J’ai rien, rien, rien compris à ce que disait la dame. J’ai capté deux mots : « clochard » et « came », ce qui m’a indiqué l’opinion qu’elle a de ma personne, mais le reste que dalle. Elle m’a donné un papier puis elle s’est tirée. Une partie de moi avait envie de la supplier à genoux de m’aider, mais j’ai eu peur qu’elle appelle la garde. Je l’ai regardée partir, toujours caché accroupi derrière ma grosse machine à roue. Elle a tourné au coin de la rue. Je suis maintenant seul.
J’ai regardé le papier qu’elle m’a donné. Il est très joli. Il y a des dessins qui brillent dessus. La dame a dit que ça s’appelait de la « moula ». Je ne sais pas ce que c’est, mais j’ai reconnu son mouvement. C’était celui de quelqu’un qui file de l’argent à un mendiant. Mais pourquoi un truc qui ressemble à un bon au porteur d’une guilde ou autre ? On me donnera jamais rien en échange de ça ! … pas à Nuln en tout cas. Dans le doute, je range soigneusement le papier. C’est pas parce que je suis au milieu de lumières psychédéliques et de bâtiments terrifiants que je vais balancer de la thune par terre.
Je me relève. Qu’est-ce que je fais maintenant ? De la magie, c’est évident. Mais même ça c’est bizarre ! Je ne l’ai pas dit avant parce que j’avais beaucoup de trucs à regarder, mais les Vents sont très étranges. Quasiment absents, en fait. Je vois un peu Ulgu parce qu’il fait nuit, Chamon circule vaguement dans les rues à cause de tout le bordel en ferraille qu’il y a partout, mais c’est… vide. Ça me désoriente beaucoup. Même le ciel paraît monotone. À Nuln, c’est le bordel dans tous les sens. Les temples, l’académie des mages, et même le moindre connard qui se balade avec un grigri déforment la trame de l’univers. Si on veut comparer avec un autre sens, ça serait comme vivre dans un marché aux épices alors qu’on a le nez très fin. Quand on en sort, tout paraît… fade.
Et je ne sais pas où est le Nord.
Toute ma vie, j’ai su où il était. Ça n’était d’aucune utilité vu que je voyage pas, mais je le sentais, au loin quelque part. En fait, pour être précis, je savais où était le nord et l’ouest parce que la magie circule de l’un à l’autre. Ici je ne sais pas, je ne sens pas, il n’y a… rien. Ça me tape sur le système comme si j’avais perdu d’un coup la capacité de voir les couleurs. Je suis plus perdu que jamais dans ce monde en noir et blanc. Pire : puis-je comparer ça à de la cécité ? J’ai envie de rester assis parce que j’ai peur de me cogner dans quelque chose sans faire exprès. Comment savoir si un cheval me fonce dessus alors que je ne perçois rien, absolument rien, de Ghur ? Je pourrais avoir toute la ménagerie d’un convoi de Stryganis à côté de moi et je ne le saurais même pas ! Parce que, soyons d’accord, si mes sens sont exacts, il n’y a aucun animal plus gros qu’un chien à des kilomètres à la ronde. Et ça, c’est strictement impossible. Ils doivent bien tirer des charrettes ou conduire des moutons au marché à bestiaux ici non ? Ils mangent quoi les gens ? Pas de végétaux non plus, visiblement, parce que Ghyran est absent aussi. C’est à en devenir zinzin.
Je parviens à me transformer en nuée de mouches, puis je me dirige vers le ciel. C’est la chose logique à faire parce que de un, j’y serais tout seul – sauf si un piaf vient me grignoter le cul, mais ça arrive rarement –, de deux je pourrais voir loin. Au sol y a tous les gros rectangles en matière bizarre qui me bouchent la vue.
Donc je m’élève, je vais plus haut qu’aucune mouche n’est jamais allée parce que les maisons sont vraiment, vraiment putain de grandes. J’ai jamais vu de montagne, mais de toute évidence « Paris » a été taillée dans l’une d’elle parce que rien ne peut être aussi haut que ça.
En fait, je ne parviens même pas jusqu’à une hauteur qui me permettrait de voir l’horizon parce qu’il y a trop de vent. Pas des Vents de Magie, juste bah… des bourrasques quoi. Puis il fait froid, trop pour un petit corps d’insecte.
Et j’ai failli mourir.
Le Grand Coësre, Magus de Nurgle et aéronaute amateur, a failli mourir en se mangeant un euh… bah je sais pas. Comme une des grosses machines, mais qui vole. J’ai senti des fractions de mon corps disparaître d’un seul coup, j’ai eu la brève vision d’un gamin grassouillet à travers une vitre puis j’ai entendu un hurlement d’homme qui annonçait quelque chose comme « putain d’insectes je viens de passer au carwash ». En soi, la scène n’a duré qu’une seconde ou deux. Le bolide est déjà loin quand je retrouve mes esprits.
Je m’enfuis dans la terreur et la confusion. Encore une fois. C’est trop ! Les cieux sont à moi – et à Valitch quand on se croise – et j’y ai jamais vu un putain de gamin moche propulsé à toute vitesse dans une boîte en métal et en verre. C’est comme si je trouvais une prêtresse de Shallya dans un de mes chaussons quand je me lève le matin. Je suis pris à revers. Qui se promène dans le ciel mis à part les magiciens tordus ? Personne !
Maintenant que je fais un peu gaffe, c’est pas des oiseaux qui se promène autour de moi en faisant du bruit. Il y a plein de ces machines magiques qui volent. Elles ont des fenêtres en verre, et on peut voir à travers les gens assis à l’intérieur. Ils ont pour la plupart l’air de s’ennuyer. Et encore une fois, pas un gramme de magie alors que cela ne peut relever que de la sorcellerie la plus puissante. Les gens ne volent pas comme ça ! C’est impossible !
Je décide de retourner au sol, puisque je suis entouré de menaces invisibles et plus rapides que moi. Je m’oriente au hasard, jusqu’à trouver une ruelle tranquille où pleurer sans être trop dérangé. De toute façon, même si j’avais pu rester en l’air, je n’aurais pas su où aller. Le nord ? Le sud ? Aucune idée d’où est l’Empire. J’ai plus de chance de m’en éloigner que de le retrouver en partant au petit bonheur la chance. Puis de là où j’étais je ne voyais même pas les limites de la ville. Peut-être qu’elle est infinie ? Peut-être que c’est le rêve d’un de mes collègues ? Mais je suis réveillé, ça j’en suis sûr.
J’ai trop mal partout pour être endormi, car quand je redeviens humain j’ai des lésions sur tout le corps, comme si j’avais attrapé une méchante varicelle. Si on y regarde de près, ce sont de minuscules plaies en forme… de mouches. Toutes les mouches que j’ai perdues contre cette stupide machine volante manquent à ma chair. J’en mourrais pas, mais ça gratte et ça pique.
Donc je me retrouve dans un nouveau quartier de la ville, loin de mon point de départ, mais qui sent lui aussi la pisse. Je me laisse glisser contre un mur tout gris et tout lisse pour me retrouver sur les fesses, je remonte mes genoux contre ma poitrine puis j’enroule mes bras autour de ma tête afin de cacher mon visage pendant que je sanglote à fendre l’âme, comme un petit enfant perdu. Je ne sais pas où je suis, ni comment retrouver mon chemin, j’en ai vraiment aucune idée.
Si on était dans une histoire bien, ça serait à ce moment-là qu’un groupe d’adorable marginaux viendraient à mon secours. Ou un chien qui parle. Ou un enfant qui me cacherait dans son placard avant de me ramener à Nuln sur un vélo. Mais non. Il y a juste eu moi en train de faire des petits couinements honteux pendant vingt minutes (et c’est putain de long). J’espère aucune aide parce que c’est pas la première fois que je pleure dans la rue. Si les gens aidaient ça se saurait.
D’ailleurs, j’ai repris pied quand une jeune fille pas très chaudement vêtue est passée dans la ruelle où je me trouve. Son visage a d’abord affiché de la curiosité avant que son regard ne se détourne brusquement. Elle fait semblant de ne pas me voir, peut être pour que je ne sois pas gêné, peut être par dégoût. En tous cas c’est une réaction dont j’ai l’habitude. Voir son visage ça m’a rappelé un tas de souvenirs. Ça m’a permis de reprendre pied. Les gens sont comme chez moi. Je suis encore vivant dans une ville avec des êtres humains. Et puis, pourquoi l’Interlope m’aurait envoyé ici si c’était pour me tuer ? Ça serait tordu comme façon de faire. Il pouvait directement me pousser à la flotte. Avec mes fringues j’aurais coulé comme une pierre. Non, chialer c’est bien, mais il doit y avoir autre chose à faire.
Je m’essuie le visage avec ma manche – en étalant plus de crasse en réalité. Je lâche encore quelques petits sanglots pathétiques parce que les lumières, les bruits et l’absence de magie me font très peur, mais je tente de réfléchir, ce qui est un début. Bon, je ne sais pas où aller, mais si je dormais j’arriverais peut-être à « voir » une solution ? À communiquer avec Furuga’th ? J’ai aucune envie de discuter avec ce malade, mais là je donnerais cher pour qu’il vienne m’emmerder. Le problème c’est de dormir, évidemment. Vu que j’ai pas de lit à disposition, ça va être un endroit un peu à l’écart où la garde ne viendra pas m’embêter, mais le problème c’est que ça arrive pas comme ça.
Si tu as déjà dormi à la rue, tu sais que c’est grosso modo impossible sans tomber d’épuisement ou être complètement torché. J’aimerais bien t’y voir à te coucher sur le trottoir et partir pour une bonne nuit de sommeil. T’y arriverais pas hein ? Moi non plus. Les dernières années avant Nurgle se sont déroulées dans un brouillard d’épuisement physique, quasiment jusqu’à la mort. C’est pas une expérience que j’ai envie de refaire.
Pourtant, je retrouve machinalement mes activités d’alors. Je me lève, puis je vais marcher. J’ai que ça à faire pour m’occuper, sans argent, sans connaître personne. Ça me rappelle mon arrivée à Nuln, quand j’avais seize ans. Là c’est la même chose.
Instinctivement, je vais vers les autres humains qui circulent aussi dans les rues, car ils ont l’air d’affronter sans mal les grosses machines qui vont très vite. Ils ne les regardent même pas.
Je comprends rapidement que le secret, c’est de marcher au bord de la rue et pas au milieu. C’est même un peu surélevé à cet endroit pour dissuader les monstres mécaniques de venir. Comment on fait si on veut changer de côté ? Hé bien, on se met devant des lignes peintes par terre et on attend que les machines s’arrêtent d’elles-mêmes. J’ai eu la chance de tomber dans un quartier assez peuplé et voir le processus se faire plusieurs fois, ce qui m’a donné l’occasion d’apprendre sans mourir écrasé. Néanmoins je peux pas m’empêcher d’avoir une petite réaction de panique quand l’une d’entre elle passe à côté de moi à toute vitesse dans un bruit monstrueux – ce qui arrive à peu près toutes les trois secondes. Je suis épuisé après cinq minutes.
Et ensuite…
Bah j’ai marché longtemps, plusieurs heures, et j’ai appris beaucoup. L’inconfort physique – la nausée, la migraine, l’impression que mes dents vibrent dans ma bouche… - à cause de toutes les lumières et le boucan constant a mis du temps à s’atténuer. Il y a du bordel à regarder et à entendre partout, tout le temps, d’un tas de sources différentes. De la musique dégueule à plein volume tous les trois mètres, même provenant d’endroits improbables. Quasiment toutes les échoppes – si on peut appeler ça comme ça – braillent, constamment. Même les cordonniers parviennent à enfermer de minuscules femmes dans des petites boîtes noires avec tout un orchestre en accompagnement et elles miaulent des âneries du genre « vamos à la playa », ce qui n’a aucun sens. Ça ressemble à du tiléen, mais je suis pas expert alors je saurais pas dire. De toute façon c’est même pas ce qui m’intrigue le plus à propos des boutiques de souliers. Moi ce que je me demande c’est qui sont les cinglés qui achètent toutes ces grolles. J’ai jamais vu autant de chaussures d’un seul coup, je crois que dans une seule rue je suis passé devant trois immenses boutiques de cordonniers. Et ça, c’est seulement pour les pieds. T’imagine pas le nombre de trucs qu’il y a à vendre, et la majorité j’en comprends même pas la fonction. On est dans une ville incroyablement riche en tous cas. Rien que la bouffe, ça dépasse tout ce que je croyais connaître, à un point inimaginable. , J’ai jamais vu autant… de trucs. Et toutes les formes, les tailles, les couleurs. La nourriture ressemble pas à de la nourriture. Personne a l’air de manger de pommes ici, sauf si c’est une pomme rose fluo qui s’appelle «
turbo-vegetable-3000 (avec électrolytes) ». Et ça a l’air d’être fabriqué nulle part. J’ai jamais vu une étale de boucherie, par exemple. Le jambon semble apparaître directement dans des petits sacs transparents. Après y avoir longuement réfléchi, je pense que les gens de Paris ont trouvé un moyen d’élever des animaux dans les souterrains, loin des regards. C’est la seule explication.
Les gens portent leur richesse sur eux par contre. Déjà, ils sont tous aussi bien mis que les nobles de Nuln. Au début j’ai cru être dans leur quartier pour bourgeois, mais même les types qui passent le balai ou les vendeurs des magasins sont comme ça. Tout le monde a les cheveux propres et brillants, les dents blanches et bien alignées – quand il n’y a pas des prothèses en or ou en argent. Leur habillement est bien sûr grotesque à mes yeux, mais dans des matières douces comme de la soie, brillantes et très très colorées. Mais tu sais ce qui est le plus impressionnant chez ces gens ?
C’est des géants.
Sans forcer, il n’est pas rare que même les femmes fassent une tête de plus que moi. Je ne suis pas gigantesque, mais pas un nabot non plus et c’est extrêmement étrange. J’ai l’impression d’être un modèle d’humain bâtit sur une échelle plus petite. Moins musclé, moins grand, moins large, y a rien qui va. Y a des types, on dirait qu’on les a gonflés aux hormones puis qu’on les a laissés sécher au soleil pendant deux semaines. De ma vie entière, j’avais jamais vu autant de muscles abdominaux aussi bien dessinés. Évidemment qu’il y a des costauds à Nuln, mais y a toujours une petite couche de graisse par-dessus. Je sais pas comment c’est possible.
Bien sûr, ce que je dis c’est ce que je parviens à observer de loin, car les gens font de larges détours pour m’éviter. Non seulement je suis couvert de merde, mais en plus je suis habillé comme un forain. Tout le monde me regarde, et c’est bien normal, je ferais pareil à leur place. Personne n’a de cape en fourrure ni de chausses ici. Pas de laine, de cuir ou de lin. C’est un gros problème, car pour des raisons évidentes j’ai pas envie qu’on s’intéresse à moi. Ça m’étonnerait qu’avec le billet de la dame de tout à l’heure, je parvienne à m’acheter des fringues – car c’est un bien coûteux, faut payer la matière première et les bonnes femmes qui passent des heures à filer chaque brin. Il m’a fallu longtemps pour trouver une solution.
D’abord, j’ai dégoté une fontaine. C’est curieux, aucune femme ne lave le linge dedans, aucun enfant ne joue. On dirait qu’elle est seulement là pour faire joli. À moins que ce soit religieux ? Mais personne ne s’arrête pour la regarder non plus. Elle est juste là, ronde, avec un petit jet décoratif au milieu.
Je prends mon courage à deux mains et je grimpe dedans. Je cherche à me rincer superficiellement, et le plus vite possible, car mon action attire beaucoup l’attention. Le gros problème c’est les cheveux. À ma grande horreur j’ai dû m’accroupir dans la flotte glacée afin de pouvoir plonger la tête.
Après ce débarbouillage en gros, je prends le large, et vite. J’ai pas besoin d’entendre les conversations indignées des passants pour comprendre que j’ai fait quelque chose de mal. Je me mets à trottiner, péniblement, car l’eau dans mes bottes circule entre mes orteils et ma cape gonflée d’eau pèse à peu près huit mille kilos.
Ensuite mon plan c’était de chourer de la sape suspendue à un fil, mais visiblement à Paris personne ne fait sécher son linge. J’en ai pas vu, nulle part. J’ai eu le temps de sécher puis de suer copieusement dans mon costume traditionnel – car il fait beaucoup plus chaud que chez moi – avant de trouver la solution.
Je suis passé devant beaucoup de gros cubes en métal. Il y en a de plein de formes et de couleurs différentes, alors je me suis pas intéressé à l’objet à chaque fois, mais j’en ai repéré un qui disait «
mettez ici vos dons de vêtements pour la croix rouge », et ça fait tilt là-haut. Bon, c’était une grosse boîte avec une trappe étroite pour prévenir le vandalisme, mais j’ai un avantage par rapport aux gens d’ici : je fais la taille d’un adolescent. Je peux faufiler le haut de mon corps par le trou pour le prix d’un peu de claustrophobie – et si je fais très attention à ne pas me laisser dégringoler là-dedans.
Après quelques petits bons humiliants pour me hisser à la force des bras – d’accord, d’accord, J’ADMETS, j’ai dû déplacer une poubelle pour grimper dessus car je n’y arrivais pas –, j’ai réussi à me faufiler dedans et à attraper des vêtements au pif dans le noir. Ça sentait le moisi et l’urine là-dedans, mais je suis pas le genre à m’effaroucher pour si peu. J’ai attrapé du tissu au hasard par poignées entières. Puis, encore une fois, je suis parti en courant avec tout ce que je pouvais porter sous les bras.
Après des essayages embarrassant derrière une poubelle, j’ai fini avec un pantalon dans une matière qui ressemble à du cuir – en plus fin et plus fragile – qui me contraint beaucoup au niveau de l’entrejambe, et un débardeur rose avec écrit dessus en lettres cursives «
attachiante, et alors ? ». Je sais pas si j’approuve le message, mais j’ai rien trouvé pour homme à ma taille. Au moins j’ai une veste courte qui… bah je sais pas la décrire, ça ressemble à rien que je connaisse mais au moins c’est dans une couleur plus sobre. Un truc entre le vert et le gris. J’ai gardé mes bottes, car la benne magique peut pas tout fournir non plus, et mes bijoux parce que je vais pas foutre des colliers et des bracelets en or à la poubelle.
Je me sens beaucoup plus en sécurité maintenant que je ressemble à la faune locale, c’est un énorme poids en moins sur mes épaules. Je suis crade, mal coiffé et j’ai visiblement connu des revers de fortune, mais au moins on peut me prendre de loin pour un mendiant local et pas un étranger. J’ai pas envie que les gardes m’arrêtent ou que des enfants me lancent des pierres.
Et là, enfin, je peux réellement observer Paris.
Avant j’étais dans l’urgence, j’avais besoin d’assurer ma sécurité. Là je peux me promener tranquillement ou m’asseoir sur un banc. Me rendre compte que j’ai très faim – car mon dernier repas remonte à bien longtemps, avant mon opération contre l’oncle d’Heidemarie.
C’est là que j’ai trouvé les boîtes magiques.
Il y a beaucoup de sortes de boîtes en métal ici, mais il y en a qui sont beaucoup mieux que les autres. Plus grande qu’un homme, avec une vitre devant, et à l’intérieur des petits paquets de nourriture. Il y a de la mécanique dedans qui fait que quand on donne de l’argent à la boîte magique, elle laisse tomber un des petits paquets devant une trappe en bas et on a le droit de manger.
J’ai observé des gens s’en servir pour comprendre le fonctionnement, puis je me suis lancé à mon tour. J’ai eu un moment de panique quand la mécanique m’a demandé de taper un code (une voix de femme très bizarre a même insisté), mais j’en suis venu à bout et j’ai eu le droit à une barre de chocolat. Je me suis lancé là-dessus, car les trucs aux couleurs vives dignes de mes meilleures hallucinations ne m’inspiraient pas confiance, et que le marron ça ressemble à de la merde donc c’est appétissant. Puis je connais le mot chocolat, c’est de la poudre qui coûte très cher chez moi, très amer, et qu’on mélange avec du lait.
Oh bon sang. Bordel. Quelle révélation.
Je sais pas ce qu’il y a dans ce truc, au début je me suis dit que c’était le truc le plus ignoble jamais conçu, mais une fois qu’on s’habitue au côté écœurant… oh putain.
Faut me comprendre, je suis le premier habitant du Vieux Monde à découvrir le sucre raffiné. Les graisses trans. Mon pancréas aurait sans doute tenté de se suicider si il avait su ce qui allait lui arriver ce jour-là. Moi je suis très emballé par le concept, même si mon rythme cardiaque a doublé et que mes dents brûlent. J’ai immédiatement racheté trois autres barres et j’ai promis intérieurement à la boîte magique de revenir la voir.
Je me suis installé sur les marches d’un escalier éloigné du gros de la foule pour déguster mon « repas », puis j’en ai profité pour observer. En priorité : les monsieur en bleus. Au cours de ma longue promenade, j’ai compris que c’était leurs gardes à eux. Ils sont nombreux, et ils se baladent avec la mine patibulaire de tous les soldats du monde. C’est pour ça que j’ai ressenti une certaine urgence à me déguiser. Ça et le fait qu’ils installent des barrages un peu partout puis qu’ils interrogent des gens au hasard. Je ne sais pas encore pourquoi, j’aimerais bien comprendre. Le problème c’est que c’est difficile d’observer quand les boîtes magiques braillent partout pendant que les écrans magiques clignotent dans tous les sens.
J’ai pas encore parlé des écrans magiques, pourtant on voit que ça. Il y en a basiquement du sol jusqu’au ciel, qui clignotent et qui brillent tellement que je dois en être à ma seizième crise depuis que je suis arrivé. Ça a l’air d’avoir beaucoup d’usage, principalement de… montrer des choses. Des objets, des machines magiques, des animaux rigolos. Souvent avec des jeunes dames peu habillées. Je ne sais pas le lien entre les deux, mais j’ai jamais vu autant de chair nue de toute ma vie. J’ai observé, sidéré, un écran de cinq mètres de haut où une dame vêtue de son seul sourire se tortillait et gémissait en mangeant du yaourt blanc fluo. Ça a duré une minute entière cette connerie. Et tout le monde passait à côté sans se retourner ! Incroyable ! Ensuite il y a eu une autre dame qui avait l’air très contente d’avoir un petit bâton en laine écru, à peu près la longueur de mon auriculaire, avec une ficelle au bout. Je sais pas ce que c’est, mais elle versait du liquide bleu dessus en souriant. J’ai jamais eu le fin mot de l’histoire parce que j’ai encore eu une absence à cause de trucs clignotants qui donnent mal à la tête.
Donc voilà j’observe la flicaille – à une distance respectueuse -, mais avec des difficultés considérables, car je suis défoncé au sucre comme jamais et les écrans m’affichent pour l’instant un beau jeune homme coupé des épaules aux cuisses qui a l’air très content de se tortiller dans un caleçon moulant, et ça me distrait. En tout cas la solution du mystère je l’aie eu grâce à ça, pas grâce à mon espionnage des gardes. Entre deux euh… gens tout nus, un des écrans m’a demandé de bien me laver les mains et d’avertir les autorités compétentes si je me sentais malade. Il y a eu des «
alerte niveau magenta » et des «
agence régionale de santé », mais j’ai compris. Il y a une épidémie dans cette cité riche et pleine de machines magiques. C’est pour ça que les policiers font des barrages et emmerdent des gens au hasard.
À mon grand agacement, l’écran se lance dans une nouvelle session de gens tout nus sans m’en apprendre plus. Il faut que je trouve… je ne sais pas, l’équivalent d’une placarde officielle, un prêtre errant, quelque chose qui me donnerait plus de détails. Ce con d’Interlope a pas pu m’envoyer ici pour que je mange des bonbons ! Ça a forcément un lien !