Sœur Anaïs étant partie, Reinhard Faul n’aperçut aucun surveillant dans les couloirs pour l’observer ou le réprimander. Il y avait bien le prêtre taciturne avec sa tasse de thé à l’entrée, mais il était occupé à tourner le dos au mage en terminant sa boisson. À moins qu’un des mendiants ne se mette à hurler sans aucune raison, le frère devait être occupé pour un moment.
Il arriva au bout du couloir. Dans la cuisine, la petite grosse était penchée devant le foyer en pierre pour frapper avec son briquet d’amadou, perchée au-dessus de quelques bûches mélangées avec du petit bois. Préparer la soupe allait lui demander un petit moment, peut-être assez pour parvenir à subtiliser un enfant ?
Il se dirigea à sa gauche et grimpa doucement sur les marches grinçantes du vieil escalier du petit hospice. Légèrement voûté, il parvint à grimper jusqu’à l’étage, en contrôlant sa respiration et en tentant de se fier à ses sens, quand bien même ils étaient parasités par la pollution des encens et par la piété consacrée du lieu ; Comme Anaïs l’avait dit, l’endroit n’était pas un temple, et c’était probablement très heureux, Reinhard aillant saigné du nez et failli subir une crise d’apoplexie lorsqu’il était passé devant un sanctuaire de Shallya sur
l’Halbinsel.
L’étage ne ressemblait pas au rez-de-chaussée. C’était une très très grande pièce unique, avec de jolies fenêtres qui étaient toutes fermées par un petit loquet à clé. L’agencement de la salle était arrangé grâce à de grands rideaux en toile verte, tous tirés. Il entendait quelques bruits, et des chuchotements. Un instant, l’un de ces rideaux fut tiré, alors Reinhard eut le réflexe de se cacher et de ne se montrer à nouveau que lorsqu’il entendit des bruits de pas s’éloigner.
L’intuition de Reinhard avait été correcte : C’était ici qu’on mettait les patients plus « sensibles », ceux qu’on ne pouvait pas enfermer à clé par quatre la nuit avec les risques de bagarres et de crises névrotiques de certains mendiants, ceux que les pieuses sœurs de Shallya ne pouvaient calmer qu’en demandant à leurs coreligionnaires masculins de leur prêter main-forte ; Une « tranquillisation » fort virile qui consistait à se ruer sur eux pour les maîtriser solidement.
Reinhard ferma les yeux. C’était tellement dur de se concentrer avec les parfums et les huiles qu’on faisait brûler et qui étaient omniprésentes dans le bâtiment à colombages. Tellement difficile d’en appeler au cadeau de Grand-Père, surtout avec ces satanés fenêtres fermées à clé pour empêcher les patients de s’enfuir. Le cadeau de Nurgle infestait ce quartier, et pourtant, il semblait incapable de pénétrer à l’intérieur de ces murs.
Et pourtant, il sentit une trace, minuscule, de la bénédiction de Grand-Père. Une haleine de son cadeau. Une quinte de toux. De minuscules détails, comme le fumet d’un bon plat sur le rebord d’un balcon qui laisse deviner à un chat où se trouve le festin. Il entra dans la pièce, regarda les rideaux tous tirés, et devina que certains d’entre eux étaient occupés. Il chercha son prix ; il s’approcha d’un des rideaux, et l’ouvrit en grand.
Le rideau dévoila un lit. Une jeune fille était allongée sur une paillasse, une couverture remontée jusqu’à son torse. Elle devait pas avoir plus de seize ans, à moins que ce ne soit sa minceur anorexique et ses yeux bruns entourés de cernes qui la faisaient paraître plus jeune. Elle était blonde, mais sa chevelure était en pagaille et semblait partir petit à petit. Elle avait la bouche bée, un petit sursaut l’ayant tout juste prit en voyant apparaître soudainement Faul. Mais c’était pas elle qui était intéressante, ce qui était intéressant, c’était le petit objet qu’elle tenait entre ses bras tous fins contre elle.
Un enfant. Un petit machin potelé, aux joues grasses et avec très peu de poils sur le caillou. Une petite chose aux yeux fermées, dont le nez ressemblant à un groin de cochon était dégoulinant de morve. Et il toussait, il n’arrêtait pas de tousser depuis tout à l’heure, avec ses petits bruits pulmonaires de nouveau-né : il ne devait pas avoir plus de quelques semaines. Ce qui était le plus inquiétant – ou le plus magnifique – était que sa peau, loin d’avoir adopté le beige pâle de sa mère semblait avoir obtenu une teinte bleutée. Il continuait, continuellement, de tousser des excrétions qui l’étouffaient au fond de son gosier.
La maman attrapa plus fortement son enfant et le colla à elle. Elle leva son regard vers Reinhard, épouvantée, et avec une petite voix tremblante, elle lui dit simplement :
« Qui… Qui êtes vous ? »