leurs prières. De plus, il s'était jusqu'à alors montré un conseiller avisé, et plus généralement un individu cultivé, affable et de bonne compagnie. De l'autre part, Oswald était l'archétype du taalite. Celui que l'on appelait "le Vieux" à cause de sa longue barbe blanche et de son air sage était quelqu'un de conservateur, traditionnaliste et majoritairement hostile à tout ce qui venait perturber les us et coutumes de son pays. C'était en sus une personne taciturne, un taiseux à l'air bourru et aux ongles sales qui ne jurait que par le vol des corbeaux et l'orientation du vent. Il ne participait pas aux conseils de guerre, côtoyait peu la troupe et seuls quelques fidèles se joignaient à lui pour écouter ses prêches et effectuer les ablutions rituelles. Pour autant, Oswald était un élément précieux au sein de l'Armée Libre. C'était tout d'abord un fervent partisan de l'indépendance pour qui les anciennes traditions étaient indissociables d'une entité forte et autonome telle que le fut un jour le Solland. Ensuite, sa présence même incarnait les valeurs et l'identité locale, rappelant aux hommes d'où ils venaient et pourquoi ils se battaient. Enfin, l'aisance du prêtre de Taal dans les étendues sauvages traversées par l'armée l'avait destinée à devenir le cartographe du baron, arpentant les paysages en compagnie de ses assistants pour relever les cols, les passages, les guets et les pistes cachées, facilitant ainsi grandement les déplacements des indépendantistes, que la situation les veuille discrets ou hâtifs. Mais aussi différent ces deux hommes soient-ils, ils étaient attablés face à face, penchés sur la même carte grossièrement dessinée au charbon sur une peau de mouton, et le myrmidéen tirait calmement sur sa pipe en usant de toute sa ruse bienveillante pour décrocher plus que quelques mots au grincheux taalite.

C'est à cet instant que le Döppelganger se mit au garde-à-vous pour saluer le général Vilnius von Wirth qui entrait, son armure polie et sa cape bleue à franges rouges trempées. Le chevalier de l'Ordre de l'Epée Brisée s'inclina face au baron et lui fit un rapport succin sur sa sortie dans les hameaux des environs, gardant le détail des chiffres et des quantités pour les bons soins du Maître-Fourrier. Cornelius Klein, le jeune Chef de la Propagande, arriva à sa suite en compagnie de Theobald von Bethmann-Hollweg, officier d'ordonnance et aide de camp du baron. Les hommes présents discutèrent un peu tandis qu'un valet apportait de quoi se restaurer. Il régnait une entente cordiale entre ces gens, liés par le poids des responsabilités et l'amour de leur pays. Les seuls membres de l'état-major à manquer à l'appel étaient Dietrich Eberwald et le Père Kristoff Geber, le premier étant occupé à amener les ordres d'Anton au second, Viviane qui manœuvrait le réseau de la Cause à Pfeildorf, et les frères Von Ülmer qui continuaient de quadriller le secteur pour réquisitionner des vivres à la tête d'une compagnie de miliciens.


- "Je pense que c'est important de créer un esprit de corps entre les hommes de la troupe." disait Cornelius à Theobald en buvant une coupe de vin. Le Père Benito acquisça silencieusement en arrière-plan. "Nous pourrions par exemple créer une institution méritoire, avec des médailles et des distinctions. Dans la Reiksguard, le chevalier qui brise trois lances sur ses ennemis dans la même bataille gagne le droit de porter une fourragère rouge et or lors de la grande parade d'Altdorf ! Le sujet est à creuser, mais nous pourrions par exemple récompenser le capitaine Joseph Herring. Un soldat m'a dit l'autre jour que c'est lui qui avait porté le coup fatal au chef des peaux-vertes, lors de l'escarmouche de la corniche. Un ruban, une médaille, une broche, une prime ou une pension ... Quoi que ce soit, ça permettra d'inspirer les autres et de faire des émules. Après tout pourquoi se battent-ils, sinon pour l'or et la gloire ?" Cornelius Klein était habile avec sa plume, mais ne s'y entendait que peu à la chose guerrière. "J'ai aussi entendu dire que les Sigmar Deus n'étaient pas en reste et qu'ils s'étaient battu comme des lions aux côtés du baron. Beaucoup d'entre eux sont encore blessés. Des encouragement serait bon pour le moral de tous."

De son côté, Ernest de Lippe maugréait en tournant les pages de son livre de comptes.

- "... soixante poulets, dix tonnelets d'ale, une charette de meules de brebis ... Par les foudres d'Ulric, que quelqu'un m'explique comment font ces soudards pour se goinfrer autant ! Bientôt ce ne seront plus des soldats que nous aurons sous nos ordres, ce seront des outres prêtes à éclater." s'énerva-t-il avant d'expirer longuement en faisant vibrer ses grosses moustaches. "Quoi qu'il en soit, nos réserves se remplissent peu à peu. C'est une bonne nouvelle, mais sans animaux de bât ces vivres nous ralentiront lorsque nous lèveront le camp." Il se tourna vers Anton. "Monsieur le baron, mes terres de Pähl se situent non loin d'ici. La saison des marchés aux chevaux va s'ouvrir avec le printemps et les maquignons averlanders doivent déjà être nombreux sur place. Si nous y envoyons une compagnie avec un message portant mon sceau, nous pourrons y réquisitionner suffisamment de mules pour porter notre train de bagage et alléger nos hommes. Et quelques chevaux, tant qu'à y être ... a-t-on déjà vu un état-major se déplacer à pied ?" en profita pour râler le vieux briscard. "L'aller-retour entre Pähl et notre position prendra quatre jours à effectuer, mais nous fera gagner de l'avance dans le futur."

Vilnus von Wirth, quant à lui, attendit qu'Anton ait terminé avec sa paperasse pour s'avancer vers son bureau. Le chevalier était un homme sobre et intègre, suivant un code d'honneur aux principes stricts, et doublé d'un guerrier valeureux qui savait inspirer les hommes s'élançant à sa suite. Il descendait des familles nobles de l'ancienne province qui s'étaient exilées suite à la Waaagh destructrice du chef de guerre Gorbad. Comme beaucoup de jeunes hommes de son lignage, Vilnus von Wirth avait fait ses classes dans un pistolkorp prestigieux de la capitale avant de prononcer ses voeux auprès de l'Ordre de l'Epée Brisée, dont les rangs comptaient tout ce que l'Empire possédait d'aristocrates spoliés et désabusés. Cet ordre séculaire au blason de gueule et d'azur était ce qui se rapprochait le plus d'une véritable diaspora sudenlander, dont les descendants représentaient la majorité de ses cadres de chevaliers. Il n'était dès lors pas étonnant que la question de l'indépendance du Sudenland fasse vibrer une corde sensible en eux, et que certains décident de s'impliquer personnellement dans le combat. Jusqu'alors, deux d'entre eux s'étaient joints à la Cause : Vilnus von Wirth et Keger von Gimmhausen. Mais ce dernier était tombé à la bataille du Bois aux Trèfles, et Von Wirth était dès lors le seul membre de l'ordre chevaleresque parmi les fidèles d'Anton.

- "Les habitants de la région semblent favorables à vos idées, Monsieur le baron." indiqua le général et se plaçant face à Anton, son heaume à plumet rouge et blanc sous le coude. "De ce que j'ai pu entendre, les missions menées par nos hommes pendant l'hiver et le remboursement des taxes perçues par les collecteurs de Pfeildorf ont grandement contribué à améliorer l'opinion des gens du cru à votre sujet. La plupart nous ouvrent leurs greniers et leurs garde-mangers sans nous opposer de résistance." Le fait que ces opérations soient effectuées par des compagnies armées avait certainement à voir avec ce constat. "Cependant ces cul-terreux manquent de ferveur. Ils n'ont pas connu les exactions commises ailleurs par les Archers et les troupes wissenlanders et, bien que mécontents du Décret des Moutons, ils n'envisagent pas de rejoindre notre mouvement. Lorsque j'ai proposé de lever une milice au cours d'une courte halte dans la taverne de l'un des villages, je n'ai rencontré que des visages fermées et des regards hésitants. Ces gens ont peur des conséquences. Ils ont entendu parler de ce qui est arrivé à Bad Endorf, comment nos sympathisants y furent pendus et laissés à pourrir sous l'averse. Ils ne veulent pas troquer leurs vies austères mais relativement paisibles pour un futur certes glorieux mais incertain, derrière un baron qu'ils ne connaissent pas. La pauvreté de leur destin leur suffit." dit-il avec un certain mépris. Tout chevaleresque soit son caractère, il n'en restait pas moins un aritocrate, élevé comme tel. "Mais l'un des miliciens sous mes ordres a glané des informations intéressantes par la même occasion. Un griffon a récemment quitté son aire dans les hautes-terres pour établir son terrain de chasse ici, plus bas, dans les collines. Or la garnison locale a été rappelée à Pfeildorf pendant l'hiver pour répondre aux premières émeutes du Solhafen. Plus rien de protège les bergers sinon eux-même, et que peuvent-ils face à la férocité d'un griffon ? Pas un jour ne passe sans que des moutons ne leurs soient enlevés. L'un d'entre eux aurait perdu trois chiens en moins d'une semaine, sans compter les attaques visant les bergers eux-même. Je pense que si nous traquons et tuons cette bête pour parader sa dépouille dans les villages, nous gagnerons le respect et l'admiration des habitants. Les hommes se presseront pour rejoindre le bon baron Anton von Adeldoch qui est venu planter la tête du monstre sur la place. Ce sera un symbole de force, de courage, mais aussi de la confiance que le peuple peut vous accorder, vous qui répondez à leurs problèmes. Ainsi, nous pourrons lever de nouvelles milices, notamment pour remplacer les pertes que nous avons essuyé contre les orcs. Pour cela il nous suffira de mobiliser une compagnie de chasseurs et de francs-tireurs, de débusquer la bête et de l'occire. Je gage que nous pouvons y arriver sans pertes aucunes."

- "Foutaises." rouméga Oswald le Vieux depuis le fond de la tente, sans lever le nez de sa carte. "C'est un griffon que vous envisagez de chasser, pas une chèvre. Croyez-moi, il vous verra avant que vous ne le voyiez."

- "Et une telle traque prendra certainement du temps, or chaque jour qui passe nous rapproche de celui où le Feld-Major viendra à connaître notre nouvelle position et reprendra la poursuite, sans compter les nouveaux renforts ennemis qui se mobilisent à la frontière du Wissenland. Notre avance actuelle est précieuse." renchérit le Maître-Fourrier en se redressant, sa plume d'oie à la main et son livre de comptes devant lui.

- "Précieuse pour quoi ? Marcher sur Pfeildorf ? Nous aurons besoin de forces plus importantes si nous voulons prétendre à attaquer la ville." rétorqua le chevalier Von Wirth. "Si le Feld-Major est toujours à Kroppenleben, il devra d'abord être informé de notre contournement avant de se mettre en marche. Et s'il part quelque miracle il part dès ce soir, il ne sera pas sur nous avant une semaine, peut-être plus si il pleut et que les chemins se transforment en bourbier, n'oubliez pas qu'il charrie avec lui des pièces d'artillerie."

- "Peut-être ..." grommela Ernest de Lippe depuis son bureau. "En tous cas, on verra ce que le père Geber aura à dire d'une chasse au griffon".

L'animal était en effet l'un des symboles forts de l'Empire, et plus particulièrement du culte sigmarite. Abattre un griffon attirerait peut être les foudres du prêtre de Sigmar, sinon d'instances plus hautes encore, aussi le baron devait-il mettre dans la balance les doléances des bergers, les foudres de l'Eglise et ses intérêts personnels. Mais enfin, Vilnus von Wirth ignora les réticences de certains de ses confrères, et termina son rapport auprès d'Anton.

- "Du reste, monsieur le baron, notre court passage à l'auberge du hameau de Danvel nous a permis de faire la rencontre d'un curieux personnage. Fils d'un fonctionnaire municipal de Nuln lui-même originaire de la région, il a prétendu vouloir revenir s'installer sur la terre de ses ancêtres avec une vie passée à parcourir le Vieux Monde au service de l'Empereur. Voilà deux ans qu'il vit ici, où il a acheté une bergerie et un troupeau de bêtes. Mais la vie à la campagne ne semble finalement pas faite pour lui, et il se languit de ses anciennes aventures. Il m'a dit être convaincu par l'indépendance, et le combat que nous menions. Aussi il se propose à nous rejoindre pour vos offrir ses services, si vous le désiriez. Il attend votre permission pour intégrer l'Armée Libre."


Durée des actions
- Collecter suffisamment de vivres : 3 jours.
- Arrivée de la franche-compagnie de Geber : 2 jours (déplacement normal) ou 3 jours (déplacement discret).
- Réquisitionner des mules de bât à Pähl : 4 jours.
- Débusquer le griffon : 2+1d4 = 5 jours.

A décider
1 – ce que t'offrent les nains en remerciement pour votre aide.
2 – si tu édites des reconnaissances de dette comme à Kroppenleben ou si tu te payes sur la bête sans promettre de dédommagement aux habitants
3 – si Kristoff Geber et ses bandits vous rejoignent en 2 jours ou en 3 jours.
4 – décider si tu octrois des distinctions aux soldats méritants et, si oui, sous quelle forme (optionnel)
5 – si tu envoies des hommes réquisitionner des mules de bât et des chevaux à Pähl
6 – si vous partez à la chasse au griffon
7 – si tu acceptes le candidat de Danvel dans les rangs de l'Armée Libre. Si oui, tu peux choisir entre un maître-artilleur, un ingénieur, un sorcier, un chevalier, un chasseur de prime, un garde du corps, un médecin de campagne ou un maître-marchand.

Voilà à quoi ressemble l'armure proposée par les nains :
Image
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Aujourd’hui, leçon de morale par un professeur de l’Université, Herr Blyenbergh, avec lequel je me suis quelque peu échauffé. Quelle posture que la sienne ! J’avoue avoir une profonde amitié pour ces hommes qui consacrent leur vie au savoir, mais il me semble qu’ils font largement fausse route, en particulier en ce qui concerne les choses de la morale et de l’éthique. A les entendre, disserter sur le Bien suffit. Mais je prétends moi que cela n’est pas assez.

Le véritable amour de la sagesse n’est pas une question de doctrine savamment polie par les arguments et les traités ; c’est une existence que l’on passe à appliquer ces mêmes idées, à les affûter au contact du réel, bref c’est vivre et agir ! Quel autre objectif dans l’étude du bien que de s’y appliquer tout entier ? Il me semble qu’être un pur intellect, déconnecté de la vie de la cité, ce n’est pas vivre proprement, pas en tout cas comme nous le demandent à la fois les plus parfaites des maximes des anciens et notre nature tout entière.

Je ne pense pas qu’il soit possible d’être un vrai Sage. Mais on peut, par force de travail, par son comportement et, bien sûr, ses exercices spirituels, s’en approcher.

Cahiers d’un Jeune Estudiant, in Les Œuvres Posthumes d'Anton von Adeldoch
Préfacé et mis en page par Viviane Adeldoch aux Presses De Nuln


***
“Ordonnance, prenez note je vous prie.”

Allongé dans une attitude morne qui ne lui ressemblait guère, Anton, habillé de pied en cap dictait depuis son sommaire lit de camp ses instructions. Le ton était sec, la moue lasse. Il était contrarié.

En dehors de la tente, inconsciente des sautes d’humeur inhabituelles de son Seigneur, l’Armée de l’Indépendance s’enfonçait dans le sommeil.

“Instructions au Baron De Lippe. Vous y êtes ?”

“Oui Monsieur.”

L’air grave et le stylet levé, l’ordonnance du baron attendait les ordres.

“Monsieur, vous trouverez avec cet ordre les reconnaissances de dette destinées aux paysans et portant ma griffe. Je compte sur la précision proverbiale de vos fourriers pour ne pas trop endetter la Province.

En outre, et conformément à votre proposition, je vous donne toute latitude pour réquisitionner un train de mules et les chevaux à Pähl. Vous veillerez je vous prie à la liste des créditeurs de notre province votre baronnie. Il sera bien temps de songer, au moment de notre victoire, à ce que nous rembourserons et à qui.

C’est bon ?”

Anton se souleva légèrement, pour guetter un signe de tête. Il poursuivit.

“A Geber : Qu’il rejoigne avec ses bandits le corps d’armée, sans se faire suivre. On verra à équiper ses hommes avec le matériel excédentaire, et on leur mêlera une demi compagnie de miliciens afin de casser l’esprit de corps et les mauvaises habitudes. Puis qu'on les renvoie à la chasse aux collecteurs d’impôts dans notre secteur. Que le Doppelgänger voit ces hommes avant leur départ et leur donne lui-même la consigne.

A von Wirth : Vous avez vos hommes, chasseurs et Francs-Tireurs. Ramenez-moi la tête du Griffon qui terrorise le secteur. Emmenez avec vous la nouvelle recrue que vous avez dégotée à Danvel, cet homme qui se dit sorcier ; vous testerez ses talents, et veillerez sur les hommes. N'oubliez pas que c’est une bête sauvage que vous traquez, soyez méthodiques, insensibles, prudents.

Soulignez prudent. Cet idiot héroïque est bien capable d’aller se faire tuer.

A Cornelius : Qu’il trouve un artisan pour forger une dizaine de soleils d’aciers, à porter en sautoir, et qu’il trouve un slogan à faire graver dessus., “Reich, Ehre, Vaterland” ou assimilé. Et par Morr, quelque chose de discret, pas une de ces breloques abominables comme la Comtesse en distribue à tour de bras à la Cour aux imbéciles en mal d'amour-propre. N'écrivez pas Par Morr. Ni imbécile. Bon, barrez juste la dernière phrase.

Faites bien savoir que j’en validerai moi-même le dessin en tout cas.”


Le baron souffla doucement. Le craquement des braseros donnait un bruit de fond reposant à cette litanie de consignes.

“Très clair Monsieur. Autre chose ?

“Oui. A Ludwig : qu’il fasse savoir que nous remettrons bientôt des distinctions aux hommes s’étant distingués par leur bravoure. Qu’il planifie une cérémonie au retour des expéditions de Pähl et de la traque au griffon. Et qu’il fasse à sa guise en ce qui concerne les élus, et au mieux pour la cérémonie, j’ai horreur de ce genre de simagrées.”

Il grimaça. Son épaule le faisait stupidement souffrir, et cela l’insupportait au plus haut point. Aurait-il dû se faire faire une armure lorsqu’il était encore temps ?

Les yeux fermés, il repensa à la proposition des nains au sortir de leur bataille victorieuse ; une armure… Utile bien sûr, mais il y avait mieux, bien mieux à demander. D’autant que l’air surprise du vieux nain à l’écoute de sa requête valait largement tous les aciers du monde.

“Est-ce tout Monsieur ?”

“Pour les ordres écrits, oui. Prenez note des ordres oraux.

Vous signalerez à Dietrich que je veux savoir dès que le Field-Major se mettra en mouvement dans notre direction. Que des yeux les guettent jour et nuit, et qu'il se débrouille pour que nous soyons avertis dès que l'armée se mettra en marche.

Et je veux qu’on poursuive les entraînements pendant notre stationnement. La Troupe a besoin de pratique. Pour un peu ces foutus orques nous mettaient à l'amende... Pas de relâchement. Ce sera tout.”

“Certainement Monsieur."


Théobald inscrit avec application les dernières consignes, puis reprit la parole.

"Au sujet des orques, si je puis me permettre, très courageux à vous d’avoir pris la première ligne Monsieur. J’ai cru comprendre que cela a été grandement apprécié des hommes, Monsieur. Un vrai geste héroïque.”

“C’était un vrai geste stupide Théobald vous voulez dire, mais je vous remercie. J’aurais pu me faire tuer comme le premier gobelin venu. Mais peu importe. L’important, c’est la suite des opérations…”


Le regard d’Anton s’égara, tandis que son Ordonnance se penchait sur son écritoire… Son esprit voyageait, porté par des pensées qui l’amenaient loin du campement, loin du Sudenland même, jusqu’à l’Overland ; jusqu’à un domaine précis, non loin de la frontière où un homme couvert de la poussière d’un voyage s’inclina devant le riche bureau de son maître, et recevant de ses mains une réponse à transmettre à Anton.

Le baron imaginait facilement le maroquin de cuir épais, la missive scellée aux armes prestigieuses, les yeux du messager dénués de curiosités et le geste impatient de la main de la seigneurie qui chasse son valet en lui souhaitant diligence et bonne route...

Enfin, naturellement, tout cela n’était que spéculations. Son correspondant pouvait tout aussi bien ne pas lui faire de réponse du tout. Mais Anton le saurait rapidement. D’après ses calculs, il ne fallait pas beaucoup plus de quatre jours à un cavalier disposant des bons relais pour couvrir le trajet de l’Averland jusqu’au camp de l’Indépendance - à condition bien sûr de savoir où le trouver.

Aussi, dans quatre jours, cinq au maximum, le baron serait fixé sur la prochaine destination de l’Armée de l’Indépendance. L’idée de la tête des membres du Conseil au moment où le baron révélerait ses plans suffit à lui arracher son premier sourire de la journée. Le secret, parfois, avait du bon. Si seulement la réponse pouvait être à la hauteur !

Comme doté d’un sixième sens, Theobald von Bethmann-Hollweg, Ordonnance du Baron leva la tête à temps pour apercevoir ce rare éclat de bonne humeur, et les prunelles brillantes du baron. Theobald, en dépit de la candeur de ses jeunes années, n’était pas dépourvu d’un certain sens de l’à-propos ; son sens naissant du jugement des hommes et l’instinct politique avisé compensaient adroitement une maladive curiosité. Aussi, pesant le pour et le contre, il jugea le moment opportun pour une question qui lui brûlait les lèvres :

“Si je puis me permettre Monsieur le Baron, qu’avez-vous finalement demandé au Thane Nain lorsque vous avez discuté seul à seul après la bataille ? Les plus folles rumeurs courent dans la troupe, parce que le Thane avait un drôle d’air en vous quittant Monsieur...”

Anton connaissait bien la propension de son Ordonnance à se faire la voix de “La Troupe” pour satisfaire sa curiosité propre. Et il ne fut pas dupe.

“Ah vraiment, les hommes s’interrogent ? Eh bien cela leur fera une occupation. J’ai dans l’idée que nous aurons des nouvelles des nains dans quelques jours, de toute façon…”.

Immensément satisfait de l’incapacité de son ordonnance à masquer la petite grimace de déception, Anton se retourna sur son épaule valide et ferma les yeux. Tout était en place, et il ne lui restait plus guère qu’à guérir. Et à dormir du repos, sinon du sage, au moins de celui qui sait qu’il a fait tout ce qu’il avait à faire.

***
A Marlène Von Alptraum,
Comtesse légitime de l’Averland,
En sa résidence d’Averheim ou de Streissen,

Madame,


Ce n’est pas sans émotion que je prends la plume et que je couche sur le papier les mots de Von Alptraum. Nos conversations remontent, je crois, à bien des années, et je ne me savais pas cette nostalgie d’une époque que je ne découvre qu'en vous écrivant à présent.

Depuis cette époque à Nuln où vous aviez eu pour moi tant de bontés, à chaque regard que je portais sur une carte de l’Empire et des frontières de ma province, j’avais pour vous une pensée. J’ai suivi, mais de loin, votre quête légitime pour le pouvoir, et j’ai assisté, impuissant aux obstacles qui se dressaient sur votre route et que vous avez su pourtant écarter, inlassablement.

Aujourd’hui, nos situations naguères semblables sont éloignées. J’ai été contraint de choisir la voie de l’exil et du combat, alors même que je voulais celle de la légitimité et de la liberté. Vous avez grandi, vous êtes imposée en maîtresse du jeu et peu vous écarte désormais de votre but alors que mille adversaires se dressent entre le pouvoir et moi. Mais j’ose croire pourtant que notre communion d’esprit n’est pas tout à fait perdue, il qu’il reste en vous assez de feu pour brûler de rage pour les injustices subies par les autres comme vous le faisiez autrefois, à l’époque où je sortais à peine de l’ombre de mon père.

Aussi c’est en souvenir de ce feu contre les accapareurs en tout genre, et de cette divine et implacable détermination qui vous habite au service de l’Empire que j’aimerais faire appel. Car il me semble, pour la première fois depuis bien des années, que je suis enfin en mesure de vous rendre vos bontés.

Je vous vois d’avance sourire, ou bien nourrir une moue impatiente. Quoi ! Un noble privé de ses terres ! Eh bien oui Madame, et c’est même ce privilège qui me permettra de vous rendre demain, si vous le souhaitez, le meilleur des services.

Voici mon idée.

Vous saurez que je suis un homme traqué, et quand bien même je ne crains guère les sbires de notre chère Topenheimer - peut-être avez-vous eu vent de nos récentes victoires sur ces sinistres personnages lors qu’ils s’amusaient à trop nous presser ?- je répugne à l’affrontement. Je ne suis pas là pour tuer. Je suis là pour reprendre ce qui est mien et légitime : la couronne d’un Sudenland indépendant.

Vous saurez, Madame, que notre camp est aujourd’hui situé tout proche de la Ogel et de la Staffel, ces deux rivières charmantes qui font la séparation entre nos deux pays et nos deux domaines. Historiquement, il est arrivé que l’Ogel fasse la frontière, comme aujourd’hui la Staffel le fait, particularité géographique fameuse qui a causé tant de tort entre nos Province. Vous savez, Madame, que quant à moi j’ai toujours eu à cœur de dire que des deux Comtés l’Averland me paraissait le plus à même de protéger ces terres, connaissant les routes pratiques qui peuvent y mener rapidement forces troupes depuis les contreforts des montagnes et la Passe du Feu Noir.

Aussi, si je revenais au pouvoir, aurais-je tôt fait de trancher cette question en ce sens que je sais que vous avez toujours défendu.

Mais voici que l’occasion est donnée d’anticiper quelque peu cette belle résolution officielle. Car sur votre ordre, Madame, je suis prêt demain à faire route vers cette petite enclave, et à la libérer tout à fait du joug des Topenheimer. Je ne doute pas que je saurai sans mal soulever la population, et neutraliser les milices locales. Non sans en informer tout l’Empire.

Si par hasard une armée des Alptraum stationnait de l’autre côté de la Staffel, il serait alors parfaitement régulier pour elle de traverser l'eau vive pour libérer le village de mes indépendantistes. Nous connaissons tous votre dévouement à la stabilité impériale ; chacun sera ravi de savoir que vous intervenez pour rablir l’ordre dans cette zone critique pour la sécurité des fleuves.

Notre but est la fin de l'indigne joug des Topenheimers dans la région ; si une force aussi légitime que la votre venait prendre notre suite pour assurer la sécurité de ces terres, nous serions ravis de nous concentrer sur d'autres zones à libérer ; nous laisserions le champ libre à vos hommes et évacurions sans sourciller, sans effusion de sang.

Naturellement, j'apprécierais de pouvoir compter par la suite, en signe de reconnaissance de cet intérêt mutuel que nous portons à la sécurité de l’Empire et au rétablissement au pouvoir des ayants droits légitimes, d’une forte sécurité de nos troupes en Averland, de facilités à traverser la frontière, ainsi que de tout le ravitaillement et l’armement que vous pourriez avoir d’excédentaire. Pour des combattants de la liberté comme nous, pouvoir compter sur une base arrière dans des terres aussi éprises de justice et de sagesse que l'Averland serait un atout certain.

Je suis certain que nous pourrions, par la suite, poursuivre cette collaboration dans le meilleur des sens pour que triomphe l’intérêt des justes.

J’attendrai, Madame, avec espoir et confiance votre réponse au hameau de XXX, où votre agent saura me trouver. Quoi qu’elle puisse dire de ma requête elle me trouvera néanmoins de tout cœur, comme toutes vos missives avant elles avaient su me trouver,

Votre dévoué serviteur

Anton Von Adeldoch
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 16 févr. 2020, 17:15, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

Suite aux ordres délivrés par Anton von Adeldoch et son état-major, plusieurs escouades quittèrent le campement de l'Armée du Sudenland Libre. Il y avait ceux qui partaient en direction de Pähl avec pour mission d'y réquisitionner mules et chevaux, ceux qui se regroupaient dans un village adjacent pour entamer la traque du griffon, ceux qui continuaient de battre la campagne environnante pour y prélever des provisions et enfin ceux qui prenaient la route de Danvel pour y quérir le militant qui se disait prêt à rejoindre la Cause.

Ce dernier était bel et bien un sorcier, et se présenta sous le nom de Gottfried Trapp de Saverne. Fils d'un fonctionnaire de Nuln, il était raisonnable de penser que la particule de son nom avait été achetée par son père, roturier, à un noble désargenté. Il détenait une licence impériale l'autorisant à faire usage de la magie ainsi qu'un diplôme du Collège Céleste d'Altdorf, institution dans laquelle il affirma également avoir été assistant à la chaire d'astrométrie, d'écliptique et de dynamique stellaire.

Comme on pouvait l'attendre d'un mage, Gottfried était un excentrique et les hommes composant son escorte le regardaient déjà comme un total hurluberlu. Les rudes gaillards qui composaient l'armée d'Anton préféraient se tenir à distance des sorciers, magiciens et autres étrangetés, qui étaient par ailleurs fort rares dans les contreforts reculés du Sudenland, et sur lesquels circulaient bien des rumeurs et histoires à dormir debout. C'est donc en laissant entre eux et lui une certaine distance de sécurité que les soldats accompagnèrent l'astromancien jusqu'au pavillon du baron de Terre-Noire, afin que ce dernier puisse faire sa connaissance et juger de sa valeur.

L'homme qui se présenta alors face à Anton devait avoir entre vingt et trente ans, était vêtu des riches atours de la ville et tirait derrière lui un pauvre âne sur le dos duquel s'empilaient des caisses de livres, de matériel d'astronomie et de babioles en tous genres. Des étuis à parchemin et des rouleaux cachetés pendaient à sa ceinture, ainsi qu'une certain nombre de fioles et de petites bourses, et une broche représentant un croisant de lune était accroché sur sa poitrine. Malgré son relatif jeune âge, ses traits étaient ceux, fatigués, de quelqu'un que la vie avait continuellement essoré. Possible conséquence de ses manipulations magiques, son regard, enfin, était le plus souvent distrait et lointain, et il semblait qu'il regardât à travers un objet ou un interlocuteur lorsqu'il le fixait. Le présent et les choses tangibles ne semblaient avoir qu'une importance limitée pour cet esprit songeur, et il était probablement de ceux qui perdaient régulièrement leurs effets personnels, ou oubliaient l'heure de leurs rendez-vous. Mais aussi inattentif et détaché paraissait-il, c'est les idées claires et résolues qu'il se présenta devant l'héritier d'Eldred von Durbheim.



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Il expliqua avoir quitté son ancienne vie après s'être âprement disputé avec son confrère alors qu'ils partageaient tous deux la gestion d'un observatoire astronomique à Tobaro, en Tilée. Il s'étendit longuement sur les origines de cette mésentente, à savoir un conflit théorique relatif à l'influence de Mannslieb et Morrslieb sur les marées et les courants marins. Gottfried se faisait l'avocat du célèbre professeur Varémond de Gammard en affirmant que les lunes jumelles exerçaient une attraction céleste sur les océans tandis que son opposant soutenait la thèse de l'abbé Grogory selon laquelle les lignes telluriques enfouies sous les fonds marins avaient un effet d'interaction fondamentale gravitationnel. Emporté par son explication, Gottfried se saisit même de l'un des grimoires portés par son âne et s'enfonça dans des élucubrations aussi poussées qu'incompréhensibles, au point où il fallut lui demander d'arrêter et de reprendre son récit. L'astromancien au chômage reprit donc où il en était resté, et raconta avoir abandonné son confrère, son observatoire et ses recherches pour démarrer une nouvelle vie. Il acheta alors une bergerie dans le village qui avait vu naître son père, ainsi qu'un petit troupeau de moutons. Le sorcier ne s'étendit pas sur son expérience en tant que berger, mais il était aisé de deviner qu'il avait rapidement déchanté une fois confronté à la dure réalité d'une vie passée dehors, auprès des bêtes et à la merci des éléments, avec pour seuls voisins des pécores superstitieux. Lui qui était un habitué des loges universitaires et du train de vie d'un riche citadin, il s'était retrouvé seul, grelottant de froid dans sa vieille bergerie en pierre sèche, avec pour unique compagnie ses bouquins et ses brebis.

Aussi, il s'était décidé à repartir du bon pied lorsqu'il avait eu vent de l'arrivée d'Anton dans la région. Or quoi de mieux pour chasser l'ennui et la dépression que de viser de nouveaux objectifs ? Plus encore, Gottfriend voulait une cause à rallier, une idée à défendre, comme pour combler le vide qu'il voyait en regardant, derrière lui, sa vie passée. En l'indépendance du Sudenland, il avait trouvé un combat honnête et légitime auquel il jura d'offrir ses compétences avec sincérité. Son parcours universitaire ne l'avait pas dirigé vers la voie prestigieuse des sorciers de guerre, mais plutôt vers celle de l'érudition et de la recherche. Ainsi le mage d'Azyr avait-il à proposer son expertise en terme d'orientation, de météorologie, d'astronomie mais aussi d'astrologie et de divination.


- "Je suis capable de lire les signes astraux et je maîtrise l'art de décrypter l'avenir le plus probable. A l'aide d'un point de vue dégagé, d'un ciel sans nuage et de mon matériel d'observation, je peux lire la grande carte des étoiles, des comètes et des météores. Ce plan astral me donne une fenêtre sur les passés véritables, les présents possibles, les futurs potentiels."

Et lorsqu'il parlait ainsi, parfois, Gottfriend se perdait dans ses propres pensées et se faisait alors silencieux, la bouche vaguement ouverte et le regard vide. Bernhard Dinkel, qui n'était jamais loin, le réveilla d'une toux rauque.

- "Oui ! Oui ..." sursauta l'astromancien en reportant son entière attention sur Anton. "Excusez moi, Monsieur le baron, car je pensais à autre chose. Mh ... Accepteriez-vous de me laisser empoigner votre main ?"

Et si le chef des indépendantistes obtempérait, alors le sorcier saisissait délicatement cette main mutilée au Bois-aux-Trèfles entre les siennes et fermait les yeux. Ses paupières papillonnaient faiblement tandis qu'il bougeait les lèvres sans un bruit, articulant des formules silencieuses. Puis il hocha la tête et se recula d'un pas, visiblement satisfait par son examen.

- "C'est par une froide nuit d'hiver que vous vîntes au monde, et cette nuit là le visage sévère de Wymund l'Anachorète était penché sur votre berceau. Il vous a doté de prudence et de patience, et vous n'agissez jamais sans avoir pesé toutes les alternatives qui s'offrent à vous. Mais cette retenue vous retient parfois d'agir, vous privant des choix qui nécessitent le feu et l'action. Tel est votre dilemme, Monsieur : s'animer dès que cela est possible, ou attendre un éventail d'options plus large, au risque cependant de le voir se réduire au contraire. Alors voici mon premier conseil pour vous : Gnuthux le Buffle est ascendant depuis la dernière pleine Mannslieb. Comptez plus que jamais sur les gens honnêtes et ne les froissez pas, méfiez-vous de ceux qui ne vous inspirent pas confiance et prenez bien garde d'honorer tous les serments que vous ferez jusqu'à la prochaine croissance de Morrslieb, ou une punition terrible vous frappera. Oh, et ne consommez fraises et rhubarbe qu'un jour sur deux jusqu'à ce que le Trait du Peintre s'efface de la voûte céleste, ou votre blessure s'infectera et votre estomac se tordra."

Et il sourit, fier de sa prestation, tandis que le Vieux Oswald, taalite superstitieux et conservateur, regardait cette scène d'un mauvais œil. Cet horoscope était-il fiable, ou digne des sornettes d'une voyante strygani ? Toujours est-il qu'une fois ces présentations faites, Gottfriend Trapp de Saverne fut affecté à l'équipe qui partait pour la chasse au griffon. Baptême du feu pour tester ses nerfs, ou punition pour son ennuyeuse prédiction ? Nul n'aurait su le dire, mais il fut accompagné quoi qu'il en soit au hameau où se réunissaient le général von Wirth et ses hommes.







Vilnius von Wirth, pour les besoins de sa mission, avait troqué son armure étincelante de chevalier contre les frusques en peau de mouton que portaient les gens du cru. Lui qui incarnait d'ordinaire la prestance et la noblesse de l'élite impériale, il ressemblait désormais à un simple berger qu'il était difficile de distinguer de son interlocuteur, à l'accoutrement tout aussi rustique.

C'était la quatrième fois de la matinée que le général de l'Armée du Sudenland Libre ordonnait une halte pour s'entretenir avec son guide, un local qui avait prétendu savoir où nichait le griffon. Cette allégation avait visiblement été faite de manière un peu précipitée puisque l'homme peinait maintenant à retrouver la piste qui menait sur le causse où la bête avait frappé pour la dernière fois. Voilà désormais deux jours que les chasseurs envoyés par Anton von Adeldoch usaient les semelles de leurs bottes sur les chemins caillouteux et à travers les sentiers forestiers, avec la certitude croissante de tourner en rond. Les soldats emmenés par Von Wirth – un demi-compagnie d'archers, une escouade de francs-tireurs et le sorcier Gottfried Trapp, soit trente-six hommes- commençaient à s'impatienter, et regardaient d'un mauvais œil l'échange tendu entre leur officier et le guide. Le chevalier était pressé par le temps et n'avait d'autre choix, il le savait, que de compter sur cet incapable, contre lequel il criait sa frustration et son énervement en agitant le poing.

Ce n'est que le lendemain qu'ils parvinrent enfin sur les lieux de la dernière attaque, une bergerie abandonnée au milieu d'un décor austère et sans arbres, et devant l'entrée de laquelle était encore visible une grande tâche de sang séché. Le local sembla alors retrouver ses moyens et repéra la piste à suivre jusqu'à la tanière du monstre : un vaste chaos granitique boisé, fiché comme une île au milieu d'une mer de genêts et de fougères recouvrant la vastitude du plateau. Il fut décidé de rester sous le couvert d'une pinède pour la nuit et de ne lancer l'assaut que le matin suivant. Le camp fut dès lors établi dans une petite clairière ronde au milieu des sapins et on attendit le lendemain matin.

Aux premières heures de l'aube, Vilnius von Wirth envoya des éclaireurs au plus près du nid. N'ayant qu'une confiance limitée en son guide, il souhait s'assurer au préalable que c'était bien l'endroit où se trouvait sa cible, afin de ne pas perdre inutilement du temps à préparer un assaut sur un vulgaire tas de cailloux. Dissimulé à l'orée de la pinède, le chevalier regarda trois de ses meilleurs hommes se faufiler dans ce labyrinthe compact de buissons et courir courbés contre le vent jusqu'à la position rocheuse supposée abriter le nid du griffon. Les chasseurs disparurent de sa vue un court instant mais ne tardèrent pas à réapparaître et à revenir vers le campement, se tenant droit cette fois et ne cherchant plus à se cacher. Le général poussa un juron, car il en déduisit que le guide s'était encore trompé et que la petite troupe était concentrée sur la mauvaise position. Il s'apprêta à se retourner pour passer un savon à l'autre imbécile lorsqu'il vit les trois chasseurs sur le retour se jeter soudainement à terre pour disparaître sous les genêts. A peine le chevalier Von Wirth eut-il le temps de lever les yeux au ciel qu'un glatissement puissant fendit l'air, rapidement suivi des cris d'alarme provenant du campement juste derrière lui.


- "Il est sur nous ! IL EST SUR NOUS !"

Et le griffon fondit sur eux.


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Le Père Kristoff Geber et sa compagnie de bandit arrivèrent par un vieux chemin qui traversait les contreforts, guidés par quelques-uns des Tondeurs de Dietrich Eberwald. Si le prêtre sigmarite reçu un accueil somme toute chaleureux, il en fut autrement des malandrins, et pour cause. L'Armée du Sudenland Libre comptait de nombreux hommes qui furent un jour bergers et éleveurs. Or les truands qui infestaient la région en cette période troublée trouvaient la plupart de leurs gains en se faisant voleurs de bétail. Moutons, chèvres, vaches, mulets : tout y passait. Certains bandits affichaient sans complexe leur dévotion envers Gunndred, le dieu des voleurs de bétail et du chantage, dont les commandements ordonnaient par exemple d'être "craint et non pas aimé" ou encore de vivre "de ce que tu extorques à autrui". C'est donc cette charmante compagnie qui se mêla aux forces des indépendantistes, et ces derniers firent une haie sur le passage des brigands alors qu'ils traversaient le camp, dans laquelle s'échangèrent bien des regards haineux.

Les hors-la-loi qui suivaient le Père Kristoff portaient sur eux les signes d'une vie de misère passée dans des repaires insalubres, où l'alcoolisme et la violence étaient le pain quotidien. Gueules cassées, barbes mal rasées et tuniques débraillées étaient dénominateur commun. Cependant, et aussi hétéroclite soit leur arsenal, chacun de ces coupes-jarrets savait se servir de son arme et portait une pièce d'armure, ce que soit un calot en cuir ou un plastron ébréché, une tunique matelassé ou des épaulières en cuir clouté. Là, un type à la figure fendue portait au moins une dizaine de couteaux sur son harnais, tandis qu'un gros bœuf à côté de lui avait un gilet en cuir grossier et tenait un énorme maillet à tête ronde en bois. Pas un n'avait le même équipement que son voisin, et l'ensemble de leurs possessions n'étaient qu'un fatras biscornus d'éléments glanés ici ou là. Ils avançaient en une vague colonne, traversant ce camp qui les détestait déjà jusqu'à un emplacement libre où s'installer. Un homme semblait les diriger, un grand gaillard maigrelet au visage taillé à la serpe, qui avait un vaste chapeau piqué de plumes noires et deux pistolets croisés sur le torse. Il portait sa chemise remontée jusqu'aux coudes et ses avants-bras étaient recouverts de tatouages disparates dessinant tantôt un crochet, tantôt deux couleuvres entrelacées, une femme effectuant une fellation ou encore des formes géométriques tels des anneaux et des chevrons. Il donnait ses ordres entrecoupés de toux grasses et de glaviots crachés au sol, et c'est sous sa supervision que les bandits préparèrent leurs abris. Certains montaient des tentes sommaires, d'autres s'installaient à même le sol. Pendant que chacun faisait sa couche et commençait à boire, le balourd au maillet s'appliquait à menacer quiconque le fixait de trop près.



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Pendant ce temps, le Père Kristoff monta jusqu'à la tente de commandement pour faire son rapport à Anton von Adeldoch.

- "Je sais qu'ils ne payent pas de mine, Monsieur le baron, mais ce ne sont pas de mauvais bougres. Hips !" dit le prêtre après avoir demandé une coupe de vin au valet le plus proche.

Pourtant les termes "mauvais bougres" semblaient faibles pour qualifier cette bande de voleurs sans foi ni lois qui n'hésitaient pas à tuer, violer et piller et qui s'attaquaient toujours à plus faible qu'eux. Du reste, après un hiver passé auprès de ces arsouilles, Kristoff Geber semblait avoir pris de l’embonpoint et son nez avait viré au rouge. Il portait aussi une cordelette en collier avec la gaine d'un gros couteau en guise de pendentif, et un tatouage dans la nuque représentant un crâne de bovin au front frappé du SH – Sigmar Heldenhammer. Bref, il avait désormais tout l'attirail du prêtre défroqué.

- "Figurez vous qu'ils m'ont bien accueilli parmi eux, et que votre proposition a eu beaucoup de succès auprès de Maître Ségur, leur chef. Contre une bonne paye et un pardon général, ils sont prêts à mettre leurs lames à votre service quelle que soit la mission !" affirma-t-il avant de vider sa coupe de vin d'une traite et d'en demander une autre. Les membres de l'état-major présents le regardaient avec réticence. "Maître Ségur m'a d'ailleurs informé de la présence d'autres gangs sur le territoire, qui accepteraient certainement de nous rejoindre contre la promesse d'une belle somme ! Il y a Jomy la Tremblote et ses gars qui rançonnent les villages de la vallée des Deux-Monts, au nord de Hurlach, et puis la bande de Lino le tiléen, des routiers qui vont de Sexau à Eppiswald et qui dépouillent tous ceux qu'ils croisent en chemin. Ah, et aussi les haleurs de Sigi Meisdorf, des pirates qui extorquent une barge fluviale sur deux le long du Reik supérieur. Sans compter toutes les bandes mineures qui se cachent dans la campagne et vivent de petites rapides. Avec la guerre, le crime se porte bien !" dit-il en levant sa coupe comme s'il alait boire à la santé des hors-la-loi, avant de se raviser avec les yeux ronds, comme si il se rappelait soudainement qu'il n'était plus dans un repaire de bandits au milieu de la forêt.

L'arrivée de la troupe de brigands -désormais appelée franche-compagnie- allait certainement causer des remous au sein de l'état-major, sinon dans l'armée elle-même. Anton comptait quelques âmes chevaleresques parmi ses partisans, qui supporteraient probablement mal que des voleurs et des coupes-jarrets se joignent à leur entreprise. Mais face aux forces que la Martre et le Wissenland pouvaient déployer, les brutes de Maître Ségur ne seraient pas de trop.

Anton ordonna à Bernhard Dinkel d'encadrer la racaille. Celui qu'on appelait le Döppelganger n'avait certes jamais été lui-même un hors-la-loi, mais c'était en revanche un vétéran des Brigades du Crâne de l'Ostermark, un régiment d'irréguliers connu dans tout l'Empire pour ses méthodes pour le moins radicales. Bernhard n'était pas un tendre, et il était plus que probable qu'il sache se faire respecter par leurs nouveaux alliés. Il était de toute façon une bien meilleure interface de l'autorité du baron que le Père Kristoff. Le garde du corps du baron fit alors un salut militaire, et quitta la tente avec quelques gros bras pour se faire connaître de Maître Ségur et de ses compères.






La curiosité maladive de Theobald von Bethmann-Hollweg , le jeune aide de camp du baron, fut enfin assouvie lorsqu'un nouvel individu fit son chemin jusqu'à l'Armée du Sudenland libre. Cette fois-ci, ce n'était pas un Tondeur, un chevalier errant ou un bandit qui remontait la piste menant au camp, mais un nain. Oui, un nain ! Qui tirait derrière une charrette à bras remplie de matériel et de petits barils.

Imfrik "Tête de pioche" Loch-Grube était envoyé auprès d'Anton par son seigneur le prince Bremban, auquel le baron de Terre-Noire avait sauvé la vie deux semaines plus tôt. Car ce n'était pas de l'or pour la Cause, de l'équipement pour ses hommes ou une armure pour lui-même que le chef des rebelles avait demandé, mais bien l'assistance directe d'un dawi, pour des missions bien spécifiques, à savoir celles menées avec excellence par un mineur.

Or mineur, Imfrik l'était justement. Son clan était établi depuis plusieurs génération dans les vallées qui bordent le versant Sud des Montagnes Noires et lui s'était enrichi en proposant ses services auprès des seigneurs des Principautés Frontalières. Contre de fortes sommes, Imfrik et son équipe s'occupait de la prospection du gisement, du forage, du terrassement et du soutènement de l'excavation souterraine. La mine était ensuite exploitée par les travailleurs du suzerain local, et "Tête de pioche" -surnommé ainsi par ses clients pour son caractère peu malléable- repartait vers un autre chantier avec son or. S'il était expert en construction de tunnels, il l'était aussi en démolition et était tout à fait capable de se charger de travaux de sape. Il arrivait d'ailleurs avec ses instruments de forage et ses propres barils de poudre.

L'entreprise commerciale d'Imfrik était méprisée par la plupart des clans nains de la région. Nombreux étaient ceux qui voyaient d'un mauvais oeil qu'un dawi aide ainsi les humains à accéder aux gisements des montagnes, à une époque où les litiges concernant les concessions minières étaient si nombreux entre les deux races. Les nains n'avaient pas pour habitude de partager leurs filons tandis que, de l'autre côté, les humains étaient de plus en plus nombreux et s'aventuraient toujours plus loin sous terre pour extraire du minerai. Les conflits territoriaux ne manquaient pas et menaçaient chaque jour un peu plus de dégénérer.

Imfrik, lui, se considérait comme un libre entrepreneur. Or il avait bien compris le ressentiment qu'il alimentait chez ses compatriotes et avait donc fait le choix de s'installer chez les umgis pour s'éviter de fâcheuses déconvenues. Il était un nain, après tout, et ne souhaitait pas prendre le risque d’entacher l'honneur de sa famille. Loch-Grube était d'ailleurs un nom d'emprunt, puisque ces deux mots désignaient le trou de mine en reikspiel. Il était donc devenu l'un de ces expatriés qui vivaient parmi les hommes, et qui adoptaient parfois leurs coutumes et leurs tenues. Sa demeure se trouvait alors à Mortensholm, l'une des villes les plus prospères des Principautés, et il était régulièrement engagé par la famille régnante des Steinkuhler pour prospecter et creuser une nouvelle mine.

La requête d'Anton avait mis le prince Bremban dans une position embarrassante, car il n'était pas dans l'intérêt des clans nains de prendre part dans le conflit qui se déroulait au Sudenland. C'eut été une erreur politique que de détériorer les relations entre Nuln et les karaks, tout en prenant le risque de se mettre à dos la plupart des factions des montagnes. Mais le baron de Terre-Noire avait sauvé la vie du prince de Karak Gantuk, et cette dette demandée à être payée. C'était ainsi qu'Imfrik, qui effectuait alors un passage discret dans sa forteresse de naissance pour y effectuer quelques commandes, était tombé à pic pour Bremban. Ce dernier avait réquisitionné le mineur, alors lié par les serments de fidélité de son clan, et l'avait envoyé auprès d'Anton avec pour instructions d'obéir au baron -et à lui seul- et de se retirer une fois sa contribution apportée. Imfrik n'avait d'autre choix que d'obéir, et Bremban s'acquittait ainsi de sa dette sans froisser ni nuire aux autres clans.

C'était donc une Tête-de-Pioche aux affaires en pause et à l'humeur massacrante qui s'approchait du camp. Aux sentinelles qui l'interceptèrent, il répondit par une bordée d'injures et exigea qu'on l'amène directement au baron. Mais ce dernier recevait déjà son Maître-Fourrier pour un énième rapport sur l'état des réserves, et il fut demandé à Imfrik de patienter. Le dawi jura à nouveau dans sa langue rugueuse et s'installa sur un rocher non loin en tirant sa pipe. Et lorsque Ernest de Lippe quitta enfin la tente de commandement et que ce fut son tour de rencontrer le baron, le mineur envoya chier le garde avec un langage fleurit et argua qu'il était très bien où il était et qu'il valait mieux le laisser tranquille au risque de se prendre un coup de marteau dans la poire. Tel était Imfrik Loch-Grube, au caractère aussi explosif que sa cargaison.



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- "Le général Von Wirth est de retour !" s'exclama Theobald en déboulant dans le grand pavillon. "Et avec la dépouille de la bête, Myrmidia la Vierge soit louée !"

Et en effet, Vilnius von Wirth et ses chasseurs montaient le flanc de la colline sous les ovations du reste de l'armée. Certains étaient blessés et furent pris en charge, tandis que trois montagnards manquaient à l'appel. Mais peu importait, car ceux qui revenaient portaient avec eux les restes dépecés du monstre qui terrorisait la région, étendus sur de longues perches que les hommes transportaient à l'épaule.

- "Un griffon, quand même ... qu'est-ce qu'en penserait le Grand-Prêtre ..." marmonna le Père Kristoff en regardant passer le cortège, une outre de vin à la main.

Les chasseurs victorieux montèrent le sentier entre les tentes jusqu'au promontoire où se trouvait le pavillon d'Anton et un attroupement se format pour voir de plus près encore la dépouille de cette bête si fabuleuse.

- "Monsieur le baron, les dieux soient loués pour notre réussite. Le combat fut âpre mais le monstre, aussi retors et intelligent fut-il, s'est finalement incliné devant l'habilité de nos tireurs." annonça le chevalier de l'Ordre de l'Epée Brisée, qui avait d'ailleurs le front bandé. "Mais ce trophée n'est pas la seule chose que nous ramenons de son nid ..."

Gottfried Trapp de Saverne s'avança alors, une grosse couverture entre les bras. Il en souleva un pan pour dévoiler une créature que les spectateurs se bousculèrent pour apercevoir. C'était un griffoneau, la progéniture de leur proie que les chasseurs avaient épargnée. Le rejeton, déjà de la taille d'une brebis, fixa Anton avec ses grands yeux avant de s'attaquer mollement à la couverture à l'aide de son bec acéré.

- "Un bel exemple de monstrum volantes aquilae juvénile.” dit Gottfried avec une rigueur toute scientifique tout en tâchant de ne pas lâcher cet énorme bébé. “Il faut absolument que je trouve un moyen de faire parvenir mes planches à Altdorf une fois que je l'aurai disséqué.”

Vilnius se passa une main sur la figure avec un soupir las, visiblement moins fatigué d'avoir affronté un griffon que de partager ces cinq derniers jours avec l'astromancien.

- “Je me demande combien ça vaut c'te chose, sur le marché noir. Une coquette somme, pour sûr.” siffla Maître Ségur quelque part dans l'assistance.

- “Je me demande surtout combien ça mange.” maugréa Ernest le Noir, Maître-Fourrier, qui voyait déjà un problème supplémentaire s'ajouter à sa liste.



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La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre à travers la région et la dépouille du griffon fut exposée sur la place d'Idelberg, le plus gros village des environs. Les locaux et leurs familles affluèrent depuis les hameaux plus éloignés et bientôt se fut une petite foule qui se réunit là.

Ludwig von Ülmer, Maréchal et Commandant en Chef de la Première Armée, profita de l'occasion pour procéder à la décoration des soldats méritants, tel qu'ordonnée par Anton. Cornelius Klein, le Chef de la Propagande, avait en effet réussi à faire fabriquer de petits écussons triangulaires en cuir noir sur lesquels étaient brodés en doré un soleil sudenlander. Tant pis pour les astres de fer voulus par le baron, c'était tout ce dont ils disposaient pour le moment. Les fourragères, médailles et autres distinctions plus clinquantes allaient devoir attendre des jours meilleurs.

C'est devant la foule assemblée que le Maréchal de l'Armée du Sudenland Libre procéda à la décoration des épéistes de la compagnie Sigmar Deus, dont beaucoup étaient encore blessés, pour la bravoure avec laquelle ils protégèrent le baron lors de l'escarmouche de la corniche. Ludwig décora ensuite Joseph Herring, le capitaine de la compagnie de lanciers, qui reçu également un écusson pour avoir occis le chef orc, ainsi qu'un franc-tireur du nom de Stefan Uhlt dont la flèche en plein cœur acheva le griffon.

Les spectateurs applaudirent chaudement, puis commencèrent à exprimer leur soif. On fit rouler des tonneaux d'ale depuis le sellier de la taverne, on dressa des tables et on apporta des victuailles. Quelques villageois se mirent à jouer un air entraînant et cette scène de liesse se transforma en une authentique fête de village. Les officiers présents firent régner la discipline dans les rangs autant que possible mais il était difficile pour un soldat fourbu de refuser la pinte tendue par une jolie bergère reconnaissante. L'ambiance se fit plus détendue et certains partisans de l'indépendances furent pris à danser ou à boire. On trinquait à la santé des chasseurs, du baron de Terre-Noire et du Sudenland. Partout où Anton passait, il recevait des tapes amicales sur l'épaule, des mots chaleureux et des regards admiratifs. Un chœur d'hommes entama un air populaire, qui fut bientôt repris par toute la foule, et dont Cornelius salua l'humour des paroles.

“Qui veut chasser une migraine
N'a qu'à boire toujours du bon
Et maintenir la table pleine
De cervelas et de jambon

L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Boute, boute, boute, boute compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons
L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Goûte, goûte, goûte, goûte compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons

Le vin goûté à ce bon père
Qui s'en rendit si bon garçon
Nous fait discours tout sans grammaire
Et nous rend savant sans leçon

L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Boute, boute, boute, boute compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons
L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Goûte, goûte, goûte, goûte compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons

Sigmar, buvant dans une taverne
De ses filles enfla le sein
Montrant qu'un sirop de taverne
Passe celui d'un médecin

L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Boute, boute, boute, boute compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons
L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Goûte, goûte, goûte, goûte compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons

Buvons donc tous à la bonne heure
Pour nous émouvoir le rognon
Et que celui d'entre nous meurt
Qui dédira son compagnon

L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Boute, boute, boute, boute compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons
L'eau ne fait rien que pourrir le poumon
Goûte, goûte, goûte, goûte compagnon
Vide-nous ce verre et nous le remplirons”.

Un groupe de paysans, portés par l'allégresse et tous venus du même village, jurèrent de suivre Anton dans son entreprise. Ils s’appelleraient les Bergers de Sainte-Melke, du nom de leur hameau, porteraient le gilet en peau de mouton des vrais sudenlanders et accrocheraient les cloches de leurs bêtes à leur étendard. L'un d'eux proposa même de prendre sa brebis préférée comme mascotte de la compagnie, qui porterait dès lors le nom d'Ava – une référence aux initiales du baron de Terre-Noire.

La foule était en liesse et la fête battait son plein. Mais tout aux célébrations, rares furent ceux qui remarquèrent les deux visites qu'Anton reçu discrètement, derrière une bâtisse ou à l'écart du village. La première fut celle de Dietrich Eberwald, le Chef du Renseignement, qui venait faire son rapport avant d'aller boire une bière sur la place. Le Maître de la Guilde des Tondeurs rapporta une série d'accrochages entre ses hommes et les Archers dans les localités qui bordaient les Montagnes Noires, preuve que les agents de la Martre battaient la campagne pour tenter de localiser les rebelles. De plus, un escadron de pistoliers appartenant aux forces du Feld-Major Von Holtzendorff avait été repéré à moins de deux jours d'Idelberg. Il s'agissait probablement de simples éclaireurs qui s'étaient avancés loin au-delà du corps principal mais, selon Dietrich, la position des indépendantistes était compromise et il leur fallait lever le camp sans tarder. Le Maître-Tondeur était pour l'heure incapable d'affirmer si le Feld-Major s'était mis en marche ou non, mais son hypothèse était que l'Armée Libre du Sudenland avait été repérée par les renseignements ennemis et que Von Holtzendorff se lançait à nouveau à leur poursuite. Du reste, Dietrich était sans nouvelles non plus des troupes wissenlandaises supplémentaires qui se massaient alors en périphérie de Meissen quelques semaines plus tôt. Selon lui, le maillage du territoire opéré par les Archers s'était resserré et il devenait difficile à ses Tondeurs de couvrir certaines portions du territoire. Plusieurs de ses hommes n'étaient par ailleurs pas revenus de mission, et il était tout à fait possible qu'ils aient été capturés et interrogés afin de connaître la position d'Anton.

Le deuxième personne à venir trouver le baron était un Tondeur du nom d'Erik, que le chef des rebelles connaissait désormais comme l'un de ses courriers les plus efficaces. Erik lui apportait une missive cachetée aux armes personnelles des Von Alptraum d'Averland. Cette lettre était une réponse à celle envoyée par Anton une semaine plus tôt. Contrairement au sien, le ton de ce message était froid et protocolaire. Il y était convenu que des troupes averlanders viendraient protéger le territoire dit de la Marche, entre la rivière Oggel et la rivière Staffel et jusqu'aux Montagnes Noires, si les autorités wissenlanders échouaient à cette mission. Une autre lettre accompagnait la première, non cachetée celle-ci, mais au ton toujours aussi froid, dans laquelle la Grande-Comtesse Marlène von Alptraum s'engageait à fournir un soutien militaire aux indépendantistes sudenlanders sous réserve qu'ils chassent les garnisons de la Marche et traversent ensuite l'Oggel dans l'autre sens pour ne plus y remettre les pieds.

Ce n'est que plus tard, lorsque la nuit et la fête furent bien avancées, que le Père Benito Alberico vint trouver Anton, la tête éternellement surmontée de sa capuche bleue. Le myrmidéen observait de loin les villageois et les soldats en train de prendre du bon temps, danser et boire autour de la dépouille du griffon. Même l'astromancien avait décroché de ses étoiles et sirotait dans un coin de la place en tapant du pied.


- “Contrairement à ce que pensent bien des hommes de pouvoir, la voie vers la victoire n'implique pas toujours la trahison, le mensonge et la duplicité.” dit Benito d'une voix calme tout en tirant sur sa pipe. Son reikspiel était parfait, presque sans accent. “Ce soir vous êtes un grand seigneur, car votre peuple est en liesse sans que des innocents ne soient morts, ou qu'un couteau ne soit planté dans le dos de quelqu'un. Mais pour combien de temps encore ? Vous êtes un homme ambitieux, baron. Vous ne saurez pas vous contenter de chasser les monstres et de secourir les bergers. Admettons que, par l'aide de la Sainte Vierge ou par quelque folie, vous parveniez à défaire le Feld-Major, la Martre, et que vous preniez Pfeildorf. Et ensuite ? Croyez vous que le Wissenland, l'Averland et les autres provinces vont laisser le Sudenland vivre ? Que l'Empereur va vous accorder la dignité impériale sur un coussin de satin ? Ne pensez-vous pas plutôt que vos voisins vont se jeter sur cet animal fatigué par la guerre pour en arracher les meilleurs morceaux ? Avez vous pensé à ces hommes, ces femmes qui vous suivent aujourd'hui, et qui finiront certainement au bout d'une corde demain ?” Le prêtre marqua une pause et tira à nouveau sur sa pipe. “Je vous prie d'excuser mon discours, baron, qui est bien sombre je l'admets. Mais nous ne devons pas nous laisser berner par l'allégresse, ni par l'espoir. Les réjouissances de ce soir sont réservées aux esprits simples, mais nous savons tous deux que notre position est plus délicate que jamais. Quoi que nous fassions, nous devons le faire fort, nous devons le faire vite. Et, baron, je vous prie de reconsidérer la proposition que je vous fis avant l'hiver, lorsque je suis venu vous rejoindre dans le Massif des Sources. L'Aigle du Nord est prêt à vous aider dans votre entreprise, et ses moyens sont colossaux. Pour avoir ce que vous désirez tant, vous devrez gagner sur le champ de bataille, mais aussi dans les esprits. Nuln, Averheim, Altdorf : ce sont elles qui doivent vouloir un Sudenland indépendant, pas seulement vous. Et Monseigneur Lorenzo Di Marco a ses entrées dans ces cités."

+10 pv

Mage et nain ajoutés à l'état-major dans la Forêt
Une compagnie de miliciens ajoutée aussi, ainsi qu'une compagnie de bandits.

Domaine des Cieux (pour te donner une idée de ce dont est capable ton sorcier) : wiki-v2/doku.php?id=domaine_des_cieux

Gunndred : https://bibliotheque-imperiale.com/index.php/Gunndred

Les Von Alptraum : https://bibliotheque-imperiale.com/inde ... n_Alptraum

Lorenzo di Marco : https://bibliotheque-imperiale.com/inde ... le_du_Nord

Carte du Sudenland avec :
- en bleu : votre position
- en rouge : dernière position connue du Feld-Major
- en jaune : dernière position connue des renforts wissenlanders
- en vert : la Marche

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Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

Il n’y a rien que je connaisse de plus dur que d’être au sommet. Partout où le regard porte, il n’y a que redescente et chute libre ; dépourvu des brumes de l’inconnu, le paysage laisse voir chacun des dangers qui guettent le voyageur, tous ceux aussi auquel on a échappé par chance durant l’ascension sans même savoir qu’ils existaient, sans quoi peut-être on aurait renoncé bien plus tôt. Depuis le sommet, plus d’ignorance bienfaisante. Il n’y a que l’aridité de la chute future, et la lucidité du parvenu. Et quant à se maintenir…

Garder un équilibre demande toujours davantage de subtilité et d’énergie que d’acquérir une position ; car le déséquilibre est, par nature, force et mouvement, et on peut s’appuyer sur ces deux jambes-là pour obtenir facilement ce qui sera si dur à garder par la suite. En réalité, le statut quo est impossible à tenir dans un monde changeant ; les hommes vieillissent et veulent le mouvement, les Dieux s’ennuient et veulent le bouleversement. Pris entre les feux de la terre et du ciel, le partisan de l’équilibre ne peut rien, il regarde passer entre ses doigts les grains de sable du château qu’il a mis tant de temps à bâtir et ne peut préserver du vent et du temps.

Le seul remède, c’est de construire toujours du neuf, ailleurs, et poursuivre par son effort constant non pas l’ascension mais le mouvement. Il est impossible de s’arrêter au sommet, il est impossible de croître encore, alors il nous faut bouger sans cesse, et accepter qu’une œuvre ne sera jamais en sûreté, et que le mot d’acquis est un trompe-l’œil que chaque jour dément l’histoire des hommes. Cette compréhension profonde de l’éternelle aporie demande pour se changer en action une force de caractère que je suis finalement loin de posséder. J’envie parfois celui que j’ai été à vingt ans, dont la profonde insouciance n’envisageait le futur que comme paramètre d’un savant calcul, et qui puisait dans l’excitation du moment la force de mettre en mouvement tout ce qui l’entourait.

Cependant aujourd’hui que j’arpente le sommet de ce que je souhaite accomplir, et que j’observe le devenir des choses que j’ai mises en branle avec la lucidité du philosophe, je me demande d’où vient encore que je continue à m’agiter. Pourquoi est-ce que je me meus, alors même que je ressens une si intense lassitude ?

Je pense qu’en réalité je suis prisonnier du rôle pour lequel je m’apprête. Je projette, et dans l’ombre que je dessine sur la toile tendue de ce cirque qu’est la vie, je reconnais davantage un maître qu’un valet ; je suis attaché à mon image bien plus qu’elle n’est attachée à moi. Faillir ne me semble plus guère une option, et si je cours toujours, ça n’est plus par innocence, comme il y a vingt ans, ou par ambition, comme il y a dix ans, mais davantage par habitude et parce que je sens désormais que ce n’est plus moi qui m’agite, mais la route qui défile sous mes pieds et que je ne saurais la quitter sans un prodigieux effort de volonté. Et plus j’avance sur elle, plus je sens que je peux la dessiner à ma guise, choisir là où elle me mène, mais je ne puis pas la faire ralentir, pas plus que je ne peux changer, radicalement de route. Je suis prisonnier d’une poussée et d’un élan que j’ai moi-même impulsé.

A l’heure où j’écris ces lignes désabusées, il pleut. Une pluie de printemps généreuse, qui claque sur le toit de ma tente et baigne d’une fraicheur bienvenue les rêves agités de ceux qui ont trop abusé, hier, des libations de la victoire. Ma mélancolie remplit lentement mes feuillets de son sang noir à la flamme du brasero, mais je sens peser dans mon dos le regard interrogateur de Solland, le jeune griffon ; il semble attendre de moi davantage de ces caresses que je lui ai prodiguées plus tôt, en sus de la large tranche de viande, après qu’il a longuement crié pour retrouver sa mère.

La présence à mes côtés de cette bête si symbolique me trouble. Je n’ai jamais été doué pour prendre soin d’autres que moi. Le souci d’un être aussi vulnérable me fait redouter la douleur de la perte, le risque d’amollissement de ma personnalité, la tentation des mauvais choix. Je n’ai jamais eu beaucoup d’estime pour ceux qui s’entourent d’oiseaux, de lévriers, d’enfants sans saisir tout ce que ces choix entraineront nécessairement d’altération de leur jugement. J’ai aimé bien sûr, et chèrement, des amis, des femmes aussi. Mais ils étaient mes égaux. Ils pouvaient discuter, se défendre.

Cette boule de poil que je me surprends à gratter avec un sourire, un faux détachement, anime en moi un instinct animal que je réprouve. Mais comme toujours en ces matières, je me sens lentement céder au plaisir, et je sais que je ne pourrai plus m’en défaire. La fragilité de ma volonté face à la chair et au conditionnement, sur des centaines d’années, de nos corps et âmes, me révolte et m’attriste tout à la fois. C’est parce que je sais cette faiblesse que je m’interdis d’habitude toute tentation. Est-ce que je n’ai pas perdu assez de temps, à une certaine époque, à la couche des femmes ?

Mais ici, point d’alternative. Il fallait garder ce griffoneau. Et tant pis pour ma fermeté d’âme, je n’ai pas le choix. Amor Fati.

Amor Fati. Je me demande ce que penserait le père Benito de ce vieil adage Moorien. Il est revenu à la charge avec des propositions d'aides. Je lui ai partagé mes vues. Avant le prochain hiver nous serons vraisemblablement à Pfeidorf. Toutes les aides seront bonnes à prendre pour nous défendre dans les opinions des cours.

Nous faisons route vers Mendelof, vers cette bande de terre étroite comprise entre l’Averland et le Sudenland. Dès à présent des agents à nous sont en route à toute vitesse pour infiltrer les principales places fortes, et ouvrir pour nous les yeux, les cœurs et même les portes. Il s’agit, en quelques jours au maximum, de se faire maître de chacune des localités. je ne pense pas nécessaire de tuer beaucoup, car la région est très surveillée, et relativement démilitarisée pour éviter toute tension avec l’Averland. Je gage que milices et guets se rendront sans mal.

Les Wissenlandais seront expulsés de l’autre côté de l’Oggel. Peut-être faudra-t-il couper les ponts à leur suite pour gagner un ou deux jours. Le sorcier, sur mes ordres, se concentre déjà sur les positions des troupes adverses pour que je puisse agir avec le meilleur tempo. Puis nous proclamerons l’indépendance dans chaque localité de cette bande de terre, enverrons un ou deux messagers jusqu’à Pfeildorf, et mettrons la main sur les collecteurs d’impôts de la Martre. Je pense que nous aurons droit à un jour de répit avant que les Averlanders ne débarquent pour pacifier la situation.

Je compte bien profiter de ce laps de temps pour mettre la main sur tout ce que la région compte comme péniches et navettes fluviales. Mon plan est simple : quand le Feld-Major et ses renforts, ameutés par nos romorontades, arriverons pour passer la Oggel, ils trouveront des Averlanders peu coopératifs face à eux, et des ordres clairs venus de la Martre concernant la libération de cette bande de terre.

Le temps qu’il se sorte de cet imbroglio diplomatique, mes hommes et moi auront descendu suffisamment en aval pour marcher sur Pfeildorf, s’il nous en prend l’envie.

D’ici là, j’ai laissé derrière nous de quoi occuper les éclaireurs du Feld-Major. Les hommes de Maître Ségur vont avoir l’occasion de montrer leur discipline et leur loyauté ; je leur ai adjoint une demi-compagnie de chasseurs ainsi qu’une autre de miliciens, et le Doppelgänger a pour rôle de voir et rendre compte. Le maître saboteur nain les aidera à tendre l’embuscade comme il se doit, et leur enseignera l’art de creuser les fosses.

Les pistoliers sont fils de nobles. Chaque cadavre qui reposera l’herbe verte sera un argument de plus dans les conciles politiques pour la fin de l’occupation Wissenlandaise. Et puis n’est-ce pas justice qu’ils servent à leur tour d’engrais pour la nourriture des moutons, eux qui auront toute leur vie vécue sur la tonte des braves gens du Sudenland ?

Ainsi va la vie en notre divin Empire.


Anton von Adeldoch, Journal Intime par Temps de Guerre
, édition confidentielle de l’Université de Nuln
consultation sur place autorisée sous réserve d’une autorisation spéciale du Palais
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 16 févr. 2020, 17:16, modifié 1 fois.
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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
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[MJ] Le Grand Duc
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par [MJ] Le Grand Duc »

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- « Et voilà, umgi, comment on fait un parfait trou de loup : une belle fosse de huit pieds d’profondeur, deux coudées d’large et six coudées d’long, et d’jolis pieux en bouleau jeune pour une bonne pénétration. » dit fièrement Imfrik Loch-Grube en mâchonnant l’embout de sa pipe.

Le nain se tenait au bord du piège qu’il venait de mettre au point, et à ses côtés se tenaient Maître Ségur et Bernhard « Döppelganger » Dinkel. Le premier, un grand escrogriffe émacié portant un chapeau pointu à plume de faisan, était le chef des malfrats recrutés par le baron de Terre-Noire. Le second, toujours engoncé dans sa demi-armure de joueur d’épée, venait d’être promu de garde du corps à commandant de l’arrière-garde de l’Armée du Sudenland Libre. C’était à lui de tenir la troupe de coupes-gorges qu’il avait sous ses ordres, et c’était du succès de sa mission que dépendait celui d’Anton von Adeldoch, du moins en était-il persuadé. Les ordres du chef des indépendantistes étaient clairs : retenir le Feld-Major suffisamment longtemps pour que le gros de l’armée rebelle libère la Marche, puis décrocher et rejoindre le corps principal en sabotant les infrastructures sur sa route pour ralentir encore l’adversaire. Bernhard Dinkel disposait d’une centaine d’hommes, dont la moitié n’étaient que bandits de grand-chemin et voleurs de moutons, le reste étant composé d’anciens bergers et de montagnards habiles à l’arc et au couteau. Les relations entre tous ces éléments étaient pour le moins mouvementées, mais le Döppelganger s’efforçait d’apaiser le conflit et de faire régner la discipline du mieux qu’il le pouvait, ce qui n’était pas chose aisée pour lui qui n’était jusqu’alors qu’un humble homme de troupe. Le garde du corps du baron était nerveux et de fâcheuse humeur, et pour cause : tandis qu’il établissait l’ordre dans les rangs et préparait son opération, c’était un ennemi au moins quatre fois supérieur en nombre qui marchait sur lui, avec troupes provinciales et mercenaires, cavaliers et canons. Mais Anton avait un choix judicieux, car le Döppelganger, vétéran des Brigades du Crâne d’Ostermark, n’était pas étranger aux techniques de guérilla et de conflit asymétrique. Le solide gaillard visa son large chapeau à plume sur la cervelière ferrée qui lui ceignait le crâne et se retourna vers la souche vermoulue qui faisait office de table de campagne, et sur laquelle étaient étendues les cartes des environs dressées par le Vieux Oswald.


- « Lorsque leurs premiers éléments franchiront le guet, Hector et ses chasseurs les prendront en embuscade puis battront en retraite immédiatement sur cette position. » indiqua-t-il en posant un doigt ganté sur une série de bosquets illustrés par de petites ratures sur le plan. « Nous creuserons des fosses sur cette piste, ainsi que celle-ci qu’ils seront obligés d’emprunter lorsqu’ils voudront sortir du bois. Ségur, vous et vos hommes serez cachés dans les futaies de chaque côté et irez au contact dès qu’ils y seront empêtrés. J’attendrais ici, » continua-t-il avec son ton bourru en déplaçant son index, « en réserve avec les miliciens, pour venir vous aider si vous vous trouvez en difficulté. »
- « Oui, oui, tout ça est bien joli. » rétorqua le chef des bandits en curant ses ongles sales à l’aide de la pointe de l’une de ses dagues. « Mais ces trous, à qui comptez-vous les faire creuser ? Pas à nous, j’espère. Vous avez bien assez de cul-terreux pour vous en charger. »

Le Döppelganger dut se contenir pour ne pas décocher une mandale au hors-la-loi.

- « Par les valseuses d’Ulric, je t’assure que tout le monde va s’y coller. » répondit-il avec hargne, jetant aux chiottes les conventions et tutoyant le caïd. « Toi et moi y compris. Pour ce qu’on en sait, le Feld-Major est peut-être déjà dans le coin. Plus vite c’est fait, mieux c’est. » Ségur le loup et Dinkel le lion se défièrent du regard, jusqu’à ce dernier se redresse et le toise de sa stature de joueur d’épée. Seule cette dernière retenait le roublard de se jeter sur lui pour lui trouer le ventre avec ses surins. « Mais ne t’en fais pas, écorcheur. Les premiers à venir sont des pistoliers. Des têtes-brûlées, des fils à papa, et dont les papas sont très riches … Ils sont jeunes, ils sont fougueux, ils ont des chevalières en or, des bagues serties, des éperons en argent et des épées en acier d'Estalie. Trucidez-les et tout est à vous. »

Le visage crevassé de Maître Ségur s’étira alors d’un sourire mauvais, et il siffla ses gars pour qu’ils commencent à creuser. Imfrik « Tête-de-Pioche », que l’échange ne semblait pas intéresser le moins du monde, fumait nonchalamment sa pipe et attendit que le reître s’éloigne pour pointer un tracé sinueux sur l’une des cartes. Le Döppelganger baissa le regard avec une moue, en rogne.

- « Ce ruisseau fait un lacet sur la prairie, là, et descend en oblique par rapport au chemin qui se trouve dans une sorte de creux. » fit remarquer le nain en roulant ses r comme seuls savaient le faire ceux qui vivent sous la montagne. « Donne moi quelques-uns de tes bras cassés et je m’en vais l’obstruer avec un barrage qu’on fera sauter juste avant que les autres n’arrivent. Le chemin sera inondé et va devenir un champ de boue. Soit ils s’y engagent et tu n’as plus qu’à placer tes archers là et là pour les arroser, soit ils le contournent par ici et prennent les ravines derrière le village, là, nous faisant gagner du temps ou de bonnes embuscades. »

Bernhard Dinkel hocha vaguement la tête pour donner son consentement, occupé en ruminer de sombres pensées. Il se surprit à songer à ses compagnons de la Brigade, ceux qui étaient vivants, ceux qui étaient morts, aussi. Il se rappela d’un été calme, quand il avait vingt ans. De baignades nus dans le Talabec, de cette fille qu’il avait laissée, enceinte, pour partir à la guerre. Un peu sonné, il secoua la tête comme un bœuf chassant les mouches et s’en alla chercher une pelle en aboyant ses ordres sur quiconque le croisait.




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Sise entre les rivières Oggel et Staffel, la région connue sous le nom de la Marche bénéficiait d’une situation particulière dans le Sudenland. Contrairement au reste du territoire de l’ancienne province, où dominaient les pluies froides et les landes rocailleuses, cette bande de terre était majoritairement composée de coteaux ensoleillés et d’une basse campagne régulièrement baignée par les crues. Ici, et depuis des temps immémoriaux, les paysans creusaient des canaux et montaient des digues pour contrôler les inondations, dirigeant les eaux pour qu’elles viennent déposer dans leurs champs un limon aussi fertile que précieux, gorgé de bons éléments arrachés à la montagne toute proche. De fait, la Marche était connue pour la qualité de ses productions agricoles, qui faisaient la richesse des seigneurs locaux. La vigne y produisait un gewurztraminer dont on disait que le duc bretonnien Tancred II de Quesnelles en gardait toujours un pichet sur sa table de chevet tant il l’appréciait, et le foin produit dans les prairies alluviales s’arrachait à prix d’or à la foire aux bestiaux d’Averheim, où on affirmait que c’était le meilleur fourrage du monde. Mais la générosité de ce terroir ne se trouvait pas qu’en surface, et les abords des Montagnes Noires regorgeaient de filons de fer, d’étain et d’argent qui ne demandaient qu’à être exploités.

Tant de bienfaits réunis sur une contrée si étroite n’étaient pas sans attiser les convoitises. Au cours de l’histoire, la Marche fut l’objet de bien des alliances, manigances politiques et conflits armés, et changea de main de nombreuses fois. Du temps de Sigmar, les tribus pré-impériales des environs livraient déjà bataille pour conquérir ce territoire qui, aujourd’hui encore, était un sujet sensible dans les relations diplomatiques entre le Wissenland et l’Averland. La Diète de Wissenburg -et à travers elle Nuln et sa comtesse- souhaitait bien évidemment garder la mainmise sur cette manne financière tandis que les seigneurs frontaliers de la province voisine revendiquaient ces fiefs au titre de leur héritage naturel, en s’appuyant sur le fait que la noblesse du cru descendait en majorité d’aristocrates venus des berges pauvres de l’Aver pour s’installer sur ces terres après que la Marée Verte de Gorbad eut ravagée le Sud-Ouest de l’Empire. Si ce qu’avançaient les averlanders était vrai, ces derniers omettaient volontairement de rappeler que ces mêmes pionniers avaient fui la misère après que leurs géniteurs, souvent désargentés, ne les aient privés de leurs droits de succession au profit de leurs frères ainés.

Toujours est-il qu’Anton von Adeldoch avait vu juste, car le statu quo était le suivant : pour éviter les tensions, Wissenburg s’était engagée à ne maintenir sur place qu’une simple garnison dont le seul rôle était de maintenir l’ordre, et échange Averheim démantelait les forts construits le long de la Staffel et renonçait à surtaxer les marchandises en provenance de la Marche. Cet équilibre précaire bénéficiait largement aux seigneurs locaux qui profitaient de leur position pour négocier des conditions avantageuses avec l’un et l’autre des gouvernements. D’un côté ils jouissaient d’une autonomie relative vis-à-vis de Pfeildorf et de la politique fiscale agressive de la Martre, et de l’autre ils restaient libres d’exporter leurs productions vers le Nord de l’Empire par voie fluviale.

Le marquis Frédéric von Wrangel, qu’Anton avait rencontré dans le Statuenpark et qui avait soutenu la motion du baron de Terre-Noire au Conseil des Pairs, était le noble le plus riche et le plus influent de la Marche. Le jeune seigneur de Jengen avait poussé son avantage jusqu’à négocier avec les nains de Karak Angazhar pour pouvoir exploiter des concessions minières qui avaient fait sa fortune et grâce aux recettes desquelles il avait développé non seulement son fief mais aussi la région alentours. En bâtisseur ambitieux, il avait ordonné la construction de nouveaux quais sur la Staffel, de forges, d’ateliers et de moulins, de routes et de ponts et s’était même payé le luxe progressiste d’engager une équipe d’ingénieurs venus de Nuln pour qu’ils développent, sous son patronage, de nouveaux moyens de production basés sur la vapeur et l’énergie mécanique. Attentionné avec ses gens et soucieux de leurs problèmes, Frédéric était aimé du peuple. Conscient de la fragilité de sa position si la balance venait à se renverser, il avait employé le reste de sa trésorerie à équiper et former une milice compétente capable de se mobiliser rapidement en cas de conflit. Cette politique devait porter ses fruits, aujourd’hui que le baron de Terre-Noire franchissait la Oggel à la tête d’une armée de rebelles.

L’Armée du Sudenland Libre avait dressé le camp devant le bourg de Mendelhof. Les séparatistes étaient entrés dans la Marche en traversant par le pont de Lindern et n’avaient rencontré aucune résistance jusqu’à alors. Le seigneur du coin, comme ses confrères des alentours, avait pris la poudre d’escampette avec sa suite et Anton résidait dès lors dans sa demeure laissée vide, un coquet manoir bâtit au bord de la rivière. C’était aussi là que s’était installé son état-major, et que ses conseillers et courriers venaient le trouver. Pour l’heure, un conseil se tenait dans la salle de chasse, une grande pièce aux murs truffés de trophées sous les fenêtres de laquelle s’élançait une vaste terrasse surplombant un jardin de rosiers et de buis taillés. Ses officiers étaient là, autour d’une table garnie de rapports et de cartes, en un tableau qui semblait se redessiner à l’infini.




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- « J’ai trouvé ce plan dans la bibliothèque. » indiqua Theobald von Bethmann-Hollweg, l’aide de camp, en dépliant le vélin sur la table.
- « Parfait. » salua le maréchal Ludwig von Ülmer avant de récapituler : « D’après nos renseignements, cette danseuse de Von Wrangel s’est enfermée dans sa place-forte de Talmberk avec les quelques nobles du coin, des miliciens et ce qu’il a pu rameuter de garnison wissenlander. Au plus une centaine d’hommes. Eberwald, c’est bien ça ? »

Le Maître des Tondeurs se contenta d’incliner la tête en silence, bras croisés. On pouvait entendre la cloche de la brebis Ava tinter dans le jardin, en contrebas, car c’était là que s’était établie la compagnie des Bergers de Sainte-Melke.

- « Bien. Et des autres villages, quelles nouvelles ? » continua l’aîné des Von Ülmer.
- « Rien de significatif. Les gueux restent calmes et ne semblent pas décidés à prendre part. » répondit Ernest « Le Noir » de Lippe, non pas à Ludwig mais directement à Anton. Le Maître-Fourrier semblait mettre un point d’honneur à rappeler que c’était bien le baron de Terre-Noire et non celui de Kroppenleben, qui dirigeait les opérations.

Comme le soulignait le Noir, les habitants de la Marche n’avaient pas accueillis l’héritier d’Eldred von Durbheim comme un sauveur, ni non plus comme un oppresseur. Héritiers d’une longue tradition d’invasions et de conflits, les paysans du cru avaient visiblement appris à laisser les puissants régler leurs questions entre eux. Leur condition ne changeait généralement pas et ce quel que soit le vainqueur, et qui plus est la popularité du marquis rendait invraisemblable que le peuple prenne les armes contre lui. En outre, rares étaient ceux qui avaient opposé une résistance face aux pillages opérés par les fourrageurs du Maître-Fourrier et ce dernier n’avait eu à procéder qu’à une poignée de pendaisons pour convaincre les plus récalcitrants à livrer leurs provisions aux indépendantistes.

- « Pour moi la situation est claire : Von Wrangel sait que nous avons le Feld-Major aux trousses et compte attendre tranquillement derrière ses murs que le Wissenland vienne le sauver. Nous devons frapper fort et vite pour le déloger et nous rendre maître du territoire, en priant Sigmar que Dinkel et ses zouaves retiennent l’autre fils de catin assez longtemps pour nous laisser manœuvrer, dussent-ils y rester. » dit Ludwig.
- « Ce fort ne semble pas protégé par des fossés. » ajouta Ernest, penché sur la table avec les mains de chaque côté du plan. « Je peux ordonner qu’on assemble des échelles et des grappins, ce devrait être rapide. » proposa-t-il à Anton.
- « Dommage que nous ayons laissé ce nain derrière nous … » minauda d’un air innocent Karl von Ülmer, le gonfalonnier.
- « Il faudra d’abord nettoyer le village pour s’assurer que nous ne laissons aucun ennemi derrière nous, puis prendre la palissade avant de s’attaquer au château. » conseilla le chevalier Vilnus von Wirth. « Et regardez : plusieurs collines entourent l’endroit, peut-être pouvons-nous disposer le Loup Grondant sur l’une d’elles. »
- « Eberwald, tes Tondeurs ne peuvent-ils pas montrer patte blanche et entrer dans la place pour nous l’ouvrir de l’intérieur ? » lança Ludwig au Chef des Renseignements.
- « Mes hommes ne sont ni membres des forces spéciales, ni des sorciers de l'ombre. » rétorqua Dietrich Eberwald, auquel le ton familier du noble parlant au roturier semblait fortement déplaire. « Du reste, avez-vous vu des moutons paître ici ? Les Tondeurs n’ont pas leurs entrées dans la Marche. »

Le maréchal lui jeta un regard mauvais et le ton monta au sein de l’état-major. Anton n’avait de toute façon plus qu’à donner ses ordres avant de retrouver Gottfried Trapp de Saverne, le sorcier de sa suite. Ce dernier avait installé ce qu’il appelait son « observatoire portatif » sur la terrasse, orientée Nord-Ouest. Il y avait là une longue lunette au tube de cuivre et montée sur un trépied, et dont l’embout supérieur était entouré d’un dispositif de lentilles amovibles de différentes tailles et couleurs que l’astromancien pouvait ajuster grâce un mécanisme complexe de manettes. Gottfried appuya sur une série de pédales et abaissait légèrement un levier pour placer un rond de verre aux reflets verts devant le bout de sa lunette, puis marmonna quelque chose pour lui-même en collant son œil à l’instrument, et s’empressa de tout noter sur un carnet avant de s’apercevoir que le baron venait de le rejoindre.

- « Ah, Monsieur ! Vous tombez à pic. » dit-il en reposant ses notes sur une grosse malle de voyage qui faisant office de bureau. « Sachez que de la même manière qu’un objet se reflète dans l’eau, on peut dire pour vulgariser qu’il se reflète aussi dans le ciel. Et voyez-vous, c’est en utilisant des cristaux focalisateurs de degrés variables que l’on arrive à ausculter le reflet des ondulations aethyriques qui fluctuent dans l’atmosphère. Cette dernière lentille, par exemple, est taillée le plus finement possible à partir d’une pièce unique de malachite, puis polie avec un sable ferreux afin que blablablabla. » continua-t-il.

Il se perdit en longues explications magico-techniques et ne s’arrêta qu’après avoir été rappelé à l’ordre ou une fois le vaste sujet épuisé.


- « Il n’a pas été aisé de se concentrer avec ce tintamarre de cloches, » se plaignit-il en jetant un regard désapprobateur à la compagnie de miliciens au repos en contrebas, « mais je crois avoir réussi à capter l’émission circonférentielle d’une vaste troupe divisée en trois corps dans le secteur compris entre Waldbach et Steingart. Une série de relevés successifs indique par ailleurs une certaine stagnation de ces corps d’armée, ainsi que des retraits et des changements réguliers de trajectoire qui semblent démontrer, sous réserve que mes équations soient exactes, que notre adversaire fait face à des difficultés au mieux ou à une profonde indécision au pire. » conclu le sorcier en mettant de l’ordre dans ses notes, où les piles de parchemins côtoyaient des compas, des outils de calcul et des boussoles étranges.

Gottfried prit soudain un air suspicieux et balaya les alentours du regard avant de baisser la voix.


- « Il est un autre sujet donc je voulais vous entretenir, Monsieur le baron. Alors que j’étudiais les remous magiques pour tenter de localiser l’armée du Feld-Major, j’ai remarqué une courte période de perturbation aethyrique ici-même, dans notre camp. Rien de significatif ou de particulièrement alarmant, car vous n’êtes pas sans savoir que chaque être vivant qu’il soit animal, végétal ou minéral, contient une charge magique et que celle-ci se rend parfois instable pour des raisons aussi aléatoires que variées. Cette turbulence était légèrement plus haute que d’habitude, mais j’ai déjà rencontré pareil phénomène lorsqu’un jour trois chiens à trois pattes se retrouvèrent au croisement de trois ruelles à Übersreik. Rien qui ne changea le cours de l’Histoire j’en conviens, mais en tant que votre conseiller sur les affaires magiques, je me devais de vous en tenir informé. »

L’astromancien terminait juste ses explications qu’un Tondeur à gilet en laine bouclée monta sur la terrasse, et manqua de trébucher sur Solland le griffonneau qui se tapissait dans les recoins pour s’attaquer aux bottes des passants.

- « Messire, un courrier de Pfeildorf. » indiqua le rustique messager en tendant un étui à parchemin tout en inclinant le buste.

La missive que contenait l’étui était signée par Viviane et relatait l’évolution récente de la situation dans la capitale de l’ancienne province. Selon l’espionne du baron, les émeutes du Solhafen s’étaient propagées à d’autres quartiers de la ville et la Grande-Baronne Etelka Toppenheimer avait les plus grandes difficultés à maintenir l’ordre. La loi martiale était sévèrement appliquée par le guet de la ville et les mercenaires à sa solde. Les exécutions s’enchaînaient sur l’Alttorplatz et une mutinerie avait même éclaté dans la prison de St. Quintus, au cours de laquelle le Père Max, incarcéré jusqu’à alors, avait disparu. Les rumeurs les plus folles couraient désormais sur le prêtre de Véréna mais Viviane indiquait que ses agents étaient sur le coup pour découvrir la vérité à son sujet. L’actuelle maîtresse du Sudenland et grande ennemie d’Anton avait quant à elle commissionné son beau-frère, Vladimir von Scheinder, pour gagner des soutiens à Wissenburg et lever une nouvelle armée pour rétablir la situation au plus vite. Le jeu du chat et de la souris que se livraient le Feld-Major Klaus von Holtzendorff et le baron de Terre-Noire était vécu autant comme un échec qu’une humiliation et la Martre comptait bien y mettre un terme. Le nom de Von Scheinder, en outre, n’était pas inconnu d’Anton puisque ce personnage n’était autre qu’un lointain cousin du pèlerin ayant trouvé la mort dans le fameux Incident de la Saucisse, et avait demandé la condamnation des partisans sudenlanders impliqués dans l'affaire.

Dans un second paragraphe, Vivane retranscrit les informations rapportées par son contact habilement infiltré dans l’entourage de la Grande-Baronne. Ces nouvelles étaient d’une importance capitale car elles présageaient d’un grand changement politique et institutionnel dans le Sud-Ouest de l’Empire. Il courait en effet dans les hautes sphères la rumeur selon laquelle les tractations menées par la Comtesse-Électrice Emmanuelle von Liebwitz auprès de Karl-Franz depuis la fin de la Tempête du Chaos avaient enfin porté leurs fruits, et que l’Empereur allait forcer la Chambre des Primats à entériner le décret séparant définitivement la province du Wissenland de Nuln et accordant à cette dernière la distinction électorale. Cette annonce, si elle était vérifiée, allait avoir l’effet d’un coup de tonnerre sur la politique impériale. Les provinces du Nord ne manqueraient pas de crier au scandale en voyant le Sud gagner un vote supplémentaire tandis que les cours du Reikland, de l’Averland et du Stirland feraient tout ce qui était leur possible pour capter ce nouvel atout leur avantage, ou du moins au détriment d’Emmanuelle. Les cartes du pouvoir allaient être complètement redistribuées dans la région, car tout devenait possible si Nuln devenait une ville-franche. Les conseils bourgeois de villes telles que Wissenburg et Pfeildorf allait se sentir pousser des ailes et feraient pression pour se voir accorder des chartes similaires à celles de l’ancienne capitale impériale. Les indépendantistes les plus convaincus, eux, pouvaient se plaire à rêver d’un redécoupage territorial, avec la résurrection de la province du Sudenland, Pfeildorf en capitale provinciale et un Comte-Électeur à sa tête, tandis que ce qui restait du Wissenland ne serait plus qu’une bande de terre pressée contre les Montagnes Grises et rattachée aux dirigeants de Nuln. Qui seraient, alors, les hommes forts de ces nouvelles puissances ? Le clan Toppenheimer ou le vieux Bruno Pfeiraucher ? Le loyal Frédéric von Wrangel ou le rebelle Anton von Adeldoch ? Ou peut-être, encore, une quelconque marionnette d’Emmanuelle, de Karl-Franz ou de Sigmar sait quel seigneur influent.

Mais le courrier de l’ancienne prostituée se terminait sur une note bien plus alarmante. Elle affirmait que le Geheimwätcher fréquentait désormais le tripot qui servait de couverture aux espions de la Cause. L’officier de la police secrète d’Emmanuelle von Liebwitz à Pfeildorf, qu’Anton avait aperçu à plusieurs reprises en marge du Conseil des Pairs, n’avait pas de comportement anormal et se contentait de se payer les services de la même fille tous les soirs ou presque. Mais pour Viviane, sa présence dans ce bordel à l’aspect tout à fait banal était déjà extrêmement suspecte. Les sommités politiques, militaires et culturelles de la ville avait plutôt pour habitude de fréquenter les maisons de luxe et les clubs de jeu sélect de l’Alderhorst, pas un vulgaire cabaret du Shwarzwache. Quant à la fille en question, la générale indiqua ne plus être certaine de la confiance qu’elle avait en elle et la tenait désormais éloignée des opérations. Mais elle en savait déjà beaucoup. Elle en savait trop. L’écriture de Vivane était saccadée, et la panique transpirait à travers l’encre. Elle demandait désormais qu’elle était la marche à suivre, et s’il n’était pas judicieux d’abandonner cette couverture et de faire profil bas un moment le temps que le limier de la Comtesse-Électrice perdre sa trace.

Du reste, ces évènements posaient une question dont la réponse, si elle venait à être trouvée, prendrait une place déterminante dans les plans machiavéliques d’Anton : quelle était, au juste, la position d’Emmanuelle von Liebwitz face aux évènements qui secouaient le Sudenland ?

Les tests d’observations du sorcier sont rendus après plusieurs jets de Mag dont les résultats sont cachés.
Tu récupères 15 points de vie et tu peux considérer que ton personnage n’a plus le bras en écharpe, quand bien même la blessure est encore douloureuse.
Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois. Je vis avec mes gens, loin de la folie des hommes. La nuit je vole dans les sombres profondeurs de la forêt. Mon regard d'acier partout se pose, et sans bruit, comme le vent, je file entre les branches des arbres séculiers. Je suis le Grand Duc, seigneur de ces bois.

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Anton
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Re: [Anton] La Complainte du Solland

Message par Anton »

« Mon petit Solland, la vie n’est finalement pas très compliquée. Le tout est de la considérer avec suffisamment de recul pour ne pas se perdre dans les détails.

- Gnyaaaaar…

- J’entends bien que c’est tout l’avantage d’avoir des ailes. Mais enfin vous voudrez bien admettre que pour l’instant pour vous et moi la situation est la même : pas de décollage possible. Notez qu’il nous reste nos griffes.

- Gnyaaaar.

- Je reprends. La vie est simple. Il suffit de savoir où vous souhaitez aller, puis éliminer les obstacles qui se dressent l’un après l’autre.

Après tout la vie ne serait pas la vie sans les obstacles. Tout serait trop facile, n'est-ce pas.

Bref, ce qui importe ici à mon propos c'est : comment élimine-t-on un obstacle ?

- Gnyaaaaaar.

- Evidemment, oui, c’est sûr. Mais essayons de sortir un peu du quotidien pour raisonner de façon générale voulez-vous ? Voilà, de façon générale, élaborer une thèse, avant de revenir au particulier, hum ? A la manière des géomètres en somme ! Déductif très cher, déductif.

- Gnyaaaar.

- Ahahah. Permettez, le jour où vous serez à la tête de milliers d’hommes comme moi, nous discuterons d’égal à égal. Pour l’instant, on va utiliser ma méthode de raisonnement. Elle nous a mené jusqu’ici, je ne vais pas commencer à innover juste pour contenter le scepticisme un peu primal d’une boule de plume, n’est-ce pas ?

- Gnyarp.

- Donc je disais, comment se sortir d’un obstacle ? Trois grandes idées. C’est un peu la métaphore du griffon en fait.

- Gnyarp.

- Mais oui, mais oui. Que fais le griffon face à l’insupportable obstacle que serait un homme errant sur ses terres ? Première possibilité bien sûr, il est lion sauvage ! Il le détruit. Seconde possibilité ?

- Gyarrrrrr

- C’est ce que j’appellerais l’Aigle, oui. Il s’envole loin de l’importun. L’esquive, le contournement, appelons cela comme on le veut. Et le troisième est le plus fin, le plus difficile. C’est le Griffon, tel qu’il a sut depuis des siècles pactiser avec l’humain : il s’en fait un allié.

- Gnyyyyyyyyyyrk

- Vous jouez sur les mots. En attendant, l’homme cesse d’être obstacle. Attaquer, fuir, et transformer, lion, aigle, griffon, ce sont les trois grandes attitudes à avoir face à l’obstacle. Les trois seules possibles !

Bien, voici le cadre théorique général. Voyons maintenant comment il s’applique à nos trois problèmes. Par lequel commencer ?

- Gnyark.

- Soit, va pour le Feld-Major. Il est trop coriace pour que cela vaille le coup de se battre et y laisser les plumes. Pour l’instant, il semble que notre arrière-garde les ralentisse avec succès. Le sorcier surveille la situation de près. J’ai déjà donné les consignes pour que nous rassemblions de quoi embarquer toute l’Armée sous cinq jours. La navigation fluviale offre moins d’allure qu’un envol de griffon, mais vous admettrez très cher que l’esquive n’en sera pas moins délicieuse ! Premier obstacle, première réponse : la fuite. Au second.

- Gnyark.

- Frédéric Von Wrangel. Vous ne l’aimez guère, et pourtant c’est là un jeune homme bien comme il faut. Brave, dévoué, prometteur… En réalité je serais au désespoir de le savoir pendu à un arbre pour avoir méconnu les avantages de la libération de la Marche. Tout comme je serais très malheureux de laisser mourir mes hommes devant une palissade pourrie juste parce que les Von Ülmer ont un peu le sang chaud. Je ne me vois pas aller à l’affrontement tout de suite, sans sapeur, sans le temps pour un siège en bonne et due forme.

Et vous conviendrez que je ne saurais laisser à ce cher Frédéric le plaisir de rester là où il est. On perdrait toute contenance face aux Averlanders.

- Gnyarrr !

- Vous en serez d'accord, n’est-ce pas, la seule solution est celle de la transformation. Faire de l’obstacle un tremplin. La réponse la plus complexe, mais aussi la plus gratifiante, celle qui demande non seulement de la finesse, mais aussi une bonne part de chance.

Et de vous à moi il me semble que le chevalier Von Wirth fera un magnifique plénipotentiaire.

- Gnyar ?

- Plénipotentiaire oui. Intermédiaire. Représentant. Porte-parole en somme. Diplomate si vous voulez...

Parenthèse mais tout de même... il faudrait travailler votre vocabulaire si vous souhaitez réussir mon cher Solland. Si vous pensez que vos Gnyark Gnyark vont vous mener jusqu’à un poste de commandement, vous vous fourrez la serre dans l’œil jusqu’à l’arrière-train, permettez-moi de vous le signaler. On n’est pas chez les orques ici.

Non, inutile de protester. Sachez que diriger, c’est d’abord nommer, ensuite communiquer. Et puis répéter, encore et encore. Et comment par Morr pensez-vous pouvoir répéter sans ennuyer tout le monde si vous n'avez aucun vocabulaire ? Cela sera d'un lassant !

- Gnyark.

- A votre guise, mais vous ne direz pas que je ne vous aurai pas prévenu. Bref. Revenons à nos moutons...

Non mais... Par Morr... MAIS CESSEZ DE BAVER ! Mais enfin c’est absurde mon pauvre ami ! Quel atavisme ! Réflexe pavlovien terrible. Ça aussi il va falloir le travailler.

- Gnyyyyyyaaaaaaaar

- Oui, oui je sais que vous faites le maximum. Je ne vous en veux pas. Allez, c’est oublié. Revenons à nos ovins alors – ça va comme ça ?

Frédéric Von Wrangel disais-je. Nous nous sommes entendus une fois, jadis, à Pfeildorf. Rien ne dit que nous ne pourrons pas nous entendre à nouveau. Le plus tôt sera le mieux. Inutile d'aller à l'affrontement.

Quoique j’imagine que déployer nos troupes au large du village, préventivement et sans hostilité aucune, ne pourra que l’aider à saisir que nous avons les moyens d’agir de façon désagréable si les négociations s’enlisent…

Second obstacle, seconde soultion donc, la négociation. Vous me suivez toujours ?

- Gnyarp.

- Je vois bien que votre attention faiblit, mais enfin l’exposé va sur la fin. Il ne nous reste plus que le cas de Viviane à traiter avant notre gigot biquotidien. Allons concentration. Nous avons eu un premier obstacle que nous esquivons. Un second que nous transformons en allié. Que faire du troisième ?


Un silence inhabituel suivit la question du baron. Celui-ci tourna la tête en direction de son interlocuteur.

D’un air sinistre, le griffoneau Solland enfonçait avec application ses griffes dans le lourd tapis qui garnissait le sol de la chambre de maitre où Anton avait pris ses quartiers.

Le Baron regarda avec intérêt les profonds sillons labouraient désormais l’épaisse laine, faisant ressortir en profondeur le rouge sang d’une précédente teinture. Comme pour marquer le coup, la créature leva ensuite la tête pui poussa un long cri, dardant son bec aiguisé vers une fenêtre où les premières étoiles pointaient déjà.

Anton von Adeldoch prit un air pensif, puis attrappa sa plume en levant les sourcils.


- Ma foi, mon cher, vous devez avoir raison. Trois obstacles. Trois réponses disions-nous au début. Nous avons épuisé la fuite et la négociation, il s'agit d'être cohérent avec notre doctrine. »

Un grognement sourd acheva cette conversation. Déjà sur le papier la graphie précipitée aux grands liants pleins de formes du baron von Adeldoch dessinait, en creux, l'acte de condamnation d'un homme qui s'était de toute façon déjà perdu des décennies plus tôt.


***

Chère Amie,

Merci pour ces bonnes nouvelles, je suis content de vous. Sans vous en dire trop – je suis si bavard ! – sachez que les choses ne se passent pas mal pour nous aussi, et peut-être que je viendrai comme promis vous rendre visite avec mes amis avant l’hiver.

Je suis horrifié de ce que vous me racontez sur la mauvaise fréquentation de votre maison. Vous trouverez avec cette missive trois cents ducats qui vous permettront de vous loger dans un nouvel établissement plus conforme à vos standards.

Outre votre déménagement, je comprends votre envie de bien laisser tout en ordre ; j’ai cru comprendre qu’un des pensionnaires, pourtant peu bavard, vous donnait du souci. Ma recommandation est simple ; vous devriez lui signifier un congé définitif, ainsi qu’à la femme qui l’accompagne. N’hésitez pas à faire intervenir vos gens au milieu de leurs ébats, ils seront tellement gênés qu’ils auront du mal à protester. De toute façon ce ne sont pas des bavards, rien à gagner à discuter avec eux, terminez-en simplement au plus vite.

Notez qu’une chambre brusquement vide attire bien souvent les fouineurs et les rats. Cela sera sûrement le cas ici. Laissez donc d’autres que vous gérer cela, partez avant. J’ignore si vous avez suivi ma recommandation de compartimenter vos affaires, mais si oui il ne devrait pas y avoir trop de casse lorsque les rongeurs débarqueront. Si non, assurez-vous avant de partir d’avoir bien fait le ménage. Je pense que tout le monde dans votre établissement comprendra que vous ailliez besoin de vacances avec ce dur climat qui règne aujourd’hui à Pfeidorf.

Portez-vous bien

AVA

PS : j’ai eu récemment eu une très intéressante conversation avec le Père B. l’autre soir. Saviez-vous que les temples de Myrmidia logent et nourrissent les disciples ? Cela m’a fait penser à votre cousin Vivien, à la voix si fluette, et aux cheveux courts. Au besoin si ce garnement n’a toujours pas trouvé sa vocation, un mot du Père joint à cette missive devrait lui ouvrir toutes les portes nécessaires pour passer quelques mois au temple.

Que les Dieux vous gardent

AVA
Modifié en dernier par [MJ] Le Grand Duc le 24 févr. 2020, 00:55, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total : 149 xps
Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

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