Il ouvre les yeux, mais aucune lumière. Il fait noir, totalement noir, une obscurité totale.
Il panique.
Il se lève d'un bond. Puis le regrette. Une violente migraine. Mal de chien.
Il ne voit pas le décor mais le sent tourner.
Il panique. Pourquoi ne voit-il rien ? Où est-il ?
Il respire de plus en plus vite. Son cœur s'accélère. Que se passe t-il ?
Il essaye de se souvenir. Mais sa mémoire ne peut le rassurer. Il s'était endormi dans son lit, chez lui, comme d'habitude. Mais manifestement il s'était réveillé ailleurs.
Il refuse d'y croire. Se rassure en espérant un rêve. Se pince. Sans effet.
Il n'arrive plus à contenir sa peur. Il hurle de terreur. Appelle à l'aide. Il menace. Il pleure.
Il s'écroule sur ses genoux après une minute de cris inutiles.
Il ne comprend pas.
Il est nu. Il a froid.
Il tente de se concentrer sur ses sens, de percevoir son environnement.
Il renifle l'air. Odeur de poussière et de renfermé, et autre chose, étrange, comme de l'éther.
Il cherche à tâtons autour de lui. Une table non loin, et un autre meuble contre le mur, une commode sans doutes. Poussière et toiles d'araignée.
Il habitue ses yeux à l'obscurité et remarque ce qu'il ne pouvait discerner avant. Lumière très faible. Il s'approche de sa source, de l'espoir. Son pied frappe un meuble. Il jure en sautillant.
Il atteint le mur. Une fenêtre. Barricadée par de nombreuses planches, derrière laquelle un rideau usé par le temps recouvrait partiellement une fenêtre grise de poussière. Le mince filet de lumière vient de là. Il essaie de regarder dehors, de glisser un doigt entre les planches pour retirer un peu de saleté et y voir mieux, mais rien n'y fait. Juste un peu de gris dans le noir.
Il a mal dans sa poitrine. Il est terrifié, son cœur bat si fort.
Il longe les murs de la pièce. Trouve la poignée d'une porte. Il tente de l'ouvrir, en vain. Verrouillée. Il tambourine, puis tente de la défoncer avec son épaule puis en y mettant des coups de pied. Rien à faire.
Il sent la révolte gronder. Quiconque ayant orchestré cette farce le payera cher. Il avait manifestement été enlevé, mais il n'était pas n'importe qui. On le chercherait dès l'aube, toute la garde d'Altdorf se mobilisera pour le retrouver.
Il crie à nouveaux à ses imaginaires ravisseurs. Les prévient de ce qui les attends s'ils ne le relâchent pas.
Il n'entend pas de réponse, juste le silence.
Il continue de crier. Il négocie désormais, propose de l'argent, du pouvoir, des femmes.
Il se prostre contre le mur et pleure, suppliant qu'on le sorte de là.
Il ne peut pas mesurer le temps qui passe. Il tente à nouveau les cris et les pleurs, les menaces et la négociation, les coups dans la porte qui ne lui offrent qu'ecchymoses en retour. Mais rien ne change. Il est seul, dans le noir.
***
Il entend une clé. Il n'ose y croire. Il est aussi heureux que terrifié. Sauveur ou bourreau ?
Il aimerait se lever, être prêt à se battre pour sa liberté. Mais il a trop peur désormais, son corps tremble tant de froid que d'effroi, et il n'arrive pas à trouver le courage de se lever.
Il est aveuglé par la lumière. La personne qui entre dans sa pièce tient une lampe-tempête. Il est obligé de détourner le regard.
Il tente d'obtenir leur identité et s'adresse à eux. Il veut comprendre leur but.
Il commence à percevoir les contours. Trois personnes. La première est une femme rousse, elle pose la source de lumière sur une table. Les deux autres restent dans l'ombre, près de la porte qu'ils gardent ouverte.
Il découvre la pièce. Des murs en bois recouverts de poussière et de moisissure, des meubles miteux, des toiles d'araignée. L'endroit semblait inhabité depuis des décennies. Mais même alors, ce devait être la résidence de quelque roturier sans le sou.
Il se lève. Il arrive à distinguer les trois individus. Il ne comprend pas.
Ils portent tous trois des masques de bal. Et de riches vêtements. La femme porte un magnifique masque doré et une élégante robe de soirée rouge.
Il regarde les deux autres individus. Ils étaient certes parés de pourpoints aux couleurs chatoyantes, mais ce n'étaient que des costumes médiocres destinés à imiter grossièrement le raffinement de la mode impériale. Le grand costaud porte un masque noir, l'autre homme un rouge. Le même modèle, ne cachant que les yeux et le nez mais laissant la bouche apparent.
Il n'obtient pas de réponse à ses questions, mais ces vêtements lui rappellent quelque chose. La date du jour. Mais quel rapport avec cet enlèvement ?
Il se lève. Il a retrouvé sa colère. Il ne pouvait pas être traité ainsi, pas lui ! Il avait échangé deux fois avec l'Empereur lui-même, possédait plus d'un centième des terres du Reikland, et était le neveu de la femme du plus proche ami de Theodoric Gausser ! Il possédait la plus grande compagnie marchande de mouchoirs du Vieux Monde, trois manoirs différents et une cinquantaine de serviteurs ! Il avait le soutien de l'Eglise Sigmarite ! Il n'était pas le type d'homme que l'on pouvait enlever ainsi pour le faire chanter !
Il ressent la douleur en même temps qu'il entend le claquement du fouet. Il hurle lors de l'impact sur sa cuisse. Par reflexe, il saisit sa jambe de ses deux mains, tentant vainement d'enfermer la douleur. Un nouveau claquement survient et le frappe de l'autre côté, sur la fesse. Des larmes de douleur naissent dans ses yeux alors qu'il s'écroule à nouveau sur le sol, à genoux.
Il pleure. Il demande le sens de cette mascarade.
Il voit que l'un des hommes masqué quitte la pièce. L'autre reste devant la porte. Cette seconde personne est en fait une femme, il s'en rend compte désormais. Elle est très grande, très musclée et habillée en homme, mais sa poitrine la trahit. C'est un colosse au masque vénitien noir, dont il pouvait voir le regard sinistre à la lueur de la lampe-tempête.
Il tourne le regard vers la femme rousse, celle qui tient le fouet. Sous son masque, sa bouche visible sourit. Elle enroule le fouet, le caressant lentement de la pointe de ses doigts.
Il entend le pas du troisième homme qui revient. Il le voit entrer à nouveau, une bassine pleine d'eau à la main, qu'il dépose devant lui. Il distingue de l'eau savonneuse et une brosse à l'intérieur. L'homme quitte à nouveau la pièce, le laissant seul avec les deux femmes masquées.
- Lave cette pièce.
Il regarde incrédule la colosse qui avait parlé, celle qui gardait la porte. Sa voix contient difficilement sa fureur. Elle lui en veut. Mais il ne la connaissait pas. Il se serait souvenu d'une femme avec pareil gabarit.
Il ne comprend pas la situation. Son regard erre de ses deux ravisseuses à la bassine, la terreur serrant son ventre.
Il subit un nouveau claquement de fouet. La pointe de l'arme frappe son épaule. Il hurle comme un dément. La brûlure est atroce. Il s'écroule à quatre pattes, puis lève son visage vers la femme rousse, et supplie.
Il subit un quatrième coup de fouet.
- Lave !
Il craint trop la douleur pour ne pas s'exécuter. Malgré les spasmes de douleur, les tremblements dans son bras, il se saisit de la brosse et se met à frotter le sol devant lui.
Il ne se fait plus frapper, alors il s'applique à laver le sol poussiéreux, centimètre par centimètre. Il a peur mais ne voit pas d'échappatoire. La porte est ouverte, mais sa gardienne est deux fois plus imposante que lui, et la rouquine frappe trop vite de son arme.
Il pleure encore. Sans s'arrêter de brosser, il lève à nouveau les yeux vers les deux femmes, son regard passant de l'une à l'autre, puis se posant sur celle richement vêtue avec le masque d'or, supposant que c'était elle leur chef.
Il leur explique que ce doit être une méprise. Qu'il n'avait rien fait pour mériter cela. Qu'il pouvait leur offrir tout ce qu'elles désiraient. Qu'elles avaient du se tromper d'individu. Que lui, son nom, c'était...
Il cesse de vouloir résister avec la brûlure du cinquième coup de fouet. Les yeux embués de larmes, le corps tremblant de douleur, il se résigne, et lave méticuleusement la pièce, brosse à la main.
Il voit du coin de l'œil la rousse tirer une chaise sur le sol, l'installer contre le mur face à lui, et s'y asseoir pour l'observer.
Il frotte d'abord le plancher autour de lui, mais n'ose pas s'approcher de l'autre moitié de la pièce où résident les deux femmes. Alors il brosse les murs, puis l'intérieur et l'extérieur d'une commode et d'une armoire. Cela n'avait aucun sens, les meubles étaient en ruines et inutilisables, mais il n'ose plus ouvrir la bouche pour discuter les ordres. Tant qu'on ne le fouettait plus, il obéirait.
Il espère secrètement. Il pense que tant qu'il lave, les femmes ne s'en prennent pas à lui. Et chaque minute de gagnée est une minute pendant laquelle le guet de la ville peut enquêter sur sa disparition et le retrouver.
Il ne sait pas quelle heure il est. Est-ce le matin, l'après-midi ? Il avait rejoint sa chambre au coucher du soleil, mais avait honoré Elli une bonne heure avant de s'endormir. Combien de temps après avait-il été capturé ? Et comment ses ravisseurs s'y étaient-ils pris ? Son manoir était gardé par une demi-douzaine d'hommes armés. Magie noire ? Non, plusieurs de ses serviteurs devaient être dans le coup, c'était sur. Les bonnes peut-être, ces putes frigides s'étaient peut-être vendues à l'un de ses ennemis ? Ou le cuisinier, cet incapable qui était incapable d'épicer convenablement une viande ? Il lui jetait toujours des petits regards mauvais, comme si son maitre sabotait son soi-disant art par ses demandes de modification de ses plats. Ou les gardes de la maison ? Il avait refusé leur demande d'augmentation, alors ces petits salopards se vengeaient ? Combien s'étaient vendu à l'un de ses ennemis pour le trahir ? Il les avait déjà tous dument battus pour leur maque de vigilance après le récent cambriolage, avait fait un exemple d'Alina, et croyait que cela avait suffi à leur faire retrouver leur fidélité perdue. Une erreur.
Il continue de frotter et nettoyer, mais en son for intérieur il se jure que s'il sort d'ici vivant, tous le paieraient très chers.
Il avait toujours été trop doux, trop tendre. Il avait toujours préféré l'apprentissage au renvoi. Réparer plutôt que jeter. Il pensait aux familles, comptant sur la paie de ses servants pour subsister dans ce monde difficile, alors il évitait toujours d'arriver à pareille solution. Il avait été si patient avec chacun, à leur apprendre, correction après correction, la bonne manière de faire leur travail.
Il ne ferait plus cette erreur. Car voilà où l'avait mené son humanité.
Il a mal au dos, mais les douleurs musculaires ne sont rien face à la peur du fouet. Ses ravisseuses l'observent depuis tant de temps déjà, et il a fini de nettoyer murs, sol et mobilier de son côté de la pièce. Il est obligé désormais de s'approcher des femmes. La colosse le regarde toujours mâchoires serrées, les yeux noirs. Elle est terrifiante, elle semble devoir résister à chaque seconde au désir de le tuer. Aussi s'approche t-il de la seconde femme, celle au fouet, qui gardait sur son visage ce satané sourire supérieur. Elle appréciait la situation, elle aimait le voir nu et misérable, esclave de sa volonté. Cette sale pute le paierait cher quand il sortirait d'ici. Elle paierait au centuple tout ce qu'elle lui faisait ici, oh oui !
Il sursaute en entendant un claquement sur le sol. Pas le bruit du fouet, non, c'était autre chose. C'était le bruit du talon de la chaussure de la femme au masque doré qui était tombée sur le plancher. Elle tendit son pied nu en avant, devant son visage, puis échangea un regard avec la colosse, qui hocha la tête avant de parler.
- Lèche.
Il a un temps d'arrêt. Quelque chose en lui refuse de se rabaisser davantage. Une fierté d'une vie de noblesse qui ne pouvait disparaître ainsi, qu'importait la douleur.
Il ose croiser son regard. La défier de le dire elle-même. De cesser son petit jeu muet.
Il remarque que son fouet n'est plus dans sa main mais accroché à sa ceinture. Elle ne peut pas se défendre.
Il rugit de colère et bondit sur elle. Elle frappe de son autre pied, sa chaussure percute l'intérieur de sa cuisse mais rate son intimité. Il ignore la douleur, mu par la force du désespoir. Il frappe de toutes ses forces dans son ventre. Elle se plie de douleur, est estomaquée. Prends ça, salope.
Il tente de la soulever, de coincer son bras sous sa gorge pour en faire une otage contre la colosse.
Il n'est pas assez rapide.
Il a le souffle coupé par l'impact. Craquement dans sa cage thoracique, le genou frappe avec une telle force qu'il pense mourir.
Il roule au sol, percute une armoire qui menace de s'écrouler sur lui.
Il cherche sa respiration, qui refuse de revenir. Elle ne lui laisse pas le temps de la trouver. Un coup de pied l'écrase au sol, un autre frappe de nouvelles côtes.
Il est soulevé de force du sol, puis jeté à travers la pièce. Percute la table qui s'écroule sous son poids. La lampe-tempête tombe au sol, mais ne se brise pas.
Il a mal, si mal. Il ne comprend pas pourquoi ça lui arrive. Il a si peur. Il va mourir, c'est certain. Personne ne le sauvera, il est seul, condamné.
Il est prostré sur le sol, les bras sur la tête, suppliant Sigmar que la souffrance s'arrête.
Il attend une minute, mais les coups ne pleuvent plus. Alors il ose relever la tête et ouvrir les yeux.
Il voit la femme rousse de nouveau assise sur sa chaise. Elle grimace plus que ne sourit, les dents serrées, les yeux lavande brûlant de colère. L'un de ses bras tient son estomac, l'autre est bras levé, posé contre la poitrine de la colosse, comme pour lui intimer de ne plus le frapper.
Il est terrifié par la colosse. Elle tremble aussi, mais seulement de colère et non de peur. La seule chose qui l'empêche de venir le rouer de davantage de coups, c'est le fin bras tendu de la rouquine.
Il voit qu'elle n'a pas remis sa chaussure.
Il a si mal qu'il n'est pas certain de pouvoir se relever. Alors il tend la nuque autant que possible, et lèche de l'extrémité de sa langue les orteils de la femme.
Il relève la nuque et la regarde. Il voit la colère dans ses yeux se dissiper, son sourire s'accentuer pour devenir plus doux. Elle est satisfaite de sa décision. Elle continue de retenir la colosse.
Il rampe comme il le peut, tente d'ignorer la douleur pour s'approcher. Il saisit son pied dans ses mains, délicatement, et le lèche avec une ferveur nouvelle, un torrent de larmes dégoulinant sur ses joues.
Il ne veut pas souffrir, pas mourir. Et elle est la seule chose qui se dresse entre lui et la douleur.
Il lèche et lèche encore, pour sa survie, pour son salut.
***
Il subit les humiliations des heures durant. Il est traité en esclave, puis en chien. Il obéit à chaque ordre, même le plus dégradant. La femme rouge ne doitt plus être contrite, elle doit sourire, c'est important. Alors malgré la douleur, les contusions, les ecchymoses, les blessures ouvertes, les côtes sans doutes fracturées... il obéissait.
Il voit que la colosse a relâché un peu de sa colère. Plus sa dignité était réduite à néant, plus la elle semblait retrouver son calme. La satisfaction de ses geôlières était son seul objectif, chaque sourire un réconfort face à la peur de la douleur.
Il ne peut pas mesurer le temps qui passe. Le troisième masqué revient parfois, change l'huile de la lampe-tempête, et chuchote à l'oreille de la rousse sur un ton mécontent. Mais elle l'ignore, et il ne semble pas trouver plus d'écoute auprès de la colosse. Alors à chaque fois, il le regarde avec tristesse, quitte la pièce, et les humiliations reprennent.
Il fatigue. Plus que la douleur, c'est la fatigue physique qui devient une gêne. Il ne sait le nombre d'heures qui se sont écoulées, mais il n'a ni mangé ni dormi depuis son réveil.
Il résiste un moment. Mais son corps finit par le lâcher, malgré la peur des conséquences. Il s'écroule.
Il se rend compte que la douleur va revenir. Ses geôlières n'accepteront pas qu'il désobéisse, qu'il refuse de bouger.
Il ne supplie pas. C'est toujours pire quand il parle. Alors il pleure en silence, agité de tremblements, se roulant en boule pour se préparer à la morsure du fouet, ou aux coups de la colosse.
Il entend des bruits de pas. Des talons. La rousse s'approche.
Il sent une caresse sur ses cheveux.
- Comprends-tu ?
Il est surpris. La rousse lui a parlé. C'était toujours la colosse qui ordonnait. Elle avait une voix douce, aimante.
Il a peur. Il ne comprend pas. Il ne veut pas la décevoir, il ne veut pas être frappé.
Il pleure. Tremble de terreur. Il aimerait comprendre, mais il et si fatigué, il a si mal.
Il veut juste que tout ça s'arrête.
- C'est jour de Folie aujourd'hui. Tu fus traité de la manière dont tu traites tes serviteurs.
Il bafouille. Il veut réfuter, dire que ce n'est pas vrai. Qu'il a toujours été bon, que lorsqu'il les battait c'était pour leur bien, pour ne pas les mettre à la rue. Qu'il était un homme juste.
- Tu ne te vengeras sur personne. Tu respecteras désormais ton petit personnel. Tu as appris. Tu sais que nous pouvons venir te chercher n'importe quelle nuit. Si dans un an, au prochain jour de la Folie, un seul des tiens a subi le moindre maltraitance, sois assuré que tu t'éveilleras à nouveau en ces lieux. Remercie Ranald petit esclave : tu tenais mal ton rôle mais nous ne t'avons pas tué et jeté, seulement réparé. N'est-ce pas la méthodologie dont tu si fier ?
Il aperçoit le troisième homme entrer à nouveau. Il se penche vers lui. Il a toujours cette tristesse dans le regard. Des regrets, de la honte, de la culpabilité. Il pose un linge contre son visage. Ca a l'odeur d'éther qu'il avait senti en arrivant.
Il sent que son esprit lui fait défaut. Il perd conscience.
***
Il perçoit des échos de paroles, flottements dans la drogue, mots entendus mais pas retenus.
- Nous n'agirons plus ainsi. Je refuse que l'on s'abaisse à nouveau à... ça.
- Nous venons d'améliorer la vie d'une cinquantaine de serviteurs. N'était-ce pas notre objectif ?
- Pas comme ça. Ce n'est pas fidèle aux préceptes que nous a enseigné le vieux. Ranald ne peut cautionner ça.
- Je t'en prie. Cela fait des années que je croise cet abject aristocrate à la cour. Il n'a jamais cessé de vanter les bons traitements qu'il réservait aux siens. Comment il "réparait" les incompétents. Il les sous-paie pour les battre, quand il ne les humilie pas publiquement. Bon sang, quand on est entré dans sa chambre on a même vu sa bonne fouettée au sang, attachée à une poutre ! Elle nous a avoué qu'il la violait régulièrement ! Tu étais là ! Nous avons aidé tous ces serviteurs, nous les avons libéré du joug de cet enculé !
- En l'humiliant ? En le torturant ? Bon sang Karla, je regardais par l'embrasure de la porte. Tu souriais, tu adorais ça !
- Et quoi ? Est-ce mal d'apprécier un peu de justice ? Tu étais d'accord pour ce plan. C'était de notre faute s'il a tué sa précédente bonne. Il l'a torturée à mort trois jours durant pour la faire avouer sa complicité dans NOTRE cambriolage je te rappelle. Tes soi-disant bienfaiteurs se voilent la face et tu le sais. Vous jouez les sauveteurs, à piller les riches pour donner aux pauvres et croyez que vos actes n'ont que des conséquences heureuses. Excuse-moi d'avoir détruit tes pathétiques rêves de gamin avec l'abrupte réalité. Il y a des conséquences, et d'autres paient les pots de la petite gloriole de gentil voleur.
- Karla, je ne sais pas ce qu'il t'arrive, mais je ne peux pas te laisser continuer de détruire tout ce que j'ai crée. Tu... tu as une influence néfaste sur nous. Tu te sers du passé d'Ilsa pour attiser sa colère et qu'elle t'aide à accomplir ce... genre de choses. Mais je connais le vieux et ses enseignements, et je sais que ce que tu es en train de faire à notre groupe, ce n'est pas la volonté de Ranald. Je reprends le groupe en main, et peu importe ce que tu diras, nous ne nous abaisserons plus à de telles... horreurs.
- Tu sais quoi, j'ai toujours détesté ce putain de jour de la Folie. Nobles deviennent servants et servants deviennent nobles. Belle hypocrisie oui. Les serviteurs limitent leurs désirs par crainte des représailles, les nobles ne jouent le jeu que par amusement quelques minutes en gardant leur belle dignité. Aujourd'hui j'étais heureuse qu'on montre à cet enfoiré ce que c'est que d'être un serviteur sous le joug d'un maitre tyrannique, de lui faire vraiment jouer le jeu qu'il fait subir tous les putains de jour à ses valets, ses bonnes, ses gardes, ses cuisiniers. Mais je vais te dire ce que j'ai toujours vraiment haï dans cette journée - c'est qu'elle me rappelle que je ne fais pas partie de ce jeu. Le cul entre deux chaises, le jour et la nuit, la Cour de l'Empereur et celle des Miracles. Il y a deux côtés à une pièce, et toi et cet aristo vous n'en voyez toujours qu'une, pour simuler de voir l'autre une fois par an. Moi je vois les deux, tout le temps, et je n'ai jamais su choisir. Le jour de Folie, c'est ma putain de vie quotidienne.
Il sent sa conscience revenir peu à peu. Il retient ce nom, Karla. Il s'accroche à lui avec le désir de pouvoir se venger.
Il rouvre les yeux, veut savoir où il est.
Il ne voit que la rousse, la bouche ouverte de surprise. Elle ne porte plus son masque. Les yeux lavande, les cheveux et la voix l'avaient mis sur la piste, mais maintenant il sait qu'il la reconnaît.
- Fabuleux Wenzel, tu l'as mal drogué et il est réveillé. Va savoir ce qu'il a entendu à notre sujet.
Il voit à côté d'elle apparaître l'homme. Il le regarde avec l'air triste et coupable qu'il reconnut immédiatement.
Il ne sent pas son corps, tous ses muscles sont groggys. Il ne peut pas bouger.
Il sait qui est sa ravisseuse, et sait que cette information va sans doutes le tuer alors qu'il avait failli en réchapper. Il pleure sans même s'en rendre compte.
- Alors, "chef", qu'est ce qu'on fait de lui maintenant ?