Alors que la pièce s’obscurcissait légèrement Alfreid écouta la réponse du sergent, sa réaction chagrina quelque peu le bourreau. Même s'il se voyait autorisé à se vêtir, les soldats ne détourneraient cependant pas leurs regards de sa tendre amante. Cela ne l'étonna pas outre mesure, son charme naturel n’ayant que peu d'emprise sur les hommes à moins que ces derniers ne soient adepte du beau vice. Et malgré son imposante moustache le sergent ne semblait pas s'incliner dans ce sens.
Néanmoins tout cela n'avait que peu d'importance, il ne comptait pas perdre son temps avec cet homme rustre. Ce qui importait, c'était les deux émeraudes qui le fixaient. Ces bosquets dans lequel il s'était si souvent perdu en contemplation et qui désormais se voyaient troublés par une mousson qui en voilait l'éclat. Il voulait faire quelque chose pour chasser cette pluie et faire revenir le soleil, briser cette peur et la remplacer par une confiance telle qu'aucune horreur de ce monde ne saurait faire revenir cet orage.
Mais d'un autre côté, il se surprit à constater qu'embrumé de la sorte, ce regard si charmant devenait encore plus séduisant. Une constatation tardive qu'il n'aurait pas le loisir d'exploiter, cette regrettable réalisation lui laissa un goût amer dans la bouche. Adressant une prière muette au Prince du Chaos, Alfreid se jura de ne plus laisser échapper de telle opportunité s'il lui offrait une échappatoire. Il montrerais à sa princesse au yeux de béryl la véritable beauté, celle que l'on ne peux trouver dans cette morne vie et que seul les plus méritants peuvent espérer effleurer. Avec elle à ses côté il se saisirait de cet éclat pour en illuminer le monde, quitte à l'embraser pour en cautériser les imperfections.
Toutefois cette idée n'était qu'un doux rêve, du moins tant qu'il ne trouverais pas de moyen de se sortir de sa situation actuelle. Avec un soupir Alfreid s’apprêtait à obtempérer lorsqu'un bourdonnement singulier parvint à ses oreilles. Le son provenait de derrière lui, là ou se trouvait l'homme masqué. Le bourreau constata le changement d'attitude des garde et du sergent, intrigué il tourna la tête en direction de l'homme … pour constater que ce dernier n'en était plus vraiment un. A la place de l'homme masqué se trouvait désormais un parangon de beauté, une œuvre vivante à la gloire de la décadence.
Ce monument de chair tremblait, comme sculpté par l'impulsion créatrice de Slaanesh lui même. Fasciné, Alfreid n'esquissa qu'une faible résistance pour retenir Heilgard lorsqu'elle se détacha de lui pour se réfugier derrière les gardes. Le mouvement ne lui échappa cependant pas et lui permis de se détacher de son extase pour se tourner vers son amante, mais au lieu de retrouver les charmantes émeraudes il se retrouva en face des yeux du sergent glacé d'effroi.
Tout s'enchaîna en un éclair, l'ordre du sergent, la morsure de l'acier sur sa chair, le blanc de sa chemise virant au cramoisi, le sifflement de douleur du masque et tandis qu'Alfreid se sentait happé par les ténèbres glacée une voix, un cris plutôt, l'accompagna. Oh Heilgard, ne pleure pas, je reviendrais auprès de toi, je te le promets.
Et pour finir, le néant.
…
Alfreid ouvrit brusquement les yeux, se redressant sur son séant.
Sa bouche aspira l'air avec force comme un homme ayant manqué de se noyer.
La douleur quasi réelle s'estompait déjà, tandis que ses mains palpaient son torse à la recherche de blessure.
Il pouvait sentir l’affolement de son cœur s’apaiser quelque peu alors qu'il réalisait enfin ce qui était arrivé.
Tremblant et couvert de sueur, il reconnaît sa chambre. Un rêve, toujours le même, cela lui revenait maintenant. Le calme de la pièce lui permis de se ressaisir, lui offrant le temps nécessaire pour se remémorer le songe. Un fin sourire vint sur ses lèvres alors que la détresse qu'il avait ressenti lui réapparaissait, est-ce que ce réveil était la fameuse échappatoire pour laquelle il avait prié ?
Le tambourinement de la porte le ramena vivement à la réalité. Son pouls s’emballa en souvenir du rêve mais la voix vint l'apaiser bien vite. Reconnaissant Sven, il laissa échapper un soupir de soulagement. Même s'il avait tout d'abords rechigné à l'idée de se voir assigné un assistant, n'appréciant pas trop qu'un étranger possède la clef de sa demeure. Alfreid avait au fil du temps su apprécier le garçon, il était obéissant, calme et surtout suffisamment blasé pour ne pas fouiner là ou il ne fallait pas. Par précaution il verrouillait toujours l'accès à sa cave et conservait l'unique clef auprès de lui. Mais jusqu'ici le garçon n'avait fait preuve d'aucun intérêt sur ce point, fort heureusement pour lui.
Avec un grognement de mécontentement Alfreid repoussa ses draps et se leva. L'obscurité de la pièce ne le gênait nullement et c'est d'un pas sûr qu'il se dirigea vers sa commode. Il entama de rapide ablutions tout en répondant au jeune homme.
« J'arrive Sven. Qu'est-ce qu'il y a de si urgent pour qu'il t'envoie ici si tôt ? » il posait la question sans vraiment attendre de réponse. Les disciples tel que Sven se voyaient souvent commandé sans recevoir d'explications, mais cela ne les empêchait pas pour autant d'en savoir parfois plus que ce que leur supérieur pourrait le souhaiter.
Terminant de se laver, Alfreid tendit le bras pour se saisir d'une chemise. Il s'arrêta en constatant la couleur de cette dernière, crème comme dans le rêve. Avec un grommellement il la repoussa puis en pris une autre, brune cette fois.
Une fois vêtu il ouvre enfin la porte de sa chambre, se retrouvant ainsi face à Sven. Il regarde le garçon et ses traits marqué par la fatigue d'une nuit agitée lui donnent un air encore plus sinistre que d'habitude. Il ajuste ses gants puis reporte son attention sur le servant de Véréna.
« J'imagine que l'urgence est telle qu'un repas avant de partir n'est pas une option ? Bon ouvre la marche, qu'on en finisse. »
L'idée de perdre son temps avec le prêtre ne l'enchantait gère, surtout qu'il comptait aller retrouver son artiste favorite pour lui compter son rêve. Il n'avait pas eu l'occasion de voir la dernière toile et il ne souhaitait pas la faire attendre trop longtemps. C'est donc précédé de Sven, qu'Alfreid quitte son domicile pour se rendre auprès du fameux Guttenlieb. En chemin il en profite pour parler un peu plus.
« Tu vas bien Sven ? Tu me semble tendu … quelque chose te tracasse ? »