Sa présence d’esprit avec l’eau eut en revanche un résultat plus étrange. Alors qu’il versa de l’eau dans une plante, il vit le liquide former une sorte de grosse flaque visqueuse à la surface de la terre, sans être avalée. On aurait dit une flaque de mercure liquide. Tout comme pour le sablier qui remontait à l’envers, la physique ici était étrange, et l’eau refuser d’être absorbée par la terre.
C’est pourtant bien de l’eau qui était contenue dans la gourde. Reinhard étancha sa soif, tandis qu’il s’approchait des affaires des invités.
La corbeille de fruits tapa dans l’œil du sorcier. Ils avaient l’air frais, mais en fait, une idée se mit à naître dans sa tête — ce n’étaient pas parce qu’ils venaient juste d’être cueillis, mais peut-être parce que le temps semblait bizarrement fonctionner à l’envers. Les fruits revenaient vers la germination au lieu de marcher vers la pourriture. Peut-être cela arrivait-il aussi avec les êtres vivants ici ? Cela ne donnait pas envie de rester trop longtemps, même si pour l’heure, le sorcier n’avait pas l’impression d’avoir rajeuni.
Toujours est-il, aucun bruit et aucune trace d’autres individus présents, aussi, Reinhard décida de regarder un peu dans leurs affaires, s’il pouvait trouver quelque chose d’utile, d’une quelconque façon.
On pouvait deviner beaucoup de choses en regardant les sacs de quelqu’un. Les Neuf Yeux semblaient être des voyageurs — il y avait beaucoup d’affaires « pratiques » dans leurs havresacs, des rations de nourriture, des sacs de couchages enroulés, des couverts et de la vaisselle, des lanternes avec de l’huile, des cordages et des grappins. Plus rare et plus cher, on voyait beaucoup de cartes, qui laissaient deviner les lieux qu’ils visitaient : tout en grignotant de quoi manger, Reinhard disposait sur des tables basses des croquis et des plans du fleuve Reik, des Montagnes Grises, de la côte sud de la Mer des Griffes, d’un vieux temple d’un continent qui semblait fort lointain — toutes étaient annotées, marquées, couvertes de croix, de flèches, et de symboles en langue noire qui laissaient deviner qu’ils visitaient des lieux abandonnés un par un, probablement à la recherche de quelque chose. Évidemment, ils n’allaient pas dire quoi, mais ils semblaient avoir fouillé les quatre coins de la Norsca, de l’Estalie, de Parravon ou du Kislev.
Et puis, il y avait des lettres. Énormément de lettres. Par sécurité, Reinhard n’ouvrit pas trop les correspondances — il avait raison de craindre la méfiance de ses ennemis qui avaient nonchalamment posé leurs affaires à droite et à gauche, et puis, il ne saurait pas vraiment par où commencer. En revanche, il y avait beaucoup de rôles déjà décachetés, et de papiers dépliés, qui traînaient sur un divan, dans les poches d’un long manteau de cuir, ou froissés tout au fond d’une sacoche. Et ainsi, un peu au hasard, sans trop savoir quoi trouver, il se mettait à découvrir de minuscules éléments qui donnaient une image de ses adversaires, quand il pouvait comprendre la langue qui était écrite, car certains des papiers étaient rédigés là en gospodar, là en breton, là en remassien.
Il y avait par exemple un papier incomplet, un brouillon plein de ratures, comme si quelqu’un s’efforçait de trouver une tournure satisfaisante.
À mon cher collègue
À mon cher ami
Herr Magister
Wiflried,
Te souviens-tu de cette phrase qu’avait prononcée la matriarche alors que tu étais apprenti et moi dans ma première année ? Je me souviens de la phrase de la matriarche Feldmann quand elle accueillait la promotion d’apprentis dont tu faisais partie : « Quand il s’agit de science, l’autorité d’un millier ne vaut pas l’humble raisonnement d’un seul ». C’est cette philosophie qui a longtemps guidé les hommes comme nous, et c’est toujours cela que nous avions à l’esprit quand nous étions prêts à découvrir de nouvelles merveilles pour guider le genre humain. C’est toujours cela qui nous a séparé de la masse, notre audace notre soif de connaissances et de découvertes, peu importe le prix à payer en ignorant les menaces de ceux qui ne pouvaient pas nous comprendre.
J’avais tort
J’ai fait une erreur
Ma faute a été de sous-estimer la terreur la jalousie de nos camarades collègues, ceux qui ne veulent faire que bien quand ils peuvent faire grand incroyable. J’ignore ce que tu penses Je sais ce que tu penses, mais si tu me connais vraiment, tu sauras que ce que la Loi dit sur moi n’est que mensonges n’est pas toute la vérité.
Je l’ai fait. Après toutes ces années, j’y suis parvenu. J’ai créé la vie comme Rhya.
Un autre papier était plus élégant, couché sur du vélin, avec une écriture fine, une encre pourpre, et cachetée d’un seau en cire d’abeille.
Par Cette Lettre Patente,
Donnée à Marienburg le 16 Nachgeheim 2525,
NOUS, par la Grâce des Dieux et la Volonté de la République, Luitpold van Ræmerswijk, stathouder de la république des Jutones,
ACCORDONS à l’honorable Karl den Euwe et ses associés le droit EXCLUSIF de commerce, d’établissement et d’entreprise sur l’archipel que l’on nomme NIPPON pour six années, sous réserve que cela ne contrevienne pas aux lois du parlement ou aux articles sacrés de la constitution de Marienburg, ni à la sécurité de l’État, ni aux politiques d’affaires étrangères du gouvernement du Directoire.
PAR LA PRÉSENTE, nous garantissons l’EXCLUSIVITÉ à Karl den Euwe pour l’exportation et l’importation de biens et de denrées en provenance ou à destination du NIPPON, y compris pour les articles consignés dans le Livre Noir, tels les artefacts de sorcellerie, qui devront être protégés par des magisters diplômés du collège du Baron Henryk.
NOUS LUI RÉSERVONS LE DROIT de diriger le gouvernement sur l’île de DEJIMA, à condition qu’il fasse tout ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité, la tranquillité, l’ordre et la salubrité publiques, en respectant scrupuleusement les coutumes des Jutones et les lois de la république. Nous nommerons sur place un AVOUÉ plénipotentiaire qui pourra arbitrer et juger si le gouvernement de Karl den Euwe mettait en danger la sécurité de l’île, ou contrevenait à la santé ou la justice de nos citoyens sur place, qui garderons le droit d’élire leurs représentants, pétitionner leur gouverneur, se marier et établir commerce de façon à profiter d’une concurrence libre et non-faussée.
Et puis, il y en avait une feuille sur une table-basse, juste à côté d’un encrier encore ouvert. On aurait dit que la lettre avait été écrite il y a tout juste quelques instants, ce qui n’augurait rien de bon si Reinhard restait là trop longtemps…
Pour Loup :
Krieglitz échauffé. Épée tirée. Préparez la province du taureau. Éloignez les criminels, débloquez fonds pour mercenaires et chasseurs de prime. Tasseninck doit sortir les crocs. Libérez-lui le sentier de la guerre.
Pour Ours :
Cornus à rediriger. Au-delà de la montagne, suivez les pas de Gorthor. Gardez les Hardes sous contrôle pour l’instant, limitez les destructions à son minimum nécessaire. Devons chatouiller les tireurs d’élite.
Pour Chouette :
Agents à moi s’approchent de Gausser. Préparons de quoi graisser la patte au taureau. Valitch a échoué, je répare les pots qu’elle a cassés — sinon Nuln, passons par Marienburg. Accumulez grain et poudre à canon, l’Âge des Trois Empereurs est de retour.
— Onimuse.
Dans les affaires, Reinhard trouva quelque chose qui lui semblait utile : des petites fioles remplies d’un liquide violacé, avec un mot en Langue Noire écrit sur des étiquettes collées dessus — Potentiel semblait être la plus proche traduction. Probablement une potion de vigueur : il y en avait quatre petites doses, qui semblaient à boire en une fois. Toujours pratique…
Plus incroyable encore, dans un manteau, il trouva un minuscule écrin entouré d’un cerclage en or. On aurait dit une boîte pour une bague de mariage, mais après avoir passé deux minutes à jouer avec la petite serrure pour tenter de deviner comment ça s’ouvrait, le magicien entendu un « clic », et d’un coup, son cœur se mit à battre à toute vitesse, alors que les flots de magie se mettaient à pulser violemment autour de lui.
Il ouvrit, et découvrit un énorme caillou tout vert, brillant, au fond de l’écrin. Immédiatement, par pur réflexe d’animal effrayé, Reinhard ferma et verrouilla la petite boîte — c’était un énorme caillou de malepierre, de la magie pure ! La boîte semblait bien protéger l’extérieur de son influence, mais il n’avait jamais été aussi proche d’un caillou aussi gros de ce minéral maudit — rien que de la poussière pouvait rendre une potion immensément létale, alors, une once entière…