Je progressais avec difficulté au milieu de cette foule bigarrée, occupée à chanter, boire et célébrer cette journée si spéciale dans le vieux monde. Les rues de Sartosa s’étaient remplies depuis le début d’après-midi de tout ce que l’île comptait de pirates, de marchands et de voyageurs, tous unis pour une fois dans le seul but de profiter d’une journée de réjouissances folles et sans limites.
Les moindres ruelles de la cité pirate étaient décorées de tentures colorées, les gens étaient déguisés ou portaient des tenues de toutes les couleurs, des échoppes temporaires avaient fleuri à chaque carrefour, vendant de quoi boire, manger et bien plus encore. Ça et là, des cracheurs de feu faisaient admirer leur savoir-faire à la foule amassée tandis que des jongleurs et des acrobates à moitié alcoolisés se lançaient dans des démonstrations des plus périlleuses.
Sur l’île communément dite “des pirates”, on savait d’ordinaire faire la fête, mais je découvrais ce jour une image bien plus folle d’une ville en état de liesse totale. Pourtant, ni moi, ni les trois hommes qui m’accompagnaient n’avions l’esprit à la fête. Nous remontions tant bien que mal la rue principale, traversant les volutes de fumée et esquivant les groupes de badauds, chantant à tue-tête en se tenant par les épaules, en direction des maisons plus luxueuses situées dans les hauteurs de la ville. Jax, Andrew, Nordim et moi-même avions été chargés quelques jours plus tôt par le capitaine Syrasse de récupérer une carte appartenant au capitaine du Vengeur, Alvaro de Tujan, que ce dernier gardait précieusement dans un coffre chez lui, d’après des informations qu’avait obtenues notre capitaine à prix d’or.
Le jour Folie était l’occasion parfaite pour nous de nous introduire dans la demeure du réputé capitaine De Tujan et de subtiliser le précieux document sans se faire repérer en profitant de ce que la ville entière était occupée à fêter dignement la folie. C’était vicieux et malhonnête, mais comme l’avait fait remarquer le vieux Gindast, nous étions des pirates, et c’était notre nature d’être fourbes. Notre petite équipe avait été constituée par le capitaine en personne : Nordim et Andrew, deux colosses taciturnes avaient été choisis pour leur fiabilité ainsi que pour leur compétence à casser les crânes de quiconque pourrait tenter de nous faire obstacle tandis que Jax, plus habitué à évoluer dans les gréements que sur le plancher des vaches et moi-même avions été désignés pour notre agilité et notre discrétion.
Notre groupe ainsi formé, nous avancions à pas vif en direction de notre cible. Nous nous déplacions deux par deux, afin de ne pas trop éveiller l’attention. Chacun d’entre-nous portait sur le visage un masque fait de bois et de tissus, à l’instar de la plupart des gens se pressant autour de nous, ce qui nous promettait un anonymat quasi-certain. Pour ma part, j’avais enfilé un masque représentant un loup, fait d’un savant assemblage de pièces de cuir, de bois et de velours noir qui couvrait mon visage de mon front jusqu’en dessus de mon nez, laissant ma bouche libre de respirer facilement et retenu derrière ma tête par un lacet souple mais robuste. Outre ce déguisement, je portais mon habituel pantalon et ma brassière de cuir. J’avais en revanche dû abandonner mes épées jumelles et me contenter de partir avec une simple dague dissimulée dans ma botte car, comme l’avait fait remarquer à juste titre le capitaine Syrasse, un groupe armé au milieu de la fête de la Folie attirerait sans aucun doute des regards suspicieux, et il nous fallait à tout prix rester discret pour ne pas déclencher une guerre terrible avec celui que nous comptions détrousser. Pour parachever cela, je portais une veste de tissu noire, sur lequel des morceaux de fourrure avaient été cousus, afin de compléter mon déguisement de loup et de dissimuler mes bras, notamment celui portant des tatouages si particuliers et reconnaissables.
Alors que je m'apprêtais à traverser la grande rue pour pénétrer dans une ruelle parallèle, je dus m’arrêter pour laisser passer un chariot sur lequel un ensemble hétéroclite de marins jouaient un air entraînant, amenant les passants autour à se lancer dans des danses plus ou moins chorégraphiées. Derrière, on apercevait tout le cortège descendant la ville vers le port de Sartosa. Des gens à pied, des charrettes à bras ou tirées par quelques animaux constituaient l’essentiel de la procession, mais ce qui était le plus impressionnant était le char fabriqué chaque année pour l’occasion sur lequel une sculpture grossière avait été installée. Celle-ci représentait Abd al Wazaq, ancien émir de Sartosa vaincu par les mercenaires de Luciano Catenan en 1501 du calendrier impérial. Sa défaite avait entraîné la perte définitive de l'île pour l'Arabie et sonné le début de son indépendance. Chaque année, durant le jour de la folie, on faisait descendre un char sur lequel on installait un immense personnage censé le représenter pour aller le brûler dans le port. Autour de la sculpture, des danseuses installées sur des petites tours en bois faisaient bouger leurs corps pour le plus grand plaisir de la foule amassée sur les bords de la rue. Elles représentaient les “milles femmes de l’émir” car la rumeur disait que Wazaq était à la fin de sa vie devenu tellement paranoïaque qu’il ne faisait plus confiance qu’aux femmes de son harem, femmes qu’il avait formées pour être ses gardes du corps. Pourtant, de l’avis de beaucoup, cela n’était qu’une simple excuse trouvée par l’émir pour passer plus de temps en charmante compagnie.
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« Tu danses ma jolie ? » me demanda un pirate en posant sa main sur mon épaule. Détournant le visage pour échapper à l’odeur de son souffle aviné, je me dégageais d’un coup d’épaule et il s’éloigna sans rechigner, en quête d’une autre cavalière. Derrière le chariot, un groupe d’hommes déguisés en femme s’avançaient, déclenchant l’hilarité générale parmi la foule. Je les regardais du coin de l'œil, ne pouvant m'empêcher de grincer des dents devant la parodie ridicule qu’ils offraient. Je traversais la rue juste après leur passage, avant de me faire coincer par la suite de la procession et repris ma progression, quelques mètres derrière Jax, en direction des quartiers plus huppés.
Plus nous remontions vers les hauteurs de la ville, plus la clameur des festivités diminuait et c’est dans un calme relatif que nous arrivâmes enfin à destination. La bâtisse était entourée d’un haut mur de pierre et depuis la rue, elle semblait calme et déserte. De rares passants se pressaient le long de l’enceinte, se dirigeant vers le centre-ville pour participer eux aussi aux réjouissances et aucun d’entre eux ne semblait s’intéresser à notre petit groupe. Alors que nous patientions nerveusement sous un porche, attendant que la rue soit déserte, une occasion se présenta enfin. Adrew et Nordim traversèrent la rue en courant, le premier s’agenouilla devant le mur tandis que le deuxième se mettait debout, adossé à l’enceinte. Assurant une dernière fois le rouleau de corde accroché à mon épaule, je m’élançais à mon tour. Vive comme une panthère, je traversais la rue en trois pas puis, profitant de mon élan, je pris appui sur la jambe d’Adrew, puis je sautais sur les épaules de Nordim. La, je m'immobilisais, la poitrine et la joue collées à la pierre poreuse le temps qu’Andrew se redresse. De ses mains, il attrapa mes mollets pendant que Nordim fléchissait les jambes.
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« Prêt ? » demanda Nordim
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« Prêt » répondit Andrew
« Nola ? »
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« Quand vous voulez les gars »
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« Ok, à trois… » dit Nordim, pliant davantage les jambes.
Ils comptèrent ensemble et à trois, me projetèrent de toutes leurs forces vers le haut. Je m’étais repliée sur moi-même durant le décompte, et lorsque mes pieds quittèrent les épaules de mon compagnon, je me détendis tel un félin mon bras tatoué tendu vers le haut. J’agrippais de justesse le rebord du mur, me balançant dans le vide quelques instants. D’un regard vers le bas, je vis Andrew et Nordim, les bras tendus, prêts à me rattraper en cas de chute. Je grognais et en contractant mes abdominaux, je parvins à accrocher ma deuxième main au sommet du mur. La pierre était poreuse et elle s’effritait sous mes doigts, compliquant mon escalade. Alors que j’oscillais dans le vide, un sifflement sec retentit. C’était le signal de Jax qui, resté en retrait, nous prévenait que du monde arrivait dans la rue. Pestant, Andrew et Nordim se retirèrent en hâte, me laissant sans filet de sécurité, avec seulement quelques secondes pour terminer de franchir le parapet. Positionnant mon pied droit contre la façade de pierre, je pris une grande inspiration, puis, d’un seul geste, je poussais de toute la force de ma jambe tandis que j’effectuais une traction de mes deux bras. D’un bond, je me retrouvais à califourchon sur le sommet du mur large d’un demi-mètre.
Alors qu’un petit groupe de personnes débouchait du coin de la rue, j’eus tout juste le temps de me laisser tomber de l’autre côté de l’enceinte, me retrouvant à nouveau pendue dans le vide, me retenant à la force des bras. Les pas se rapprochaient lentement, sans précipitation mais je me rassurais en me disant que si j’avais été repéré, les passants auraient accouru dans ma direction ou auraient au moins crié pour avertir les gardes. Alors qu’ils arrivaient à ma hauteur, ils s’arrêtèrent proche de l’endroit ou je me trouvais et des échos d’une conversation me parvinrent.
Je pestais intérieurement, alors que la discussion s’attardait sur des sujets à la banalité ridicule. Je sentais mes bras qui commençaient à se tétaniser, mais je savais que si je lâchais prise, je ne pourrais pas escalader le mur lisse seule depuis l’intérieur. Il me fallait donc tenir si je ne voulais pas me retrouver prise au piège dans la tanière de celui que j’étais censé voler. Mes mains glissaient petit à petit et sous mon masque de loup, des gouttes de sueurs coulaient, me piquant les yeux. Je sentais les muscles de mes bras gonflés par l’effort et mon souffle devenait de plus en plus haché.
Enfin, après un moment qui me sembla durer une éternité, la petite troupe sembla se disperser. J’attendis encore quelques instants, jusqu’à ce que je sente mes bras à la limite de me lâcher et dans un ultime effort, je me hissais de nouveau au sommet du mur, haletante et transpirante, ma tenue en peaux de bêtes me tenant horriblement chaud. Je me plaquais contre l'arête du sommet, le regard aux aguets, mais rien ne semblait plus bouger. J’attrapais ensuite la corde toujours enroulée autour de mon épaule et j’en jetais une extrémité sur un arbre proche. Je dus m’y reprendre à 4 fois avant de parvenir à lui faire faire le tour du tronc puis d’en récupérer l’extrémité. Je tirais pour dérouler la longueur autour de mon épaule, laissant l’autre morceau descendre dans la rue. Enfin, lorsque Jax tira deux coups sur le morceau qui pendait dans le vide, je me campais fermement sur le muret, contractant mon ventre et mes jambes en tenant l’autre extrémité. Il commença à grimper et malgré son petit gabarit, je dus lutter de toutes mes forces pour ne pas partir à la renverse vers l’intérieur du mur d’enceinte.
Heureusement, l’agilité du marin lui permit de gravir le mur en quelques secondes à peine. Il vint ensuite s’installer près de moi, puis, saisissant lui aussi la corde, m’aida à assurer Nordim et Andrew durant leur montée. Une fois que tout le monde eut franchi l’enceinte, je me laissais tomber dans l’herbe à l’intérieur de la propriété, puis, j’enroulais rapidement la corde avant de la dissimuler sous un bosquet de plantes basses et touffues.
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« Et maintenant ? » demandais-je à mes compagnons.
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« On pénètre la maison, mais en silence » dit Nordim de sa voix bourrue.
Nous fîmes discrètement le tour de l’habitation, cherchant un moyen de pénétrer les lieux quand j’aperçus un petit balcon. Tapant sur l’épaule de Jax qui me précédait, je lui désignais d’un mouvement du menton l’accès, sollicitant son avis. Il réfléchit un moment puis acquiesça de la tête.
« Andrew, Nordim » dit-il un chuchotant
« Vous allez m’aider à monter là avec Nola, puis vous vous occupez de nous préparer une sortie. Si dans une heure on n'est pas de retour, partez. »
Sans un mot, ils acquiescèrent à leur tour, et se mirent en position pour nous faire la courte échelle. Le balcon n’était pas aussi haut que le mur d’enceinte et il nous fût facile de nous y hisser.
Une fois parvenue sur la terrasse, je me frottais les mains sur les cuisses, attendant que Jax me rejoigne. Puis, sans un bruit, nous nous avançames vers le rideau cachant l’ouverture vers l’intérieur de la maison. Je l’écartais délicatement, découvrant une chambre chaleureuse et déserte. Un lourd lit en bois clair trônait en son centre et le mur était totalement caché derrière une grande armoire dont l’une des portes était ouverte, laissant voir des robes et autres vêtements féminins.
Nous échangeâmes un regard interdit, puis, d’un commun accord, nous traversâmes la pièce jusqu’à la porte. Je collais mon oreille contre le battant de bois, des sons étouffés me parvenaient, mais je jugeais que cela devait être au rez-de chaussé de la demeure. J’ouvris lentement la porte et passais une tête par l’ouverture. Des rires et de la musique montaient en effet de l’étage inférieur, mais le couloir lui était désert.
« Tu vas à gauche, je pars à droite » dis-je à Jax dans un souffle.
Sans perdre plus de temps, nous nous séparâmes. Je tournais à l’angle du couloir et débouchais sur une galerie qui traversait un espace découvert, donnant une vue plongeante sur la salle de réception en dessous. Je m’avançais en silence, le dos collé au mur, essayant de disparaître dans les ombres du couloir, en bas, une étrange scène se jouait. Des hommes et des femmes buvaient et mangeaient alors que dans un coin, un petit orchestre jouait de la musique. Assis dans un épais fauteuil de velours rouge, un vieil homme à l’air revêche souriait à une jeune femme masquée qui le maintenant enfoncé contre le dossier de son siège en lui posant un pied sur la poitrine. Ses jambes étaient nues, mais elle portait de lourdes bottes de marin. Comme vêtement, elle n’avait sur les épaules qu’une veste luxueuse de capitaine, ainsi qu’un tricorne qui recouvrait ses cheveux blonds. Je me doutais que cela devait être un jeu de rôle malsain auquel s’adonnaient les riches propriétaires de Sartosa, le jour de la folie permettant d’excuser les fantasmes les plus spéciaux.
Me détournant de cette scène, je finis de traverser la galerie d’un bond et me trouvais dans un petit couloir large avec une porte de chaque côté. La première s’ouvrit sans opposer de résistance et je découvris une chambre spacieuse et richement meublée. La seconde en revanche était verrouillée. J’étouffais un juron, tentant de forcer la serrure en restant discrète, mais celle-ci ne semblait pas vouloir céder.
Retournant dans la chambre, je m’emparais d’un tisonnier posé à côté de la cheminée, puis, je l’insérais dans l’espace entre la porte et le mur. Je poussais de toutes mes forces sur la barre de fer, sentant le verrou gémir sous la pression. D’un coup, il sauta et en l’absence brutale de résistance, je me cognais contre le mur. Je me redressais d’un bond, tendant l’oreille pour chercher à savoir si quelqu’un avait entendu du bruit, mais aucun signe inquiétant ne me parvint. Massant mon épaule douloureuse du choc contre le mur, je pénétrais dans le bureau, fermant tant bien que mal la porte derrière moi.
Je fis le tour de la vaste pièce du regard. Confortablement meublé, l’endroit était également très bien pensé. Une vaste table de travail occupait le centre tandis qu’au fond, proche de la fenêtre, un bureau en chêne recouvert de document attira mon regard. Il y avait aussi des étagères remplies de classeurs, de livres de comptes et de divers instruments dont je ne parvenais pas à comprendre l’existence. Quelques breloques qui me semblaient bon marché décoraient la petite pièce, peut être des souvenirs d’anciens voyages ou de quelques aventures exotiques.
M’exhortant au calme, je décidais de commencer par parcourir les documents sur le bureau. Je ne m’encombrais pas à fouiller subtilement, le temps me manquait et le verrou cassé était une preuve accablante d’une intrusion. J’ouvrais donc frénétiquement les classeurs et étagères, jetant au sol le contenu qui ne m’intéressait pas, sans égard pour la fragilité des livres et parchemins que je manipulais. Après plusieurs minutes qui me parurent durer une éternité, je trouvais enfin ce que je cherchais : une carte en forme circulaire avec un trou en son centre. Cette partie manquante de la carte, c’était le capitaine Syrasse qui l’avait en sa possession, et avec ce que j’allais lui rapporter, il serait en mesure de nous conduire au point qu’elle indiquait.
« Qu’est-ce que vous faites ici ??! »
Je me figeais en entendant ces mots. Je me retournais et me trouvais face à la jeune femme en tenue de capitaine aperçu quelques instants plus tôt dans la salle de réception. Elle avait enlevé son chapeau qu’elle tenait à la main, dévoilant des traits doux et juvéniles.
« Qui êtes-vous ? » reprit-elle, ses yeux essayant de percer mon masque, cherchant peut-être à reconnaître une invitée.
Comme je ne répondais pas, elle continua :
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« Savez-vous au moins à qui vous vous en prenez ? »
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« Oui » répondis-je simplement.
Je lui souris tout en reculant pas à pas vers le fond de la pièce. Elle n’était pas armée, mais la distance qui nous séparait était trop grande pour que je puisse l’atteindre avant qu’elle ne crie.
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« Alors vous êtes folle » poursuivit-elle.
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« C’est le jour ou jamais, non ? » dis-je avec un sourire espiègle.
Mes fesses rencontrèrent le bord du bureau, je jetais un coup d'œil en arrière, par la fenêtre.
« N’y pensait même pas » dit soudain la jeune fille, comprenant mon attention. Mais alors qu’elle ouvrait la bouche pour appeler du renfort, je décidais d’agir.
D’un geste sec, je tirais sur le grand rideau bordant la fenêtre, puis, j’enroulais à la va vite le tissu autour de mon coude avant de frapper le carreau. Celui-ci explosa en de nombreux morceaux et je terminai de me dégager un passage, protégeant mon bras à l’aide du tissu épais. Alors que j’enjambais le rebord, je me retournais vers la jolie blonde qui, immobile, me regardait médusée.
« Désolé » lui dis-je avec un dernier sourire avant de me laisser tomber de l’autre côté.
Je me réceptionnais lourdement sur mes deux pieds, puis, sans plus chercher à être discrète, me précipitais vers l'endroit où j’avais caché la corde. Lorsque j’arrivais proche du mur d’enceinte, Andrew était déjà à califourchon dessus et Nordim était déjà repassé de l’autre côté. En dessous d’eux, deux gros tonneaux avaient été installés l’un sur l’autre, formant une échelle de fortune. Je jetais le paquet contenant la carte à Andrew, puis me retournais en entendant un cri derrière moi.
« Ici, il y en a un »
Un garde criait, désignant Jax d’un doigt. Ce dernier traversait le jardin ventre à terre. Andrew se laissait déjà tomber dans la rue de l’autre côté.
« Dépêche-toi » hurlais-je à mon compagnon tandis que je commençais à escalader les tonneaux à mon tour. Un coup de feu retentit et je vis une balle ricocher sur le mur à un bon mètre de moi. Une fois sur le sommet, je m'allongeais, tendant la main vers le bas pour permettre à Jax de monter plus vite. Trois nouveaux coups de feux partirent, passant de peu au-dessus de moi ou se fichant dans les tonneaux. Enfin, Jax arriva à ma hauteur et d’un bond, il sauta et attrapa ma main. Je fis un effort énorme pour le hisser jusqu’à moi, et d’un même mouvement, nous nous laissâmes tomber dans la rue. Je me réceptionnais d’une roulade à demi-maîtrisée tandis que Jax retombait sur Nordim. D’un bond, je me relevais et nous partîmes en courant vers le centre-ville alors que derrière nous, le bruit de nos poursuivants se faisait déjà entendre.
Pourtant, très vite, nous réussîmes à les semer, car une fois retournés dans le plus gros des célébrations, nous nous dispersâmes. Au milieu de cette foule bigarrée et masquée, chercher quelqu’un en particulier était impossible, nous le savions et nos poursuivants eux aussi. Après avoir repris mon souffle, je pris donc la direction du port, mais sur le chemin, je m’arrêtais devant l’échoppe d’une veille femme. Celle-ci fabriquait des masques en tous genres et sans trop y réfléchir, je lui achetais un voile bleu, apparemment inspiré des coutumes d’Arabie.
« Hé m’dame, vous avez fait tomber votre masque »
Je ne me retournais même pas à cette remarque, laissant derrière moi le masque de loup qui serait à n’en pas douter, soit ramassé par quelqu’un d’autre, soit piétiné d’ici quelques instants.
C’est avec le plaisir du travail bien fait que je descendis donc rejoindre mes compagnons à la taverne proche du port ou nous nous étions établis. Je pris le temps de flâner un peu et de profiter des animations, apercevant à un moment un groupe d’hommes armés et non déguisés qui, rouge et couvert de sueur, s'en retournaient bredouille vers les hauteurs de Sartosa.
Les célébrations se poursuivirent tard dans la nuit, et c’est avec satisfaction que je m’y joignis, profitant de tout ce que pouvait offrir cette drôle de fête. C’était en effet une folle journée, et quel meilleur jour que celui-ci pour tenter une opération aussi périlleuse et insensée que celle que nous venions de réussir ? Le jour de folie portait décidément bien son nom.
Dans mon sac de matelot
J'ai mis tout c'que j'avais de plus beau
Souvenirs de tous pays
Bouteilles de rhum et de whisky
Une montre qui ne marche pas
Ma pipe et mon tabac
J'y ai mis l'harmonica
Qu'j'avais acheté à Sartosa
Avec mon harmonica, je souffle la voile
A l'harmonica, l'harmonica
Pour naviguer la smala, écoutez ça les gars
Faut faire l'harmonica