Un silence pesant avait envahi le petit bureau de Maître Thranduil. Beladris et le Maître du Savoir se fixaient tour à tour l'un l'autre, Nimiel, la fenêtre, dans un ballet d'oeillades qui dura une longue minute. L'initiée ne savait pas sur quel pied danser, ni quel regard soutenir pendant ce qui fut un long moment d'incertitude. Finalement, Maître Thranduil finit par trouer le silence, après un regard appuyé et interrogatif en direction de Nimiel. Elle avait semble-t-il eu la bonne intuition, puisque les deux maîtres acquiescèrent à sa proposition. Thranduil, de son habituelle voix morne, avait ensuite congédié la jeune elfe, lui conseillant de rassembler ses affaires pendant qu'il finissait de s'entretenir avec Beladris. Elle était donc retourné à sa chambrée et avait commencé à empaqueter ses maigres effets. L'enseignement de la Tour Blanche promouvait un train de vie humble, et Nimiel ne dérogeait pas à la règle. Elle portait chaque jour les mêmes vêtements dépourvus de fantaisie, et les murs blancs de sa chambre restaient nus: pas de peintures sur les murs, pas de bibliothèques croulantes de volumes ou d'artificiels chandeliers pendus au plafond. Même la meurtrière percée dans le mur semblait filtrer la lumière nécessaire à l'éclairage de la pièce. On frappa à la porte, et un serviteur apparut lorsque Nimiel ouvrit le battant. Il tenait dans sa paume ouverte une bourse, qu'il tendit à l'elfe :
“Maître Beladris m'envoie. Il vous fournit ces quelques pièces afin que vous puissiez vous équiper au mieux pour le long voyage qui vous attends. Il vous recontactera lorsqu'il sera prêt au départ.”
Nimiel resta silencieuse et récupéra la bourse qu'elle jeta sur le lit, au milieu des affaires qui constituaient son baluchon de voyage.
“Veuillez bien remercier Maître Beladris. Je me tiens à sa disposition! Transmettez-lui mes plus sincères respects.”
Le serviteur acquiesça, mais ne dit rien de plus. Il baissa la tête en signe de déférence avant de repartir et de disparaître à l'angle d'un couloir, lui seul savait pour quelle raison. Bien. Il ne lui resterait plus qu'à aller se fournir en matériel et s'entretenir avec Araen pour la suite des événements. Autant dire, une épreuve. Elle regrettait déjà son choix... Par Vaul, quelle folie avait-elle pu la pousser à prononcer son nom?! Sans compter qu'Ilthariel lui en voudrait sûrement... Elle ne voulait juste pas qu'il puisse se blesser, ou pire, lors de cette escapade hors de la Tour. Ce dont elle se fichait éperdument pour Araen. Nimiel était plongée dans ses pensées. Elle se rendait compte qu'elle ne savait même pas dans quoi elle s'embarquait. Elle qui cherchait à tout maîtriser, à comprendre les tenants et aboutissements des choses. Elle avait juste laissé Thranduil et Beladris décider pour elle. Elle aurait des questions à poser à Beladris lorsqu'elle le reverrait. Assise sur le lit, elle se souvint alors qu'elle n'avait toujours pas mangé et qu'elle s'était encore moins lavée. Peut-être que la moue désapprobatrice du valet de Beladris venait de là... Bien, elle aurait à faire un détour par les bains, alors. Et fureter dans la cuisine pour trouver des restes... et supporter les regards lourds des cuisiniers. De toutes façons, ses affaires étaient prêtes, maintenant. Bien, un brin de toilette lui ferait sûrement du bien...
L'eau chaude coulait abondamment de la canalisation, produisant un nuage de vapeur au-dessus du baquet. Personne à l'horizon. Tous devaient être en étude, occupés quelque part. Bien, Nimiel n'aurait pas à supporter les moqueries ou les regards impromptus. Ôtant délicatement sa tunique, elle se plongea précautionneusement dans l'eau, avant de s'immerger complètement sous l'eau chaude. Sa peau avait rosi au contact de l'eau, faisant apparaître plus visiblement encore les écorchures, les croûtes et les griffures dues à son entraînement. Elle attrapa le savon qui se trouvait un peu plus loin et prit un long moment pour se nettoyer, évitant les blessures encore douloureuses et appréciant pleinement le contact doux du savon sur sa peau nue. De tels moments étaient trop rares à la Tour Blanche, mais ils étaient toujours appréciés à leur juste mesure. Nimiel aurait pu rester longtemps dans l'eau, à détendre son corps et son esprit... Mais l'après-midi était trop courte pour s'accorder longtemps ce plaisir. Elle essayait de se convaincre de quitter cet instant de paradis. Et l'idée d'avoir à parler à l'arrogant Araen ne l'inclinait pas à finir tout de suite ses ablutions. Elle ferma les yeux.
Elle se réveilla en sursaut alors que de l'eau s'immisçait dans ses narines. Combien de temps avait-elle été assoupie? Elle grelottait légèrement dans l'eau désormais froide et grise. Le devoir avant tout. Elle tentait de s'en convaincre. Nimiel finit par s'extirper de l'eau, et le contact avec l'air frais des bains lui donna la chair de poule. S'emmitouflant dans une serviette, elle se sécha le plus vite possible, avant d'enfiler l'une des anonymes tuniques qui pendaient là, à disposition. L'eau gouttait de ses cheveux sur son visage et dans son cou, et bien qu'elle en eut des frissons, elle n'avait pas le temps de s'occuper plus longtemps de son bien-être. Manger, s'arranger de son équipement et parler à Araen, voilà ce qu'elle avait à faire. Puis attendre que Beladris ne la mande. Habillée, elle se glissa hors de la salle des bains et descendit jusqu'aux cuisines. Deux des cuisiniers discutaient agréablement devant la porte. La jeune elfe s'approcha d'eux :
“Bonjour! Dîtes-moi, vous resterait-il quelque chose à manger? Je... J'ai eu des obligations et je n'ai pas eu le temps de participer au repas...”
Comme prévu, les deux serviteurs lui jetèrent un regard lourd. L'un grommela :
“Je vais voir ce qu'il reste, mais ne t'attends pas à un banquet, ma jolie!”. L'autre restait silencieux.
Après un bref instant, il revint avec un bol de bois, contenant une miche de pain, baignant dans une sorte de mixture de fruits secs.
“C'est tout ce qu'il nous reste, ma demoiselle. Désolé!”
La “demoiselle” eut un sourire gêné en remerciant le cuisinier, mais lui prit le bol des mains et s'éloigna dans le couloir. Elle s'adossa contre un mur, loin de tout regard, et mangea lentement son repas. Le pain était un peu sec, et la compote manquait un peu de fraîcheur. Néanmoins, l'un dans l'autre, c'était bien suffisant pour un repas de milieu d'après-midi. Maintenant qu'elle avait fini de s'occuper d'elle, il fallait penser à la suite. Elle n'était jamais vraiment allé à la réserve, bien que l'imposant bâtiment de la réserve ne passait pas inaperçu, à l'extérieur de la Tour. A pas légers, elle sortie de la tour proprement dite pour se retrouver dans la cour, d'où l'on entendait encore les bruits d'un entraînement. Celui de ce matin avait été particulièrement épuisant, et l'elfe éprouvait une profonde solidarité pour ceux qui avaient à faire cela sous le soleil pesant de l'après-midi. Nimiel contourna le bâtiment pour se retrouver face à celui, plus commun, des réserves. Il était de forme cubique, construit dans les mêmes pierres blanches que la tour. Sa silhouette trapue dénotait néanmoins d'une orientation beaucoup plus militaire et pratique. Nimiel, s'engouffra à l'intérieur, déclina son identité au garde en faction, et entreprit de fouiller avec soin les différentes ailes des réserves, tentant de mesurer ce dont elle pourrait avoir besoin de ce qui était accessoire, tout en recomptant sans cesse dans sa tête ce que cela lui coûterait, par rapport aux fonds que lui avait fourni Belaris.
Elle s'attarda particulièrement dans l'infirmerie, regardant chaque fiole et chaque alambic, du moins ceux qui étaient étiquetés, espérant trouver quelque chose de performant si les choses tournaient mal.
Elle avait fini par empiler ses emplettes dans une large caisse de bois, qui grinçait légèrement sous le poids contenu. L'Asur se hâta vers sa chambre sous le soleil couchant, tentant de disposer avec le plus grand soin ses effets afin qu'ils prennent le moins de place possible et qu'ils équilibrent au mieux le poids qu'elle aurait à porter pendant un moment qui s'avèrerait probablement long. Bien, il était désormais temps d'aller parler à Araen. Alors qu'elle se déplaçait dans les couloirs, Nimiel se mit à espérer qu'il avait déjà été mis au courant par quelqu'un, et que la désagréable rencontre n'aurait à durer que quelques secondes. Une bouffée de chaleur lui remontait déjà dans le visage, habillant vraisemblablement ses joues roses d'un profond cramoisi. Elle était arrivée devant la chambre de son camarade. Elle frappa. Plus fort qu'elle ne s'y attendait, et sans attendre de réponse, elle ouvrit la porte pour se retrouver face à celui qu'elle détestait. Il avait un grand sourire narquois aux lèvres, mais ne disait pour le moment rien. Prenant une profonde inspiration, Nimiel se résolu à briser le silence.
“Bien, Araen... Il semble que nous aillons à être ensemble pour quelques tâches en dehors de la Tour. Et pour être honnête, cela ne m'enchante guère... Mais soit, il le faut!
Nous devons accompagner l'Archimage Al'shanaar Beladris. Alors j'espère que tu sauras te tenir et montrer notre valeur en tant recrue. Tu ne le feras certainement pas pour moi, alors fait le pour toi ou pour Maître Thranduil...”
Tandis qu'elle parlait, elle n'avait pas quitté des yeux le regard émeraude d'Araen, le défiant du regard. Elle n'avait pu non plus empêcher un soupçon de mépris de transpirer de ses paroles. Mais il valait mieux poser les limites maintenant, tant qu'elle était toujours poussée par sa détestation de l'être arrogant et vantard qu'il était...