Lukas semblait parvenir sans trop de mal à conserver l'attention des deux nobles, à sa grande joie. Parvenir à intéresser des membres d'une famille aussi respectée était déjà une forme de réussite en soi, mais encore restait-il à les convaincre, si le nobliau comptait tirer un quelconque bénéfice de cette histoire. La politique des Von Spiel était compréhensible et bien qu'il devait avouer l'avoir trouvé en premier lieu assez discutable, elle n'était en fait peut-être pas si irresponsable que ça. Une politique aussi « isolationniste » permettait à la famille de croître tranquillement de son côté, lui permettant de ne pas subir de perte, augmentant sa puissance lentement, mais sûrement. Le principal défaut de cette stratégie était que les Von Spiel se refusaient apparemment à toute forme de conflits, même pour défendre leur réputation et possiblement - vu les accusations de Mort - leurs vies.
En apparence, tout du moins, car en y regardant de plus prêt, les prétendus vampires étaient loin d'être inactif. Il y avait une grande différence entre refuser de riposter et refuser de riposter ouvertement. Les Von Spiel étaient loin de laisser le prêtre de Morr les diffamer sans agir, la simple discussion qu'il était en train de mener en étant la preuve parfaite. Si un joyeux hasard du calendrier n'avait pas amené le jeune noble à proposer son aide, il était certain que ses hôtes ne seraient pas restés sans rien faire. Il était ainsi plus exact de dire que la guerre privée qu'ils menaient contre l'église de Morr était tout aussi brutal qu'elle était secrète ; le nobliau n'était pas sûr que réagir officiellement contre les attaques de Mort aurait porté un quelconque coup à leur réputation - n'étais ce pas ici une sorte de légitime défense ? -, mais il pouvait tout de même comprendre leur point de vue et leur refus de s'engager ouvertement dans le conflit.
Si ses « bienfaiteurs » se décidaient dans un avenir plus ou moins proche à s'engager finalement dans la politique de la ville, tout cela pouvait en-fait véritablement jouer à l'avantage du noble : tout comme les Von Spiel refusaient de prendre ouvertement part à un conflit contre leur ennemi du moment, tout en luttant effectivement en sous-main ; ils pourraient très bien, dans un éventuel futur, le soutenir officieusement, lui permettant ainsi de garder un allié de poids et surtout, un allié discret.
Maria semblait d'ailleurs plutôt bien prendre les quelques réflexions de Lukas, à l'amusement de ce dernier. Bien qu'étant consciente de l'ironie derrière ces paroles, la noble semblait avoir prit au pied de la lettre la remarque culinaire du nobliau, ce qui ne manqua pas de le faire à son tour légèrement rigoler. Pourquoi pas ? Ce n'était pas comme s'il avait quelque chose de prévu pour la nuit. De manière amusante, les repas étaient des occasions de socialisation très privilégié par la noblesse, aussi ne contait-il pas déroger à la règle. C'était un moment où il pourrait se faire connaître... et mieux connaître ceux avec qui il aurait à traiter. Sur le ton de l'ironie, il répondit donc favorablement à l'invitation.
- Tant que ce n'est pas nous que vous servez au dîner, messieurs les vampires, je ne vois pas de raison de refuser. Ce serait un plaisir de partager votre table.
Enfin, finit les réjouissances et la promesse d'un bon repas, il était désormais l'heure pour le nobliau de parler Argent. Les Von Spiel lui proposaient un « cadeau » de 250 couronnes, dont la très majeure partie quand il se serait occupé de Mort. Ce n'était d'ailleurs là pas du tout assez pour espérer rembourser complètement « Les messagers de Mort », comme il aurait pu naïvement l'espérer. S'en était même très loin, à vrai dire, vu les 2000 couronnes que coûtaient le bâtiment. Et même avec ses talents diplomatiques, il était à peu près certain que ses hôtes n'accepteraient pas de lui donner dix fois plus que leur offre initiale. Côté positive, il n'était de toute manière pas nécessaire pour Lukas d'amasser la totalité de la somme tout de suite, il avait « juste » à donner à la Guilde une partie de ses revenus tant qu'il n'aurait pas totalement racheter le lieu.
Elvira semblait être partisane d'une négociation du prix, ce qui n'était pas complètement déraisonnable. Mais, étant déjà en pleine négociations, il ne pouvait décemment pas arrêter maintenant et remettre ça sur la table plus tard, afin d'avoir une occasion d'en parler avec sa conseillère. D'autant plus que, détail plus amusant - et intriguant -, Maria semblait avoir remarqué cette petite discussion, observant d'un regard plus que mystérieux ses deux invités. Demander plus. Étais-ce vraiment une bonne idée ? Le nobliau se mit à jouer avec son collier, pensif, mais arborant toujours un regard joueur, braquer sur la maîtresse des lieux ; la question n'était pas de savoir de quoi il pouvait les convaincre, mais bien de savoir de quoi il avait besoin. Étant donné qu'Elvira avait parlé de « tout ce qu'ils auraient à payer », il en déduisait logiquement qu'elle faisait référence à leur commerce. Plus d'argent ? Certes, cela pouvait l'aider, mais il n'imaginait pas les Von Spiel lui donner beaucoup plus que ce qu'ils proposaient déjà. Alors... Ne fallait-il au final pas mieux qu'il sécurise cet argent ? Comparé à la somme total, cinquante couronnes étaient assez peu d'économie. Même pas un quart de la somme final. Il pouvait bien comprendre que les Von Spiel ne donnaient pas leur argent au premier venu, mais il pouvait toujours essayer d'en tirer un peu plus avant de passer à l'action, sans pour autant augmenter la somme total qu'il désirait. Pourquoi pas ? Cela pouvait bien marcher après tout.
Le nobliau se redressa, un air détendu sur le visage, toisant d'un oeil sûr de lui ses hôtes, avant de finalement se tourner vers Frederick.
- Évidemment Fredrick, la famille Von Dalwing ne manque pas de richesse. Mais, bien que je sois joueur, la vie m'a appris qu'il faut savoir minimiser les risques. Nous parlons ici de combattre la tête d'une des églises les plus puissantes de la ville : ce n'est pas pour rien si Nuln abrite un des plus importants temples de Morr. Je suis là pour vous aider, n'en doutez pas, mais cela ne veut pas pour autant dire que je dois prendre des risques inutiles. Ce « cadeau » que vous me faites, en est autant un qu'il est une assurance. Pas une récompense non, mais une assurance qui me permettra de m'engager sans risque dans cette affaire et de vous aider sans craindre d'y perdre trop de plumes, d'avoir dépensé inutilement au cas ou ça tournerait mal. Outre les mots, c'est la preuve que j'ai véritablement votre soutien dans une histoire qui vous regarde en premier lieu, mais dans laquelle je suis prêt à m'engagez pour vous venir en aide. Car soyez en sûr, la seule récompense que je désire, c'est votre amitié.
Puis, après un petit temps d'arrêt, il tourna cette fois-ci la tête vers Maria, un sourire en coin recouvrant ses lèvres. Bien qu'il n'ait pas pour habitude de sous-estimer autrui, Frederick était, aux yeux du Nulner, le moins expérimenté et le moins « présent », lors de cette discussion. Du côté de son hôte, tout du moins, Elvira ne s'étant pas montré très bavarde, ce qui ne manquait pas d'étonner le noble. Quand il s'agissait des négociations, s'était à la matriarche qu'il devait s'adresser. La femme qui semblait véritablement avoir la main sur les affaires et la maisonnée des Von Spiel, c'était elle. Et par conséquent, c'était évidemment elle qu'il devait parvenir à convaincre.
- Me donner une première partie est très appréciable de votre part, mais je crains que cela ne nous suffise pas dans la situation actuelle. 50 couronnes représente une certaine somme, mais si vous souhaitez que je mette fin à la tyrannie de ce prêtre, il me faudra sans doute une aide plus conséquente. Bien sûr, je comprends : cet argent est autant, pour moi, une aide de votre part, qu'il est pour vous une assurance que j'accomplirais ma part du marché. Mais n'ayez crainte, je ne suis pas un homme à vous mentir. Quel avantage tirerais-je d'une telle traîtrise ? Non, vous n'avez besoin d'aucune récompense pour me convaincre de vous soutenir. Ce dont j'ai besoin c'est une aide claire dans cette histoire et cet argent est une des manières dont vous pouvez m'assister. Pourquoi ne pas couper la poire en deux ? Je prends la moitié de la somme, ce qui me permettra sans mal de financer cette opération et vous gardez l'autre moitié, ce qui vous permettra de vous assurer que je ne vais pas filer en douce avec votre trésor et vos complots. Une très mauvaise idée d’ailleurs : Comment pourrais-je alors espérer revoir votre sublime personne ?
Le Nulner se permit, sur ses mots, de faire un rapide clin d’œil à la noble, doubler du plus charmant sourire dont il pouvait se targuer… en priant, au passage, le divin Ranald pour ne pas s’attirer les foudres, - ou plutôt les glaces ? - de sa jolie conseillère. Bien sûr, Lukas était conscient que sa logique pouvait marcher dans les deux sens : S'il était risqué pour lui d'aider les Von Spiel sans une « assurance » qui lui permettrait de ne pas dépenser trop d'argent en cas d'échec, il était tout aussi risqué pour eux d'investir trop d'argent dans un homme qui pourrait très bien échoué dans sa mission. Mais, « étrangement », il n'avait pas jugé utile d'induire ce petit détail dans la discussion. Il espérait simplement que ses beaux discours sauraient convaincre les nobles, mais cela, il ne pouvait pas en décider : c'était désormais à sa chance, son charisme et à sa petite flatterie sur la beauté de son interlocutrice de faire le travail. Dans tous les cas, il ressortait de toute manière avec une jolie petite somme sans avoir bougé le petit doigt, aussi s'estimait-il déjà assez chanceux comme ça.
Par contre, Lukas devait avouer être assez surpris par les dernières paroles de Maria. Qu'ils ne soient pas au fait des manigances de Mort, ce n'était pas surprenant. Mais qu'ils disent ne pas allez souvent à Nuln lui semblait plutôt étonnant : n'étaient-ils pas censé faire partie la plus ancienne famille noble de la ville et par conséquent d'une des plus enracinées ici ? A croire que la citée faisait fuir même ses plus anciens résidents !
- Une sage décision, m'est avis, vu le climat peu accommodant qui semble régner ici. Quoi que, ça ne m'étonnerait pas que Mort soit un de ces hommes assez motivés pour vous poursuivre jusqu'à l'autre bout du Vieux Monde ! Quant à ses autres potentiels rivaux, il va falloir que nous trouvions un moyen d'entrer en contact avec eux dans les plus brefs délais...
Ce qui n'était pas forcément une bonne nouvelle pour eux d'ailleurs. Lukas était tout à fait le genre d'homme disposer à augmenter délibérément les tensions entre deux factions pour les pousser à se battre, les affaiblissant suffisamment pour qu'il puisse rafler la mise. Plus facile à dire qu'à faire, bien sûr, mais c'était toujours moins risqué que s'attaquer tout seul à une des dites factions ! Et puis, ça permettrait d'éviter à ses commanditaires d'avoir la désagréable surprise de voir des cohortes de chevaliers noirs frapper à leur porte un beau matin, car les Von Spiel ne seraient alors véritablement même pas lié à l'incident en question, relâchant sans doute la pression que Mort faisait poser sur eux. Une situation décidément bien complexe...
- Il me semble que l'Église Sigmarite a récemment eu des déboires avec Mort, ma chère Maria. Je ne suis pas sûr qu'ils seraient disposés à tenter quelque chose, mais ça peut être une opportunité à creuser... Pourriez-vous, je vous en prie, user de votre réseau de relation pour éclaircir la question ? Les prêtres et suivants de Morr sont en général très absent, politiquement parlant - Et je sais de quoi je parle, mon frère était dans ce cas ! -, mais pour le coup, le Grand-prêtre semble être prêt à faire abstraction de cette généralité quand il s'agit de défendre ce qu'il pense être juste. Votre réseau de relation est bien plus étendue que ce dont les Von Dalwing disposent. Si vous arriviez déjà à repérer les ennemis et même les alliés potentiels de Mort, ce serait déjà un grand pas en avant pour atteindre notre objectif. L'information est le nerf de la guerre et c'est bien là ce que nous sommes en train de mener ! Une guerre pour défendre l'honneur de la plus honorable famille de Nuln, et de la plus belle femme de cette charmante citée.
Un grand sourire vint soudainement illuminé le visage, jusqu'alors relativement calme du noble, alors que celui-ci s'étirait les bras avec une nonchalance digne de l'elfe le plus arrogant. Comploter était amusant deux minutes, mais il devait avouer préférer les dîners aux longues discussions ! Et puis, le temps qu'ils arrivent dans la salle à manger, cela laisserait l'occasion à Elvira de lui glisser quelques mots, si elle avait quelque chose de pressant à lui dire.
- Enfin, pas que cette discussion me soit désagréable, mais ne commencerait-il pas à se faire tard ? Peut-être que nous pourrions continuer autour d'un bon repas, qu'en dites-vous ?