- Je facilite l’éparpillement des germes !
- Tu détruis, pour mes renouvellements !
- Tu engendres, pour mes destructions !
- Active ma puissance !
- Féconde ma pourriture ! »
Slaanesh et Nurgle, Liber Malefic.
Un mois après la mort de Mémé Gâteuse.
L’Interlope préparait sa barque. Devant la baie de la Faulestadt, le vieux borgne ramenait son embarcation pourrie, gagnée par les vers, au bois couvert de lichen. En voyant arriver ses passagers, cachés sous leurs grands manteaux coupes-vents bien sombres, capuches abaissées sur leurs têtes, il ne put s’empêcher de leur offrir un grand sourire, affichant ses dents jaunes, cariées, et ses gencives saignantes.
« Védé, p’tits gars ; L’beauté d’la fin sur vous ! »
Il ouvrit sa main, aux ongles sales recouverts de crasse. Bernhard Steiner ouvrit sa bourse et y déposa sur la paume osseuse une pièce d’argent, tout en le saluant en posant deux doigts près de sa tempe.
« Pour ton silence et ton office, Interlope.
– Allez donc ‘vec la fin ».
Steiner posa son pied dans l’embarcation chancelante, manquant de tomber à la renverse en sentant le bois tanguer sous ses bottes. Il se tourna et ouvrit sa main pour l’offrir à Frida ; La voleuse l’ignora, et grimpa par ses propres moyens à l’intérieur, s’asseyant sur un pan de bois, croisant une jambe l’une sur l’autre comme une jeune fille de bonne famille, usage qui n’allait pas avec sa naissance modeste et sa mauvaise vie.
Steiner s’assit en face d’elle, et ainsi, l’Interlope put se saisir de sa grande rame pour pousser le navire hors du petit ponton en bois, et suivre le flot du Reik pour quitter l’île.
Nuln était perdue dans une nuit verte. Le ciel sombre, couvert de nuages qui camouflaient les étoiles. Mais Morrslieb était en forme de croissant dans le ciel. Elle s’était montrée soudainement, sans prévenir, à la grande terreur des autorités de la ville. Quelques galères militaires, des Loups Impériaux, patrouillaient le Reik avec de grands feux allumés sur leurs pontons pour tenter d’éclairer la baie.
« Pouvez l’sentir, mes ouailles ? Céti la frousse qui s’empare des fidèles… Y claquent des dents dans leur sommeil... »
L’Interlope avait un sourire terrifiant. Figé. Plissé. Qui découvrait jusqu’à ses molaires. La vision de Morrslieb était loin de le terroriser : Il semblait tout guilleret, à deux doigts de ricaner. Voir ainsi de preux soldats impériaux catastrophés, des enfants de Sigmar, se relayer sur les pontons des loups impériaux qu’il évitait soigneusement en voguant tout doucement avec sa parodie de gondole, l’emplissait d’une grande joie.
Frida haussa les épaules, quelconque. Steiner, lui, se signa.
« J’ignore si nous pourrons agir dès ce soir. Nous avons vécu des temps si troubles… Rien n’a été préparé. »
L’Interlope observa la lune. Ses gros yeux injectés de sang, ceinturés de cernes, n’étaient pas humidifiés par des paupières qu’il ne battait presque jamais.
« J’peux sentir leur trouille… Oui… C’te ville, pleine d’merde… Y nous balancent, avec la morve, la gnôle, leur dégueli… Y savent pas qu’tout ça va leur r’tomber d’sus.
On va les prendre par l’bas et les enfoncer dans leur prop’ crasse. »
Évitant méthodiquement les patrouilles, il parvint à traverser le Reik pour atteindre le Dédale.
L’Interlope gara sa barque. Frida et Steiner débarquèrent, et grimpèrent les vieux escaliers abandonnés de pierre pour grimper jusqu’à la maison de Mémé.
Ils se présentèrent en passant devant le petit jardin rempli de fruits pourris et de cadavres d’animaux semi-enterrés. Un gros chat à qui il manquait la moitié de la tête, la cervelle exposée, mais qui pourtant était toujours en vie, cessa de se lécher sa patte nécrosée pour observer les inconnus. Frida toqua à la porte d’une main recouverte d’un gant noir : Elle fut bien de faire ainsi, car sa main se recouvrit d’une mélasse brune lorsqu’elle entra en contact avec le bois.
La porte de la demeure s’ouvrit. Max se trouvait derrière. Le contremaître avait bien changé : Il ne s’était jamais vraiment remit de son passage sur la galère Tiléenne maudite. Là où Frida avait magnifiquement bien reprit du poil de la bête, et s’en était tirée avec juste quelques petites cicatrices de plus, Max lui était tombé gravement malade. Son œil s’était réinfecté, et de la gangrène lui recouvrait maintenant la moitié de la face. Il n’avait plus un seul poil sur le sommet de sa tête. Et, près de son épaule droite, un amas de chair putrides, un cancer pulsatile, se développait clairement sous sa chemise.
Il salua ses collègues et les intima d’entrer, avant de fermer derrière. La troupe descendit à la cave. Là, dessous, sept personnes étaient en train de prier. Sept cultistes nouvellement venus, le petit secret que Mémé essayait de cacher, des recrutements qu’elle devait préparer spécialement dans le but de contrer les ambitions de Reinhard au cas où il deviendrait gênant dans le futur.
Dommage pour elle. Reinhard l’avait affrontée au bon moment. Et par miracle, malgré sa puissance, il était parvenu à la vaincre. À la bannir pour qu’elle serve à jamais Nurgle – en tant que charogne. À présent, ces sept personnes, des gueux quelconques, des mendiants, un d’entre eux au bras arraché, une vieille aveugle, une prostituée de seize ans atteinte par la vérole, toute la misère atroce de Nuln, il dessinaient un triple-cercle stylisé au sol, et répétaient en boucle des paroles d’une petite chanson :
« Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… Rejetons de Nurgle, mes mignons, mes petits… Comme Nurgle aime ses enfants ! Comme Nurgle aime ses petits… »
Reinhard Faul se tenait là. Il observait devant lui un amas de chair pensant, immonde, atrophié.
Cette chose immonde était tout ce qui restait du capitaine Vitale Candiano. Il n’avait cessé d’empirer dans sa déchéance infecte. Il était devenu à présent un gros tas obèse, aux doigts suintant de décomposition, un tas de 300kg qui devenait incapable de se mouvoir tout seul. Ses yeux apitoyés étaient dirigés tout droit vers Reinhard.
« Tuez-moi…
Pitiééééé…
Tueeez-moi... »
On entendit un rire guttural, muet, dans les deux crânes de Vitale et Reinhard, pour eux seul.
Mhhmhuhuhu…
Bientôt… Bientôt, c’est promis.
Reinhard se retourna. Frida et Steiner posèrent chacun un genou à terre, la tête bien baissée. Reinhard lui aussi avait bien changé. Frida approcha ses lèvres pour embrasser une verrue immense sur son orteil. Steiner lui posa sa bouche contre un doigt recouvert d’une dyshidrose gigantesque.
« Nous sommes venus te servir, Reinhard.
– Nous avons fait selon tes instructions. Et nous venons te faire notre rapport. »
Ces instructions étaient en fait celles de Furug’ath ; Mais à présent, il avait la chance de pouvoir parler à travers la bouche de Reinhard, sauf quand le sorcier luttait désespéramment pour l’en empêcher.
Il lui fallait trouver un moyen pour lui de le limiter.
Irmfried Brandt apparut en haut de l’escalier. Il descendit les marches, les faisant craquer à chacun de ses pas. Il passa derrière les cultistes qui continuaient leur mantra répétitif, et salua Reinhard avec un grand sourire et un signe de tête.
Morrslieb sera pleine dans trois jours.
Morrslieb sera pleine dans trois jours.
Morrslieb sera pleine dans trois jours.
Trois jours, Reinhard.
Trois jours pour que tu trouves quoi faire de la carcasse de Candiano : Une charogne à offrir à la ville de Nuln.
« Il y a plusieurs questions qu’on doit traiter, et puisque t’es notre magus maintenant, bah…
Bah ça va être à toi de les résoudre.
Tu nous prépares de quoi boire ? »
Les trois conseillers du Roi-Maudit remontèrent les escaliers. Ils suivirent Reinhard tout prêt, qui put répéter les vieux gestes de Mémé Gâteuse en utilisant une petite théière pour faire chauffer de l’eau croupie, tandis que les trois invités s’installaient sur des chaises grinçantes.
« Je pense qu’il faut songer à déménager, commença Steiner. J’ai pu entendre des rumeurs depuis mon poste au Parlement : Il y a des plaintes des voisins. Mémé n’a jamais été très discrète… Il nous faut un endroit où nous cacher, avant que la Loi n’arrive.
– Pourquoi pas le manoir dans la campagne que Reinhard nous a trouvé ? Il est camouflé, bien éloigné. On peut s’y installer.
– C’est une possibilité. Mais nous pourrions aussi décider de nous installer de l’autre côté du Reik, dans la Faulestadt. Ou bien dans les égouts. On pourrait aller envoyer des gens pour prospecter et nous découvrir un endroit ?
– Sinon, reprit Brandt, on pourrait déménager dans les marais du Stirland. Il y a des coins où personne n’y vit, à part des Stryganis et des pêcheurs très pauvres. On resterait proches de Nuln, . »
Reinhard leur servi l’apéritif, tandis qu’ils continuaient.
« Il faut qu’on sécurise le contrôle de la Faulestadt. Les événements avec Mémé font qu’on a pas pu trop se soucier des Sansovino et du Kassel dont tu m’avais parlé… Mais je crèche dans une maison de mon ex et j’ai continué la mission que t’as dû abandonner. Je pense qu’on peut la reprendre. La situation est explosive dans le quartier des ouvriers, je crois qu’il risque d’y avoir des bagarres et des ennuis.
Il faut qu’on choisisse un camp dans cette affaire. Ça pourrait nous offrir des opportunités. Des gains d’argent ou de nouvelles recrues.
Est-ce que tu penses qu’on devrait aider Kassel à soutenir la grève et trouver de quoi détruire l’influence des Sansovino ? Ou c’est une affaire qui ne nous concerne pas ? Y a aussi mes potes braqueurs, tu t’en souviens… Ils ont toujours cette histoire de diligence, ça va faire trois mois qu’on ne les a pas recontactés, il me semblait pourtant qu’ils nous avaient promis du lourd niveau monnaie... »
Steiner tiqua des lèvres.
« Il est vrai que nous n’avons plus beaucoup d’argent, et la secte peut difficilement vivre sans argent. Ce que propose Frida c’est un moyen de renflouer les caisses.
Pourtant, il n’y a pas que l’argent qui m’inquiète. Tu te souviens de l’affaire que tu avais fais avec ce… Cette chose au sous-sol ? Eh bien, la maladie que tu as déclenché dans les beaux quartiers s’est transmise à beaucoup de nobles. Des familles partent à la campagne du jour au lendemain pour cacher leur honte. Je crois que c’est quelque chose qui pourrait nous servir. Heidemarie gravite autour de cette société là. Elle souhaitait, eh bien… Elle souhaitait que tu rencontres des gens huppés. Des enfants de grandes familles, dont l’avenir a été ruiné par d’atroces chancres sur leur visage.
Il me semble que tu souhaitais qu’on découvre quoi faire de la chose au sous-sol. Nous pourrions peut-être l’utiliser pour attaquer à nouveau la Vielle-Ville.
Il faut en tout cas trouver un moyen où transmettre la corruption. Les mutants apeurés font de bons fidèles, non ? Comme les malades.
– Ou alors, on pourrait l’utiliser à l’abattoir. Cela détruirait le gang des Sansovino. Ou bien cela les forcerait à se placer de notre côté. Ça nous donnerait une milice, plus utile que des sales riches de nobles aux gueules ruinées. Mais c’est toi le patron, c’est à toi de voir. »
Brandt leva la main.
« Il faut aussi qu’on décide quoi faire de Max. »
Brandt jeta un regard accusateur dans son dos, vers le contremaître tout penaud qui surveillait l’entrée de la maison.
« Il t’a trahit, Reinhard. Certes, il servait Mémé ; Mais Heidemarie et Steiner avaient l’excuse d’être pris en otage par les autres cultistes de Mémé. Ces autres cultistes, ils avaient l’excuse de ne pas te connaître, pour cela qu’ils bossent pour nous maintenant.
Mais Max… Max il était avec toi. Fidèle à toi. Et il t’a vendu comme une putain à Mémé. Il a failli te tuer ! Tu es sûr que tu souhaites garder un homme comme ça auprès de toi ? »