[Piero vs Morwen] L'été furieux des Asrai
Posté : 03 sept. 2018, 20:57
C'était l'été.
Aux aurores, la rosée nimbant l'orée des bois et les champs qui la bordaient s'évaporait déjà sous l'assaut des rayons du soleil, levé de bonne heure. Tout au long de la matinée la température ne cessait d'augmenter, d'enfler comme l'inflammation d'une plaie infectée, jusqu'à ce qu'à son zénith une chaleur étouffante ne s'abatte sur les villages du Vieux Monde. On pouvait entendre les criquets et les grillons lancer leurs stridulations en continu, jour et nuit, comme s'ils louaient l'atmosphère pesante et sèche de la période estivale ; le ciel demeurait obstinément limpide, traversé seulement de quelques rares nuages désespérément blancs qui se hâtaient d'aller plus à l'Est ou au Nord. Les tenaces paysans de l'Empire, la peau brûlée, s'acharnaient dans les plaines à faucher les récoltes en faisant de leur mieux pour oublier que c'était l'été.
Mais dans les bois, on ne l'oubliait pas.
L'été faisait infuser dans les veines du peuple des forêts une vigueur débordante qui ne demandait qu'à être relâchée. Ce que ressentait Morwen durant ces longs mois arides, c'était une extraordinaire énergie, de celles qui amènent assez d'excitation pour obscurcir la raison et ne plus laisser la parole qu'aux profonds sentiments du cœur. Or son cœur débordait de colère : c'était un élan de l'âme qui prenait ses racines mille ans plus tôt, avait germé dans le terreau de la détresse et de la perdition. La danseuse de guerre était une rescapée à plus d'un titre, une amie loyale trahie, une guerrière qu'on avait poignardé dans le dos. Son orgueil et sa fierté blessés ne la rendaient que plus prompte à la violence, et aujourd'hui que le soleil ardent des beaux jours la faisait bouillonner à l'intérieur, elle avait le besoin impératif de retourner sa fureur contre le monde extérieur.
C'est pourquoi dans les bois, les elfes les plus belliqueux avaient fourbi leurs armes et couraient désormais, comme possédés, les yeux étincelants, en direction des villages des hommes qu'ils méprisaient aujourd'hui avec tant de force.
Les premiers à mourir furent les fermiers les plus éloignés des habitations, naturellement. Les flèches qui les percèrent avaient été lancées dans le but de faire souffrir plutôt que de tuer, mais les guerriers qui allaient vers eux étaient si véloces, et si enragés, qu'ils les fauchèrent alors même qu'allongés à terre ils palpaient avec incrédulité les blessures dont on venait de les affliger. Les Asrai qui convergeaient vers les palissades du petit bourg qui se dressait au milieu des douces collines baignées de soleil se moquaient bien de se dissimuler, et bientôt retentit la cloche lugubre des hommes qui battaient le rappel des habitants et le rassemblement de la milice.
Tout se passa bien trop rapidement pour que quiconque comprenne vraiment ce qui arrivait.
Une poignée d'elfes se rua par les portes encore ouvertes de rondins grossièrement taillés, poussant des hurlements sauvages qui s'élevèrent au-dessus des chaumières comme une nuée de corbeaux stridents. Parmi eux il y avait une femme, plus grande encore que les autres, avec une longue chevelure couleur de rouille et dont certaines mèches étaient filées d'anneaux de bois poli. Elle maniait une grande lance dont la pointe réfléchissait un éclat de lumière, et sur sa peau pâle qu'un harnachement de cuir ne protégeait guère se mouvaient comme par enchantement des tatouages tout en arabesque bleutées. Tandis que ses pairs se heurtaient aux gardes du village qui arrivaient de façon désordonnée, elle porta ses yeux noirs sur la silhouette d'un autre homme un peu à l'écart ; il était plus brun que les impériaux, les cheveux et la moustache obstinément noirs sous l'ombre de son chapeau crânement piqué de plumes. Ses vêtements choisis avec le goût décontracté des duellistes, ses bottes maculées de terre mais de solide facture et la cape rougeoyante rejetée sur une de ses épaules lui donnaient des airs de héros de grands chemins, et il y avait fort à parier que sa pose du moment avait été soigneusement étudiée à l'avance : il y avait une sorte de contraste saisissant entre cet homme, hâlé et aux allures de dandy guerrier, et l'elfe enragée qui courait vers lui en brandissant son arme effilée.
Le destin avait cru bon de leur faire croiser le fer, au moins pour cette fois...
Aux aurores, la rosée nimbant l'orée des bois et les champs qui la bordaient s'évaporait déjà sous l'assaut des rayons du soleil, levé de bonne heure. Tout au long de la matinée la température ne cessait d'augmenter, d'enfler comme l'inflammation d'une plaie infectée, jusqu'à ce qu'à son zénith une chaleur étouffante ne s'abatte sur les villages du Vieux Monde. On pouvait entendre les criquets et les grillons lancer leurs stridulations en continu, jour et nuit, comme s'ils louaient l'atmosphère pesante et sèche de la période estivale ; le ciel demeurait obstinément limpide, traversé seulement de quelques rares nuages désespérément blancs qui se hâtaient d'aller plus à l'Est ou au Nord. Les tenaces paysans de l'Empire, la peau brûlée, s'acharnaient dans les plaines à faucher les récoltes en faisant de leur mieux pour oublier que c'était l'été.
Mais dans les bois, on ne l'oubliait pas.
L'été faisait infuser dans les veines du peuple des forêts une vigueur débordante qui ne demandait qu'à être relâchée. Ce que ressentait Morwen durant ces longs mois arides, c'était une extraordinaire énergie, de celles qui amènent assez d'excitation pour obscurcir la raison et ne plus laisser la parole qu'aux profonds sentiments du cœur. Or son cœur débordait de colère : c'était un élan de l'âme qui prenait ses racines mille ans plus tôt, avait germé dans le terreau de la détresse et de la perdition. La danseuse de guerre était une rescapée à plus d'un titre, une amie loyale trahie, une guerrière qu'on avait poignardé dans le dos. Son orgueil et sa fierté blessés ne la rendaient que plus prompte à la violence, et aujourd'hui que le soleil ardent des beaux jours la faisait bouillonner à l'intérieur, elle avait le besoin impératif de retourner sa fureur contre le monde extérieur.
C'est pourquoi dans les bois, les elfes les plus belliqueux avaient fourbi leurs armes et couraient désormais, comme possédés, les yeux étincelants, en direction des villages des hommes qu'ils méprisaient aujourd'hui avec tant de force.
Les premiers à mourir furent les fermiers les plus éloignés des habitations, naturellement. Les flèches qui les percèrent avaient été lancées dans le but de faire souffrir plutôt que de tuer, mais les guerriers qui allaient vers eux étaient si véloces, et si enragés, qu'ils les fauchèrent alors même qu'allongés à terre ils palpaient avec incrédulité les blessures dont on venait de les affliger. Les Asrai qui convergeaient vers les palissades du petit bourg qui se dressait au milieu des douces collines baignées de soleil se moquaient bien de se dissimuler, et bientôt retentit la cloche lugubre des hommes qui battaient le rappel des habitants et le rassemblement de la milice.
Tout se passa bien trop rapidement pour que quiconque comprenne vraiment ce qui arrivait.
Une poignée d'elfes se rua par les portes encore ouvertes de rondins grossièrement taillés, poussant des hurlements sauvages qui s'élevèrent au-dessus des chaumières comme une nuée de corbeaux stridents. Parmi eux il y avait une femme, plus grande encore que les autres, avec une longue chevelure couleur de rouille et dont certaines mèches étaient filées d'anneaux de bois poli. Elle maniait une grande lance dont la pointe réfléchissait un éclat de lumière, et sur sa peau pâle qu'un harnachement de cuir ne protégeait guère se mouvaient comme par enchantement des tatouages tout en arabesque bleutées. Tandis que ses pairs se heurtaient aux gardes du village qui arrivaient de façon désordonnée, elle porta ses yeux noirs sur la silhouette d'un autre homme un peu à l'écart ; il était plus brun que les impériaux, les cheveux et la moustache obstinément noirs sous l'ombre de son chapeau crânement piqué de plumes. Ses vêtements choisis avec le goût décontracté des duellistes, ses bottes maculées de terre mais de solide facture et la cape rougeoyante rejetée sur une de ses épaules lui donnaient des airs de héros de grands chemins, et il y avait fort à parier que sa pose du moment avait été soigneusement étudiée à l'avance : il y avait une sorte de contraste saisissant entre cet homme, hâlé et aux allures de dandy guerrier, et l'elfe enragée qui courait vers lui en brandissant son arme effilée.
Le destin avait cru bon de leur faire croiser le fer, au moins pour cette fois...