Frida ouvrit la bouche pour protester. Elle observa Reinhard, puis Max, sa main toujours sur le pistolet. Et puis, au final, après quelques secondes d’une hésitation si longue qu’elles passèrent pour une éternité, la tension gagnant la rue dans laquelle ils se trouvaient, Frida décida finalement de soupirer, de lâcher son arme et de laisser les pans de son manteau se rabattre sur son pantalon. Elle regarda Reinhard, les sourcils obliques sur son front, les yeux humides de larmes. Elle attrapa Reinhard par les épaules, et le serra aussi fort que possible.
« Toutes les personnes que j’ai connues m’ont trahie, ou abandonnée, ou fait du mal… T’es le premier gars pour qui j’ai vraiment envie de me battre. Qui me fait pas me sentir comme une merde.
M’abandonne pas, je t’en supplie. »
Et sur ce, elle s’éloigna à petits pas, en passant un pouce sous sa paupière pour faire disparaître une petite larme qui avait commencé à naître. Et elle disparut, dans le dédale de ruelles de la Faulestadt.
Max s’approcha. Lui aussi paraissait affreusement gêné. Ses sbires puants à ses côtés beaucoup moins : Ils se regardaient entre eux, en chiens de faïence, et se mirent à encercler Reinhard. Ils n’avaient vraiment pas le physique d’armoires à glace : L’un était gros, les deux autres au contraire fins et squelettiques, de la même trempe que maître Faul.
Mais ils étaient trois. Et il y avait Max.
Depuis la dernière fois que Reinhard avait vu Max, celui-ci avait d’ailleurs changé. Il avait le teint plus blanc, pâle, et il ne put s’empêcher de tousser d’une grosse quinte grasse en s’approchant de son ancien camarade. Étais-ce à cause de son passage sur le navire de l’Halbsinel ? Ou bien Mémé l’affaiblissait-il, comme Reinhard l’imaginait ? Difficile à dire. Reinhard sentait qu’autour de lui, le cultiste avait une empreinte magique bien plus puissante. Mémé était en train de le corrompre.
« Viens donc avec moi, Reinhard.
T’inquiète pas, tout va bien se passer.
S’il te plaît… Laisse-toi faire. »
Il se réveilla lentement, par accoups. Le sac sur sa tête l’empêchait de voir. Des liens dans son dos l’empêchaient de bouger ses mains. Il sentait que son corps se déplaçait, à son insu. Il entendait le clapotis de l’eau. Et il sentait une affreuse odeur de merde. Il pouvait bien tenter de se déplacer, mais il sentait quelque chose lui écraser le dos et la nuque. Et la voix de Max :
« Tranquillise-toi. Je t’ai dis que tout se passerait bien, je ne te mens pas. Fais-moi confiance. »
Au bout d’un moment, son mouvement s’arrêta. Il sentit qu’on était en train de le soulever, et on lui retira son sac de toile sur le visage. Enfin, il comprit :
Il était sur une toute petite barque, au milieu des égouts de Nuln. Tout autour de lui n’était que de la vieille pierre souterraine, des grilles, et des monceaux d’excréments qui coulaient avec des déchets de toute sorte sur un long flot d’eau, la beauté du Reik.
On le fit marcher sur un ponton, et on le conduisit, manu militari, à travers des réseaux d’escaliers et des petites passerelles. Jusqu’à ce qu’il se retrouve dans une pièce bien singulière.
Quel était donc cet étrange bâtiment, d’où on pouvait voir la lumière du jour ? Reinhard était au fond de la fosse, avec Max, les mains toujours accrochées dans le dos, les pieds dans la merde liquide. Un coup dans la rotule l’obligea à s’agenouiller. Max cria :
« Pas besoin de lui faire du mal ! Il se laisse faire, il ne se débattait pas !
– C’est pas à toi de décider, le borgne ! »
Max se tint devant Reinhard, avec une mine peinée, tandis que les trois autres enfoirés se mirent derrière lui. Max s’agenouilla un peu, en tenant ses genoux.
« Je suis désolé Reinhard, il n’y avait pas d’autres solutions. Mémé est trop puissante… J’ai fais ça pour sauver ta vie, sauver nos vies.
Plie-toi à son autorité. Laisse-la faire. Je t’en supplie.
– Chut ! Ils arrivent ! »
Juste au-dessus de la fosse, des gens portant de gros manteaux rapiécés, des haillons pourris et déchiquetés recouvrant leurs visages, entrèrent. Debout au-dessus de Reinhard, ils retirèrent leurs capuches. Ils étaient douze. Reinhard en reconnaissait plusieurs.
Il y avait ici Bernhard Steiner et Heidemarie, les mines tristes, les bouches entrouvertes. Les autres, en revanche, regardaient Reinhard beaucoup plus férocement.
Tout en haut, sur une grande passerelle en bois, une figure étrange approcha. Une figure atroce et immonde, odieuse à observer.
Mais sa trace magique tout autour d’elle ne laissait pas de doute sur son identité.
Reinhard avait face à lui Mémé Gâteuse en personne.
« Poussin, mon petit poussin…
Je ne sais toujours pas si tu es ma plus grande fierté, ou ma pire déception. »
Elle se plaça au centre de la passerelle. Tout, tout en haut de Reinhard. C’est là que le cultiste comprit que quelque chose clochait.
La douzaine d’encapuchonnés au-dessus de lui sortirent de leurs manteaux des petites fioles, qu’ils répandirent en dressant un cercle ô combien trop familier envers Rein. Puis, ils se tinrent, main dans la main, et commencèrent à chanter en cœur. Ils canalisaient de l’énergie depuis l’Immatériel. Ils étaient en train d’essayer d’ouvrir une porte vers les Royaumes du Chaos.
Seules les voix de Steiner et Heidemarie étaient discordantes. Au milieu de cet orchestre, Rein pouvait les sentir… Peu assurés. Terrifiés.
Prêts à craquer.
« Je t’avais dis de me ramener le corps de Candiano ici ! Je te l’avais ORDONNÉ ! Et à la place, qu’as-tu fait ?!
Tu as permit à Furug’ath, le Démon que je souhaitais contrôler, de prendre possession d’un creuset pour se répandre dans le monde matériel ! Sais-tu combien d’années il m’a fallu pour corrompre Vitale Candiano ?! Combien de temps j’ai passé à détruire sa vie, à empoisonner sa petite fille pour qu’elle meurt du cancer, à trouver de l’argent à reverser à des Bretonniens pour qu’ils coulent son fils dans la mer ? À l’isoler afin que je devienne la seule personne qui compte pour lui ?!
Des années de préparation Reinhard ! DES ANNÉES DE MA VIE DÉDIÉES AU PESTILENT ! Tout ça pour que tu viennes, et RUINE TOUT !
Et ensuite, tu as décidé de t’allier avec ma pire ennemie ? Avec Valitch?! ». Le nom de la sorcière de Tzeentch, prononcé en langue noire, fut si puissant, que Reinhard senti du sang couler de sa narine.
« Comment as-tu osé ?! As-tu la moindre idée de la situation dans laquelle tu m’as mise ?!
REEEEEINHAAAAARD FAAAAAUL ! »
Son hurlement fut terrible. De l’énergie pulsa autour d’elle. Et alors, les murs de la pièce se mirent à être lézardés de merde, de crasse dégoulinante, de moisissure qui éclatait en spores qui retombaient un peu partout, provoquant une étrange fumée verdâtre qui empêchait à présent à de voir plus loin d’un mètre de soi.
Max se retourna, paniqué, et hurla vers la Grand-Mère. Il toussa, fort, du sang, mais trouva malgré tout la force de dire :
« Ce n’était pas ce qu’on avait convenu, Mémé ! Ce n’était pas ce dont nous avions discuté !
– Tais-toi, Max ! Hurla l’un des sbires derrière Reinhard. Tu t’approches de l’hérésie, à rétorquer quelque chose à Grand-Mère !
– Il souille ce lieu ! Il souille ce lieu ! Cria un autre des fous furieux faméliques, complètement paniqué.
– Va-t-en maintenant ! Tu participes, ou tu te casses ! »
Max regarda Reinhard, les lèvres pincées, puis à nouveau Mémé.
« D’accord ! D’accord... »
Et alors, il se retourna et commença à timidement s’éloigner, sans être trop certain.
Mémé, alors, reprit ses hurlements éthérées de sa voix qui résonnait dans un écho :
« Je vais te laisser une dernière chance Reinhard ! UNE TOUTE DERNIÈRE CHANCE !
Jure-moi que ton âme m’appartient. Jure-moi, en langue noire, que tu m’appartiens, à moi et moi seule. Je prendrai ta bile, ta morve, ta semence et ta merde. Je les lierais à moi en échange de ta fidélité absolue. Je te rendrai servile par des sortilèges qui t’empêcherons à jamais de faire librement tes choix. Puisque tu ne peux pas me servir en tant qu’agent, ta magie me servira de catalyseur.
Refuse, et alors je te détruirai pour récupérer tes organes. Mort, décomposé, tu trouveras toujours un moyen de servir Nurgle ! »
Alors que le destin de Reinhard semblait scellé, le temps sembla comme ralentir. Les cultistes arrêtèrent de chanter. Les mains de Mémé firent pause dans l’air. Plus rien ne bougeait. Plus un bruit. Plus un mouvement.
Un rire. Un rire fin. Au fort accent Tiléen.
Vitale Candiano, pimpant, borgne, séduisant, marchait devant Reinhard. Amusé, il pointa du pouce vers Mémé tout en haut de sa passerelle.
« Hé bah ! Mon pauvre Reinhard ! Tu l’as mise furax ! »
Il se téléporta juste à côté d’elle, les poings sur les hanches.
« Je savais que je l’avais frustrée, mais à ce point… T-t-t-t. Faut vraiment pas faire confiance aux bonnes femmes. »
Et il se téléporta à nouveau, cette fois-ci un étage plus bas, au milieu des cultistes qui psalmodiaient.
« C’est quand même vraiment pas de pot. Toutes ces aventures qu’on aurait pu vivre, toi et moi… Toutes ces intrigues, toutes ces histoires ! Tu souhaiterais que ça se finisse là, dans cette fosse ?
Moi je trouve ça tellement… Comment dire ? C'est un tel anticlimax ! »
Et il se téléporta une dernière fois, pile devant le visage de Reinhard.
« J’ai peut-être une autre idée !
Laisse-moi entrer, Reinhard. Ouvre-moi ta conscience. Fait-moi une toute petite place dans ton esprit…
…Et ensuite, toi et moi, on va danser un petit peu. Un combat de boss ! C’est ça que les spectateurs veulent, non ? Qu’est-ce que t’en dis ?! »