Mais pas Max. Max souriait aux éclats. Et Max ne pouvait pas s’empêcher de tailler la discute avec la tailleuse, ralentissant donc les opérations.
« Cela fait combien de temps que vous êtes à Nuln maintenant ? Vous vous y plaisez ?
– Oh ! Depuis cinq ans maintenant ! C’est beau, c’est très charmant, j’aime beaucoup le Westen… Mais il faut avouer que c’est cher, très cher. Surtout les taxes, les contributions à la guilde… C’est très compliqué, il y a beaucoup de paperasse…
– Ouais. Vous étiez où avant ?
– Oh j’ai beaucoup voyagé ! Avant par exemple j’étais à Wurtbad.
– Sérieux ?! Mon beau-frère vient du Stirland ! Biberhof, vous connaissez ?!
– Oui, oui c’est juste à côté de Wurtbad ! Oh, c’était une ville magnifique ! Mais je n’y suis pas resté longtemps, juste une toute petite année… Par contre, Talabheim, ça j’y ai passé pas mal de temps !
– Arf, je connais assez mal Talabheim pour tout vous dire… Quoi que, j’ai un très bon ami- enfin, je l’ai plus revu depuis un moment, mais, un ouvrier de force qui venait du Talabecland. Nuln le déprimait, c’était un campagnard, un gars qu’aimait la campagne, vous comprenez ?
– Oui, oui, et Nuln c’est pas juste une ville… C’est très, très différent. Vous savez, j’ai grandis à Bordeleaux, et pour les Bretonniens, Bordeleaux c’est une cité immense et incomparable ; Mais même Bordeleaux elle ressemble à une bourgade quand on la met à côté de Nuln.
– Ouais ! Ahah ! Mais, il faut avouer qu’ils ont fait beaucoup d’efforts dans le Westen, c’est très joli ces petits parcs partout, y a plein de coins à l’ombre, en été c’est très sympa, et- »
Pendant qu’il parlait, Frida élevait les yeux au ciel. Elle tourna la tête vers Reinhard, et elle mimait les paroles de Max en bougeant ses lèvres chaque fois qu’il prononçait une phrase. Et ainsi Max rebondit en parlant de la canicule de l’année dernière, de comment son nouvel appart’ était bien chauffé, Lucie Desaix se plaignit des loyers, et ensuite, elle se mit à faire des commérages sur sa clientèle.
« C’est pas vraiiiiiii ? Oh là là, mais les gens ont un CULOT de nos jours !
– C’est exactement ce que je disais à mon amie… Monsieur… ?
– Max, appelez-moi Max, tout le monde m’appelle Max. »
Nurgle Merci, le calvaire qu’ils enduraient se finit tôt après ça. Ils purent alors payer, remercier Desaix, et alors Max reparti dans un petit commérage très court avant d’enfin quitter le magasin. Frida lui fit la gueule et l’alpagua sitôt qu’ils recommencèrent à respirer l’air du dehors.
« Dis-moi, Max, t’es toujours comme ça ?
– Comme quoi ?
– Comme ça, à faire la conversation à tout le monde. »
Il ricanait.
« Toi je crois voir quel genre de personne tu es, Frida ; Toujours à raser les murs, à sceller tes lèvres et à ne rien dire. Hey, c’est bon, fait pas une tête d’enterrement tout le temps. Sourit !
On est des gens qui ont échappé à la mort. Grand-Père nous a donné une seconde chance. Tout ce qui peut nous arriver de nos jours, c’est du bonheur.
– Si tu le dis.
– Je vais profiter de mon jour de congé avec ma femme et mes gosses. Faites pas trop de bêtises, ok les jeunes ? »
Il leur fit une petite révérence puis s’éloigna d’un pas guilleret. Frida grimaça, puis fit un geste pour signifier à Reinhard de le suivre.
« Oui, allez, vient avec moi. »
Ce ne fut pas un chemin bien long. Ils ne s’étaient pas éloignés du Westen de beaucoup. Et pourtant, l’ambiance avait changé du tout au tout. Finis les beaux arbres et les bâtiments résidentiels : Reinhard était entré dans le cœur même de Nuln. La véritable raison pour laquelle cette ville était si importante et respectée à travers le Vieux Monde, au-delà de ses usines fumantes de l’autre côté du Reik : Il était dans le quartier de l’Université.
Mais surtout, surtout, après avoir dépassé l’École aux Halflings (Qui donnait les meilleurs cours de gastronomie de l’Empire) et le Barreau (La faculté de droit), il se retrouvait devant un véritable complexe épais, fermé, dont les murs de pierres pouvaient sans aucun doute supporter un siège militaire : L’École Impériale d’Artillerie.
« Bon, mes copains ils zonent pas loin d’ici. Vendent de quoi faire la fête à des étudiants de l’EIA – Qu’est-ce que ça peut boire, fumer, et faire l’abruti, un étudiant…
Tu te tais et tu leur dis rien je m’occupe de tout. Ça devrait aller non ? »
Ils quittaient leur petite rue étroite et sombre pour déboucher sur une énorme place entièrement pavée et soumise au cagnard du soleil : La Reikplatz. La plus grande place ouverte de toute la ville, elle était construite tout autour du Deutz Elm, l’Orme de Deutz, un arbre plus vieux que Nuln lui-même, dont le tronc était large et épais comme une petite maison. C’était sur cette place grandiose que les vendeurs de journaux offraient ou criaient les nouvelles, que les agitateurs politiques et les candidats aux élections communales tentaient leurs campagnes, que les avis de recherches pour des employés ou des personnes disparues étaient placardées, et Reinhard, comme des dizaines de milliers de personnes, était souvent venu à la Reikplatz pour trouver une offre de saisonnier, pouvoir être engagé pour bosser une petite dizaine de jours en remplacement de quelqu’un. Lors des grandes fêtes, c’était aussi ici qu’étaient produits les spectacles, les représentations théâtrales, les concerts et les défilés militaires.
Normalement, ce jour-ci, alors qu’il ne devait pas être seize heures, il ne devrait pas y avoir beaucoup de monde, tout juste quelques promeneurs, et des vendeurs à la sauvette qui proposaient sur leurs stands des sandwichs ou une boisson chaude. Et pourtant, il y en avait, du monde. Pour une raison inconnue, assez étonnante pour faire que Frida s’arrête, tout un tas de bourgeois s’étaient soudainement arrêtés et avaient commencé à former naturellement un cercle irrégulier. On entendait, de derrière de ce cercle, des cris, des hurlements de terreur, et pourtant, aucun des bourgeois ne s’enfuyait. Frida fit un signe de tête à Reinhard, et les deux cultistes se frayèrent un chemin en poussant un peu les badauds – les « désolée » de Frida passaient plutôt pour des « dégage » très agressifs étant donné le ton qu’elle employait.
La scène qui se jouait alors sous leurs yeux, une fois qu’ils atteignirent les premiers rangs, fut tout bonnement terrifiante.
Du sang. Du sang partout. Des gerbes de sang qui ruisselaient entre les pavés, dégoulinant lentement entre les interstices pour se répandre. Au milieu du cercle formé par les curieux habitants de Nuln, quarante personnes peut-être étaient torses-nues. Des femmes et des hommes, vieux ou jeunes, l’un d’eux ne semblait même pas avoir douze ans, recouverts pudiquement d’un simple haillon autour de leur taille qui descendait jusqu’à leurs chevilles, découvrant ainsi leurs pieds nus. Ils avaient entouré un tabouret sur lequel était monté une quarante-et-unième personne, elle aussi à moitié dénudée. Tous portaient dans leurs mains des fouets, des verges cloutées, et ils se frappaient, en même temps qu’ils frappaient leurs camarades, tout en hurlant et en pleurant. L’un d’eux, une jeune femme blonde dont les trois quarts du crâne était rasé, tomba à terre, se roula en boule en criant complètement hystérique, mais si sa main droite tremblait comme une vache malade, c’était uniquement pour trouver la force d’élever le bras pour à nouveau se frapper.
Sur la chaise, la quarante-et-unième personne élevait les bras au ciel. Il affichait son dos à la foule.
Le flagellant empestait de magie. Sa trace Aethyrique était plus que patente : Elle était dégoûtante. Comme lorsque, étant sur l’Halbinsel, Reinhard avait eu mal à la tête et saigné du nez en passant devant un sanctuaire de Shallya ; Le chef de la procession monstrueuse resplendissait, scintillait d’un air éblouissant, comme le soleil. Reinhard était incapable de voir son visage, même lorsqu’il le présentait à la foule.
En revanche, il entendit bien son discours. Il rugissait d’une voix, qui, sûrement par Magie Divine, retentissait dans un écho, comme s’ils étaient enfermés dans une cathédrale, alors même qu’ils étaient dehors sur une place ouverte.
« Nuln SAIGNE ! Nuln est brisée, touchée, affamée ! L’arrogance et la décadence de ses élites a entraîné la ville tout entière dans sa chute ! La Ruine l’assaille, l’infecte, l’écrase ! Partout, la merde de ses égouts remonte et souille les âmes putrides des habitants !
Et qui en est responsable ? VOUS TOUS! »
Il leva son fouet et le projeta en l’air pour toucher son propre dos. Son sang doucha les bourgeois aux premiers rangs tout autour de lui.
« Vous tous, oui ! Vous tous ! Vous avez oublié les leçons de SIGMAR ! Vous avez sciemment oublié ses enseignements ! Vous avez accepté de coucher avec le Chaos, vous avez refusé de vous saisir de vos épées et de vos marteaux contre lui ! Vous avez toléré pendant beaucoup trop longtemps des puissances qui souhaitaient vous entraîner dans la déchéance, et vous en avez jouis ; Par plaisir, par ambition, par abandon, vous vous êtes allongé à ses côtés, et avez servi ses plans !
L’aristocratie de cette ville pèche ! Les étudiants de cette ville pèchent ! Les patrons d’usine pèchent ! Oui, Emmanuelle von Liebwitz sert le Chaos ! Karl Richthofen sert le Chaos ! Les truands servent le Chaos ! Tous, qu’ils le veuillent ou non, dansent au rythme des claquements de doigts des démons !
Vous méritez tous punition pour vos actes ! Seule la douleur peut vous faire rentrer dans le droit chemin ! Seule la douleur peut vous sauver de la Fin des Temps qui arrive ! Seule la douleur peut vous faire mériter contrition ! »
Jusqu’à ce qu’il arrête. Jusqu’à ce qu’il plongea ses yeux droit dans ceux de Reinhard.
Il bondit du tabouret. Il fit de grands pas avec ses pieds nus à travers les flaques de sang qui s’étaient déversées sur le pavé. Les flagellants tout autour de lui cessèrent de se fouetter, soudain curieux, et ils suivirent de leurs regards injectés de larmes leur chef foncer tout droit vers le mage.
« Oui… La corruption est partout… Elle est OMNIPRÉSENTE ! Elle souille tout ce qu’elle touche !
REGARDEZ ! REGARDEZ COMME LA RUINE EST PARTOUT ! SIGMAR PROTÈGE ! TU M’ENTENDS, PESTILENT ?! SIGMAR ME PROTÈGE DE TOI ! »
En face, le cercle des bourgeois fut brisé. Ils étaient poussés dans tous les sens, manu militari. Émergea alors d’un passage créé de force à travers eux, un homme gigantesque, portant une armure de fer, une robe carmin qui descendait jusqu’au sol, et un grand marteau entre ses mains. Il était accompagné de prêtres en habits de cérémonie, mais surtout, une petite demi-douzaine de chevaliers portant un harnois, portant une héraldique représentant un cœur enflammé, et en guise d’armement, de grandes épées à deux mains qu’ils faisaient reposer contre leurs épaules.
Et il lui sauvait la vie. Parce que Kaslain se mit à hurler tout en pointant son marteau en direction du flagellant.
« Qu’est-ce que ce fanatique fait ici ?! Comment peut-il être toléré qu’un extrémiste excommunié empoisonne le bon peuple de Nuln avec son venin et son mensonge ?!
Qu’on se saisisse de lui et qu’on l’amène à la Tour de Fer ! »
Les flagellants ensanglantés se levèrent comme d’un seul homme. L’un d’eux glissa sur la mare de sang qu’ils avaient provoquée au milieu des pavés. Tous, ils levèrent leurs matraques, et leurs fouets, et ils se mirent en bloc derrière leur chef, qui cessa regarder droit dans les yeux de Reinhard pour faire directement face à Kaslain.
« Il n’est pas de votre ressort de me détenir, Monseigneur ! Les chevaliers qui vous suivent ne sont que des truands servant de milice, ils n’ont aucune autorité pour se saisir de ma personne !
– Peut-être, mais j’ai encore de quoi te faire dégager d’ici de force, hérétique. Si tu voulais servir Sigmar, tu serais parti trouver des Hommes-Bêtes sur lesquels te faire tuer, plutôt que de revenir souiller cette ville avec ta présence !
– Nuln n’a pas besoin de moi pour être souillée, monseigneur ! Rugit le flagellant. Elle l’est déjà, un véritable domaine du Chaos ! Chaque jour, des enfants naissent mutés dans ses bas-fonds. Chaque jour, des personnes disparaissent sans jamais laisser de traces ! Hier encore, un enfant a disparu, alors qu’il était sous la protection du culte de Shallya !
Même les serviteurs de Dieux sont à présent incapables de protéger le peuple de Nuln ! »
Cette nouvelle terrible qu’il annonça eut son effet : Les bourgeois apeurés se mirent à se confondre dans des rumeurs qui bourdonnaient partout.
Sur le front de Kaslain, une petite veine tressauta.
« Et quelle solution proposes-tu pour endiguer cela ? Lancer des attaques diffamatoires contre toutes les grandes personnes de cette ville, puis passer tes journées à te fouetter ?
– Sigmar m’a béni, Kaslain ! Alors que vous m’avez tous abandonné et traité comme un paria et un hérétique, il m’a insufflé sa puissance !
C’est ton manque d’action qui me choque, monseigneur ; À croire que la corruption lancinante du Chaos t’arrange ! »
L’accusation avait du panache, il fallait l’admettre. Mais la lancer publiquement à l’encontre d’une autorité religieuse reconnue dans l’Empire entier, du Reikland jusqu’à l’Ostermark, n’était peut-être pas la chose la plus intelligente à faire : Surtout à en juger par l’écarquillement des yeux de l’archi-lecteur, et sa bouche bée.
Il fit un seul signe de main, et alors les six chevaliers derrière lui firent tomber leurs épées de leurs épaules et se mirent en position de combat, tandis que les clercs autour du prêtre se rangèrent docilement derrière-lui.
« Assez ! Je te suggère de prendre tes cohortes de galeux édentés et de les amener loin de Nuln : Dès maintenant, je m’en vais porter plainte auprès de la Cour de Nuln afin que le bras séculier te condamne comme le Culte t’as déjà mis au ban ! En attendant, disperse tes chiens, ou je les abats comme on abat ceux qui mordent. »
Les flagellants se préparèrent eux aussi à se battre. Déjà, des bourgeois étaient en train de reculer et de vider la place. Mais étrangement, alors même qu’ils étaient menacés par une demi-douzaine de chevaliers armés, le chef des flagellant leva à nouveau ses bras au ciel. Il chuchota à ses fidèles. Et tous baissèrent leurs armes, et leurs têtes, et prirent une apparence inoffensive.
« Nous ne craignons pas la douleur, Kaslain. Et nous ne craignons par la mort non plus. Ta terreur est digne d’un extorqueur de la pègre.
Je pars pour protéger les miens. Mais ne crois pas une seule seconde que je quitte Nuln. Je suis revenu pour purger la ville du Chaos, et c’est ce que je compte faire !
Vous tous, peuple de Nuln, écoutez-moi ! Je suis venu ici pour vous sauver ! Plus jamais vous ne craindrez la corruption ! »
Kaslain serra les crocs, se fit bien menaçant. Mais le chef des flagellants guida les siens bien loin de la place. Alors, l’archi-lecteur parti de son côté.
Une minute plus tard, ce furent les sergents de la ville qui arrivèrent, avec des hallebardes et des matraques, pour disperser la foule. Il allait falloir un moment pour nettoyer tout le sang dégoulinant.
Frida alla trouver Reinhard et le tira un peu au loin. Ses sourcils étaient obliques sur son front et elle affichait une mine aussi inquiète qu’attristée.
« Comment ça va ? C’était quoi ça putain ? »
Elle regardait nerveusement derrière elle.
« Il t’a pas fait de mal ? Tu veux t’asseoir deux minutes ? Aller boire un truc ? »