Une lignée d’arquebusiers s’approchaient des quais. Six hommes, leurs armes en joue, ils se tenaient à bonne distance du navire : Les militaires avaient beau être disciplinés, certains d’entre eux probablement des vétérans, absolument aucun ne semblait à l’aise près de cette galère. Ils empestaient la trouille, ça se voyait dans leurs yeux et sur leurs visages livides. Ils se tenaient à une distance telle qu’il était peu probable qu’ils puissent tirer sur quiconque atteindrait le navire.
Ils apportèrent le matériel réquisitionné par le répurgateur Anton Gunof. De grands sacs en toile, ainsi que des chiffons imbibés de solutions médicinales pour qu’ils puissent en recouvrir leur nez, et leurs bouches. Le capitaine-quartenier, malgré tout, semblait passablement mal à l’aise à les voir aussi peu équipés :
« Heu… ça… ça regarde que moi, messeigneurs, mais…
Les prêtres de Shallya sont montés sur le navire avec tout un attirail. Ils camouflaient leurs visages derrière des sortes de… de masques étanches, et des tenues très rigides. Est-ce que vous êtes sûr que vos… Vos protections seront suffisantes ? »
Max haussa les épaules.
« Cette pestilence est d’un genre étrange. Sombre, et… Contre-nature. C’est pas les miasmes que l’ont craint, et ce sera la foi envers Sigmar qui nous protégera !
– Certes, oui-oui, certes… Je, heu… Je vais prier pour vous, messeigneurs. »
Deux militaires attrapèrent une grosse planche de bois. Ils trottaient aux côtés du trio de faux-répurgateurs qui traversaient le quai pour s’approcher le plus possible de la galère, quand bien même ils s’éloignaient des braseros pour ne plus être que dans l’obscurité nocturne la plus noire. Juste devant son pont, les deux militaires jetèrent la planche de bois, puis s’enfuirent au pas de course, à grandes enjambées de footing. Quand ils furent partis, Max, Frida et Reinhard purent monter sur le pont, la planche grinçant sous leurs poids alors qu’ils grimpèrent un par un.
Toute la galère semblait instable. Elle tanguait très doucement sur l’eau, et l’ont pouvait distinctement entendre un crépitement de bois, comme si la masse de trois êtres humains suffisait à faire souffrir la charpente du navire. Le pont portait les stigmates d’une bataille : Les voiles étaient arrachées, le château de poupe était creusé par d’énormes trous, deux boulets de canon en fer encastrés ça et là, et une pluie de pointes de flèches hérissaient à présent la proue. Sur le bois, on pouvait voir beaucoup de sang séché. Mais pas la trace d’un cadavre, d’un morceau d’organe, ou de quoi que ce soit de vivant.
Comment ce navire-fantôme avait pu quitter la Bretonnie, traverser la mer des Griffes, atteindre Marienburg, et remonter le fleuve Reik jusqu’à Nuln dans cet état ? Comment l’avait-il pu sans le moindre équipage ? Frida et Max regardaient tout autour d’eux en tremblant. S’ils avaient pu paraître fiers et pressés de grimper un instant auparavant, à présent qu’ils se tenaient pour de vrai sur ce bateau fantasmés, ils observaient tout d’un œil hagards, incapables de réagir.
Contrairement à Reinhard. Reinhard, lui…
C’est comme s’il était rentré chez lui, sans même savoir qu’ici était chez lui.
Ses deux collègues, dans son dos, se mirent à tousser. Max vomit par terre. Frida se couvrait le nez. Alors que Reinhard se retournait pour voir comment elle allait, la voleuse se raidit, posa sa main sur son arme à feu, et l’éleva aussitôt.
« DERRIERE-TOI ! »
Dans son autre main, Emma tenait un encensoir allumé, qui commençait à disperser dans l’air une inquiétante fumée verdâtre.
« Serviteur des Mouches, c’est toi qui a amené cet chose immonde ici ?!
Ferdi, tue-le ! »
Emma se jeta en arrière, derrière un tonneau dispersé ici en guise de bien maigre et bien inefficace couverture. À ses côtés, un autre prêtre tout aussi bien armuré quitta le château de proue, pistolet à la main, pour faire feu.