Nôtre renégat bretonnien ne comprenait pas grand-chose à ce qui lui arrivait actuellement. Quand il s'était endormi, c'était en tant éclaireur d'un petit convoi marchand en partance pour Barak Varr, et là maintenant il s'était non seulement réveillé de manière subite mais en plus il se retrouvait sur....sur quoi au fait? Un cheval sans crinière, avec deux bosses et au coup très étiré, oui c'était sa monture, c'était bel et bien un chameau. Tout de suite après il se rendit compte que l'on parlait autour de lui, tournant la tête pour voir de quoi il en retournait, Johannes s'aperçu qu'il faisait partie d'une caravane, autrement bien plus grande et importante que celle qu'il suivait dans les Collines de Varenka. On dirait que tous les animaux de bât du Vieux Monde et au-delà s'étaient rassemblés dans cette interminable file, des chevaux, des ânes, des mules, des béliers, des bœufs, des yacks, des...des Rhinox? En vérité le hors-la-loi ne reconnaissait que très peu d'espèces dans tout ce bazar, il avait limité sa considération aux équidés et aux bœufs, le reste... Et bien sûr inutile de décrire les autres caravaniers, tout aussi nombreux que leurs bêtes de somme et tous aussi différents les uns que les autres, leur description prendrait des heures, cependant si l'on pouvait brièvement résumer le personnel de ce convoi on pourrait constater que si la majorité des membres venaient des contrées du Vieux Monde telles que la Bretonnie, l'Empire, l'Estalie ou encore la Tilée et j'en passe, on pouvait aussi voir une forte minorité de personnes enturbannées et au teint basané. Quelques courts sur pattes et autres gringalets aux longues oreilles étaient également visibles, mais comparés au reste des membres, ils étaient rarissimes.
Après avoir observé tout ce qui était autour de lui, Johannes porta son regard en avant histoire de voir où lui et tout ce beau monde allait se diriger. Quelle ne fût pas sa surprise lorsqu'il aperçut deux énormes rochers, non, deux monts carrément, dressés aux beau milieu de ce désert, la hauteur à laquelle ils s'élevaient était presque une insulte adressée aux petites dunes sablonneuses qui les entouraient en contrebas.
Au fur et à mesure qu'il se rapprochait de ces deux grands jumeaux de pierre, le hors-la-loi bretonnien s'aperçu qu'il y avait de la vie dans le coin, beaucoup de vie même. Il pouvait voir que les falaises avaient étés aménagées, de nombreux trous y avaient été creusés, consolidé avec des poutres, des rochers et l'on devinait facilement des pièces qu'ils abritaient au-delà. Les manivelles, les poulies, les échafaudages, les passerelles branlantes et autres mécanismes étaient également là et l'on distinguait d'emblée les systèmes de grues à roue, sophistiqués et encastrés directement dans la roche, sûrement conçus par la guilde des ingénieurs et architectes nains du coin, des crevasses sommairement aménagées et autres nids miteux et instables, fruits de l'imagination délirante des gnoblars, gobelins et autres snotelins. De grands morceaux de tissus colorés se trouvaient également accrochés au falaises, certaines de ces étoffes bariolées étaient tellement grandes qu'elles avaient étés attachées de part et d'autre des parois rocheuses des deux monts et les reliaient, faisant probablement de l'ombre à ceux qui se trouvaient dans la gorge en contrebas. Un gros évènement se déroulait ici, pour sûr, même si le malandrin n'avait aucune idée sur la nature de cet évènement.
La caravane finit par atteindre la bordure de ce grand comptoir bouillonnant d'activité qu'était les Sentinelles, sans dire un seul mot, Johannes descendit de son étrange monture et partit sans demander son reste. Evoluant au beau milieu d'un des campements situés à la bordure de la ville troglodyte, le hors-la-loi se sentit de plus en plus désorienté dans cet endroit qu'il ne connaissait absolument pas, balloté au milieu d'une foule très dense et constamment en mouvement, le tout sous un soleil de plomb auquel il n'était nullement habitué. Cherchant obstinément un moyen de s'orienter, il se dirigea tant bien que mal, au gré des mouvements de foule, vers l'un des deux gros rochers.
Après avoir esquivé de justesse les mouvements patauds des passants ogres et orques, après avoir marché sur les pieds de plusieurs personnes -et accessoirement s'être aussi fait marché dessus- après avoir distribué des coups de pieds aux petites créatures à la peau verte - leurs piaillements aigus les rendant insupportables- qui gênaient son passage, après avoir profité des endroits où la foule était assez compacte pour se risquer à faire quelques poches; alors enfin le hors-la-loi put arriver à l'endroit qu'il s'était donné d'atteindre. Dorénavant il se trouvait devant la gorge qui séparait les deux rochers formant les Sentinelles. Etant face à une paroi rocheuse et aux formes irrégulières, Johannes comptait bien l'escalader pour se placer dans une des cavités qu'elle contenait plus en hauteur, à une dizaine de mètres au-dessus du sol. L'ascension se fit sans trop de mal, le renégat prenant bien soin de prendre appui sur des roches et des fentes à portée de ses mains et de ses jambes, progressivement, mouvement après mouvement il se fraya un chemin vers une petite cavité, une fois cette dernière atteinte l'observation des lieux pût enfin commencer.
L'endroit en bas était noir de monde, la foule grouillante était parcourue par les cris des marchands, les ordres des mercenaires de quelque nabab important venu faire le déplacement; les salutations incompréhensibles entre nobliaux, entre commerçants du Vieux Monde et hommes d'affaires à l'allure et aux odeurs exotiques se retrouvaient mêlées aux insultes tout aussi farfelues des ivrognes et, plus généralement, des gens à bout de nerfs ou venant de se rendre compte qu'ils venaient de se faire dérober leur bourse par des gnoblards. Ici on pouvait distinguer des hobgobelins faisant les vendeurs à la sauvette, haranguant les passants, leur disant que leur marchandises n'étaient pas chères du tout, cependant cela se voyait que leurs marchandises disposées négligemment sur des tapis miteux étaient des contrefaçons. Tout d'un coup, l'un de ces hobgobelins poussa un cri désarticulé et ses compères remballèrent prestement leur camelote et prirent leurs jambes à leur cou, une patrouille de nains du Chaos les prenant en chasse, bousculant les badauds se trouvant sur leur chemin.
Là on pouvait apercevoir ce qui devait être sûrement un elfe au visage fier et altier, habillé de manière élégante et raffinée dans un ensemble de vêtements et d'étoffes blancs, bleus et pourpres, escorté par sa garde rapprochée aux armures tellement rutilantes que le soleil s'y réfléchissait dessus, cette dernière progressait de manière silencieuse au milieu de tout ce boucan, repoussant sans ménagement avec leurs boucliers ornés de motifs complexes quiquonque les gênait. Le tout formant un carré d'ordre, de calme et de discipline au milieu de cette masse désordonnée, bruyante et constamment agitée. Cependant une bande de Norses tapageurs, à la barbe et aux cheveux hirsutes, vêtus d'os et de peaux de bêtes se trouvait sur la trajectoire de cette escorte elfique, le choc des civilisations n'allait pas tarder à se produire....
Le lieu était rempli d'agitation et le décrire plus en détail prendrait trop de temps, cependant au milieu de toute cette masse le renégat bretonnien put distinguer un genre de personne qu'il avait déjà vu auparavant. Une sorte de chevalier errant -littéralement- au regard déterminé, cheveux courts mais à la fois blonds et lisses, portant une tunique bleue dissimulée par une cotte de maille au niveau du torse, qui vagabondait dans le coin. Il semblait charmé par l'endroit et on dirait qu'il flânait sans but précis, entre les boutiques d'épices et les stands vendant du matériel d'exploration; ne prêtant pas attention aux gens qui l'entouraient.
"Toi t'vas t'faire dépouiller en deux deux, tu vas rien comprendre." se murmura le hors-la-loi.
Mais que faisait un noble bretonnien au milieu de tout ce foutoir? Johannes attarda alors son regard sur ce personnage lui provoquant à la fois une sensation de familiarité et une certaine répugnance mêlée de défiance, il le vit alors se diriger, puis se fondre dans la masse devant un grand bâtiment circulaire, visiblement fait en grés et surmonté de grandes étoffes aux couleurs vives. Mais à quoi pouvait donc bien servir cette bâtisse? Un grand marché? Une arène?
"Maté sa lé ga'! Y a un pô' roz' dans eul'nid!"
A ces paroles, le renégat braqua ses yeux en contrebas, une bande de gobelins aux nez crochus et aux capuches écornées se pressait dix mètres en-dessous de lui, visiblement il se trouvait dans ce que ces peaux-vertes appelaient leur nid. Ces petites créatures défiaient nôtre hors-la-loi de leurs regards haineux et vindicatifs tout en poussant des cris stridents à son encontre, Johannes reconnu alors certains gobelins, qu'il avait malmené plus tôt dans la journée. Certains d'entre eux commencèrent même à prendre des cailloux pour les lui balancer dessus.
"Mais vous allez décamper d'ici sales chiards?!" apostropha t'il pour tenter de les faire partir.
Pensant que ses actes lui serviraient plus que ses paroles, le malandrin prit son arc et encocha une flèche en direction des "propriétaires" du nid. Leur bande commença aussitôt à se disperser, aucun d'entre eux ne voulant se prendre un trait bien placé dans le buffet. Ces gobelins n'ayant même pas en groupe le courage de s'en prendre à un gringalet isolé comme l'était Johannes. Sans perdre un instant, le hors-la-loi entreprit de descendre de son perchoir afin de s'éclipser le plus vite possible, il avait assez perdu de temps avec ces peaux-vertes. Mais à peine eut-il posé ses pieds au sol que, dans son dos, firent irruption les gobelins, ces derniers étant impatients de se venger sur le profanateur de leur nid tant "sacré".
Le renégat bretonnien se retourna alors pour leur faire face, en espérant que cela suffirait à les faire fuir, mais à la place les peaux-vertes, sachant qu'ils avaient le poids du nombre, s'immobilisèrent à quelques pas de lui. Les armes à la main, les protagonistes de cette pitoyable parodie de duel se défièrent du regard pendant quelques instants.
Tout à coup sans cris et gare, un ogre visiblement très excité, le crâne chauve et possédant des moustaches tombantes fit irruption et chamboula la bande de gobelins, éparpillant et faisant s'envoler les gobelins dans toutes les directions. On dirait que cet ogre n'avait même pas calculé ce qui venait de se passer car il continuait sa course vers ce fameux bâtiment en grès en hurlant quelque chose de difficilement compréhensible aux oreilles du bretonnien. A vrai dire, Johannes ne voulu pas vraiment faire l'effort de comprendre ce qu'il disait et prit rapidement la poudre d'escampette, se fondant dans la masse pour se soustraire aux regards des peaux-vertes.
Après s'être assuré qu'on ne le poursuivait plus, le hors-la-loi chercha alors un endroit calme et discret où se poser et faire le point sur ce qui se passait dans le coin. Il ne tarda pas alors à remarquer une entrée de grotte dans une des parois des deux rochers jumeaux, il s'y engagea donc, pensant pouvoir souffler un peu. Peu importe la pénombre, il continuait de progresser dans ces galeries souterraines, guidé par quelques torches et de rares rais de lumière entre les failles des rochers.
Mais lorsque son regard croisa subitement celui d'un griffon, le malandrin se figea net devant cette créature de légende, brièvement tétanisé à la vue la bête qu'il venait de découvrir. Cependant, il ne tarda pas à s'apercevoir que non seulement il n'était pas le seul humanoïde présent en ces lieux, mais aussi que ce griffon n'était pas la seule créature étonnante de cet endroit. Un petit groupe se trouvait à l'autre bout de cette caverne, guidé par un nain à l'allure sombre et patibulaire mais très bien apprêté et habillé; ce dernier, servant de guide à l'attroupement, passait en revue les bêtes se trouvant dans des cages à l'allure plus que solide. Profitant que son entrée soit passée quasiment inaperçue, le hors-la-loi se mêla au groupe afin d'entendre ce qui se disait. Observant les différentes créatures avec attention tout en entendant d'une oreille grande ouverte ce que disait ce maître-chasseur nain.
C'est alors que Johannes, petit à petit et en écoutant attentivement ce que les autres disaient, apprit et comprit ce qui était en train de passer. Le Tournoi des Monstres, les créatures qui allaient s'affronter, les paris, les sommes qu'il pouvait gagner, l'excitation des combats, l'apparence de chaque bête et ses éventuelles capacités. Il y avait vraiment de quoi s'amuser...
Le bretonnien sortit des grottes souterraines empli d'une nouvelle énergie, il fallait profiter de cet évènement! Cependant, il ne fallait également pas parier à la légère ou prendre des décisions précipitées ou inconsidérées, cela risquerait de tout foutre inutilement en l'air. Le malandrin se dirigeat alors aux guichets et autres divers stands de paris qui -à l'image de leur clientèle- s'étaient agglutinés tout autour de l'arène. Après avoir patienté quelques minutes dans la queue et avoir doublé plusieurs gens qui ne lui prêtaient pas attention, il pût enfin se présenter devant l'un des guichetiers et lui lâcher ces mots sur un ton léger mais posé. Quitte à parier, autant ne pas le faire à moitié.
"Alors, alors...10 jetons sur l'Lammasu pour qu'il nique tout, et...6 de plus pour l'griffon à la prochaine baston."
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"Pas d'problèmes mon gars, mais la curée commence pas tout d'suite."
Johannes hocha brièvement de la tête en signe de compréhension et partit, quittant les environs de l'arène pour se balader dans le reste des Sentinelles. Tout en restant attentif à ce qui l'entourait, histoire qu'un voleur gnoblard à la tire ne lui dérobe pas sa bourse quand même....
Cependant il recherchait avant tout un endroit calme et ombragé, fût-ce une auberge, une tente, une pièce taillée dans la roche ou encore un bordel, pourvu que l'on ne retrouve pas l'agitation et la chaleur du dehors qui, il est vrai, commençaient sérieusement à entamer la patience du renégat.
C'est donc en toute logique qu'il chercha ce genre d'endroit vers les parois ombragées des deux grands rochers. Apercevant des systèmes de poulies, de plateformes et d'autres ascenseurs donnant accès aux hauteurs des rochers, le hors-la-loi se mit en tête de les emprunter afin de voir comment cela se passait en haut. Pour sûr qu'il fût tout sauf déçu en arrivant à cet endroit; certes, la plateforme qui l'avait monté avait été déstabilisée à plusieurs reprises par les bourrasques de vent soufflant le long des parois rocheuses; certes, il avait également entendu d'étranges bruits au niveau de la grue en bois qui soulevait cette même plateforme, comme si elle avait menacée de céder. Mais enfin, ce qui compte c'était qu'il soit arrivé à bon port.
Se promenant sur les échafaudages, Johannes put admirer le panorama qui s'offrait à lui: il avait une vue quasi-imprenable sur les dunes de sables aux alentours et pouvait regarder aussi, d'une hauteur vertigineuse, toute la foule frénétique se pressant en contrebas, dans le petit défilé entre les deux monts des Sentinelles.
Le malandrin finit par trouver une sorte de taverne, à la fois dotée de pièces troglodytes taillées directement dans la roche, mais aussi constituée d'une petite plateforme en bois faisant office de balcon, consolidée par des poutres la soutenant par dessous et dénuée de barrières. Une fois l'entrée passée, un large comptoir se trouvant à la charnière du balcon et des pièces intérieures séparait le tout. L'endroit était étonnamment peu fréquenté à cette heure; ce qui était quelque part dommage, car on dirait que cette taverne s'était mise sur son trente-et-un, vu la décoration très exotique de l'endroit: murs couverts de tapisserie aux motifs élaborés, éclairage assuré par des lampions aux diverses couleurs, présence d'étranges plantes que les serveurs désignaient chaque fois par une prononciation du genre
"Bambou" dans leur langage natal, symboles de dragons présents sur beaucoup d'éléments de décors, chaises, tables.... Mais qui sais, peut-être que d'autres clients ne tarderaient pas à arriver...
Johannes décida alors de s'assoir à l'ombre dans l'alcôve d'une des pièces taillées à même la roche, allongeant ses jambes pour les positionner sur la chaise se situant en face de lui. Un des servants aux yeux d'amande, vêtus dans d'étranges habits flottants en soie, lui proposa alors de l'eau infusée avec des plantes, soi-disant une spécialité de leur pays : du thé.
Et c'est ainsi que Johannes sirota tranquillement son thé, dans cet établissement cathayen sur les hauteurs des Sentinelles, méditant sur ce qui pourrait bien se passer par la suite...